La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’informe le Sénat que ce matin a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques, créée le 8 février 2012, sur l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été mis en ligne sous le n° 667, imprimé et distribué ce matin.
M. le président du Sénat a reçu de M. Éric Bocquet un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée le 17 janvier 2012 sur l’initiative du groupe communiste, républicain et citoyen, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat.
L’annonce de ce dépôt au Journal officiel de ce jour constitue, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera mis en ligne, imprimé et distribué, sauf si le Sénat constitué en comité secret décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 16 de notre règlement, qui traite notamment de la publicité des débats de commission.
Comme il est d’usage, un compte rendu de la réunion de la commission des affaires étrangères durant laquelle a été examiné l’accord franco-allemand dont le projet de loi autorisant la ratification nous sera présenté cet après-midi a été porté en annexe de mon rapport. Cependant, l’une des interventions retranscrites contient une affirmation qui pourrait prêter à confusion et que je n’ai malheureusement pas pu rectifier sur-le-champ, étant en déplacement pour une journée à l’étranger. C’est le président de notre commission qui avait accepté de présenter mon rapport à nos collègues, ce dont je le remercie.
Il me semble donc important d’apporter une clarification en séance publique, afin qu’elle apparaisse dans le compte rendu de nos débats.
Contrairement à ce que laisserait supposer le bon sens commun, lorsque l’on se marie dans un pays et que l’on réside dans un autre au moment où l’on décide de divorcer, ce n’est pas automatiquement la loi de l’État de résidence qui s’applique. Ce point est d’ailleurs tout à fait problématique, puisqu’il donne souvent lieu à une « ruée au tribunal », chaque conjoint tentant d’obtenir que le divorce soit jugé par la juridiction du pays dont la législation lui sera le plus favorable.
L’accord Rome III, qui vient d’entrer en vigueur le 21 juin dernier, traite justement de cette question. Il permet aux conjoints de déterminer en amont la législation applicable en cas de divorce et indique que, à défaut d’un tel accord, la compétence reviendra à l’État de résidence habituelle du couple. Mais cet accord ne lie que les quatorze pays de l’Union européenne qui en sont signataires. Pour les autres, la détermination de la loi applicable demeure sujette à ambiguïté, et le seul moyen de réduire cette vulnérabilité juridique est bien de signer un contrat de mariage.
Je précise également que, en matière de litiges conjugaux transfrontaliers, si plusieurs initiatives européennes, comme le règlement Bruxelles II bis, l’accord Rome III ou le présent accord franco-allemand, tendent à rendre compétentes les instances et la législation de l’État de résidence des couples et à faciliter l’exécution des décisions judiciaires d’un État dans un autre, il semble essentiel que ce mouvement d’intégration s’accompagne d’une harmonisation du droit matériel de la famille des États concernés. Sans cela, nous courrons le risque d’accepter des jugements contraires à notre propre droit ou aux principes fondamentaux européens.
Je pense en particulier au fait que, en droit allemand, le droit de garde peut être retiré à un parent à l’occasion d’une audience provoquée sur simple lettre de l’autre parent, lors de laquelle le parent incriminé n’a aucune possibilité de se défendre puisqu’il n’y est pas convié, les décisions n’étant pas susceptibles de faire l’objet d’un recours, ou encore au fait qu’une pension alimentaire peut être fixée, sans décision judiciaire, par l’Office allemand de protection de la jeunesse, qui en avance le décaissement au parent allemand et se retourne ensuite contre le parent français pour la recouvrir.
Européenne convaincue, et heureuse de défendre la ratification d’un accord franco-allemand qui constituera un progrès significatif pour de nombreux couples, je me devais toutefois d’exprimer ces quelques mises en garde.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan (projet n° 663, texte de la commission n° 671, rapport n° 670).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous m’ayant interrogé sur ce point, je voudrais, avant d’aborder le sujet qui nous occupe cet après-midi, vous faire part de la réaction du Gouvernement français à l’annonce de l’attentat ayant notamment coûté la vie au ministre de la défense syrien.
Nous ne connaissons pas encore les circonstances exactes dans lesquelles cet attentat s’est produit. En tout état de cause, il s’agit évidemment d’un acte d’une extrême importance, qui montre à quel degré de violence on en est parvenu à Damas même. Je tiens à souligner que le Gouvernement français a toujours condamné le terrorisme.
Cela étant dit, de tels actes de violence rendent d’autant plus nécessaire et urgente une transition politique qui permette au peuple syrien d’avoir un gouvernement reflétant ses aspirations profondes. C’est la position constante de la France, que nous défendons en ce moment même au Conseil de sécurité des Nations unies.
Lorsque nous aurons obtenu davantage de précisions sur les conditions dans lesquelles l’attentat a eu lieu, je me tiendrai bien entendu à la disposition du Sénat pour un plus ample commentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération signé entre la France et l’Afghanistan le 27 janvier 2012, en application de l’article 53 de la Constitution.
Ce traité, signé pour vingt ans, inscrit la relation franco-afghane dans la durée et affirme l’engagement de long terme de la France auprès du peuple afghan. Alors que nous retirons nos troupes d’Afghanistan, il est important que nous adressions un signal clair de notre volonté d’accompagner ce dernier.
Signé sous la précédente majorité, ce traité s’inscrit dans une trajectoire, concertée avec nos alliés, de soutien à la transition, conformément aux engagements pris par le Président de la République, M. François Hollande.
J’ajoute qu’il s’agit du premier traité de l’histoire des relations franco-afghanes, ainsi que du premier traité signé par l’Afghanistan avec un État extérieur à la région. Il sert et servira d’exemple pour d’autres partenariats, signés récemment ou en préparation, entre l’Afghanistan et des États tiers ou des organisations internationales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Afghanistan revêt une importance toute particulière. Nous le savons depuis longtemps, elle affecte la paix et la stabilité de l’ensemble de la région et a des répercussions bien au-delà.
C’est l’intérêt de la France que l’Afghanistan s’engage sur la voie de la paix et de la stabilité, et c’est notre volonté d’y contribuer.
En 2001, à la suite des attentats du 11 septembre, nous nous sommes engagés dans la lutte contre le terrorisme, afin de priver Al-Qaïda des bases afghanes à partir desquelles cette organisation opérait. Cela impliquait également une aide à la construction d’institutions afghanes aussi solides et légitimes que possible.
Un peu plus de dix ans après, la situation a changé. Avec des succès et des échecs, l’intervention internationale a contribué à transformer l’Afghanistan. Une constitution a été adoptée en 2004 et de nouvelles institutions ont été mises en place. Ben Laden a été trouvé et tué. Al-Qaïda ne bénéficie plus de refuges sur le territoire afghan.
Dans ce contexte, le Président de la République a pris l’engagement de retirer nos troupes combattantes d’Afghanistan d’ici au 31 décembre 2012. Je veux saluer une fois de plus l’engagement et le courage de notre armée. Elle a rempli sa mission dans des conditions périlleuses ; quatre-vingt-sept soldats sont morts au service de la France. Je leur rends aujourd’hui hommage.
Notre décision de retrait a été confirmée aux autorités afghanes, qui l’ont approuvée, et à nos alliés et partenaires, qui – la dernière réunion de Chicago en témoigne – en ont bien compris le sens.
Cette démarche est cohérente avec le cadre de la « transition » fixé conjointement par la communauté internationale et par les Afghans sous l’égide des Nations unies. Le processus prévoit le transfert progressif des responsabilités de sécurité aux forces de sécurité afghanes. Les zones transférées incluent le district de Surobi et la province de Kapisa, où plusieurs d’entre vous se sont rendus et où ont été déployées les forces françaises.
Mais, et là est l’essentiel au regard du texte qui nous occupe cet après-midi, notre retrait militaire ne signifie nullement un abandon de l’Afghanistan ; au contraire, s’ouvre une période nouvelle pour notre coopération civile.
Quels sont les principes qui guideront notre action dans cette nouvelle phase qui débute pour l’Afghanistan et pour les relations franco-afghanes ?
Le premier enjeu est de favoriser le passage d’une économie et une société de guerre à une économie et une société de paix. Un tel objectif est très ambitieux, dira-t-on ; de fait, il l’est, mais la reconstruction et le retour vers la paix d’un pays qui est plongé depuis des décennies dans la guerre représentent un changement absolument massif.
Le développement économique et social de l’Afghanistan est la première condition d’un retour durable à la paix et à la stabilité. C’est pourquoi le cœur de notre engagement sera la coopération civile.
C’est aussi dans cet esprit que la France appuie un processus de paix conduit par les Afghans eux-mêmes et associant toutes les composantes de la société afghane : le Gouvernement, l’opposition légale, la société civile. La réconciliation nationale devra s’adresser à ceux des insurgés qui sont prêts à rompre tout lien avec Al-Qaïda, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution. Le processus devra bénéficier du soutien des pays de la région – ce n’est pas le plus facile –, notamment, mais pas seulement, du Pakistan.
En deuxième lieu, la France s’engagera en Afghanistan de manière forte. Il est ainsi prévu que notre aide à ce pays augmente de 50 %, pour atteindre 308 millions d’euros sur la période 2012-2016.
Ce qui importe surtout, c’est que l’aide soit conduite de manière à profiter directement à la population afghane. Nous consacrerons notre aide à des programmes concrets, à l’image de l’extension prochaine de l’Institut médical français, qui disposera ainsi d’un service de santé maternelle et néonatale. Il s’agira d’une première en Afghanistan, qui contribuera à améliorer les conditions de vie des femmes afghanes. Je veux saluer, à cet instant, l’engagement de l’association La Chaîne de l’espoir, qui effectue un travail absolument remarquable, et de la fondation Aga Khan dans ce projet tout à fait exemplaire.
En troisième lieu, cette aide ne sera pas un chèque en blanc. Elle sera conditionnée à la réalisation de progrès significatifs sur la voie de la transition, au respect par les Afghans des engagements qu’ils ont pris devant la communauté internationale lors de la Conférence de Tokyo, le 8 juillet dernier, notamment dans les trois domaines clés suivants.
Il s’agit tout d’abord de la bonne gouvernance. La lutte contre la corruption, en particulier, constitue une priorité ; nous attendons dans ce domaine des mesures fortes de la part du gouvernement afghan. C’est une contrepartie indispensable à l’effort demandé à la France. Nous devons être très fermes sur ce point.
Ensuite, les engagements pris en matière de démocratie devront être tenus. À plusieurs reprises, les citoyens afghans ont bravé les menaces et la violence pour élire leurs représentants. Ils sont en droit d’attendre que les élections présidentielle et parlementaire de 2014 et de 2015 se déroulent dans des conditions équitables et transparentes. Nous y veillerons avec nos partenaires internationaux.
Enfin, nous accorderons une attention particulière à l’évolution de la situation des droits de la personne humaine, s’agissant notamment des femmes et des minorités. Certains progrès ont été accomplis, en matière de liberté d’expression en particulier, avec le développement spectaculaire des médias, dont j’ai été le témoin, mais aussi de droits sociaux, tels que l’accès à la santé ou à l’éducation.
Néanmoins, à l’évidence, des motifs d’inquiétude demeurent. Les meurtres, la semaine dernière, d’une femme afghane, commis en public par les talibans, et de la responsable des droits de la femme pour le gouvernement afghan, à la suite d’un attentat ciblé dans la province du Laghman, ont suscité une émotion considérable à travers le monde et rappelé à quel point la situation des femmes reste souvent dramatique.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, combien vous êtes sensibles à cette question. Je partage totalement votre préoccupation. La France fera preuve d’une vigilance particulière s’agissant des droits des femmes, en particulier pour l’accès à la justice, à la santé, à l’éducation, ainsi que pour la prévention des violences qui leur sont faites.
Il ne s’agit pas de s’en tenir à des pétitions de principe : pour évaluer les avancées, nous mènerons en parallèle un dialogue avec la société civile afghane, les femmes afghanes, la commission afghane indépendante des droits de l’homme. À cet égard, il m’a été donné, il y a quelques semaines, de rencontrer un certain nombre de personnalités tout à fait extraordinaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le sens du traité qui vous est soumis pour ratification aujourd’hui est de redonner aux Afghans, aux autorités gouvernementales et surtout à la population, à la société civile, les clés de leur destin, tout en leur accordant un appui sur le long terme, qui leur permettra de disposer des moyens d’exercer leur souveraineté.
Concrètement, le traité couvre l’ensemble de nos actions de coopération avec l’Afghanistan.
Du côté français, la coopération portera sur la santé, avec l’extension de l’Institut médical français pour l’enfant afin d’en faire un centre hospitalo-universitaire généraliste, et la mise en œuvre de projets expérimentaux de télémédecine. Les spécialistes français présents en Afghanistan ont une réputation exceptionnelle.
Notre effort de coopération concernera également l’éducation, avec les lycées Malalaï et Esteqlal, et l’enseignement supérieur, avec la création, à l’université polytechnique de Kaboul, d’une école des mines et de géologie. Comme vous le savez, l’Afghanistan est un pays très riche en minerais et il existe une tradition française de recherche géologique.
La coopération s’exercera aussi dans le domaine agricole, notamment en matière d’irrigation et d’enseignement agricole. Nous soutiendrons la mise en place d’un réseau de lycées techniques agricoles afghans et la création d’un laboratoire de contrôle de la qualité.
Dans le domaine de la culture, la coopération s’appuiera sur nos établissements culturels : l’Institut français d’Afghanistan et la Délégation archéologique française. Nous formons des archéologues afghans et assurons les fouilles, en particulier à Bamyan et à Mes Aynak. De plus, nous soutenons la création de musées afghans d’histoire naturelle.
