La délégation entend tout d'abord M. François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE).
Nous avons le plaisir d'accueillir M. François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises, dans le cadre de notre réflexion sur « Femmes et travail ».
Je vous rappelle que cet observatoire, qui existe depuis une douzaine d'années, regroupe une centaine de membres d'origines très diverses, puisque les représentants des grandes entreprises du monde de l'industrie, des services et de la finance y côtoient des organismes professionnels et sociaux et des organisations non gouvernementales tournées vers l'environnement et les droits de l'Homme.
L'Observatoire a vocation à être une structure de veille permanente sur les questions qui touchent à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. A ce titre, il s'intéresse à la problématique de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes à travers des approches souvent originales, en s'interrogeant en particulier sur la façon d'intéresser les hommes à cette problématique et de les y faire adhérer en leur montrant les avantages qu'eux aussi peuvent y trouver.
Dans cette perspective, l'Observatoire vient de publier une étude sur « Le poids des normes dites masculines sur la vie professionnelle et personnelle d'hommes du monde de l'entreprise », étude réalisée en partenariat avec Brigitte Grésy que nous auditionnerons d'ailleurs tout à l'heure.
Monsieur le Délégué général, nous sommes heureux de pouvoir recueillir vos réflexions sur la réalité de ces normes masculines souvent implicites, sur leur évolution dans le monde du travail aujourd'hui, sur le « coût » qu'elles peuvent présenter pour les femmes, mais aussi pour les hommes, et sur les leviers que nous pourrions utiliser pour favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle pour l'un et l'autre sexe.
Nous souhaiterions en outre savoir si, par delà le monde des cadres et des salariés de l'entreprise, vous avez aussi une réflexion sur les publics en difficulté, les salariés précaires ou à temps partiel, qui sont souvent des femmes et se situent à la périphérie du système.
L'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) a la chance de rassembler l'ensemble des confédérations syndicales - dont certaines équipes travaillent spécifiquement sur le sujet de l'égalité professionnelle - et des entreprises engagées sur cette question, qui nous permettent de nous appuyer sur les pratiques qui nous paraissent être les plus innovantes, que nous nous employons à diffuser, via notamment la publication de guides pédagogiques.
Nous avons, à cet égard, publié un premier document pédagogique en 2004, sous forme de fiches, afin de permettre aux entreprises qui souhaitent avancer sur le sujet de se saisir de l'ensemble des aspects de la vie au travail concernés par cette problématique - que ce soit les questions de recrutement, de formation, de mobilité, de condition et d'organisation du travail, d'accès aux postes à responsabilité...
Ce document a été réalisé en concertation avec le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes du ministère et avec l'ensemble des organisations syndicales. S'il devait être réactualisé, je pense que nous aurions également l'appui du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Nous avançons donc sur le chemin des bonnes pratiques avec l'appui des organisations professionnelles et syndicales.
Je précise que je suis également engagé, à titre personnel, sur ce sujet au sein du Conseil supérieur de l'Égalité et au sein du conseil d'administration au Laboratoire de l'Égalité. J'ai par ailleurs participé, à titre personnel, à la rédaction d'un rapport, publié par Terra Nova, qui avait pour ambition de traiter du sujet de l'égalité entre les hommes et les femmes à travers le prisme de l'implication des hommes.
Pour commencer, je rappellerai rapidement les difficultés et les enjeux du sujet. En matière d'égalité professionnelle, comme vous le savez, les avancées achoppent sur la difficulté de faire appliquer la loi.
Mes récents échanges avec les responsables syndicaux et institutionnels, notamment lors de la récente conférence sociale, me conduisent à penser qu'un point fait consensus, au-delà de la question de la réforme de la loi et des décrets d'application, c'est que de bonnes pratiques ont déjà été mises en place au sein des entreprises, mais qu'elles n'ont pas assez de visibilité au niveau national.
Très clairement, je pense que nous ne pourrons aller plus loin aujourd'hui que si nous disposons d'une meilleure connaissance des pratiques et des enjeux par secteurs d'activité. Je suis convaincu que l'on ne peut traiter de questions comme par exemple le temps partiel subi, sans y intégrer une dimension sectorielle : les caractéristiques du temps partiel d'une caissière ne sont, par exemple, pas les mêmes que celles du temps partiel d'une femme qui travaille dans une entreprise de nettoyage. Nous nous sommes, à cet égard, donné pour objectif de travailler à un guide pédagogique qui mettrait en avant les enjeux prioritaires par secteur d'activité.
A titre d'exemple, prenons la question de la précarité. Elle a du sens dans le secteur de l'automobile ou de l'intérim. En a-t-elle aussi dans le secteur bancaire ? A priori, on aurait tendance à considérer que non, mais aucun outil statistique ne nous permet de l'affirmer.
Le manque d'outil statistique est très problématique. J'en ai fait l'expérience récemment, à l'occasion d'une intervention en région Poitou-Charentes : plus d'une centaine d'accords d'entreprise ont été conclus dans cette région et, malgré cela, ni le MEDEF, ni les organisations syndicales, ni les pouvoirs publics ne disposaient d'éléments susceptibles de fournir une base à la discussion.
A côté du guide des bonnes pratiques, qui a fait l'objet de trois mises à jour et d'une impression pour en faciliter la diffusion par les préfectures, les services aux droits des femmes, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les syndicats et les entreprises notamment, l'ORSE gère actuellement un site internet qui met en ligne l'ensemble des accords d'entreprise qui traitent de la question de l'égalité professionnelle.
De nombreux acteurs, parmi lesquels l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), les syndicats, mais aussi les pouvoirs publics, s'appuient sur cette base de données pour réaliser leurs propres études. Nous diffusons, par ce biais, aujourd'hui, environ 200 à 250 accords d'entreprise que nous collectons sur une base volontaire. Mais nous sommes encore loin du compte, car la question de savoir si l'autorisation de l'entreprise est nécessaire pour la mise en ligne de ces documents n'est pas tranchée.
Chaque fois que nous avons sollicité à ce propos la Direction générale du Travail (DGT), à qui la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) envoie l'intégralité des accords d'entreprise qu'elle collecte, il nous a été répondu que cette question était en suspens.
Alors que l'ensemble des acteurs ainsi que les chercheurs avec qui nous travaillons, notamment Rachel Silvera ou Jacqueline Lauffer, s'accordent à penser qu'il faut améliorer la visibilité de ces bonnes pratiques, particulièrement maintenant que la loi rend obligatoire la rédaction soit d'accords négociés, soit de plans d'action unilatéraux, il faudrait que l'ORSE puisse avoir accès à l'ensemble de ces documents, centralisés par les DIRECCTE et transmis au niveau central à la DARES.
Nous avions, à cet égard, remis il y a quelques années au ministre du travail de l'époque, M. Xavier Darcos, à sa demande, un rapport dressant les contours d'un site Internet qui aurait répertorié les « pratiques d'excellence sociale », formalisées notamment dans les accords négociés et les plans d'action unilatéraux et qui aurait permis aux entreprises d'identifier les bonnes pratiques des autres établissements du même secteur d'activité et situés dans la même zone géographique.
Le successeur de M. Darcos n'a pas souhaité donner suite à ce rapport, mais nous l'avons transmis très récemment à la ministre chargée des droits des femmes, en espérant qu'il pourra servir de support pour accompagner les changements de réglementation et permettre notamment aux petites et moyennes entreprises (PME) de travailler sur les problématiques qui leur sont propres en matière d'égalité professionnelle.
