Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 18 juillet 2012 à 14h30
Traité d'amitié et de coopération avec la république islamique d'afghanistan — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, rapporteur :

Vous l’aurez compris, la commission soutient le projet de loi de ratification qui nous est soumis, mais la mise en œuvre du traité nous inspire trois interrogations fortes, pour ne pas dire trois inquiétudes.

La première de ces interrogations porte sur le montant et, en corollaire, sur la dispersion de l’aide française.

Évidemment, nous ne partons pas de rien. Dans les districts de la task force La Fayette, nous avons vu des champs en culture, des écoles qui fonctionnaient, des lignes électriques rétablies. Au total, la France aura d’ailleurs déboursé 240 millions d'euros d’aide civile au cours de ces dix dernières années, notre aide étant bien orientée vers les besoins vitaux : santé, éducation, agriculture, accès à l’eau.

Pourtant, nous sommes loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous avons consacré jusqu’à 500 millions d'euros par an de « surcoût OPEX » à l’Afghanistan ; combien pourrons-nous mettre sur la table, monsieur le ministre, pour donner vie au programme quinquennal ambitieux arrêté au début de l’année ?

Nous prévoyons 308 millions d’euros pour les cinq prochaines années, ce qui représente un accroissement de notre effort de 50 %. C’est beaucoup par rapport au montant total de notre aide au développement, mais c’est peu par rapport aux autres pays. Je fais confiance à nos rapporteurs des crédits du développement pour veiller à ce que les lois de finances permettent de tenir effectivement cet engagement. Il faut aussi consentir un effort de rationalisation. La visibilité de notre aide souffre de la multiplicité des circuits de financement et des guichets, qui favorise l’éclatement, le saupoudrage et l’absence de lisibilité.

Enfin, vous nous avez dit, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord avec vous, que la France avait besoin d’une diplomatie économique : qu’en est-il du positionnement des entreprises françaises sur les marchés afghans, où vont affluer les 16 milliards d’aide internationale d’ici à 2015 ? Il ne faudrait pas, par exemple, que nous assurions la formation des géologues au titre de la coopération, pour qu’ensuite nos amis Chinois décrochent les contrats d’exploitation des mines ! Les entreprises françaises peuvent se positionner sur de nombreux secteurs : le ciment, la construction, l’énergie, l’eau, l’agroalimentaire. Comment la diplomatie va-t-elle accompagner et faciliter leur montée en puissance ?

Notre deuxième préoccupation concerne la sécurité future de nos experts, de nos ONG et de nos entreprises.

En Afghanistan, quatre générations de menaces se sont succédé, pour se cumuler au final : à la guérilla classique sont venus s’ajouter les engins explosifs improvisés, puis le recours aux bombes humaines et, récemment, les attaques internes par infiltration des forces afghanes. Même si le ministre de la défense nous a dit être « résolument optimiste » sur l’évolution sécuritaire, nous sommes très préoccupés par cette question.

Le traité prévoit un certain nombre d’immunités, en particulier de juridiction, pour les personnes qui œuvrent dans le cadre de notre coopération ; c’est un premier train de garanties, mais est-ce suffisant ? Qu’en sera-t-il demain, une fois les forces combattantes retirées, l’état-major basculé sur le camp de Warehouse, quand 300 hommes seulement devront sécuriser le retrait ? Et qu’en sera-t-il, surtout, après-demain ? Je pense aussi, mes chers collègues, aux experts afghans engagés à nos côtés.

Dans le contexte du retrait de la coalition, étant donné la montée en puissance très progressive des forces de sécurité nationales afghanes, leur autonomie encore limitée, alors que la rébellion couve toujours et se nourrit d’un trafic de drogue qui représente la première ressource du pays, c’est plus qu’une préoccupation, c’est une inquiétude.

Enfin, le troisième sujet de préoccupation tient au contrôle de la destination des fonds.

Nous n’avons pas attendu le scandale de la Kabul Bank pour savoir et dire haut et fort que la corruption endémique gangrène ce pays, nourrit la rébellion, sape la légitimité du Gouvernement et ruine la plupart des efforts de la communauté internationale pour acheminer l’aide au plus près des populations.

Notre commission a déjà, par le passé, posé un diagnostic très lucide sur l’extrême fragilité des institutions et sur la corruption qui les gangrène jusqu’aux plus hauts niveaux. Grâce à l’action de la France, la conférence de Tokyo s’est orientée vers une plus grande conditionnalité de l’aide européenne, qui dépendra à l’avenir du bon déroulement des élections présidentielle et législatives de 2014 et de 2015, du respect des droits de l’homme et du droit des femmes.

C’est la bonne orientation : l’aide internationale doit être un levier pour le changement, et non pas une manne pour les barons locaux.

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