La coopération visera à favoriser le développement des infrastructures – adduction d’eau à Kaboul –, celui du secteur minier – renforcement du service géologique afghan en partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM – et l’accroissement des échanges économiques entre les deux pays, le passage d’une économie de guerre à une économie de paix devant s’accompagner d’un renforcement de la présence de nos entreprises.
S’agissant de la Kapisa et de la Surobi, où ont été déployées la task force La Fayette ainsi qu’une équipe d’experts civils, une action spécifique pour le développement de ces régions est prévue au-delà de 2014, si les populations locales le souhaitent et si la sécurité des personnels est assurée, afin de prolonger les projets déjà conduits.
Enfin, une coopération est prévue dans les domaines de la défense et de la sécurité. Des coopérants français seront présents à l’état-major et dans des écoles militaires afghanes, afin de conseiller les cadres et les instructeurs afghans. Il n’y aura pas de troupes combattantes, mais nous apporterons un appui à la création d’une école de guerre afghane et d’une force de gendarmerie.
Réciproquement, le traité comprend des engagements pris par l’Afghanistan envers la France.
L’Afghanistan s’engage ainsi à lutter par tous les moyens dont il dispose contre les menaces émanant de son territoire à l’encontre de la France ou des intérêts français et à développer la coopération entre services antiterroristes et antidrogue. Sur ce dernier point, un énorme travail reste à réaliser étant donné l’importance des trafics de drogue en Afghanistan. J’ai toujours considéré que l’une des failles des mécanismes qui avaient été mis en place tenait à ce qu’ils faisaient l’impasse sur cette réalité. Tout au plus se bornait-on à affirmer que les paysans doivent cesser de cultiver le pavot, mais en l’absence de moyens de développer d’autres productions à même de leur rapporter de quoi vivre, ce ne peut être qu’un vœu pieux !
Quelques efforts ont été entrepris, mais il faudra aller beaucoup plus loin.
L’Afghanistan s’engage également à soutenir les institutions qui concourent à la relation bilatérale. Cela passe notamment par des exemptions fiscales et douanières au bénéfice de l’’Agence française de développement, l’AFD, et des ONG françaises impliquées dans la mise en œuvre du traité.
L’Afghanistan s’engage enfin à promouvoir l’enseignement du français dans le secondaire et le supérieur. Nous avons le plaisir de constater qu’un assez grand nombre de personnalités afghanes parlent le français, souvent pour avoir fait leurs études en France. Il faudrait cependant que la connaissance de notre langue se diffuse plus largement dans la population.
En pratique, la mise en œuvre du programme de coopération devra tenir compte de la capacité d’absorption de la partie afghane, des décisions des organes de gouvernance des établissements concernés, notamment l’AFD, ainsi que des conditions de sécurité en Afghanistan.
Nous avons voulu éviter, au travers de ce traité, la mise en place d’un cadre institutionnel trop pesant. En plus des consultations politiques, le traité prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes, qui se réuniront une fois par an, alternativement à Paris et à Kaboul : une commission mixte de coopération pour le suivi des programmes de coopération, une commission mixte politico-stratégique et une commission pour la sécurité intérieure.
Le traité est complété par un programme de coopération quinquennal présentant de manière plus détaillée les projets qui seront menés au cours d’une première période allant de 2012 à 2016. Il a été paraphé par les ambassadeurs français et afghan en marge de la dernière visite du président Karzaï à Paris.
Ce traité doit nous permettre de bâtir une relation de long terme avec l’Afghanistan sur la base des secteurs d’intervention traditionnels de la France dans ce pays. Il tient compte de notre contribution aux actions des organisations multilatérales qui resteront sur place après 2014 : l’ONU, naturellement, mais aussi l’Union européenne et l’OTAN.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans les années à venir, alors que l’Afghanistan devra se reconstruire et se développer, ce traité d’amitié devrait nous permettre de conserver une place importante et d’illustrer ce que peut être une puissance d’influence comme la France.
Les prochaines années seront une période cruciale pour l’avenir de l’Afghanistan. L’histoire le montre, les Afghans n’ont jamais accepté la présence durable d’une force étrangère sur leur sol. C’est ce qui, depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Union soviétique, a donné à ce pays sa réputation de « cimetière des empires ».
Le retrait des troupes étrangères est une nécessité, mais la transition n’est pas sans risques : risque du chaos comme au début des années quatre-vingt-dix, risque du retour des talibans les plus extrémistes, lesquels avaient pris le pouvoir à Kaboul à la faveur de l’anarchie. Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé en laissant ce pays livré totalement à lui-même, comme cela avait été le cas après le départ des soviétiques. Beaucoup de choses, il faut avoir l’humilité de le reconnaître, dépendront des pays voisins : le Pakistan, mais aussi l’Inde, l’Iran, la Chine, etc. C’est ce que l’on appelle traditionnellement, dans la diplomatie mondiale, le « grand jeu ». La communauté internationale doit donc rester engagée, mais sous des formes nouvelles, efficaces et préservant la souveraineté de l’Afghanistan. C’est l’objet de ce traité. Ce sera aussi l’objet, sur la base de ce dernier et des engagements internationaux de la France, de notre action politique aux côtés des représentants de toutes les composantes de la société afghane en vue d’ouvrir la voie à un avenir aussi stable et apaisé que possible pour tous les habitants de l’Afghanistan.
La ratification de ce traité est un acte important par lequel vous, représentants du peuple français, adresserez un message d’amitié à la population afghane. Le Parlement afghan devrait ratifier ce traité dans les prochaines semaines. L’ambition qui le sous-tend est à la fois simple et très élevée : ensemble, nous devons signifier que nous continuerons d’agir côte à côte, mais désormais essentiellement par une action civile de développement et d’appui à la mise en place d’institutions efficaces et démocratiques. §
En notre nom à tous, je souhaite rendre hommage à Jean François-Poncet, qui vient de nous quitter.
Il était membre de notre commission voilà un an encore. Fils de l’ambassadeur de France en Allemagne, il avait vu, à l’âge de huit ans, brûler le Reichstag.
Ministre des affaires étrangères, président de la commission des affaires économiques du Sénat, président du conseil général du Lot-et-Garonne, premier vice-président du conseil régional d’Aquitaine : Jean François-Poncet a exercé de nombreuses fonctions et accompli une grande carrière politique, tant sur le plan local que sur le plan national. Il a marqué le Sénat par sa vision du monde. En particulier, il fut, en 2009, l’auteur d’un rapport très remarqué de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur le Moyen-Orient à l’heure nucléaire.
Nous gardons de lui l’image d’un homme d’État d’une grande finesse et d’une rare élégance. Il était avant tout un européen convaincu.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la présence dans nos tribunes de M. Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France. Qu’il ne soit pas choqué par les propos sans complaisance que je vais tenir, car ce sont ceux d’un ami de son pays.
« Royaume de l’insolence », l’Afghanistan n’a jamais été soumis. Son histoire est avant tout celle d’une résistance énigmatique et tenace contre tous les empires : moghol, perse, britannique, puis soviétique. Ce magnifique pays, l’un des plus pauvres du monde, livré aux fléaux de la corruption, du terrorisme et du trafic de drogue, martyrisé par trois décennies de guerre, dispose pourtant d’atouts incomparables pour son avenir.
Après la Surobi en avril, c’est la province de Kapisa –dans laquelle cinquante-trois des quatre-vingt-sept soldats français tombés en Afghanistan, dont je salue la mémoire, ont trouvé la mort – qui a, il y a tout juste deux semaines, été transférée aux autorités afghanes. Ainsi se tourne une nouvelle page de son histoire.
Avec le traité qui nous est soumis cet après-midi, la France fait le choix de concentrer désormais ses efforts sur la construction de la paix et la prise en main de leur destin par les Afghans eux-mêmes. Ce projet de loi, soumis au conseil des ministres mercredi dernier, déposé en premier lieu au Sénat et débattu aujourd'hui, sera examiné mercredi prochain par l’Assemblée nationale, pour être adopté définitivement le 25 juillet. Évidemment, ces délais sont très courts !
Si nous avons accepté d’être ainsi « bousculés » – et vous savez, monsieur le ministre, que les sénateurs n’aiment pas trop l’être, encore moins quand ils représentent le département des Landes §, c’est qu’il y a urgence : urgence à nous doter d’un instrument qui grave dans le marbre du droit international notre engagement dans la durée, pour vingt ans, aux côtés du peuple afghan, que nous ne souhaitons pas abandonner ; urgence aussi à garantir la sécurité et la stabilité de nos actions de coopération pour l’avenir ; urgence enfin à mettre en cohérence tous nos dispositifs d’aide et surtout à leur donner une nouvelle dynamique, qui soit à la hauteur des besoins, immenses, de ce pays exsangue après trente ans de guerre et de malheur.
L’enjeu est simple : il s’agit, ni plus ni moins, de réussir la paix ! L’opinion publique nous regarde : elle ne comprendrait pas qu’on abandonne les Afghans et que nos soldats soient « morts pour rien ».
Le traité d’amitié et de coopération est le principal outil devant nous permettre de travailler efficacement à construire une paix durable. C’est pourquoi nous l’examinons dans le même esprit de continuité républicaine que celui qui a poussé le nouveau gouvernement à inscrire ce texte, signé par le précédent Président de la République, à l’ordre du jour de sa première session législative. On nous objectera que nous avons beaucoup critiqué ce traité, mais il mérite d’être examiné parmi les premiers : tout n’est pas noir ou blanc.
Je dois cependant souligner que ce texte ne vaut pas « solde de tout compte » sur le sujet de l’Afghanistan. Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, ainsi que votre collègue le ministre de la défense, d’avoir accepté de débattre avec nous, à l’automne, du bilan de plus de dix ans d’engagement en Afghanistan.
L’intervention dans ce pays, décidée par le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin, avait au départ un objectif clair : lutter contre Al-Qaïda à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Ses finalités se sont peu à peu transformées, pour ne pas dire brouillées, aux yeux de l’opinion publique en tout cas. Nous sommes nombreux, pourtant, à pouvoir témoigner, pour nous être rendus aux côtés de nos soldats à plusieurs reprises, de la qualité remarquable du travail de terrain effectué par nos forces sur ce théâtre particulièrement exigeant.
Finalement, notre mission en Afghanistan aura été double, comme l’a dit le Président François Hollande lors de l’hommage aux Invalides : elle aura consisté à la fois à « lutter contre le fanatisme et la haine aveugle et à aider fraternellement un peuple à retrouver le chemin de sa souveraineté ».
Les scénarios catastrophes fleurissent, ces derniers temps, sur l’évolution future de ce pays si attachant mais si complexe : scénarios d’éclatement, de guerre civile, de reconstitution des féodalités, de retour des talibans… Je poserai une question et une seule : y a-t-il une autre voie qui permette à l’Afghanistan de sortir de son extrême pauvreté, source de tous ses maux, je dirais presque de sortir du « moyen-âge » sanitaire et social dans lequel il se trouve, que celle du développement économique ? À mon sens, la réponse est « non ».
La meilleure façon de lutter contre l’insécurité, c’est de retrouver le chemin de la croissance, qui donne à chacun l’espoir de mieux vivre. Le meilleur moyen de lutte contre l’obscurantisme, c’est l’alphabétisation. Le rempart le plus efficace contre l’embrigadement dans des milices, c’est un travail pour tous dans une société plus sûre.
Quelles meilleures armes contre la pauvreté que l’accès aux soins, la reconstruction des routes, la remise sur pied d’une agriculture fruitière et pastorale jadis si florissante ?
Quelle part la France veut-elle prendre dans cette reconstruction ? C’est tout l’enjeu du traité et du programme quinquennal qui l’accompagne. Ils devraient permettre de donner un nouvel élan à un certain nombre de projets emblématiques : dans le domaine de la sécurité, l’appui à la création d’une école de guerre et d’une gendarmerie afghanes ; en matière de santé, la réalisation d’une deuxième puis d’une troisième phase de l’hôpital français pour la mère et l’enfant de Kaboul, projet qui constitue un succès éclatant, même si, objectivement, on peut reconnaître, monsieur Boulaud, que son financement incombe davantage à une ONG et à la fondation Aga Khan qu’au Gouvernement français ; le soutien à la création de lycées techniques agricoles, à l’irrigation, à l’apiculture, à la pisciculture, pour offrir aux exploitants une source de revenus se substituant à la culture du pavot…
Qui aurait la légèreté de croire que l’on peut éradiquer cette culture sans proposer une autre source de revenus ? Mais je m’inscris en faux contre les déclarations des pessimistes selon lesquelles il ne peut y avoir de culture agricole de substitution. Mes chers collègues, sachez que les agriculteurs afghans reçoivent, pour le pavot, un prix qui est comparable aux cours mondiaux de certaines céréales. Ce sont les intermédiaires, beaucoup plus que les agriculteurs, qui s’enrichissent grâce à la culture du pavot.
Il faut trouver des solutions pour permettre aux paysans de s’orienter vers d’autres productions.
Le traité permettra également de développer un partenariat pour former des ingénieurs des mines et des géologues dans ce pays aux ressources prometteuses, de mettre en place une contribution à des projets d’infrastructures indispensables au développement, comme en matière d’adduction d’eau.