J'ai récemment été en contact avec une entreprise de gardiennage qui emploie une centaine d'hommes. Parce que la direction des ressources humaines ne s'estimait pas concernée par la problématique de l'égalité, cette entreprise n'a pas rédigé de plan d'action et se trouve donc en contravention avec la réglementation.
Pourtant, certaines entreprises du même secteur ont mis en oeuvre des actions très concrètes pour augmenter le recrutement de femmes et favoriser la conciliation des temps.
Il faut donc encourager la diffusion sectorielle des bonnes pratiques pour que les négociations de branche - qui sont devenues légalement obligatoires - puissent s'appuyer sur des éléments de diagnostic.
Si, en effet, certains secteurs - tels les assurances ou les banques - ont les moyens de disposer d'un observatoire des métiers, la plupart des partenaires sociaux des autres branches manquent cruellement de visibilité.
Je précise que la base de données que nous envisageons serait gratuite, mise à la disposition des institutions, des chercheurs, des journalistes...
En attendant la mise en place d'un tel outil, vous dressez, à l'heure actuelle, un constat d'impuissance ?
Je ne dirais pas cela. Je parlerai plutôt d'un pouvoir de suggestion. Sur la question de la plus grande visibilité donnée aux accords d'entreprise, nous gérons depuis 2005, comme je vous l'ai dit, un site Internet qui donne apparemment satisfaction.
Nous posons de façon récurrente la question de la transmission de l'intégralité des accords d'entreprise et je ne doute pas que nous finirons, à force d'opiniâtreté, par obtenir gain de cause. C'est à l'État de décider ce qui peut être ou non mis en ligne et rendu public, décision qui dépend de la conception qu'il se fait de son rôle et de sa mission : ne devrait-elle pas être d'améliorer la visibilité des bonnes pratiques et d'en faciliter l'accès à l'ensemble des acteurs économiques ?
Dans sa lettre de mission, le ministre du travail avait envisagé de confier à l'ORSE le soin de qualifier les pratiques dites d'« excellence sociale » des entreprises, mais nous avions insisté pour ne pas juger nous-mêmes des pratiques, considérant que ce qui constitue une bonne pratique aux yeux d'une entreprise ne sera pas nécessairement considéré de la même façon par les syndicats : tous les accords d'entreprise ne sont d'ailleurs pas nécessairement signés par l'ensemble des organisations syndicales et tous ne sont pas forcément innovants. Nous souhaitons donc les répertorier et les mettre à la disposition des acteurs intéressés pour que chacun se fasse sa propre opinion.
A l'heure actuelle, vous dépendez donc du bon vouloir des entreprises pour ces informations. Ne pourrait-on pas envisager un texte qui rende leur transmission obligatoire ?
Ce serait un axe de réflexion intéressant et il me semble que cela ne poserait pas de problème si l'État nous missionnait pour recueillir ce type d'information auprès des entreprises. A cet égard, je tiens à souligner l'intérêt de l'article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites qui prévoit, entre autres, que la synthèse du plan d'action doive être tenue à la disposition des salariés de l'entreprise, de toute personne intéressée en interne et en externe et puisse même faire l'objet d'une publication sur Internet. Les entreprises ne sont pas réticentes à publier ces documents dès lors que l'information est présentée de façon neutre. Sur 200 entreprises consultées, une seule n'a pas souhaité la publication.
Je suis très étonnée par ce que vous dites lorsque vous déplorez une certaine forme d'opacité et d'insuffisance des informations car la production du rapport de situation comparée et du rapport social ainsi que leur diffusion par tous les moyens sont aujourd'hui des obligations légales qui s'imposent à toutes les entreprises. Je veux bien entendre que ces documents soient difficiles à établir et que, par ailleurs, toutes les entreprises - en particulier les PME - ne soient pas parvenues à un document lisible mais, quand ils existent, il me semble qu'on peut facilement en exploiter les données.
Comme ma collègue, je m'étonne de votre difficulté à collecter de l'information sur l'égalité professionnelle. Peut-être pourriez-vous nous dire quelle mesure vous serait nécessaire pour remédier à cet état de fait ?
Je suis d'accord avec vous sur la masse d'informations produites pas les entreprises. Mais le problème est que cette information n'est pas « visible » pour les observateurs qui veulent réfléchir à un niveau sectoriel, territorial ou national.
Si nous souhaitions aujourd'hui en disposer, il faudrait que nous interrogions une à une chacune des entreprises adhérentes, ce qui est impossible avec une équipe de sept personnes. Les organisations syndicales dressent le même constat. Certaines fédérations professionnelles nous disent ne pas savoir quels accords ont été négociés par les adhérents de leur propre branche d'activité !
Oui. Cette base de données devrait permettre de procéder à une recherche ciblée par thème ou par secteur à l'intérieur de la masse d'informations produites, car il est parfois contre-productif de disposer de trop d'informations.
La mise en ligne sur Internet des accords d'entreprise nécessite-t-elle une évolution juridique, législative ou autre ? Il serait bon que des juristes se penchent sur le sujet pour nous apporter une réponse claire.
Je vous rappelle néanmoins qu'un amendement en ce sens avait été déposé par Mme Marie-Jo Zimmermann à l'occasion de l'examen de la loi du 23 mars 2006 et qu'elle l'avait retiré après que le Gouvernement eût apporté la garantie d'améliorer la visibilité des rapports susmentionnés.
Vous considérez qu'on ne vous a pas donné les moyens de remplir votre mission ? Vous pourriez même, si je comprends bien, devenir le référent des bonnes pratiques professionnelles...
L'ORSE ne revendique pas le monopole des travaux sur le sujet. La base de données ne serait qu'un outil, au service des acteurs professionnels et sociaux et qui leur permettrait d'avoir accès aux bonnes pratiques des autres acteurs de leur secteur.
Quelles sont les ressources de l'ORSE ? Ne risquez-vous pas de dépendre des entreprises ?
Nos ressources sont, il est vrai, constituées à 95 % par les cotisations de nos adhérents, les entreprises. Mais nous sollicitons l'approbation de l'ensemble de nos adhérents, y compris des confédérations syndicales qui siègent dans nos instances, avant la publication de nos travaux. Ainsi, nos travaux sur l'égalité ont-ils reçu le soutien des pouvoirs publics, des syndicats et des entreprises. Nous arrivons donc à dégager des axes de consensus sur ces questions.
Environ 5 % sous forme de dotations sur des projets ponctuels. Notre financement est essentiellement d'origine privée.
Ne pensez-vous pas que les pouvoirs publics devraient être plus intervenants afin que vous puissiez mettre en place des outils performants, en particulier cette plateforme que vous évoquiez précédemment ?
La mise en place de ce site a été peu coûteuse au regard des enjeux, environ 50 000 euros.
Pour alimenter ce site, on avait imaginé que toute une série d'acteurs soient incités à promouvoir le site auprès de leurs adhérents, notamment dans le secteur associatif ; en effet, ceux qui souhaiteraient travailler sur le thème de l'égalité professionnelle dans celui-ci seraient bien en peine d'y trouver un accord d'entreprise.