Le traité comporte enfin un volet relatif à la « gouvernance », destiné à assurer la consolidation des institutions. Je voudrais d’ailleurs saluer l’engagement des assemblées parlementaires françaises pour construire le Parlement afghan. Dès 2004, des experts du Sénat ont séjourné à Kaboul pour aider à la mise en place du Parlement, former les futurs fonctionnaires, rédiger le règlement et amorcer une coopération qui ne s’est jamais ralentie et s’est concrétisée, encore en juin dernier, par une mission de l’Assemblée nationale.
Le traité prévoit l’octroi, attendu depuis longtemps, d’exemptions fiscales et douanières pour l’Agence française de développement et pour nos ONG ou de baux à long terme pour l’Institut médical français et la Délégation archéologique française, ainsi que la promotion de la langue française à tous les niveaux d’enseignement et la pérennisation de nos instituts culturels.
Vous l’aurez compris, la commission soutient le projet de loi de ratification qui nous est soumis, mais la mise en œuvre du traité nous inspire trois interrogations fortes, pour ne pas dire trois inquiétudes.
La première de ces interrogations porte sur le montant et, en corollaire, sur la dispersion de l’aide française.
Évidemment, nous ne partons pas de rien. Dans les districts de la task force La Fayette, nous avons vu des champs en culture, des écoles qui fonctionnaient, des lignes électriques rétablies. Au total, la France aura d’ailleurs déboursé 240 millions d'euros d’aide civile au cours de ces dix dernières années, notre aide étant bien orientée vers les besoins vitaux : santé, éducation, agriculture, accès à l’eau.
Pourtant, nous sommes loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous avons consacré jusqu’à 500 millions d'euros par an de « surcoût OPEX » à l’Afghanistan ; combien pourrons-nous mettre sur la table, monsieur le ministre, pour donner vie au programme quinquennal ambitieux arrêté au début de l’année ?
Nous prévoyons 308 millions d’euros pour les cinq prochaines années, ce qui représente un accroissement de notre effort de 50 %. C’est beaucoup par rapport au montant total de notre aide au développement, mais c’est peu par rapport aux autres pays. Je fais confiance à nos rapporteurs des crédits du développement pour veiller à ce que les lois de finances permettent de tenir effectivement cet engagement. Il faut aussi consentir un effort de rationalisation. La visibilité de notre aide souffre de la multiplicité des circuits de financement et des guichets, qui favorise l’éclatement, le saupoudrage et l’absence de lisibilité.
Enfin, vous nous avez dit, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord avec vous, que la France avait besoin d’une diplomatie économique : qu’en est-il du positionnement des entreprises françaises sur les marchés afghans, où vont affluer les 16 milliards d’aide internationale d’ici à 2015 ? Il ne faudrait pas, par exemple, que nous assurions la formation des géologues au titre de la coopération, pour qu’ensuite nos amis Chinois décrochent les contrats d’exploitation des mines ! Les entreprises françaises peuvent se positionner sur de nombreux secteurs : le ciment, la construction, l’énergie, l’eau, l’agroalimentaire. Comment la diplomatie va-t-elle accompagner et faciliter leur montée en puissance ?
Notre deuxième préoccupation concerne la sécurité future de nos experts, de nos ONG et de nos entreprises.
En Afghanistan, quatre générations de menaces se sont succédé, pour se cumuler au final : à la guérilla classique sont venus s’ajouter les engins explosifs improvisés, puis le recours aux bombes humaines et, récemment, les attaques internes par infiltration des forces afghanes. Même si le ministre de la défense nous a dit être « résolument optimiste » sur l’évolution sécuritaire, nous sommes très préoccupés par cette question.
Le traité prévoit un certain nombre d’immunités, en particulier de juridiction, pour les personnes qui œuvrent dans le cadre de notre coopération ; c’est un premier train de garanties, mais est-ce suffisant ? Qu’en sera-t-il demain, une fois les forces combattantes retirées, l’état-major basculé sur le camp de Warehouse, quand 300 hommes seulement devront sécuriser le retrait ? Et qu’en sera-t-il, surtout, après-demain ? Je pense aussi, mes chers collègues, aux experts afghans engagés à nos côtés.
Dans le contexte du retrait de la coalition, étant donné la montée en puissance très progressive des forces de sécurité nationales afghanes, leur autonomie encore limitée, alors que la rébellion couve toujours et se nourrit d’un trafic de drogue qui représente la première ressource du pays, c’est plus qu’une préoccupation, c’est une inquiétude.
Enfin, le troisième sujet de préoccupation tient au contrôle de la destination des fonds.
Nous n’avons pas attendu le scandale de la Kabul Bank pour savoir et dire haut et fort que la corruption endémique gangrène ce pays, nourrit la rébellion, sape la légitimité du Gouvernement et ruine la plupart des efforts de la communauté internationale pour acheminer l’aide au plus près des populations.
Notre commission a déjà, par le passé, posé un diagnostic très lucide sur l’extrême fragilité des institutions et sur la corruption qui les gangrène jusqu’aux plus hauts niveaux. Grâce à l’action de la France, la conférence de Tokyo s’est orientée vers une plus grande conditionnalité de l’aide européenne, qui dépendra à l’avenir du bon déroulement des élections présidentielle et législatives de 2014 et de 2015, du respect des droits de l’homme et du droit des femmes.
C’est la bonne orientation : l’aide internationale doit être un levier pour le changement, et non pas une manne pour les barons locaux.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer en présence du président Karzaï, dans son bureau, cela ne doit pas empêcher, d’ailleurs, l’émergence d’un « modèle afghan » de gouvernance, seul susceptible de répondre aux nécessités de ce pays, qui ne sera pas forcément calqué sur les modèles occidentaux, mais qui devra prendre en compte un certain nombre de « lignes rouges » en matière de respect des libertés publiques.
Sous le bénéfice de ces trois observations, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté le projet de loi de ratification qui nous est soumis ; je vous invite à faire de même. §
Je voudrais également m’associer, au nom de mon groupe, à l’hommage rendu à Jean François-Poncet, un homme qui a fortement marqué notre institution.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan dont nous sommes aujourd’hui appelés à autoriser la ratification est généreux, ambitieux et risqué. Il constitue un pari sur l’avenir de ce pays, sur la capacité de multiples acteurs à assurer la stabilité et la paix dans cette région. Je souhaite que ce pari puisse être gagné.
Depuis la décision du président Obama, auquel Nicolas Sarkozy avait rapidement emboîté le pas, de retirer totalement, d’ici à la fin de l’année 2014, les troupes de la force internationale d’assistance à la sécurité, l’ISAF, mise en œuvre par l’OTAN, les principaux pays de la coalition menée par les États-Unis s’empressent de signer des traités bilatéraux de coopération civile avec le gouvernement afghan.
La finalité de ces traités est de soutenir le développement économique du pays en anticipant la délicate période de transition qui adviendra lorsque l’armée et la police afghanes, formées par des militaires de l’ISAF, seront capables d’assumer seules la sécurité.
Tout le monde sait que le départ de l’ISAF se traduira par une période d’incertitude et par une contraction de la manne financière internationale qui a été déversée sur l’Afghanistan depuis 2001, en étant au demeurant mal répartie, puisqu’elle ne profite qu’au régime en place et à quelques « seigneurs de guerre ».
Après le retrait des troupes de l’OTAN, il sera évidemment nécessaire qu’un État afghan existe réellement. En outre, le développement économique et social, une gouvernance rigoureuse et des investissements importants seront les conditions indispensables au maintien de l’aide publique internationale.
C’est dans cette perspective qu’a été organisée, il y a quinze jours à Tokyo, une conférence des pays donateurs. Ces derniers redoutent un effondrement économique du pays après le départ des troupes étrangères et veulent atténuer l’incidence d’un désengagement partiel de la communauté internationale.
Ces bailleurs de fonds se sont ainsi engagés à apporter, sur la décennie 2015-2025, une aide civile de 16 milliards de dollars, soit 13 milliards d’euros, dont 230 millions d’euros pour notre pays. Eu égard à nos capacités, il s’agit là d’un effort important, qui devra être consenti à bon escient.
C’est dans ce contexte qu’intervient le traité franco-afghan dont nous débattons. Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi de ratification, le traité « marque l’évolution du soutien français d’une dominante militaire à une dominante civile ».
Il n’a pourtant pas seulement pour objet d’organiser la future coopération civile, puisqu’il comprend aussi un important volet de coopération en matière de défense et de sécurité. En treize articles, il tend à donner un cadre à un ensemble de projets et d’actions, sous la forme de différents programmes.
J’approuve bien entendu tout ce qui va dans le sens du développement économique et social de l’Afghanistan, que ce soit dans le domaine de l’agriculture et du développement rural, pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, dans celui de la santé, afin de réduire les taux de mortalité maternelle et infantile et d’améliorer le niveau de formation des médecins, ou bien encore dans celui de l’éducation et de l’enseignement supérieur, en développant l’enseignement du français et en soutenant les deux lycées que nous avons créés, qui sont maintenant placés sous la responsabilité de la République islamique. À tout cela s’ajoutent le développement des échanges culturels et la protection du patrimoine archéologique.
Enfin, je n’oublie pas qu’il est prévu de faciliter les investissements français et les activités de nos entreprises dans les domaines des infrastructures de télécommunications, du transport, de l’irrigation, de la production et de la transformation des matières premières.
À cette fin, il faudra être particulièrement offensifs et volontaristes dans ces domaines, pour que nos entreprises réussissent à se faire une place sur des marchés où les États-Unis exercent un quasi-monopole.
Je le répète, le cadre est idéal et les projets généreux et ambitieux. Cependant, la mise en œuvre de ces derniers est aléatoire. Elle dépendra de l’importance des moyens qui leur seront affectés, mais elle se heurtera tant aux incertitudes de l’avenir qu’aux dures et complexes réalités afghanes.
De prime abord, dans un monde idéal et harmonieux, se préoccuper du devenir de l’Afghanistan en soutenant son développement économique après la fin des opérations militaires pourrait paraître indispensable et couler de source.
Le retrait accéléré de nos troupes, qui avait déjà été amorcé par Nicolas Sarkozy avec un an d’avance sur le calendrier fixé par les Américains, a été une courageuse décision du Président de la République, que je tiens à saluer avec force. Elle correspondait à une demande de l’opinion publique française que nous avons été longtemps les seuls à relayer.
Dans ces conditions, on pourrait se satisfaire de ce qui peut apparaître comme un changement de stratégie : après les opérations militaires, place au développement économique et social. La réalité est plus complexe.
En effet, il faut être lucides sur les raisons qui ont incité les Américains et l’OTAN à organiser ce retrait militaire, ainsi que sur les conditions dans lesquelles il s’effectuera.
La décision de quitter militairement l’Afghanistan est fondée non pas sur la réalité de la situation sur le terrain, mais sur d’autres considérations.
Soyons pragmatiques : admettons que la présence de nos troupes, intégrées à celles de l’OTAN, ne répondait plus à l’objectif fixé par les résolutions initiales du Conseil de sécurité. Les talibans ont été chassés du pouvoir à la fin de 2001, et le combat contre le terrorisme s’est transformé en lutte contre une insurrection d’opposants au régime en place.
Nous devons également admettre que lorsque des forces armées sont présentes sur le territoire d’un État souverain depuis plus de dix ans, la solution aux problèmes posés n’est à l’évidence pas militaire.
La fin de l’année 2014 a donc été fixée par les États-Unis comme date butoir pour se désengager d’un conflit qui signe l’échec de la stratégie qu’ils ont imposée à leurs alliés. Cette période ne coïncidera qu’accessoirement avec le moment où l’armée et la police afghanes pourraient être en mesure de prendre le relais des troupes de l’OTAN sur tout le territoire.
En effet, la grande majorité des experts, et nos militaires en particulier, savent que la pléthorique armée afghane, comptant plus de 200 000 hommes, presque tous issus d’ethnies proches de celle du président Karzaï, n’est actuellement pas en mesure de relever l’immense défi de la sécurité.
Cette armée permet surtout, en réalité, d’assurer un emploi et un revenu à des populations très démunies. Son entretien, son équipement et sa formation par les militaires de l’OTAN coûtent cher et sont en outre une source de revenus non négligeable pour le pouvoir en place. Les plans de formation prévus d’ici à l’échéance de 2014 la rendront sans doute un peu plus opérationnelle. Mais cela ne suffira certainement pas à donner davantage de crédibilité à sa détermination à lutter contre les ennemis du régime en place.
Il ne faut pas non plus se faire d’illusions sur la réalité d’un désengagement militaire total des États-Unis. En effet, à la veille de se rendre à la conférence de Tokyo, la secrétaire d’État américaine a officialisé, à Kaboul, l’octroi à l’Afghanistan du statut d’« allié majeur non membre de l’OTAN ». Ce statut, qui est accordé à une quinzaine de pays, n’est pas anodin et n’a rien de symbolique. Il permet notamment une coopération militaire renforcée avec les États-Unis dans le domaine du développement et de l’achat d’armements. Ajoutons à cela que les États-Unis ont engagé un partenariat stratégique avec le régime afghan dont les principales dispositions devraient leur permettre de conserver des implantations militaires pendant une vingtaine d’années dans le pays.
Par ailleurs, même si la situation sécuritaire devait se stabiliser après le départ de la coalition internationale, il faudrait de toute façon aider l’État afghan, quel qu’il soit, à surmonter les difficultés qui l’attendent. Elles sont nombreuses et proviennent principalement d’un déficit budgétaire prévisible pour un pays soutenu à bout de bras par l’aide internationale, principalement américaine, laquelle devrait, selon les prévisions, diminuer de moitié.