On est très focalisé sur les grandes entreprises du CAC 40 mais le monde de l'économie sociale doit aussi s'engager sur ces questions. Or, il existe aussi des résistances dans le monde syndical.
Quand nous avions rencontré les représentants patronaux du monde associatif, l'Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l'économie sociale (USGERES), ces derniers avaient affiché leur volonté de promouvoir le site pour être au fait des priorités de leurs adhérents et pouvoir les accompagner ; ils sont demandeurs d'un outil de diagnostic.
Cela pose le problème du pilotage des politiques publiques car vous interférez avec des objectifs qui en relèvent.
À l'époque, nous avions imaginé que l'ORSE pourrait être missionné dans le cadre d'une convention d'objectifs avec l'État.
Que votre financement soit presque exclusivement privé ne me choque pas en soi, mais il me semble que vos actions devraient participer d'une politique publique.
Dans le droit fil des directives européennes et en particulier de l'orientation des fonds structurel du fonds social européen, l'égalité du genre figure dans tous les textes comme un objectif à réaliser par les entreprises.
On a l'impression que l'alimentation du site dépend largement des bonnes volontés qui peuvent s'exprimer ici et là, notamment celle des groupes privés ; on a l'impression que les politiques publiques s'arrêtent aux portes de l'entreprise.
La question se pose aussi pour les labels, le label égalité ou le label diversité, qui représentent d'une certaine manière un défaussement sur le secteur privé de ce qui devrait relever de l'action publique.
Il faut repenser l'action de l'État et préférer, à un contrôle exercé par des agents publics dont les effectifs ne peuvent croître indéfiniment, un contrôle social assuré par tout un chacun. Tel est l'intérêt de ces nouveaux outils que nous proposons : en donnant de la visibilité aux bonnes pratiques des entreprises, ils les invitent à élever leur niveau d'exigence. C'est un exemple souvent cité en matière de santé publique : lorsque le ministère du travail américain a autorisé la mise en ligne des rapports de l'inspection du travail, leurs lecteurs les plus attentifs ont été les compagnies d'assurances. On voit bien, à travers cet exemple, la force que peut prendre ce contrôle social.
Ce contrôle social, qui doit pouvoir être exercé aussi bien par les syndicats que par les organisations non gouvernementales ou les simples citoyens, suppose cependant que ces informations soient rendues visibles et disponibles. Il faut aussi qu'elles soient vérifiées, mais toute entreprise qui se hasarderait à mettre en ligne des informations erronées s'exposerait à un démenti rapide.
M. François Fatoux. - Il s'agit du site www.egaliteprofessionnelle.org
Sur ce site, vous pouvez accéder à une base de données qui donne accès aux accords d'entreprise que nous avons référencés, environ 200, ainsi qu'à leurs mises à jour. Ces dernières permettent de suivre le cheminement de la réflexion dans l'entreprise. Entre 1 000 et 2 000 accords d'entreprise sont potentiellement disponibles.
Les questions émergentes que nous avons souhaité soulever au sein de l'ORSE tournent autour de deux aspects, celui de l'articulation des temps et celui de l'implication des hommes. Il y a aujourd'hui un consensus pour considérer qu'il ne peut y avoir d'égalité professionnelle sans égalité dans les tâches domestiques et parentales.
Soumettre ces questions à un débat public paraissait il y a peu encore impensable dans la mesure où la sphère privée ne peut pas faire l'objet d'une intervention des pouvoirs publics.
Toute notre réflexion a porté sur les moyens d'inciter les hommes à investir la sphère parentale. On ne peut les y contraindre par la loi encore qu'une disposition visant à rendre obligatoire le congé de paternité ait, à un moment, été envisagée. A titre de comparaison, je rappelle que le code du travail, qui encadre le congé de maternité pour les salariées, prévoit une interdiction de travailler pour la mère dans les six semaines qui suivent la naissance, et ce au nom de l'intérêt de l'enfant. On peut se demander pourquoi l'intérêt de l'enfant ne pourrait aussi être invoqué en faveur du congé de paternité. C'est une proposition qu'avait formulée Laurence Parisot et que l'on n'a peut-être pas suffisamment creusée. Brigitte Grésy y était en revanche peu favorable, étant plutôt partisane d'une logique de négociation dans le couple. C'est un débat que nous avons entre nous, car il me semble que la négociation est toujours fonction d'un rapport de forces qui, dans le cas d'espèce, n'est pas nécessairement favorable aux femmes.
Sur cette question de l'implication des hommes, nous avons produit des supports pédagogiques, dont l'ouvrage « Promouvoir la parentalité auprès des salariés masculins », publié en 2008 à 30 000 exemplaires avec le soutien des pouvoirs publics et de l'ensemble des confédérations syndicales.
Nous avons également réalisé un ouvrage original, « Patrons Papa », qui recueille les témoignages de chefs d'entreprise masculins sur ces questions et fait apparaître, a contrario, la logique de culpabilisation dans laquelle baignent les femmes chefs d'entreprise ou les femmes politiques dans la mesure où elles sont régulièrement sommées de s'expliquer sur la façon dont elles arrivent à concilier responsabilités professionnelles et responsabilités familiales, questions auxquelles les dirigeants masculins ne sont, eux, jamais soumis. Ce sont précisément ces questions que nous avons posées à nos adhérents chefs d'entreprises et cela a donné lieu à des réponses intéressantes.
L'ORSE a aussi mené une étude, conjointement avec un universitaire, sur la publicité et les stéréotypes qu'elle véhicule. Celle-ci a révélé l'existence d'une forme de sexisme vis-à-vis des hommes ; l'ouvrage « Les pères dans la publicité » passe en revue dix années de représentation des hommes dans la publicité et dresse le constat que les hommes y apparaissent systématiquement incompétents pour toutes les questions d'ordre parental avec la conclusion qu'il vaut mieux qu'ils délèguent ces affaires aux femmes.
Cette étude a rencontré un écho positif car personne n'avait pris conscience de cette posture d'incompétence, y compris les publicitaires.
Les femmes font aussi l'objet d'un traitement sexiste par la publicité.
C'est vrai mais cela on le savait déjà car de nombreux travaux, dont ceux de la commission Reiser, avaient mis en lumière ce sexisme de la publicité.
Intéresser les hommes aux questions de parentalité est un moyen de les faire s'interroger sur les questions d'égalité et un bon levier pour aborder des sujets sensibles portant sur l'organisation du travail.
Le rapport de Brigitte Grésy et Sylviane Giampino montre qu'on attend des hommes une disponibilité permanente selon un modèle sacrificiel où la reconnaissance dans l'entreprise passe par l'affirmation d'une compétence qui requiert avant tout une disponibilité permanente. C'est un phénomène que l'on retrouve aussi dans le monde de la politique, voire dans le monde syndical : des chercheurs ont même montré que la compétence d'un militant était jugée à sa capacité à cumuler les mandats.
Ces questions d'articulation des temps de vie sont essentielles et je me réjouis que votre organisme étudie ces problèmes sociétaux qui, dans la mesure où ils concernent des temps de vie privée, échappent à l'intervention du législateur.
Les conditions de travail sont fondamentales pour l'articulation des temps de vie. Or, associer la compétence à la disponibilité est un mal français. Aux États-Unis, par exemple, on travaille beaucoup, mais on n'éprouve pas le besoin d'organiser systématiquement des réunions à 21 heures ou 22 heures pour prouver qu'on est compétent et important.
Cette organisation du travail et le choix des lieux de prise de décision élimine de facto les femmes qui sont sensées s'occuper du foyer et des enfants et, d'une façon générale, des tâches domestiques : certes, on constate bien un frémissement de la participation des hommes à l'éducation partagée des enfants, mais il n'y a quasiment aucune avancée sur la prise en charge de la vie domestique du foyer.
Je ne sais si vous abordez aussi la question des congés parentaux qui sont très pénalisants pour les femmes, et surtout pour les femmes non qualifiées, dans la mesure où elles ont ensuite de grandes difficultés à retrouver un emploi.
Ces congés sont d'autant plus pénalisants qu'ils sont longs. Nous n'avons jamais formulé de recommandations sur ce sujet car nous ne sommes pas dans une démarche de lobbying. Mais il est vrai que des congés plus courts et mieux rémunérés seraient certainement moins pénalisants.
Ce congé devrait pouvoir être fractionné au gré des besoins de l'enfant, et pouvoir être utilisé, par exemple, lorsque surviennent des difficultés dans le déroulement de la scolarité.
Une étude comparée des pratiques menées dans les pays les plus avancés a montré combien il était nécessaire de conduire des actions de sensibilisation pour intéresser les hommes. C'est vrai aussi dans les pays nordiques que l'on cite souvent en exemple : même en Suède, les hommes prennent des congés parentaux plus courts que les femmes et travaillent moins souvent à temps partiel.
Tout cela contribue à entretenir le mécanisme du « plafond de verre », dans la mesure où le présentéisme est un frein pour l'accès des femmes à des postes de responsabilité. Mais il y a d'autres facteurs : les réseaux ou le rôle des « normes masculines ».
Nous avons réuni des cadres supérieurs pour débattre avec eux des questions d'égalité, ce qui constituait une première. Tous nous ont dit que l'entreprise leur déniait le droit d'avoir une vie de famille. Ils ont le sentiment qu'ils compromettraient leurs perspectives de carrière s'ils donnaient l'impression qu'ils n'étaient pas totalement investis dans leur travail, en partant par exemple à 18 heures. Or, cette exigence du présentéisme est commune à toutes les formes d'organisation privées ou publiques, au monde associatif, politique ou syndical.
Si l'on ne repense pas ces formes d'engagement, tout ce que l'on pourra faire, par exemple avec des lois sur la parité, n'aura qu'une efficacité limitée car on aura de plus en plus de mal à trouver des candidates désireuses de s'engager dans la vie politique, syndicale ou dans l'entreprise, car elles ne seront pas intéressées par un mode d'exercice du pouvoir fonctionnant sur un mode sacrificiel, qui offre des récompenses symboliques mais pas nécessairement un pouvoir réel de décision.
Nous publierons à la rentrée un ouvrage sur la politique d'égalité sous un angle différent de celui de la parentalité, car les hommes ne sont pas tous des pères et il ne faut pas occulter d'autres problématiques tout aussi importantes.
Les hommes peuvent avoir l'impression, aujourd'hui, que les politiques d'égalité se retournent contre eux et que ce que gagneront les femmes, ils vont le perdre.
C'est un débat que l'on retrouve actuellement dans les partis politiques lorsque l'on parle de parité, tout particulièrement dans les générations intermédiaires.
Il ne suffit pas d'affirmer que l'on n'est pas dans le contexte d'un jeu à somme nulle où tout gain chez l'un est compensé par une perte chez l'autre, mais qu'au contraire chacun des sexes peut y trouver son compte : encore faut-il arriver à le montrer.
La parentalité constitue l'un de ces arguments, car les hommes aspirent aussi à avoir une vie de famille. Mais on peut aussi l'aborder, et c'est plus novateur, sous l'angle des organisations du travail, qui sont restées très masculines. Or, l'intérêt de mettre en question les normes masculines d'organisation, c'est de permettre que le changement ne concerne pas seulement les femmes, mais que les hommes, eux aussi, changent.
Et cela permet de montrer que le changement profite à tout le monde, hommes et femmes, et aussi à l'entreprise.
Ce document abordera les différentes normes masculines : l'évitement de ce qui peut être considéré comme féminin, la recherche de la performance. Mais il abordera aussi la question très actuelle des violences qui sont engendrée par ces normes masculines : violences vis-à-vis d'autrui, mais aussi violences vis-à vis de soi-même. La virilité peut en effet être mise au service de plans sociaux, et l'aptitude à infliger des mesures douloureuses est l'une des conditions de la reconnaissance par les pairs. La logique de clan conduit à rejeter les hommes qui refuseront de s'inscrire dans ce modèle. Pour arriver à des postes de pouvoir, il faut être capable de faire le mal. Pour accéder à des responsabilités, les femmes doivent aussi se plier à ce modèle masculin.
Nous ne sommes pas loin du thème du harcèlement dont nous débattions hier.
Ce qui nous permet d'intéresser les hommes à cette problématique, c'est que ces normes les conduisent aussi à exercer cette violence vis-à-vis d'eux-mêmes, dans la mesure où elles encouragent un certain nombre de comportements addictifs et de pratiques à risques. Sur ce sujet, on dispose d'études, dont celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui cernent ce qu'on appelle « la surmortalité masculine » ou la « mortalité évitable » et évaluent autour de 50 000 le nombre des morts masculines qui résultent de ces comportements : les suicides (90 % des suicides touchent les hommes), les accidents de la route (les hommes sont impliqués dans 75 % des accidents mortels), sans compter l'alcool, le tabac ou l'impact du SIDA.
Nous disposons de travaux qui évaluent le coût pour la société de ces normes masculines qui imposent à un homme le devoir de prendre des risques.
Parler de l'implication des hommes permet d'aborder la violence au travail, les modèles d'organisation qui génèrent de la violence, le harcèlement sexuel et le harcèlement moral ainsi que les violences conjugales ou domestiques : il y a, aujourd'hui, des entreprises qui acceptent d'évoquer ces questions dans leurs politiques d'égalité, comme par exemple Peugeot et Carrefour, et des syndicalistes qui acceptent aussi de se saisir de ces questions, car elles impactent la vie des salariés.
Comme vous le voyez, cette approche remet en question ce que l'on considérait autrefois comme une frontière intangible entre la sphère professionnelle et la sphère privée.
En réaction aux formes d'engagement sacrificiel que vous évoquez, on voit apparaître dans le monde syndical et politique des formes d'engagement ponctuel.
La précarisation des cadres supérieurs les rend-ils plus sensibles à cette problématique, en particulier dans les nouvelles générations ?
Il est relativement facile de valoriser la parentalité auprès d'un public de cadres. Mais je suis beaucoup plus pessimiste quand il s'agit de valoriser la paternité auprès des familles exclues, issues de l'immigration, ou qui sont touchées par le chômage. Mais l'ORSE n'a pas vocation à intervenir dans ces domaines.
Autre problème sur lequel nous avons peu de prise : celui de la mixité des métiers sur laquelle on n'enregistre que peu de progrès. Les garçons ne s'autorisent pas à aller sur les métiers considérés comme féminins, qui mériteraient par ailleurs d'être revalorisés. Il y a là un important travail à faire sur les stéréotypes de genres, très en amont, dès l'école.