Pour avoir une idée plus précise de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide internationale en faveur de l’Afghanistan, il faut savoir que la conférence de Tokyo a estimé que plus de la moitié du « trou » budgétaire à venir résulterait de dépenses de sécurité en faveur de l’armée et de la police afghanes évaluées à 4 milliards de dollars.
Les pays de l’OTAN devraient prendre en charge ce déficit à hauteur de 3, 6 milliards de dollars, tandis que les 3, 7 milliards de dollars du déficit civil devraient, en principe, être assumés par les États donateurs parties prenantes à la conférence de Tokyo.
On peut donc légitimement s’interroger sur la réalité du changement de stratégie qui serait en cours.
Il faudrait également tirer les enseignements des modalités de distribution et d’utilisation de cette aide, afin d’être plus exigeants quant à la gouvernance du pays aidé.
En effet, cette manne financière a surtout contribué à alimenter une bulle artificielle qui a enrichi une chaîne de sous-traitants, afghans et étrangers, tandis que la population n’en bénéficiait que de manière résiduelle.
Les retombées locales de cette assistance sont toujours très limitées. Selon les estimations de la Banque mondiale, sur chaque dollar dépensé, de vingt à vingt-cinq cents seulement restent en Afghanistan.
Il faut aussi déplorer que le climat d’incertitude qui s’annonce exacerbe une corruption déjà endémique, dont les principaux acteurs sont des groupes d’intérêts avides d’accaparer les ressources encore disponibles et de les mettre à l’abri à l’étranger, en particulier à Dubaï ; nous en reparlerons certainement tout à l’heure.
Pour apprécier le bien-fondé, la pertinence et l’efficacité des mesures contenues dans le traité qui nous est soumis, il faut donc se fonder sur des critères relatifs à la qualité de l’aide et à la façon dont elle est répartie sur place.
Or, de ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que les dispositions de ce traité, qui – je le rappelle – a été négocié par le précédent gouvernement avec le régime du président Karzaï, soient suffisamment exigeantes. En particulier, celles qui visent à prévenir la corruption et à garantir une bonne gouvernance sont insuffisantes. Elles sont pourtant essentielles pour assurer une juste répartition de l’aide parmi la population afghane, mais elles se limitent à la mise en place d’une commission mixte chargée de suivre la lutte contre les trafics illégaux et à une assistance technique et opérationnelle pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée et les trafics de stupéfiants et d’êtres humains. Toutefois, si les personnels sont peu fiables et incompétents, l’assistance risque d’être inefficace.
Pour autant, ce point essentiel ne saurait masquer l’importance que revêt la mise sur pied d’une véritable administration, sans laquelle les milliards de dollars d’aide seront gaspillés et ne permettront pas de combler rapidement le déficit de fonctionnaires afghans formés et de remédier à l’absence d’institutions fonctionnelles et viables, notamment à l’échelon local.
Je suis sceptique quant au niveau réel des moyens financiers que nous serons en mesure de consacrer à la formation des cadres d’une administration centrale et territoriale embryonnaire. Je m’interroge également sur l’ampleur de notre participation à la formation de professeurs de droit des universités afghanes. Face à une influence américaine et anglo-saxonne prépondérante, nos efforts, pour importants qu’ils soient, restent dérisoires.
Au total, je suis convaincue que la stabilité de l’Afghanistan passe obligatoirement par son développement économique et social, dont doit prioritairement bénéficier la population afghane. C’est certainement la meilleure façon de débarrasser ce pays des deux fléaux majeurs qui le gangrènent : le terrorisme et le narcotrafic.
Le retour de la sécurité dépendra donc du niveau de l’effort national et international et des conditions dans lesquelles ce dernier sera entrepris pour répondre aux vrais besoins de développement de l’Afghanistan.
D’une façon générale, sur le fond, le conflit afghan ne peut trouver une solution durable que par l’action politique et diplomatique. Il ne peut être traité en dehors du contexte régional et international, car tout est lié. À cet égard, l’ONU doit être pleinement réintégrée dans sa résolution : elle doit reprendre le mandat qu’elle avait confié à l’ISAF.
C’est pourquoi nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne l’initiative de proposer l’organisation d’une conférence régionale pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan.
Cette conférence devrait réunir non seulement des voisins immédiats de ce pays, comme l’Iran ou le Pakistan, mais aussi l’Inde, la Chine, la Russie, la Turquie, ainsi, bien sûr, que les différentes composantes du peuple afghan, lequel doit être représenté dans toute sa diversité. Pour être efficace, elle pourrait être parrainée par des représentants des États-Unis et de l’Union européenne. Il reviendrait ensuite au Conseil de sécurité de garantir le respect de ses conclusions, afin que l’ONU redevienne le principal acteur du rétablissement de la paix et de la sécurité.
Enfin, pour que l’ONU reprenne complètement la main dans la résolution de cette crise, il serait nécessaire de définir, sur la base des conclusions de la conférence, un nouveau mandat, axé sur les conditions de la reconstruction et du développement du pays.
Ayons maintenant l’ambition de créer un nouveau cadre multilatéral pour résoudre le conflit afghan. Ne suivons pas les démarches anciennes qui ont échoué, même si elles sont présentées sous un jour nouveau.
Au lieu de s’engager aussi rapidement dans une coopération incertaine, et risquant d’être inefficace au regard des objectifs généreux fixés dans le traité, n’aurait-il pas été préférable d’être plus exigeants en matière de gouvernance et, pourquoi pas, de renégocier en ce sens certains aspects du texte ?
Cela étant, malgré toutes nos réserves et toutes ses insuffisances, nous ne nous opposerons pas à la ratification de ce traité, car nous voulons donner une chance à la paix. Nous ne souhaitons pas jouer les Cassandre ni avoir une attitude négative. Nous voulons simplement attirer l’attention sur certains aspects négatifs du texte et sur les risques qu’il comporte.
En conséquence, le groupe CRC s’abstiendra sur ce projet de loi. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a une longue histoire de coopération avec l’Afghanistan, les premiers contacts ayant été formalisés avec la création, en 1922, de la Délégation archéologique française en Afghanistan, puis avec celle, en 1923, du lycée français pour garçons.
Aujourd'hui, le RDSE se réjouit de la signature d’un traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan. Certes, il a été préparé par l’ancienne majorité, mais vous avez raison, monsieur le ministre, de le reprendre à votre compte. Les membres du RDSE apporteront leur soutien à la ratification de ce traité, qui contribuera à développer les liens d’amitié et de paix unissant les peuples français et afghan.
C’est une grande idée que de vouloir instaurer la paix par le commerce et par le développement économique. Il me semble important de s’engager rapidement dans cette voie, malgré les difficultés. Comme Jean Jaurès, je pense que la tristesse est réactionnaire et que seule la joie est républicaine. En tant que républicain et que fondateur du premier groupe d’études sénatorial sur l’Afghanistan, je crois fermement en ce traité.
Par le passé, indépendamment de sa participation à l’intervention militaire, la France a déjà beaucoup fait pour ce pays. Nos ONG y sont présentes depuis longtemps et connaissent bien la situation. Nous avons ainsi consacré 10 millions d’euros à la relance de la culture du coton dans les provinces de Kunduz et de Balkh, et si l’Institut médical français pour l’enfant de Kaboul, inauguré en 2006, est certes financé par des ONG, son extension sera assurée par un prêt concessionnaire de l’Agence française de développement, l’AFD.
Bien plus modestement, le Sénat a participé, juste après l’arrivée au pouvoir d’Hamid Karzaï, à la création d’un collège, grâce à l’aide apportée par MM. Poncelet et Lambert, alors respectivement président du Sénat et président de la commission des finances. Ce collège, comportant une classe mixte, a permis d’accueillir 1 200 élèves, dont 400 filles.
Je ne doute pas que le traité dont nous examinons aujourd'hui le projet de loi de ratification permettra de mener des actions de bien plus grande ampleur.
Bien sûr, monsieur le ministre, nous n’ignorons pas que la crise qui frappe notre pays rendra certainement les choses plus difficiles. Pour mémoire, alors que nous avions pris l’engagement en 2005, au G8 de Gleneagles, de consacrer 0, 7 % du PIB à l’aide publique au développement, nous n’en sommes aujourd’hui qu’à 0, 5 %.
Au-delà des aspects assez classiques de coopération que je viens d’évoquer, le traité du 27 janvier 2012 comporte aussi une dimension sécuritaire. En effet, il est important d’accompagner le processus de transition pour que l’ensemble des responsabilités en matière de sécurité incombent aux autorités afghanes d’ici à 2014, conformément à ce qui a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Lisbonne, en 2010.
Cela me conduit naturellement à évoquer la question de l’engagement militaire de la France en Afghanistan depuis 2001, qui a malheureusement coûté la vie à quatre-vingt-sept de nos soldats, auxquels nous rendons hommage. Le Président de la République a décidé d’avancer à la fin de 2012 le retrait des troupes françaises d’Afghanistan ; il a confirmé cette décision lors du sommet de Chicago.
Nous avions pour objectifs d’éradiquer les camps d’Al-Qaïda et de renverser le pouvoir taleb, qui apportait un soutien à l’organisation terroriste. Nous avons franchi cette étape grâce au courage et au sens du devoir de nos soldats et de tous ceux de la coalition, l’armée française ayant contribué à chasser les talibans de Kaboul. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, Al-Qaïda a été chassée d’Afghanistan. Le pays s’est doté d’une constitution. La France, pour sa part, a créé un pôle de relative stabilité dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi. Les militaires français ont entamé et poursuivront, après le retrait des unités combattantes, la formation des officiers afghans. J’espère que le gouvernement afghan conservera le bénéfice de ces actions.
Quoi qu’il en soit, la présence militaire française est désormais inappropriée dans son format actuel, et nous avons eu raison d’avancer la date du retrait de nos troupes. Les missions initiales étant accomplies, laisser tous les soldats français, soit 3 500 hommes, sur le terrain pourrait placer notre pays dans la posture d’un occupant.
Ce sont donc 2 000 soldats français qui devraient quitter cette terre d’Asie centrale à la fin de l’année, dans des conditions restant à définir. En tout état de cause, la question de la sécurité de nos troupes est préoccupante. Peut-on compter sur l’armée nationale afghane ? Quel rôle peut jouer le Pakistan, maintenant que le port de Karachi est de nouveau ouvert à l’OTAN ?
Mes chers collègues, hier, la France s’est engagée sans états d’âme sur le terrain afghan, pour tenter de stabiliser un pays qui portait les germes de notre propre déstabilisation. Les attentats, les enlèvements d’occidentaux, l’affaire Merah ont illustré, de manière dramatique, le danger du maintien de foyers terroristes, ici ou ailleurs.
Aujourd’hui, nous allons quitter ce pays, sans toutefois l’abandonner. C’est l’objectif du traité d’amitié et de coopération du 27 janvier 2012, dont nous nous apprêtons à autoriser la ratification.
Avant de conclure, je tiens à dire, monsieur le ministre, que mon sentiment sur l’action des pays occidentaux en Afghanistan est malgré tout partagé. Je ne sais s’il s’agit d’un échec ou d’un succès : il me semble que ce n’est ni complètement l’un, ni complètement l’autre. Certes, nous avons chassé les talibans ; certes, nous avons contribué à donner une constitution à ce pays ; certes, nous avons posé les bases d’une démocratie. Toutefois, alors que nous avions été accueillis en libérateurs quand nous sommes arrivés en Afghanistan, il y a dix ans, on sent bien, aujourd’hui, que la population et les autorités afghanes souhaitent notre départ. Que s’est-il donc passé entre-temps ? Quel comportement avons-nous eu, nous qui voulions apporter la paix, la démocratie, la liberté, le développement économique ? Je pense que la communauté internationale doit s’interroger sur ce point.
Par ailleurs, ce pays est-il vraiment complètement stabilisé ? La proximité du Pakistan, le rôle de ses services spéciaux nous laissent un peu perplexes. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, l’Afghanistan ne fera pas la paix tout seul, sans le Pakistan, sans l’Inde, sans la Chine, sans l’Iran…
En outre, dans quelles conditions seront répartis les quelque 16 milliards de dollars d’aide que l’on envisage de déverser sur ce pays ? À qui cet argent sera-t-il attribué, et pour quoi faire ? Ces interrogations sont légitimes quand on connaît le degré de corruption atteint dans ce pays. Il convient d’être lucides, de ne pas perdre de vue la vérité.
Nous allons passer d’une aide militaire à une aide civile, dans le droit fil de ce qui a toujours guidé une partie de notre politique étrangère au cours de ces dernières années : la construction de la paix.
En 1984, s’adressant au corps diplomatique, François Mitterrand tint les propos suivants : « Nous n’avons pas un seul soldat hors de nos frontières qui n’ait d’autre mission que de préserver des vies humaines, que de contribuer à rétablir des équilibres et, si ces pays, par la suite, désirent notre contribution pacifique à leur développement, il leur suffira de nous le demander. » Je souscris à ces paroles de l’ancien Président de la République. La France a participé au rétablissement d’un certain équilibre en Afghanistan, ce pays nous demande maintenant de contribuer à son relèvement économique et social.