La délégation entend ensuite Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, que je n'ai pas besoin de vous présenter car notre délégation l'a déjà entendue à plusieurs reprises, notamment à l'occasion de son rapport sur « L'image des femmes dans les médias » ou encore sur les problématiques de l'égalité professionnelle auxquelles elle a consacré plusieurs rapports ainsi qu'un « Petit traité contre le sexisme ordinaire », spirituel et vrai, dont je vous recommande la lecture.
Les auditions que nous avons conduites sur notre thème de réflexion « Les femmes et le travail » nous ont conduits à formuler un certain nombre de constats sur lesquels, je pense, nous vous rejoignons.
Certes, nous avons assisté au cours du dernier demi-siècle à de formidables avancées puisque les femmes représentent désormais près de la moitié de la population active et ce avec un taux de natalité qui reste le plus élevé de l'Union européenne.
Mais on assiste depuis les années 1990 à un blocage : l'emploi féminin est fortement concentré sur quelques filières professionnelles ; il est marqué par le temps partiel et les femmes continuent de se heurter au « plafond de verre ». A ces phénomènes bien connus s'ajoute une bipolarisation croissante de l'emploi féminin, entre d'un côté emplois qualifiés et, de l'autre, emplois peu qualifiés et précaires.
Comment relancer la dynamique de l'émancipation des femmes dans ce contexte général et dans le contexte particulier de la crise économique que nous traversons aujourd'hui et qui traduit sans doute l'épuisement de certains modèles de développement ? Comment améliorer la place des femmes dans l'emploi ? Quel rôle peuvent y jouer les entreprises ? Quels sont les acteurs qui, d'une façon générale, peuvent y contribuer ? Enfin, quels sont les leviers sur lesquels peuvent jouer les politiques publiques pour favoriser ces évolutions ?
Telles sont quelques-unes des questions sur lesquelles nous souhaiterions recueillir votre point de vue.
Je travaille sur les questions d'égalité professionnelle depuis 1998. Je suis donc immergée dans cette problématique depuis cette date. Ma carrière professionnelle m'a permis d'évoluer au sein des différents ministères, d'abord en tant que cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité, nommée par Mme Martine Aubry, puis en tant que directrice de cabinet auprès de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle. J'ai donc été plongée au coeur de l'élaboration des politiques publiques sur le sujet, ce qui me permet d'avoir une vision assez pragmatique des choses, et également parce que j'ai eu à traiter de la question au niveau des instances européennes et également dans le cadre des Nations unies.
Le recul que me donne cette approche historique me conduit à penser que l'on ne peut plus, aujourd'hui, aborder la question de l'égalité que de manière systémique. J'entends par là que la question de l'égalité professionnelle est intimement liée à la question de la parentalité d'une part, et de l'identité au travail d'autre part, qui s'est construite, pour les femmes, sur fond d'un sexisme, qu'elles subissent encore aujourd'hui dans le monde du travail.
Pour aborder la question de l'égalité professionnelle, il faut constamment garder en mémoire que l'arrivée des femmes sur le marché du travail, sous la forme du salariat et dans le monde tertiaire, a constitué une formidable révolution dans le monde du travail au XXème siècle.
Parallèlement, l'accès des femmes à la formation initiale et continue bouleversait les lignes. Les femmes représentent aujourd'hui les deux-tiers des diplômés du troisième cycle, en France comme en Europe. Pourtant, ces avancées sont totalement paradoxales, puisqu'elles interviennent sur un fond de régression et de recomposition permanentes. Preuve en est que, depuis les années 1990, le taux d'activité des femmes, calculé en équivalent temps plein (ETP), ne progresse plus : ceci signifie que la progression de l'entrée des femmes sur le marché du travail s'accompagne de la précarisation des formes d'emploi.
Or, nous ne nous attelons pas suffisamment à cette question : à cet égard, une table-ronde programmée sur le temps partiel n'a jamais eu lieu.
Pourtant, deux phénomènes mériteraient une véritable réflexion de fond :
- la précarisation du travail féminin, d'une part ;
- la bipolarisation croissante de l'emploi féminin qui en découle entre, d'un côté, les femmes cadres, et, de l'autre, les femmes non qualifiées.
Je vous rappelle que le nombre de femmes cadres a augmenté de + 136 % en 20 ans (contre + 36 % pour les hommes).
Je souhaite, si vous en êtes d'accord, insister, dans mon exposé, sur les points qui me paraissent essentiels et sur lesquels des mesures concrètes peuvent être prises.
Le constat du développement paradoxal de l'emploi féminin que je viens d'aborder est un premier point. La précarisation grandissante du travail féminin et, en particulier, le maintien des femmes dans des formes d'emploi précaire - ce que l'on appelle « les travailleuses pauvres » - appellent des réponses spécifiques et ciblées.
Le second point qui me paraît essentiel est ce que j'ai nommé « la parentalité bancale ». Les inégalités professionnelles puisent leur source dans l'inégal partage des tâches entre les hommes et les femmes et dans la discrimination systématique subie par les femmes « en âge de procréer » sur le marché de l'emploi.
Aujourd'hui, la parentalité entre les hommes et les femmes est affectée par ce que j'appelle un « quadruple coefficient des diss ».
Tout d'abord, la parentalité des hommes est beaucoup trop discrète. Certes, 70 % des hommes prennent un congé de paternité. Mais ce chiffre recouvre de très importantes disparités selon les secteurs. Dans la fonction publique, 85 % des hommes prennent un congé paternité alors que seuls 22 % des hommes font ce choix parmi les travailleurs indépendants.
Quant au congé parental - dont on constate qu'il est de plus en plus aménagé avec un temps partiel, ce qui constitue une nouveauté - seuls 4 % des hommes le prennent.
Ensuite, la parentalité reste profondément dissymétrique entre les hommes et les femmes. Contrairement à ce que l'on escomptait, les jeunes hommes ne participent pas plus aux tâches parentales et domestiques que la génération qui les a précédés.
Comme l'a montré la dernière enquête « emploi du temps » de l'INSEE de 2010, les statistiques montrent une étonnante stabilité du partage des tâches au détriment des femmes : d'une part, la demi-heure de temps libre gagnée par les femmes s'explique par le fait qu'elles sous-traitent davantage les tâches ménagères, notamment la confection des repas ; d'autre part, les huit minutes supplémentaires de travail parental des hommes correspondent à huit minutes en moins consacrées au jardinage et au bricolage. Au final, on ne constate pas d'évolution dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes : 80 % du temps domestique et les deux-tiers du travail parental sont toujours assumés par les femmes.
Encore faut-il souligner que l'on constate l'augmentation de cette dissymétrie au moment de l'arrivée du premier enfant et un « décrochage » au moment de l'arrivée du second.
Par ailleurs, les hommes effectuent toujours une heure-et-demie de travail rémunéré en plus et les femmes une heure-et-demie de travail domestique non rémunéré : « l'injustice ménagère », comme l'appelle le sociologue François de Singly, perdure sans être dénoncée.
Il faut attendre que les femmes assument plus de 70 % des tâches ménagères pour qu'elles estiment que « quelque chose n'est pas juste ». Le seuil d'acceptation de cette « injustice ménagère » reste donc anormalement élevé et inexpliqué.
Si les hommes avaient voulu s'approprier cette sphère domestique, ils y seraient présents depuis longtemps. Cette inappétence des hommes, qui peut s'accompagner de phénomènes de non-délégation des femmes, reflète une dévalorisation des tâches de la sphère privée et une valorisation différenciée des compétences féminines et masculines, au détriment des femmes.
On retrouve cette dissymétrie dans le monde du travail, puisque 6 % des hommes seulement, contre 40 % des femmes, voient leur trajectoire professionnelle modifiée à l'arrivée d'un enfant.
A ces deux premières « diss », il faut ajouter la « dis-suasion » : dans le monde du travail, la parentalité masculine est encore dissuadée.
Dans le rapport que j'ai consacré à l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités dans l'entreprise, une partie importante concerne l'analyse des politiques de l'entreprise au regard de la parentalité. Il en ressort que, tolérée pour les femmes, elle reste tabou pour les hommes.
On a ainsi pu établir, d'après un certain nombre d'enquêtes menées auprès d'échantillons d'hommes et de femmes sur le marché du travail, que, dans l'entreprise, le regard des collègues et de l'employeur constitue un frein important pour les hommes à la décision de prendre un congé parental et/ou d'aménager leurs horaires.
Par ailleurs, les pratiques d'entreprise visant à encourager la parentalité sont encore balbutiantes : on estime à 10 % le nombre d'entreprises dites « actives » - et ce sont souvent des grandes entreprises - qui proposent trois types de mesures favorables à la parentalité, à savoir :
- des avantages en nature : des places en crèche, par exemple ;
- des avantages financiers : notamment le complément de rémunération au-delà du plafond de la sécurité sociale, mais aussi des mesures favorables aux familles, comme le chèque emploi-service universel (CESU) ou des mutuelles favorables aux familles ;
- des aménagements adaptés de l'organisation du temps : compte épargne temps, horaires variables... Sur ce point, qui est pourtant essentiel, la France se situe seulement dans la moyenne des pays européens. Beaucoup reste à faire, par conséquent, pour que la question de l'organisation du temps devienne, dans l'entreprise, un enjeu de l'égalité professionnelle.
10 % seulement des entreprises proposent ces trois types de mesures, 50 % n'en proposent aucune, considérant que la question de la parentalité continue de ressortir de la sphère privée ; c'est souvent le cas pour les petites et moyennes entreprises (PME), où l'on peut cependant trouver des aménagements qui relèvent plutôt de l'accord interpersonnel ; enfin, 40 % des entreprises ne proposent qu'une partie de ces mesures.
La façon dont l'État s'acquitte de son rôle contribue à cette parentalité dissuadée. Le rôle de l'État est double : il doit proposer des modalités de congés adéquates et fournir des modes d'accueil en crèche répondant aux trois critères posés par l'Europe (qualité de l'accueil, disponibilité en fonction des horaires, y compris des horaires atypiques, solvabilité des familles).
Or, sur ce dernier point, l'État ne répond pas aux besoins : le plan visant à créer 200 000 places d'accueil supplémentaires ne suffit pas à compenser la destruction des places d'accueil des enfants de moins de trois ans dans les écoles maternelles, qui s'accentue particulièrement en région parisienne. Ceci est d'autant plus regrettable que ce mode d'accueil, gratuit, égalitaire et fiable, a contribué au développement du travail féminin...
J'en viens donc maintenant au quatrième obstacle qui consiste en ce que la parentalité est diversement soutenue par le corps social.
Nous fonctionnons encore, dans notre pays, sur une conception de la parentalité « materno-centrée » basée sur la toute-puissance de la compétence maternelle affirmée, qui plus est, par les travailleurs sociaux.
A cet égard, à la demande de la ministre aux droits des femmes, je débute actuellement une étude sur « Les 0-3 ans et le genre » qui vise à analyser la fabrication du féminin et du masculin dès la petite enfance et la transmission des stéréotypes dès l'enfance.
Le rôle du père, dans son rapport au petit enfant, est encore trop disqualifié et pèse sur l'évolution des comportements.
Enfin, je voudrais insister sur la question de l'identité au travail pour les femmes, qui est un sujet insuffisamment abordé à mon avis.
Dans l'accord national sur le harcèlement et la souffrance au travail de 2010, la notion de « sexisme » est abordée, mais ne fait ensuite l'objet d'aucune déclinaison visant à analyser les types de souffrances subies par les femmes au travail.
On sait que les femmes sont majoritaires dans des secteurs d'emplois particulièrement générateurs de stress, ce qui est le cas d'un cadrage d'activité insuffisant ou d'une mise en relation directe avec le public, qui les expose à des formes d'agressivité.
On sait, par ailleurs, que les femmes développent des réponses au stress, notamment des troubles musculo-squelettiques (TMS) spécifiques, différents de ceux des hommes. L'ANACT mène actuellement des études sur la spécificité de la pénibilité du travail chez les femmes. Mais je pense qu'il faudrait également mener des enquêtes sur ce que j'appellerais le « sexisme ordinaire » dans l'entreprise, qui se situe en-deçà des comportements repérés comme des actes d'agressions ou de harcèlement sexuels et qui, par conséquent, ne sont pas réprimés. Or, ce « sexisme au travail », beaucoup plus toléré dans l'entreprise que ne le sont le racisme ou l'homophobie, est considéré parfois comme une déclinaison de la « séduction à la française » et participe à la dé-légitimation subtile, voire sournoise, des femmes dans le monde du travail.
Ce sexisme est un marqueur de l'infériorisation de la place des femmes dans le monde du travail, ce que m'ont confirmé les représentants des réseaux de femmes en entreprises que j'ai eu l'occasion de rencontrer à diverses reprises.
Son acceptation participe à la perpétuation d'un certain nombre de stéréotypes, que décrit très bien Françoise Héritier, et contribue à assigner aux femmes des valeurs d'empathie, d'intuition, d'humanisme, et aux hommes des qualités de rigueur, de force, qui ont pour conséquences de renforcer la division sexuelle dans les organisations : aux femmes, les ressources humaines et la communication, aux hommes, la gestion, la finance et la gouvernance.
Nous sommes donc bien en présence d'une discrimination systématique des femmes dans le monde du travail. Considérées comme « agents à risques » parce qu'elles ont des enfants ou sont susceptibles d'en avoir, voire encore parce qu'elles n'en ont pas eus, leurs diplômes « valent » moins que ceux des hommes sur le marché du travail.
Le différentiel de rémunération entre les femmes et les hommes, de 7 à 9 %, est le résultat de cette différenciation. J'aime citer, à cet égard, l'enquête de l'OFCE de juillet 2010 menée sur un échantillon de quadragénaires ayant les mêmes diplômes, la même expérience au travail et le même nombre d'enfants, et dont il ressort que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes est de 17 %, dont un tiers seulement s'explique par le temps partiel des femmes, le reste relevant de la discrimination pure.
Réputées moins flexibles, moins mobiles, moins disponibles, les femmes continuent donc d'être systématiquement stigmatisées sur le marché du travail.
Or, je pense que nous pouvons aborder cette question de façon pacifiée et non manichéenne : certaines femmes ne sont pas moins sexistes que certains hommes ! Par ailleurs, l'auto-persuasion de leur infériorité que se font subir à elles-mêmes certaines femmes participe au maintien des stéréotypes sexistes.