Construisons donc la paix : l’adoption du projet de loi que vous nous avez présenté, monsieur le ministre, participe de cette démarche. C'est la raison pour laquelle le RDSE approuvera la ratification du traité généreux et ambitieux signé entre la France et l’Afghanistan le 27 janvier dernier. §
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP s’associe à l’hommage que M. le président Carrère et M. le ministre ont rendu à notre ancien collègue Jean François-Poncet. Sa personnalité particulièrement attachante, son immense courtoisie, sa très grande largeur d’esprit ont été rappelées. Nous sommes nombreux ici à avoir bénéficié de son expérience d’ancien ministre et de grand commis de l’État, de ses analyses toujours pertinentes et exigeantes, notamment au sein de la commission des affaires étrangères. Nous conserverons tous le souvenir de ce grand parlementaire, qui aura donné une très belle image de la Haute Assemblée.
Le Gouvernement a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de la première session législative de la nouvelle mandature l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan signé le 27 janvier dernier par le président Karzaï et le président Sarkozy. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette initiative, symbolique à plusieurs titres.
Elle illustre tout d’abord la continuité de l’État : la parole et la signature de la France sont respectées, au-delà des changements politiques que nous venons de connaître. J’y vois la marque d’un État démocratique.
Cette initiative est aussi une manifestation de réalisme. Il semble bien loin, le temps de la campagne électorale, quand nos amis de gauche n’avaient pas de mots assez durs pour qualifier la politique extérieure de la France sous le précédent quinquennat…
Sourires.
Force est de constater que le principe de réalité l’emporte aujourd’hui !
Loin d’abaisser la France sur la scène internationale, ce traité prouve, s’il en est encore besoin, que le président Sarkozy avait fait depuis longtemps l’exacte analyse de ce conflit.
Persuadé que la réponse militaire aux actions terroristes des talibans était certes nécessaire, mais insuffisante, l’ancien Président de la République a d’abord décidé d’anticiper à la fin de 2013 le retour de notre contingent. Mais il avait aussi voulu ce traité pour engager la France aux côtés de l’Afghanistan sur la voie du développement et de la paix. C’est en effet la seule réponse d’avenir pour que les populations reprennent en main leur destin et tournent enfin le dos à la pauvreté et à son corollaire, l’extrémisme.
Monsieur le ministre, vous demandez aujourd’hui au Parlement d’autoriser la ratification de ce traité : nous prenons acte de cette bonne décision et nous vous apporterons notre soutien.
En effet, nous entendons adopter aujourd’hui l’attitude qui est la nôtre au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense, dont je souhaite saluer le président, Jean-Louis Carrère, pour la qualité du travail que nous effectuons ensemble : celle d’une opposition responsable, fidèle à ses convictions et à ses engagements, mais qui saura aussi accompagner et soutenir le Gouvernement chaque fois qu’il défendra les intérêts supérieurs du pays et que ses projets iront dans la bonne direction.
Nous avons trop souvent subi, dans le passé, le spectacle affligeant d’une opposition de gauche enfermée dans ses propres certitudes
Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
… pour ne pas choisir aujourd’hui une autre voie, plus conforme aux intérêts de la France et à l’idée que nous nous faisons du débat parlementaire.
Mes chers collègues, ce traité mérite amplement d’être ratifié, car il apporte une réponse concrète, diverse et réaliste au formidable besoin de développement du peuple afghan.
La France n’a cessé, en quatre-vingt-dix ans, de renforcer ses relations amicales avec l’Afghanistan. La coopération mise en place a permis la création de lycées, le développement d’une action en faveur de l’archéologie ou encore un soutien humanitaire, mis en œuvre dès 1979. Durant toutes ces années, nous avons su mettre le savoir-faire français au service des populations afghanes.
Aujourd’hui, le développement de l’Afghanistan est un enjeu crucial pour l’avenir de la région et l’éradication des groupes d’islamistes radicaux. C’est en ce sens que la France souhaite accroître son engagement, par le biais de ce traité qui scelle notre coopération pour les vingt années à venir. Cet acte solennel établit ainsi les bases de nouvelles relations avec l’Afghanistan, afin que notre investissement dans cette région du monde particulièrement troublée perdure au-delà du retrait de nos troupes.
Par ce traité, la France s’engage aux côtés des forces gouvernementales dans une coopération bilatérale, notamment en matière d’agriculture, d’éducation, de lutte contre la drogue, de combat en faveur de la santé, mais aussi de gouvernance.
Même s’il est illusoire et vain de tenter d’imposer un système démocratique occidental à un pays de culture tribale et ancestrale très différente, notre effort doit néanmoins porter sur la gouvernance de cet État.
Qu’il s’agisse de la condition des femmes – M. le ministre a rappelé l’effroyable assassinat en public pour adultère d’une femme, le 11 juillet dernier – ou de l’accès de tous à l’éducation, nous désirons donner aux nouvelles autorités toute l’assise nécessaire pour faire assurer le respect de l’État de droit. Pour cela, le traité prévoit une collaboration accrue entre nos deux pays dans le domaine des institutions.
Toutefois, si ces buts sont louables, de nombreuses inquiétudes subsistent quant à la mise en œuvre de ce traité.
Le premier sujet d’inquiétude tient au coût financier de nos engagements. En effet, pour les cinq prochaines années, 308 millions d’euros de crédits d’aide civile au développement sont prévus à la suite de la conférence de Tokyo. C’est une somme considérable, monsieur le ministre : 50 millions d’euros par an pour un seul pays, alors que la France consacre en moyenne à chacun des quatorze pays les plus pauvres, cibles prioritaires de la coopération, à peine plus de 10 millions d’euros par an !
Au moment où les difficultés budgétaires ne cessent de s’accumuler, au point que le Gouvernement annonce ces jours-ci un vaste plan de rigueur concernant tous les Français, comment pourrez-vous tenir de tels engagements financiers ? Sachez que nous serons particulièrement attentifs à la réponse que vous nous apporterez sur ce point.
Notre deuxième sujet d’inquiétude a trait à la sécurité de nos militaires et de nos coopérants : l’État français a bien évidemment une responsabilité à cet égard.
Le nouveau Président de la République a décidé d’accélérer le retrait logistique de nos troupes : nous en prenons acte, mais nous craignons que ce retrait ne s’effectue dans la précipitation. Cette décision hâtive n’expose-t-elle pas nos troupes à des risques d’attentats et d’agressions, comme s’évertuent à le souligner de nombreux experts ?
Nous sommes également préoccupés par la sécurité des personnels dédiés à la coopération civile. Comme vous le savez, les groupes terroristes n’ont aucun scrupule à s’en prendre à la sécurité et à la vie des Français engagés dans les organisations non gouvernementales ; l’exemple du Sahel est, hélas, frappant à cet égard.
Certes, le traité leur garantit des immunités de juridiction et sécurise les conditions d’intervention de l’Agence française de développement, présente à Kaboul depuis des années : c’est une bonne chose, qui était attendue depuis longtemps. Cependant, les effectifs des troupes qui resteront sur place, avec des missions précises, seront-ils suffisants pour assurer leur sécurité ? Ce point continue de nous inquiéter.
Enfin, notre vigilance porte aussi sur l’efficacité de notre aide. Même si d’indéniables progrès ont été réalisés, principalement en matière d’infrastructures et de développement économique, l’Afghanistan reste frappé par la corruption, les rivalités idéologiques et le commerce institutionnalisé de la drogue, qui constituent autant d’obstacles au redressement durable et autonome de ce pays.
En particulier, nous craignons fortement la persistance d’infiltrations de rebelles talibans au sein des forces afghanes, d’autant qu’un retour des talibans au pouvoir favoriserait dans les pays voisins, notamment au Pakistan, la montée de l’islamisme radical.
Pour que notre aide soit efficace, votre action diplomatique, monsieur le ministre, devra donc privilégier l’implication des grandes puissances voisines – Pakistan, Iran, Chine et Russie –, sans le concours desquelles la paix ne reviendra pas.
De même, notre dispositif d’aide au développement se doit d’être le plus efficace possible. Malheureusement, la Cour des comptes vient de publier un rapport dans lequel elle dénonce l’éclatement de cette aide et un effet de saupoudrage. Dans le cas de l’Afghanistan, il semblerait même que nous atteignions des sommets d’irréalisme : on ajoute la dispersion à la pénurie pour achever de priver notre action de toute lisibilité.
En tant que rapporteurs pour avis des crédits de la mission « Aide au développement », Jean-Claude Peyronnet et moi-même insistons sur le fait qu’il faut impérativement rationaliser notre dispositif et évaluer de façon régulière les actions conduites si nous voulons être efficaces. Je tiens à saluer, à cet instant, l’action menée en ce sens par notre collègue Henri de Raincourt lorsqu’il était ministre de la coopération. Son successeur, Pascal Canfin, qui a eu l’élégance et la courtoisie de nous recevoir, nous a déclaré qu’il faisait de l’évaluation, de la transparence et de la lutte contre la corruption des priorités de la coopération internationale : l’Afghanistan est un terrain d’application tout trouvé pour cette politique, et nous l’aiderons bien évidemment à la mettre en œuvre.
Monsieur le ministre, le Gouvernement devra relever trois défis pour réussir à rendre ce traité utile et productif.
Le premier d’entre eux sera celui de la gouvernance : dans un pays où la corruption endémique empêche toute avancée, il y a fort à craindre que l’aide internationale ne se perde dans les sables mouvants du népotisme et de la concussion qui gangrènent tout l’appareil d’État. Aussi, monsieur le ministre, à quelles conditions comptez-vous soumettre l’octroi de notre aide ? Les élections doivent se tenir en 2014 et en 2015 : pensez-vous pouvoir influer sur l’action du gouvernement afghan pour que des réformes profondes favorisent la sincérité du scrutin et endiguent la corruption ?
Il nous faudra aussi faire émerger des activités économiques diversifiées. Il s’agit là de développer des activités de substitution à la culture du pavot. Je partage sur ce point l’analyse du président Carrère : il convient d’être optimistes face à ce défi, au demeurant fort difficile à relever si l’on considère que le chiffre d’affaires lié à cette production se situe, selon les instances internationales, entre 1 milliard et 4 milliards de dollars. Cela étant, M. Carrère a rappelé avec raison que les paysans afghans ne recueillaient qu’une faible part de ces sommes.
C’est à juste titre que l’on a fait du développement agricole du premier pays producteur d’opium et d’héroïne l’une des pierres angulaires du traité, afin de tenter d’assurer un revenu de substitution aux exploitants agricoles. Le traité retient toutes les bonnes options : mise en culture du coton, irrigation, mécanisation, électrification, élevage, enseignement agricole. Les jalons sont posés, saurons-nous les exploiter ? Nous aurons besoin de toute la compétence de nos coopérants pour y parvenir. Vous devrez savoir les soutenir, monsieur le ministre, et leur donner les moyens d’agir.
Un autre défi concerne l’amélioration des conditions de vie et la protection des libertés, qui devront être constantes durant ces vingt prochaines années, et bien au-delà.
S’agissant de l’accès aux soins, de l’accès à l’éducation, de la préservation du patrimoine architectural et culturel, le traité, là encore, ouvre la voie et trace la route. Les moyens suivront-ils ? Il ne faudrait pas que les grandes réalisations, comme l’hôpital pour la mère et l’enfant de Kaboul, cachent la triste réalité d’un délabrement des infrastructures sanitaires dans les campagnes. La situation des femmes et des enfants afghans sera notre critère pour mesurer les progrès accomplis.
Enfin, il est légitime d’espérer, avec un tel effort de coopération, que les entreprises françaises pourront accéder au marché de la reconstruction et du développement de l’Afghanistan. Trop souvent, hélas ! la France consent des efforts de coopération importants, mais se voit supplantée par bien d’autres pays lorsqu’il s’agit de bénéficier des fruits de la reconstruction. Il conviendra donc de préserver les intérêts de la France et ceux de nos entreprises. À cet égard, l’exemple d’Haïti est riche d’enseignements. Vous nous préciserez, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire en ce sens.
Mes chers collègues, le 27 janvier dernier, la France s’est solennellement engagée dans une nouvelle dynamique aux côtés du peuple afghan. Il revient désormais au nouveau gouvernement de donner une portée concrète aux promesses d’aide au développement contenues dans ce traité. Nous serons là pour vous accompagner dans un esprit constructif, monsieur le ministre, mais nous serons aussi, vous le comprendrez, particulièrement vigilants.
La France a apporté une contribution majeure à la lutte contre le terrorisme en Afghanistan : 3 500 de nos soldats y ont servi avec courage et abnégation ; surtout, quatre-vingt-sept d’entre eux y ont fait le sacrifice de leur vie, et nous leur rendons une nouvelle fois un hommage unanime. Ces sacrifices ne doivent pas rester vains : il faut que nos soldats, que les familles de nos disparus sachent que le prix immense qu’ils ont payé permettra un jour à l’Afghanistan de vivre en paix et dans la prospérité. Ce jour-là, ce jour-là seulement, le don de leur vie aura trouvé un sens !
Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur de nombreuses travées de l’UCR, du RDSE et du groupe socialiste.
Jean François-Poncet, homme d’État du plus haut niveau, était un ami. Au nom de notre groupe, je m’incline avec respect devant sa mémoire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à autoriser la ratification d’un traité d’amitié et coopération : l’amitié, magnifiée par la fraternité des armes, caractérise la longue tradition des relations franco-afghanes ; la coopération ne fut pas, jusqu’à présent, à la hauteur des besoins de l’Afghanistan, le sera-t-elle désormais ?
Lorsqu’on aborde le sujet de l’Afghanistan, on éprouve une certaine gêne et le sentiment d’un immense gâchis. Nous avons fêté le dernier 14 juillet dans la Kapisa ; nous allons partir avec la blessure d’un échec douloureux, alors que quatre-vingt-sept de nos soldats ont donné leur vie pour combattre un mouvement terroriste et lutter pour les droits de l’homme : à mon tour, je leur rends hommage.
Nous allons partir ; il n’y avait sans doute pas d’autre voie. En dépit de l’effort militaire considérable réalisé, l’Afghanistan risque de devenir la base terroriste que veulent constituer les talibans, avatars d’Al-Qaïda. Vous me semblez optimiste, monsieur le ministre, lorsque vous nous dites que cette organisation a été éradiquée. Chez le commandant Massoud, un prisonnier, chef taleb, m’affirmait leur volonté de transformer les États d’Asie centrale en émirats. Dès l’annonce du retrait, les prémices de ce djihad se sont manifestées par des attentats suicides au Kazakhstan, pays où se côtoient paisiblement toutes les religions et des dizaines de nationalités. Pour que cette paix perdure, il est essentiel d’intensifier considérablement la coopération militaire avec les pays d’Asie centrale.
Craignons les métastases du fondamentalisme, craignons la gangrène de la corruption, craignons les trafics de drogues dans cette région cruciale pour la paix et la sécurité, trait d’union entre l’Asie et l’Europe, au sous-sol riche de puissantes réserves d’hydrocarbures et de minéraux.
Nos standards occidentaux ne peuvent être imposés. Nous avons pu constater les conséquences très négatives de l’affirmation de cette volonté. L’arrogance et la condescendance occidentales ont profondément blessé le peuple afghan. Certains ont osé assimiler à une croisade notre action contre le terrorisme. Notre présence militaire a été perçue comme une force d’occupation et a rapproché les nationalistes des talibans.
Pourtant, se résigner au pessimisme est stérile, et si onze années de présence internationale ne peuvent se conclure par la prophétie du grand poète afghan Sayd Bahodine Majrouh selon laquelle « demain sera l’enfer comparé à aujourd’hui », nous devons néanmoins prendre garde. Espérons et agissons pour que la coopération internationale, régionale et bilatérale, en effervescence depuis le lancement du processus d’Istanbul en novembre dernier, contribue à changer le contexte.
C’est le sens de ce traité, qui vise à mettre en place une véritable coopération civile avec l’Afghanistan, au moment de la transition. Il dépoussière nos liens bilatéraux, mais ne répétons pas les erreurs passées, apportons les services de base, l’eau, l’électricité, province après province, village après village, internet aussi, pour que les jeunes Afghans intègrent pleinement la jeunesse mondiale. Ces actions coûteront beaucoup moins cher que la guerre et les résultats en seront infiniment meilleurs. Mais surtout, contrôlons de près l’utilisation des fonds. J’ai vu des ONG construire à des coûts dix fois moins élevés que d’autres les mêmes habitations. Ce gâchis a exaspéré les populations. Éradiquons la culture du pavot en lui substituant des cultures subventionnées, pour tarir le trésor des chefs de guerre.
Pourquoi un « traité d’amitié et de coopération », alors que l’Allemagne, les États-Unis, l’Australie et la Turquie ont signé avec l’Afghanistan des partenariats stratégiques ? M. le ministre délégué chargé du développement s’est rendu à Kaboul en juin. Quelle est l’implication réelle de notre pays dans le processus d’Istanbul ? Y aura-t-il un nouveau représentant spécial pour l’Afghanistan ? Pour renforcer notre présence, nous avons besoin d’alliances régionales, et nous devons prendre enfin conscience de la réalité très forte d’un monde indo-persan. Dans cet esprit, le processus d’Istanbul, la conférence de Kaboul « Cœur de l’Asie », en juin dernier, la conférence de Tokyo sur l’Afghanistan, il y a dix jours, mettent en place une collaboration nouvelle et étroite entre l’Afghanistan et l’ensemble des autres pays de la région. C’est indispensable, car c’est la seule voie efficace.
Les sept mesures de confiance sont pilotées chacune par un État de la région. Ainsi, le Pakistan et le Kazakhstan coordonnent la gestion des catastrophes, les Émirats arabes unis organisent la lutte contre le terrorisme, la Russie et l’Azerbaïdjan mènent le combat contre la drogue, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan articulent les infrastructures régionales, l’Inde met en place les plans commerciaux, l’Iran prend en charge l’éducation.
L’Iran est incontournable. Aucune solution n’est possible sans lui. N’oublions pas que beaucoup de pays de la région ont de bonnes relations avec lui. N’oublions pas que l’Iran et l’Afghanistan n’ont formé qu’un seul pays. L’Iran fera tout pour éviter la constitution d’un bastion salafiste sur son flanc est. Nous avons là un intérêt majeur en commun avec lui. Les ennemis de nos ennemis peuvent dès maintenant devenir non pas encore des amis, mais du moins des partenaires. C’est là une occasion unique de réintégrer l’Iran dans la coopération internationale. Il serait irresponsable de ne pas la saisir pour faire participer ce pays au processus de paix au Moyen-Orient, région où il joue un rôle capital. Ce serait une faute grave. J’ajouterai qu’une intervention d’Israël contre l’Iran serait très lourde de conséquences ; elle provoquerait l’embrasement général des peuples musulmans contre l’Occident, assimilé à un allié d’Israël.
L’Inde est un autre pays essentiel. Elle appuiera tout gouvernement qui luttera contre le fondamentalisme islamiste, mais, pour que cet appui ne soit pas qu’un moyen de contrer le Pakistan et pour amener ce dernier à lutter ouvertement contre les talibans, il faut que la communauté internationale incite l’Inde à trouver une solution plus équilibrée au Cachemire.
Les pays d’Asie centrale, je le répète, sont très inquiets. Ils doivent contenir les mouvements islamistes qui commencent à les ébranler par des attentats terroristes. Le Tadjikistan a connu une guerre civile entre islamistes et anciens communistes dans les années quatre-vingt-dix. L’Ouzbékistan, pays le plus peuplé, compte deux partis islamistes : le Hizb ut-Tahir, basé à Londres, et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, qui prône l’établissement du califat et la lutte armée. Ce pays partage avec ses voisins le Kirghizstan et le Tadjikistan la vallée du Ferghana, plaque tournante de nombreux trafics et poudrière islamiste. Une coopération militaire très étroite avec chaque État de la région est, je le répète, absolument indispensable. J’invite M. le ministre de la défense à s’y rendre dès que possible et souvent, car il ne pourra créer la confiance qu’en démontrant l’intérêt de la France pour ces territoires par une présence renouvelée et en développant des relations personnelles avec ses homologues. De même, une coordination étroite avec la diplomatie russe, qui connaît l’Afghanistan depuis des siècles, pacifiquement ou militairement, doit être instaurée.
Mettons en place la coopération étroite prévue par ce traité. Malgré celui-ci, le retrait apparaîtra comme une victoire des salafistes, une revanche d’Al-Qaïda sur le monde occidental chrétien, et sera exploité comme telle. Son incidence sur l’ensemble du monde musulman, sur les grands équilibres régionaux, en particulier au Moyen-Orient, va vraisemblablement perturber fortement une zone stratégique déjà très instable. Je serais heureux de connaître les actions diplomatiques que vous entendez mener pour éviter que ce qui est notre échec soit exploité comme un triomphe par nos adversaires.
Le moment est venu, pour les Afghans, de prendre leur destin en main. On l’espérait, on l’attendait et on le redoutait à la fois. La conférence de Tokyo du 8 juillet a promis des fonds internationaux, à hauteur de 16 milliards de dollars d’ici à 2015 : c’est considérable ! Pourront-ils vraiment être utilisés par ce pays ?
L’Afghanistan est défini comme un « pont terrestre », un « rond-point » de l’Asie. Les États-Unis ont élaboré leur vision de la nouvelle Route de la soie en juillet 2011 ; l’Afghanistan en est le cœur. Soyons tous convaincus que la stabilité de la région est liée à celle de l’Afghanistan.
Le Président de la République a dit avec beaucoup de justesse et d’émotion à nos soldats que « dans chaque ligne de notre traité d’amitié avec l’Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers chaque enfant qui apprendra notre langue […], il subsistera quelque chose de votre courage, quelque chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés au combat ».
Il nous revient d’être aux côtés de nos amis Afghans, avec les mots du Voyageur de minuit de Majrouh : « Vigilance, Amis : ce chemin qui existe à peine, qui peut-être n’existe pas, est le bon et le seul, celui de la liberté. Prenez-le. » Le groupe UCR votera ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UCR, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur et président de la commission, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan.
Ce traité est l’aboutissement d’un processus relativement rapide, qui a débuté à l’occasion du déplacement du Président Sarkozy à Kaboul le 12 juillet 2011. Un projet de traité a été présenté par le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes à son homologue afghan lors de sa visite à Paris, le 26 octobre dernier. Les négociations n’ont rencontré aucune difficulté majeure et ont permis d’aboutir à un accord sur l’ensemble du texte le 3 janvier 2012.
Le traité a donc été signé le 27 janvier 2012 par nos deux pays. Le programme de coopération quinquennal qui le complète a été paraphé le jour même par les ambassadeurs de France et d’Afghanistan. Ce nouveau traité vise ainsi à rationaliser le cadre juridique de l’ensemble des relations franco-afghanes, en regroupant au sein d’un seul instrument les différents volets de notre coopération.
Aux termes de l’article 13, son entrée en vigueur entraînera l’abrogation de l’accord de coopération culturelle et technique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan du 21 août 1966, qui constituait jusqu’à présent l’épine dorsale de la coopération entre les deux pays.
La France, présente sur le théâtre des opérations afghan depuis 2001, entend dorénavant modifier la nature de son engagement, parallèlement au retrait progressif de ses forces combattantes. Ce traité marque donc le passage d’une vision principalement axée sur une démarche militaire à une conception beaucoup plus marquée par une approche civile.
L’Afghanistan s’efforce désormais de s’inscrire dans une certaine normalité au regard de la vie internationale. En témoigne notamment la conclusion de partenariats avec d’autres États, en particulier avec l’Inde, en octobre 2011, un partenariat avec les États-Unis étant actuellement en préparation.
Ce pays tente de se relever d’une situation sécuritaire particulièrement chaotique depuis l’intervention soviétique de 1979. Sa stabilité intérieure reste plus que jamais un sujet de préoccupation.
Carrefour de l’Asie, l’Afghanistan a entretenu, tout au long de son histoire tumultueuse, des rapports tourmentés avec le monde extérieur, puisqu’il a connu à maintes reprises la présence de forces étrangères sur son sol, qu’il s’agisse des Britanniques entre 1840 et 1919, des soviétiques de 1979 à 1989 ou, depuis 2001, de la coalition internationale formée par quarante-neuf pays, dont la France.
La mise en place et la pérennisation d’un État de droit représentent ainsi les défis majeurs que l’Afghanistan doit relever. En effet, la viabilité d’un pays dépend avant tout de la robustesse de ses institutions.
Dans cette optique, le traité d’amitié et de coopération, comme le prévoit son article 1er, est sous-tendu par un double objectif : perpétuer les liens d’amitié, de paix et de solidarité qui unissent les deux pays ; établir des programmes quinquennaux de coopération dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la démocratie, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, de l’archéologie, de la culture, des infrastructures, des ressources minières et de la formation des cadres civils.
Composé de treize articles, ce traité tend à couvrir les domaines administratifs, sécuritaires, économiques, sociaux et financiers.
L’article 2 prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes : une commission pour le suivi des programmes de coopération, une commission politico-militaire et une commission de sécurité intérieure.
L’article 3 traite du volet purement « défense et sécurité » de la coopération.
L’article 4 porte sur la coopération agricole et le développement du monde rural.
L’article 5 a trait au volet sanitaire de la coopération, visant notamment à réduire les taux de mortalité maternelle et infantile et à améliorer l’accès aux soins.
Les articles 6 et 7 traitent de la coopération en matière d’éducation, d’enseignement supérieur et d’échanges culturels, avec l’objectif de protéger et de mettre en valeur le patrimoine archéologique, historique et artistique de l’Afghanistan.
L’article 8 développe le thème de la gouvernance démocratique, en insistant en particulier sur la protection des droits des femmes et l’accès de celles-ci à la justice.
Les articles 9 et 10 portent sur le développement des infrastructures afghanes et sur les questions économiques, financières et commerciales.
Quant aux trois derniers articles, ils sont surtout d’ordre administratif.
L’article 11 traite des dispositions fiscales relatives aux institutions et personnels français qui participent à la relation bilatérale.
L’article 12 aborde notamment les questions d’immunité relatives au personnel coopérant français.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 13 prévoit que l’entrée en vigueur du traité abrogera les instruments juridiques ayant précédemment existé, c’est-à-dire l’accord de coopération culturelle et technique du 21 août 1966 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan, ainsi que ses annexes.
En tant qu’écologiste, je me félicite de l’inflexion vers une coopération clairement civile qu’apporte ce traité.
En effet, l’établissement et le développement d’un État de droit légitime et efficace sont les conditions indispensables à l’épanouissement d’une société civile apaisée en Afghanistan. Une réponse purement militaire ne peut être viable à long terme si l’on souhaite voir naître un Afghanistan plus démocratique et plus sûr.
En revanche, je note l’absence d’un volet environnemental dans ce traité. Je trouve ce fait fort dommageable, compte tenu des dégâts écologiques causés par les conflits successifs en Afghanistan. Ce point est souvent omis, ignoré, pourtant le colloque « guerre et environnement » organisé au Sénat le 6 mars 2008 a permis de rappeler que près de 95 % des forêts d’Afghanistan avaient été détruites au cours de décennies de conflits.