Il revient donc aux femmes d'abord de s'emparer de la bataille de légitimité. Il ne faut jamais oublier que les femmes sont des nouvelles entrantes sur le marché du travail dans le tertiaire et dans le salariat, que la conquête pour la reconnaissance de leur place est en cours et nécessite des ajustements permanents : elles se sentent démissionnaires de la sphère privée, et continuent de se considérer, encore aujourd'hui, comme des usurpatrices dans la sphère publique. Entre le « trop » et le « pas assez », les femmes doivent trouver aujourd'hui un juste milieu pour s'installer dans une nouvelle légitimité.
Il nous revient donc d'accompagner cette transition pour sortir des conflits de légitimité et, à cet égard, nous devons nous emparer des trois enjeux déclinés plus haut : l'égalité, la parentalité et l'identité au travail.
Sur chacune de ces questions, j'estime que des propositions concrètes doivent être envisagées.
Concernant l'égalité professionnelle, trois paramètres doivent retenir notre attention.
Le premier est la précarité au travail. Des mesures fortes doivent être prises pour réformer le temps partiel et revaloriser les métiers majoritairement féminins, à travers les grilles de qualification : une hôtesse est moins payée qu'un huissier alors que leurs tâches sont identiques. Quant au temps partiel, il est devenu un mode de gestion de la main d'oeuvre et non plus un temps choisi. Il faut qu'il redevienne un temps de respiration nécessaire pour des femmes accablées par le non-partage des tâches domestiques, mais aussi pour les salariées qui souhaitent consacrer du temps à d'autres activités que le travail.
Il convient de travailler sur la qualité des emplois à temps partiel : le régime des coupures ne respecte pas le code du travail dans la mesure où il ne prévoit pas de contrepartie ; il faut aussi travailler sur le régime des heures complémentaires qui, contrairement aux heures supplémentaires, ne font pas l'objet d'une majoration salariale dès la première heure : dans la mesure où le temps partiel concerne un peu plus de 80 % des femmes, on peut se demander si la Cour de justice des communautés européennes n'y verrait pas une forme de discrimination indirecte pénalisant un sexe plus que l'autre, susceptible d'entraîner une condamnation de la France.
Il faudrait aussi ouvrir une réflexion sur l'accès à la formation et à la retraite, sur la pénalisation des temps partiels très courts et sur la réversibilité du temps partiel vers le temps plein.
Le second paramètre concerne la gouvernance. Je me suis déjà prononcée, en 2009, sur la politique des quotas dans les conseils d'administration que je considère être une discrimination positive nécessaire en réaction à la logique de cooptation et de connivence qui constitue une forme de discrimination non dite en faveur des hommes. Dans les pays qui ont très tôt appliqué cette politique - comme en Norvège - les hommes reconnaissent eux-mêmes les limites de cette politique de cooptation. J'appuie sans réserve cette politique des quotas car je pense que leur application n'aboutit jamais à la désignation d'une femme « idiote » au détriment d'un homme « compétent », comme on a pu l'entendre ici ou là.
Telle qu'elle est appliquée en France, cette possibilité consiste à promouvoir de façon transitoire la candidature du sexe le moins représenté, à compétences égales. Elle revient à substituer une discrimination visible et transparente en faveur des femmes à ce qui constituait une discrimination non visible et non transparente en faveur des hommes. Elle oblige à repenser la question des compétences et à interroger la fonction d'administrateur de société : représente-t-il les actionnaires, la gouvernance des directeurs généraux ou l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise ? Avec l'arrivée d'administrateurs indépendants, on en arrive à travailler sur la professionnalisation du métier d'administrateur et tout le monde y gagne. Comme toujours, l'égalité est donc un facteur de transformation positive pour l'ensemble de l'organisation.
Enfin, le troisième paramètre concerne la négociation collective sur l'égalité professionnelle. Je fais partie de ceux qui pensent que le décret d'application de l'article 99 de la loi sur les retraites est « sous-cadré » et cela pour trois raisons.
Premièrement, je suis toujours inquiète quand on envisage de mettre sur le même plan un accord négocié et un plan unilatéral ; on ne devrait se contenter de ce dernier qu'en cas d'absence d'accord confirmée par un procès-verbal de désaccord ; il faut redonner la priorité à l'accord négocié.
Deuxièmement, concernant le contenu du rapport de situation comparée, je considère que remplir seulement trois des huit indicateurs mentionnés par le code du travail est largement insuffisant, au moins pour les grandes entreprises. Il me semble que l'on pourrait faire varier le nombre d'indicateurs à remplir en fonction de la taille des entreprises concernées.
Enfin, il me semble aujourd'hui nécessaire de procéder à la simplification du code du travail concernant les accords portant sur l'égalité professionnelle.
Dans cette matière, on a sédimenté des textes, sans jamais opérer de clarification. A l'heure actuelle, les inspecteurs du travail à qui l'on transmet les accords d'entreprise ne savent pas si ceux-ci relèvent de la négociation annuelle obligatoire de la loi de 2006 ou de l'accord spécifique de la loi Génisson de 2001. Il me paraît cependant essentiel de rappeler que l'objectif fixé de l'égalité salariale ne devra pas être sacrifié sur l'autel de la simplification juridique. En effet, l'objectif d'égalité salariale est un indicateur-phare, dont j'estime qu'il devrait être obligatoire, intégré tous les ans dans la négociation annuelle obligatoire (NAO).
Pour autant, il ne faut pas laisser de côté cet axe « égalité salariale », à la fois parce qu'il marque les esprits et parce qu'il est la résultante, le symptôme, de toutes les autres inégalités : autrement dit, c'est un indicateur phare et je considère qu'il faudrait en faire un indicateur obligatoire.
Pour revenir sur le sujet de la négociation sociale, je regrette que l'on ne soit jamais parvenu à obtenir une meilleure représentativité des femmes dans les instances de négociation, qu'elles soient syndicales ou patronales.
Tout au plus a-t-on pu obtenir une très légère concession pour les conseillers prud'homaux. Ce sujet est régulièrement occulté et on nous oppose, comme on l'avait fait pour la parité en politique, l'éternel argument de la faiblesse du vivier, du manque de candidates, voire même de candidats, à ces fonctions.
L'examen de ce sujet est reporté après le bilan de la loi sur la représentativité syndicale, et notamment la répartition par sexe parmi les partenaires sociaux.
Il faut changer de paradigme en matière de parentalité : celle-ci est acceptée au moment de la naissance de l'enfant, mais ensuite on ne veut plus en entendre parler, comme si celui-ci ne devait jamais tomber malade. C'est çà la réalité dans l'entreprise. Or, il faut rompre avec le mythe du salarié toujours performant car tout salarié est pris dans un réseau d'interdépendances qui conditionnent sa performance et sa compétitivité.
Refuser de le prendre en compte, c'est méconnaître le fait que sur la durée d'une carrière - durée qui va s'allonger à 41 ou 42 ans - il y aura inévitablement un moment où le temps personnel devra l'emporter sur le temps professionnel.
Des études, réalisées en Belgique et en Angleterre, montrent le coût considérable pour l'entreprise d'une certaine forme d'absentéisme qui résulte du fait qu'un salarié, quoique présent sur son lieu de travail, ne peut travailler car il est soumis à un stress trop important.