Dès 2003, un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement sur les conséquences des conflits en matière environnementale et sanitaire, réalisé en collaboration avec les autorités afghanes, soulignait que le pays était au bord d’un véritable désastre environnemental, constituant un frein important à sa reconstruction.
Le rapport d’évaluation avait été élaboré par une vingtaine de scientifiques afghans et internationaux ayant examiné trente-huit sites urbains répartis dans quatre villes et trente-cinq sites ruraux. Le tableau alors dressé se révéla extrêmement préoccupant. Les phénomènes de déforestation et de désertification ont été aggravés par une pollution désastreuse : décharges toxiques, réseaux d’égouts dévastés, raffineries et usines ne respectant nullement les normes.
En outre, des tests effectués sur l’eau potable révélèrent de très fortes concentrations en bactéries provenant du réseau d’égouts et constituant une menace importante pour la santé publique, les enfants étant notamment susceptibles de contracter le choléra.
Les différentes investigations menées par le Programme des Nations unies pour l’environnement avaient permis de constater l’état de délabrement des installations, les pollutions engendrées, le manque de maintenance, de moyens et de compétences dans le secteur industriel, lequel présente ainsi des risques pour les populations et les enfants qui y travaillent sans protections.
M. Toepfer, alors directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, souligna qu’il était évident qu’une grande partie des efforts en vue de la reconstruction du pays devraient passer par une restauration de l’environnement. Il rappela que plus de 80% des Afghans vivaient en zones urbaines et qu’ils avaient vu leurs ressources vitales – eau pour l’irrigation, bois pour le chauffage et le carburant – perdues en seulement une génération.
Il faut impérativement comprendre que les questions de sécurité et de préservation de l’environnement sont intimement liées.
À ce titre, l’évaluation de l’environnement rural révéla d’importantes pertes de surfaces boisées dans la plupart des régions du pays durant les trente dernières années. Cela est dû à l’économie mise en place sous les talibans, qui exportaient leur bois principalement vers le Pakistan, mais aussi, naturellement, aux conflits, qui incitaient les militaires à déboiser des zones pouvant servir de camps retranchés et favorables aux embuscades.
Aussi le Programme des Nations unies pour l’environnement a-t-il formulé 163 recommandations pour renforcer la législation sur l’environnement, créer des emplois, reconstruire les infrastructures, évaluer les effets des pollutions, améliorer la qualité de l’eau, de l’air, des sols, établir des zones protégées, reboiser, lutter contre la désertification, permettre l’accès aux ressources vitales, redévelopper l’agriculture…
La problématique environnementale n’est donc pas accessoire. Elle revêt même une dimension stratégique essentielle, en particulier dans le cas de l’Afghanistan moderne.
Dans cette perspective, il aurait été pertinent, selon nous, d’ajouter un quatorzième article destiné à définir de manière précise une coopération environnementale entre la France et l’Afghanistan, passant par un renforcement des liens entre les institutions compétentes, ainsi que par la mise en place de formations spécifiques pour les futurs cadres de la société afghane.
En outre, l’article 2 du traité aurait pu être enrichi par la création d’une quatrième commission mixte autonome appelée à traiter exclusivement des questions environnementales.
À défaut de prendre en compte tous ces éléments dans le traité lui-même, le Gouvernement pourrait peut-être les inclure dans les programmes de coopération et de développement qui y seront attachés dans le futur, dont un axe fort pourrait justement être l’action dans les domaines de l’environnement et de la soutenabilité.
Voyez-vous, mes chers collègues, le cas afghan est emblématique des conséquences dramatiques des conflits armés sur l’environnement. Il est essentiel de comprendre que la paix et le développement durable sont intrinsèquement associés.
Ces observations étant faites, je pense que ce traité constitue malgré tout une avancée pour le développement de l’Afghanistan, eu égard à son approche à dominante civile et aux multiples programmes de coopération qu’il recouvre.
Le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan va donc dans la bonne direction. En conséquence, le groupe écologiste le votera. §
Dans un ouvrage savant, le philosophe Paul Ricœur a longuement exploré les relations complexes entre la mémoire, l’histoire et l’oubli. Je n’ai pas la prétention de me comparer à lui, loin de là, mais j’ai de la mémoire. Je connais un peu l’histoire et, surtout, je n’oublie pas !
C’est ainsi, mes chers collègues, que, jusqu’à il y a peu, évoquer ici même la nécessité d’une transition en Afghanistan, d’un changement de stratégie, de l’établissement d’un calendrier de retrait et de l’organisation d’une issue politique viable suscitait critiques, blâmes et parfois même réprimandes…
En 2009, sous l’autorité de M. de Rohan, alors président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’avais participé, avec notre collègue Jean-Pierre Chevènement, à la rédaction d’un rapport, jugé excellent, consécutif à la mission de ladite commission qui s’était rendue, du 22 septembre au 1er octobre 2009, en Inde, en Afghanistan et au Pakistan.
Nous partagions alors la même analyse de la situation régionale et afghane, mais, au moment de présenter les conclusions, j’avais exprimé une position quelque peu différente de celle qui était exposée dans le rapport. Jean-Pierre Chevènement avait d’ailleurs fait de même.
Si ma mémoire est bonne, ce que je disais à l’époque peut éclairer utilement notre débat d’aujourd'hui : « Le problème politique urgent est la gouvernance ; le vide politico-administratif génère de l’insécurité et favorise l’action aussi bien des talibans que des seigneurs de guerre locaux. On aura beau former une armée afghane nombreuse, celle-ci ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inefficace et impopulaire. […]
« Nous savons que les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l’éradication du terrorisme, la construction d’un État partie prenante de la communauté des nations, ne sont pas en voie de réussite. »
En effet, l’impasse militaire est patente ! Pendant la campagne pour l’élection présidentielle, François Hollande s’était engagé à retirer d’Afghanistan nos troupes combattantes avant la fin de 2012. L’engagement sera tenu, avec l’accord des Afghans et de la coalition, et dans la recherche du maximum de sécurité.
Mais notre retrait militaire ne signifiera nullement un désengagement ; au contraire, le traité qui nous est soumis aujourd’hui aborde justement l’aspect civil du nouveau cours donné à notre engagement : il s’agit d’aides en matière de santé, d’éducation, d’agriculture, d’archéologie, d’échanges culturels, d’infrastructures et aussi, il ne faut pas sous-estimer ce point, de formation à la sécurité.
Nous savons maintenant que notre coopération sera concentrée sur la région de Kaboul. Il me semble indispensable qu’elle soit soumise à plusieurs conditions, dont le respect devra être vérifié chaque année : progrès de la gouvernance, élections démocratiques, lutte effective contre la corruption, respect des droits des femmes.
Nous ne devons pas dissimuler les grandes difficultés de la tâche à accomplir. Mais si cet effort peut contribuer à la pacification du pays, alors le jeu en vaut la chandelle !
Que l’on me permette d’aborder une facette de ce dossier que l’histoire éclaire particulièrement bien.
Au XIXe siècle et tout au long d’une grande partie du XXe siècle, l’Afghanistan a été la proie de puissances alors mondiales : les Britanniques et les Russes, activant des alliés régionaux et des alliances autochtones, ont fait de l’Afghanistan une terre de conflits ouverte à toutes les ambitions guerrières, mais rétive à la conquête.
Situé au carrefour de l’Asie centrale, du sous-continent indien et du Moyen-Orient, l’Afghanistan a donc été, au cours de l’histoire, le point de passage de nombreuses invasions et, jusqu’à aujourd’hui encore, le théâtre de rivalités internationales. Tout cela a débouché, à la fin du XXe siècle, sur des guerres civiles, l’accession des talibans au pouvoir, une collusion tragique avec Al-Qaïda…
N’oublions pas le rôle joué alors par les voisins de l’Afghanistan, toujours prompts à tirer parti des difficultés de ce pays, jamais trop loin pour attiser les conflits. Il nous faudra, dans la période qui s’ouvre en 2012, prêter une extrême attention à l’attitude des pays riverains.
Le contexte sécuritaire régional nous inquiète. Dans le rapport que j’ai évoqué au début de mon intervention, il était indiqué que « la stabilisation et la paix en Afghanistan supposent une régionalisation qui implique politiquement, économiquement et diplomatiquement l’ensemble des voisins, et en particulier l’Inde, la Chine, le Pakistan et l’Iran ».
C’était vrai hier, c’est encore plus vrai aujourd’hui, d’abord parce que nous aurons besoin, nous Français, mais aussi tous les pays membres de la coalition présente en Afghanistan, de la participation, d’une manière ou d’une autre, des grands voisins pour effectuer un retrait ordonné et sécurisé, ensuite parce que l’avenir de ce pays, et aussi la tranquillité de sa population, dépendent en très grande partie du bon vouloir des États voisins. Il n’y aura pas de stabilité en Afghanistan sans une pleine implication de ses puissants voisins. Ne nous réfugions pas dans un déni diplomatique : sans ses bases arrière au Pakistan, le mouvement terroriste aurait été, depuis 2001, plus aisément combattu !
Au fil de notre engagement, nous avons été incités à raisonner, et parfois même à agir, à la suite des États-Unis, en termes de « zone AFPAK », c’est-à-dire Afghanistan-Pakistan. Cette extension objective du terrain de la lutte contre le terrorisme a produit aussi des effets négatifs sur le voisin pakistanais.
Il y a quelques années, le Pakistan était crédité d’une démocratie faible mais réelle, disposant des structures d’un véritable État et d’une armée structurée, puissante et solide. Aujourd’hui, on peut craindre un affaiblissement global et durable de cet État, qui – faut-il le rappeler ? – dispose de la force nucléaire.
L’antagonisme entre l’Inde et le Pakistan semble avoir diminué quelque peu. Toutefois, sans un règlement adéquat de la question du Cachemire, le conflit peut à nouveau éclater. Or notre rapport le disait déjà : « L’engagement total du Pakistan contre le terrorisme suppose une coopération avec l’Afghanistan et une baisse des tensions avec l’Inde. » Nous ne sommes pas encore au bout du processus.
Il est vrai qu’une clé de la question afghane se trouve au Pakistan.
L’Iran est un autre grand voisin de l’Afghanistan. Il semble établir avec Kaboul une relation apaisée et pragmatique, tout en gardant sur l’est de l’Afghanistan une influence certaine. J’en veux pour preuve le développement de leurs échanges économiques, leur intérêt pour la lutte contre le trafic de drogue et leur vigilance face au devenir de l’importante minorité chiite afghane. Cependant, étant donné les positions de Téhéran sur le dossier nucléaire militaire, son aptitude à participer à une concertation internationale sur l’Afghanistan se trouve amoindrie.
L’Inde, de son côté, a gardé d’étroites relations avec l’Afghanistan, sans oublier en arrière-plan sa rivalité avec le voisin pakistanais.
L’Inde apporte à Kaboul une aide importante et diversifiée. Le 4 octobre 2011, les deux pays ont signé un accord de partenariat stratégique. New Delhi s’est aussi rapidement positionné pour réaliser certains investissements dans le secteur minier et a obtenu, en 2011, le contrat d’exploitation des mines de fer de Hajigak, important gisement à 130 kilomètres à l’ouest de Kaboul.
L’Inde constitue incontestablement une autre clé pour faire avancer le processus de paix en Afghanistan.
N’oublions pas la Chine, qui garde une certaine distance par rapport à un engagement plus direct dans l’œuvre de stabilisation de l’Afghanistan et de sa région. Les Chinois sont toutefois désireux d’accroître leur présence économique. Le colossal investissement dans les mines de cuivre en est la preuve. Il faudrait que cela trouve un prolongement dans un engagement pour la stabilité du pays.
Il y a aussi la Russie et les pays d’Asie centrale, qui entretiennent des relations parfois tendues, parfois distantes, avec Kaboul, tout en partageant des préoccupations communes. Il ne faut pas non plus négliger le fait que le nord de l’Afghanistan est peuplé de turcophones – Ouzbeks, Turkmènes –, qui représentent environ 12 % de la population afghane.
Le temps imparti m’empêche de poursuivre ce tour d’horizon, destiné à relever une évidence et à soulever une question. Je vais donc conclure par deux points.
Premièrement, il est évident que tous les voisins de l’Afghanistan ont aujourd’hui un intérêt objectif à sa stabilité, sa pacification et même son développement. Toutefois, en matière de concertation régionale, les efforts apparaissent désordonnés, dispersés, manquant de volonté politique. Ainsi, les quelque 80 nations et organisations réunies récemment à Tokyo ont accordé une aide de 16 milliards de dollars à l’Afghanistan, afin d’aider à mettre le pays sur les rails de sa « décennie de la transformation », prévue de 2015 à 2024. Or, si cette aide ne s’imbrique pas dans une action régionale menée avec la participation active des voisins de l’Afghanistan, elle ne sera pas efficace et ne réussira pas.
Si la France a reconnu l’importance de cette imbrication régionale, d’autres partenaires ne semblent pas prêts, à ce jour, à la suivre et préfèrent faire cavalier seul.
Deuxièmement, l’accord sur les relations de bon voisinage, signé à Kaboul le 22 décembre 2002 entre l’Afghanistan et les six pays limitrophes, destiné à favoriser des relations de confiance dans cette région, semble à bout de souffle. Est-il possible, madame la ministre déléguée, d’envisager une prochaine réunion de haut niveau entre l’Afghanistan et ses voisins afin d’examiner les moyens d’accroître la coopération régionale et de renforcer ainsi les chances d’obtenir l’équilibre nécessaire pour passer de la phase militaire à la période de reconstruction ?