Il faut désormais considérer cette notion de parentalité tout au long de la vie de la même façon que la formation tout au long de la vie, qui a été un vecteur extraordinaire du changement de paradigme de la formation et a conduit à faire entrer dans les moeurs la formation continue. La formation initiale n'est plus qu'une goutte d'eau dans la formation d'un individu et son employabilité.
La parentalité doit être considérée au sens plus large de parentèle, et englober non seulement les enfants mais aussi le conjoint et les ascendants. Il faut admettre aussi que celle-ci vous entoure de façon bénéfique mais qu'il faut aussi à certains moments lui rendre des comptes.
L'équilibre du salarié, qui résulte de sa double appartenance à une sphère privée et à une sphère professionnelle, lui permet de prendre la bonne distance vis-à-vis des choses, de réduire son stress et d'améliorer son estime en soi.
Trois actions sur la parentalité tout au long de la vie peuvent être proposées.
Tout d'abord, la parentalité à la naissance, temps fort avec tous les bouleversements qui en résultent. Pour donner à la paternité une forte impulsion initiale à ce moment-clef, je propose, tout en maintenant la durée globale du congé de maternité qui doit rester de seize semaines, d'en requalifier les quatre dernières semaines au titre d'un congé d'accueil de l'enfant au bénéfice de la mère et de mettre en vis-à-vis un congé identique au bénéfice du père, constitué des deux semaines actuelles du congé de paternité et de deux semaines supplémentaires, de façon à ce que cette période puisse ouvrir la voie à la négociation conjugale et à la parité conjugale.
Des études ont montré que la paternité est d'autant plus active tout au long de la vie que le père a pris tôt en charge l'enfant.
Au « Kaïros », le temps fort correspondant à cet évènement extraordinaire de la naissance, succède le « Chronos », le temps quotidien du travail au sein de l'entreprise qui doit être aménagé en développant les horaires variables, en régulant l'organisation des réunions, en encourageant le télétravail, à condition qu'il soit partagé par les hommes et qu'on veille à préserver des espaces de sociabilité.
Enfin, le dernier temps, c'est le temps long, celui qui s'avère nécessaire pour s'occuper d'un adolescent à la dérive, d'un conjoint malade ou d'un ascendant qui a soudain besoin d'une présence et d'une attention accrues.
A ce titre, il me semble qu'il faudrait créer une nouvelle garantie sociale, un droit individuel à la parentalité, bénéficiant d'un portage en dehors de l'entreprise et, le cas échéant, de cofinancement. On pourrait aussi imaginer qu'il prenne la forme d'un congé parental fractionné ou procéder d'une refonte de dispositifs existants, peu financés et méconnus, tels que le congé de soutien familial, le congé de présence parentale et le congé de solidarité familiale.
Il est urgent de négocier sur ce sujet de la parentalité tout au long de la vie.
Le dernier point de mon intervention concerne l'identité au travail.
Pour éclairer le sujet du sexisme, des enquêtes devraient être réalisées par les instituts statistiques de l'État sur la base de questions ciblées.
La mixité a été introduite dans les organisations de travail en faisant cohabiter les hommes et les femmes au sein des mêmes espaces de travail mais sans qu'elle ait été pensée.
Cette mixité demeure intouchable mais peut être revisitée à l'aune des stéréotypes masculins et féminins.
A la demande de l'ORSE, j'ai réalisé avec une psychanalyste une étude sur le coût des normes masculines sur la vie professionnelle et personnelle d'hommes de l'entreprise : ces normes ce sont le modèle « gagnant », l'interdiction de montrer ses failles ou ses faiblesses, le refus de ce qui peut apparaître comme féminin et, enfin, la loyauté au clan. Ces normes étaient opératoires il y a quelques années et sont encore très présentes dans la haute gouvernance.
Les hommes sont par rapport à celles-ci dans un schéma qui se résume en « 3 D », le déni, le désir et le dépit : le déni, car ils prétendent ne plus obéir à ces normes qu'ils jugent dépassées alors qu'en pratique ils les reconfigurent autrement en jouant sur la norme du temps qui est un facteur d'exclusion des femmes ; le désir car ils souhaitent que les choses changent ; enfin, le dépit, car ils ont le sentiment d'une double dépossession : celle de la sphère privée et celle de la sphère publique.
Le sentiment de dépossession de la sphère publique résulte de ce que l'entreprise ne respecte pas ses promesses et n'hésite pas à remercier dès 50 ans ses collaborateurs : les seniors, il faut le dire, sont particulièrement maltraités en France. L'entreprise est devenue une source de peur et les hommes sont tentés de rechercher des assurances dans la sphère privée.
Ce sentiment de dépossession est renforcé par l'arrivée des femmes, perçues comme des partenaires admirées, parfois mythifiées quand elles sont considérées comme seules aptes à la nouvelle gouvernance et parées de toutes les qualités d'empathie, du sens de l'écoute et de la capacité à investir sur le long terme. Or, il faut se méfier de cette floraison de contre-stéréotypes attachés aux femmes et à leur leadership, car ceux-ci peuvent être un facteur de division. Les femmes sont aussi des concurrentes jalousées, bien que cela ne soit pas directement exprimé, car les hommes craignent qu'elles ne leur prennent leurs postes.
Le sentiment de dépossession de la sphère privée résulte de la constatation que l'homme, chef de famille et pourvoyeur de revenus, a joui pendant des années d'un statut incontesté au sein de la famille, l'homme représentant la loi et la femme l'amour. Or, brusquement, en raison de leur insuffisante présence dans la vie familiale, les hommes doivent désormais composer avec des femmes qui occupent tous les rôles.
On constate donc, aujourd'hui, des phénomènes de tension qui intéressent tant les hommes que les femmes même si, bien évidemment, il y a asymétrie dans la domination.
Une simple observation : il me semble que cela ne dérange pas beaucoup les hommes de voir que les femmes gagnent moins qu'eux.
Pourriez-vous nous préciser si les femmes sont traitées différemment dans la fonction publique d'État et dans la fonction publique territoriale ? Pensez-vous que du fait du traitement qui leur est réservé, les femmes soient souvent malheureuses dans les entreprises ?
Je pense qu'il n'y a pas beaucoup de différences, et je me demande même si la situation n'est pas plus mauvaise dans la fonction publique que dans le secteur privé qui possède une longue tradition de négociation collective et est soumis aux pressions exercées par l'Union européenne. Dans la fonction publique, en revanche, seules des chartes et la création de référents-égalité, mesures non contraignantes, ont été proposées, si l'on fait exception de la loi de 2001 sur les jurys. Quelques contrats pluriannuels sur trois ans ont été proposés dans tous les ministères en 2002 et 2003, mais ils n'ont pas été suivis d'effets et n'ont pas été renouvelés à l'issue de ces trois ans.
Dans ma propre administration, le texte traitant de la détection des cadres de direction, examiné dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), comporte des dispositions totalement asexuées faisant fi de la loi Sauvadet et des enjeux de féminisation de la fonction publique.
La fonction publique est donc très en retard sur ce point et le sexisme qui y règne est équivalent à celui du privé.
Comment expliquez-vous que des femmes nommées à la direction d'entreprises ne favorisent pas les autres femmes ?
Il ne faut pas culpabiliser les femmes. Je ferais remarquer la solitude qui règne aux postes de direction en pointant du doigt « l'effet solo » : on constate en effet que, quand on est seul d'un sexe donné dans une organisation, on est plutôt moins brillant et moins à l'aise.