La France, avec le traité qui nous est soumis aujourd’hui, cherche justement à conforter – avec ses moyens – son engagement auprès du peuple afghan. Le groupe socialiste va donc adopter ce traité d’amitié et de coopération, en souhaitant qu’il serve d’exemple.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le traité qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui marque une étape de plus – décisive, espérons-le ! – dans le long historique des relations diplomatiques franco-afghanes.
Voilà déjà quatre-vingt-dix ans, la délégation archéologique française en Afghanistan était créée, posant ainsi les bases d’une riche coopération culturelle. En 1923, le premier lycée francophone, connu aujourd’hui sous le nom d’Esteqlal, voyait le jour. Le 21 août 1966, un accord de coopération culturelle et technique était signé entre nos deux pays. Mais jamais n’avions-nous encore été unis par un traité. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers traités signés par l’Afghanistan avec un pays en dehors de sa région.
D’emblée, je veux souligner que, au-delà des relations franco-afghanes, c’est aussi, de façon plus générale, la stabilisation de l’Afghanistan qui est ici en jeu. En effet, voilà près de onze ans, les États-Unis et leurs alliés, dont la France, attaquaient le régime taliban pour mettre fin à son soutien affiché aux actions terroristes d’Al-Qaïda. Une guerre longue, trop longue, s’est ensuivie, qui a endeuillé des milliers de familles afghanes et qui a aussi coûté la vie à quatre-vingt-sept de nos soldats. Je veux ici, après d’autres, et je sais que l’ensemble des personnes présentes se joindront à moi, rendre hommage à ces disparus et saluer leur engagement au service de la France et de la paix.
On le sait, en Afghanistan, la guerre n’a pas encore cessé. Toutes ces années de conflit, ainsi qu’une instabilité chronique depuis l’invasion soviétique de 1979, ont mis le pays dans une situation humaine, économique et politique difficile. Aujourd’hui, nous l’espérons, l’heure de la stabilisation est venue.
Le traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan a été évoqué pour la première fois entre les présidents Hamid Karzaï et Nicolas Sarkozy à l’été 2011, à l’occasion d’un déplacement de ce dernier à Kaboul. Il a été signé le 27 janvier dernier, alors que M. Karzaï était à Paris. Depuis lors, le Président de la République, François Hollande, a effectué, à son tour, une visite en Afghanistan, quelques jours seulement après son investiture. Reste donc aujourd’hui aux parlements français et afghan à donner leur accord sur ce texte.
Du côté afghan, les réactions ont été immédiatement très positives lorsque le projet de traité a été présenté. Je pense que, pour notre part, nous pouvons également le considérer avec bienveillance. Je soulignerai qu’il s’agit d’un texte incontournable si l’on veut engager efficacement l’après-2012 pour la France en Afghanistan. Le temps de la présence militaire est révolu. C’est dans le domaine civil que nous aurons désormais un rôle à jouer.
Mais agir sur le civil ne signifie pas ignorer le militaire, la sécurité des Afghans et des Français. Ainsi, dès les premières lignes du traité, il est rappelé que la France « poursuit son appui à la formation et à l’efficacité des forces de sécurité afghanes ». Il s’agit non seulement de donner les moyens aux forces afghanes d’assurer la sécurité dans leur pays, mais aussi de prévenir toute menace qui pourrait viser les intérêts français. Nous aiderons l’Afghanistan – en tant que rapporteur pour avis du budget de la gendarmerie, j’y suis particulièrement sensible – à créer une gendarmerie nationale.
La volonté d’agir et de bien faire est indéniable, mais, seule, elle ne suffira pas. Il faudra aussi que les personnels formés soient en mesure de repérer et de circonscrire ces menaces, ce dont nous n’avons pas l’assurance pour le moment. Je m’inquiète notamment de la faible cohésion qui semble régner au sein des armées ainsi que du niveau des salaires, qui favorise la corruption. Je m’inquiète également de la pénétration, dans les forces de sécurité, d’éléments favorables aux talibans, qui ont d’ailleurs causé des pertes à nos forces armées. Kaboul même est touché par des attentats. Certaines provinces sont toujours tenues par les seigneurs de la guerre et n’attendent peut-être que le départ des forces, qu’ils considèrent comme des forces d’occupation, pour se déployer dans tout le pays et ruiner les espoirs de paix et de démocratie que nous nourrissons.
Dès lors, nombreux sont ceux qui peuvent douter de l’avenir de ce pays, l’un des plus pauvres de la terre, comme l’ont rappelé certains orateurs, en raison de ce que je viens de dire, de la poursuite de la culture du pavot, qui alimente les trafics de stupéfiants et les réseaux mafieux partout dans le monde, de la faiblesse du pouvoir actuel, de l’instabilité régionale, ou bien encore de la crise économique et sociale dans notre pays.
Bref, pour beaucoup, le scepticisme est grand. Comment croire que l’on pourrait obtenir par des conventions ou des traités ce que l’on n’a pu que partiellement réussir avec des soldats dans le cadre de la FIAS ? Quel avenir pour un traité d’amitié, dès lors que le pays serait à nouveau dirigé par des forces intégristes et obscurantistes ? J’entends même certains s’émouvoir du coût d’un tel traité dans le contexte social de notre pays et plaider pour un repli sur soi, pour une forme de résignation, voire de renoncement.
Mais a-t-on le droit d’abandonner l’espoir ? A-t-on le droit d’abdiquer face au risque ? Ne rien faire serait, à mon sens, hautement coupable. Ce traité d’amitié, au-delà du volet sécurité, pose des conditions qui ont à voir avec l’humanité et la dignité.
Faut-il injurier l’avenir d’un pays pauvre, pourtant si riche de ressources culturelles et aux richesses minières prometteuses ? Faut-il laisser ce pays livré à lui-même après le départ de nos troupes, sans soutenir ni aider celles et ceux qui portent des idées de progrès, d’émancipation et de liberté ? Je pense le contraire. Je crois à l’effet des liens tissés par ce traité d’amitié, à l’espoir qu’il peut susciter pour de nombreux Afghans. C’est pourquoi, ne voulant récolter ni la honte ni le déshonneur, mes collègues du groupe socialiste et moi-même voterons en faveur de ce traité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, à Tokyo, il y a dix jours, la communauté internationale s’est engagée à fournir près de 4 milliards de dollars d’aide annuelle à l’Afghanistan. De conférence en conférence, depuis dix ans, ce sont déjà 57 milliards de dollars qui ont été fléchés. L’aide internationale représente, chaque année, l’équivalent du PIB légal.
À qui cette aide massive va-t-elle profiter ? Les besoins sont incommensurables, dans un pays où 80 % de la population est analphabète, où l’espérance de vie ne dépasse pas quarante-quatre ans, où un enfant sur quatre meurt avant cinq ans, où neuf femmes sur dix accouchent sans assistance médicale. Dans ce pays dévasté par trois décennies de guerre, la moitié des terres cultivées est retournée à l’état de jachère et est infestée par dix millions de mines. Dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde, avec un tiers des habitants sous le seuil de pauvreté, les enfants qui ont la chance d’être scolarisés ne passent pas plus de deux heures par jour à l’école.
Au fond, la question qui se pose est assez simple : alors que le retrait programmé des troupes de la coalition laisse entrevoir un vertigineux trou d’air pour une économie déjà exsangue, pourrons-nous transformer l’aide civile en croissance économique, les subventions en activité pérenne, notre coopération en un réel développement, stable et durable ? L’enjeu peut se résumer en une phrase : le traité pourra-t-il remplir son objectif ?
Vous l’aurez compris, c’est à un questionnement, ferme mais constructif, que je vous invite aujourd’hui.
Qu’observe-t-on ?
Premièrement, penchons-nous sur la gouvernance et les institutions.
Dès 2009, dans leur rapport intitulé Afghanistan : quelle stratégie pour réussir ?, nos éminents collègues Didier Boulaud et Jean-Pierre Chevènement dressaient un constat sans complaisance et sans appel sur les déficits en matière de gouvernance et d’État de droit. Ils dénonçaient la tentation permanente d’un coup d’État rampant. Force est de constater que leur diagnostic, lucide, conserve toute sa pertinence.
Inutile de rappeler les fraudes et incidents qui ont émaillé, au terme d’un scrutin controversé, la réélection du Président Karzaï en novembre 2009, alors que son adversaire refusait de participer au second tour, au motif que les conditions d’un scrutin équitable n’étaient pas réunies. Les élections législatives de septembre 2010 n’ont pas été plus sincères. Après de nombreux recours et annulations, ce n’est qu’en janvier 2011 que la nouvelle assemblée a pu être inaugurée !
Les prochaines élections présidentielle et législatives doivent se tenir en 2014 et 2015. Or la Constitution interdit au Président Karzaï d’être candidat à un troisième mandat. Qu’adviendra-t-il alors ? L’empire profond des factions, des manœuvres et des byzantinismes prévaudra-t-il une fois encore ?
Pour obvier à de tels marchandages, la marge de manœuvre qui s’offre à la communauté internationale est très ténue. Alors, ne sommes-nous pas acculés à faire pression et à rappeler à nos amis afghans leur engagement pris à la conférence de Kaboul, en 2010, visant à élaborer une stratégie nationale pour la réforme électorale ?
Madame la ministre déléguée, comment la France peut-elle favoriser la mise en place – rapidement, si possible – d’une commission nationale chargée de préparer la réforme électorale, incluant des membres de l’opposition et de la société civile ?
Nous allons verser 300 millions d’euros sur cinq ans. Très bien, mais est-il inenvisageable de conditionner notre aide aux progrès en matière de gouvernance ou à la réelle utilité de notre investissement sur le terrain ?
En tout cas, ici, la coopération parlementaire, intensifiée depuis 2004, ne faiblira pas. Le Gouvernement peut compter sur nous tous, au Sénat, pour œuvrer à la construction d’un parlement afghan structuré, solide et fraternel.
Deuxièmement, a-t-on progressé sur le plan de la moralisation de la vie politique ?
L’ONG Transparency International classe toujours l’Afghanistan comme le deuxième pays le plus corrompu du monde. Certaines études chiffrent à 2, 5 milliards de dollars – soit un quart du PIB ! – le montant des pots-de-vin versés chaque année dans ce pays où, chacun le sait, la corruption imprègne, imbibe toutes les couches de la société, y compris les plus hautes sphères de l’oligarchie.
Des proches de la présidence ont été impliqués dans le scandale de la Kabul Bank. Plus de deux ans après, aucun actionnaire n’a réellement été inquiété. Pis, la récente attribution d’un contrat d’extraction de pétrole, d’un montant de 3 milliards de dollars, à deux hiérarques alliés à la famille présidentielle, condamnés pour fait de trafic de drogue aux États-Unis et emprisonnés dans les années quatre-vingt-dix, fait peser un doute sur la volonté d’éradiquer le fléau.
Naturellement, les insurgés s’emparent du thème pour souligner la perte de légitimité d’un pouvoir balkanisé prédateur pour son propre peuple. Par ailleurs, la corruption favorise, par entropie mécanique, le développement de la pieuvre mafieuse. Elle desquame la société de l’intérieur et désagrège la reconstruction.
Troisièmement, le trafic de drogue a-t-il reculé ?
L’Afghanistan serait aujourd’hui non seulement le premier pays producteur d’opium et d’héroïne, mais aussi, et c’est nouveau, de cannabis. Pour le seul opium, 123 000 hectares de culture feraient vivre 248 000 familles !
Le poids économique de l’héroïne – première activité du pays – a augmenté au cours de la période récente du fait de l’installation sur le territoire afghan de laboratoires de transformation, jusqu’ici situés dans les pays voisins.
Nous avons donc perdu pour le moment – je dis délibérément « nous » – le combat contre la drogue.
Il n’en faut pas moins saluer les dispositions du traité, qui prolonge et amplifie nos tentatives d’action pour le relèvement d’une agriculture jadis florissante, pour la culture du coton, pour l’irrigation, pour la pisciculture, pour l’équipement des campagnes, pour la création de lycées agricoles. La seule solution, même si c’est chaque matin le travail de Sisyphe, est de créer graduellement un revenu crédible de substitution.
Quatrièmement, où en sont les droits de l’homme et, singulièrement, le droit des femmes ?
M. Fabius l’a dit, l’exécution barbare, filmée par téléphone portable et postée sur internet, d’une femme soupçonnée d’adultère dans un village à une centaine de kilomètres de Kaboul, il y a dix jours, illustre la dramatique condition des femmes en Afghanistan.
Selon l’ONG Oxfam, 87 % des Afghanes auraient subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques, ou un mariage forcé.
Depuis les années soixante-dix, la situation des femmes n’a cessé de se détériorer. La période des talibans – la plus féroce – leur avait interdit l’école et l’université ainsi que le travail à l’extérieur ; elle les avait privées de la liberté d’aller et de venir sans homme de leur famille proche et sans porter la burqa.
Aujourd’hui, c’est la pauvreté et la violence qui les asservissent : violence domestique, enlèvements, viols, traite, mariages forcés ou échanges permettant de régler des litiges et des dettes familiales. Même les immolations n’ont pas totalement disparu.
L’insécurité aggrave en outre directement la situation des femmes. De nombreuses fillettes se rendent à l’école dans la terreur. Les auteurs des attaques au gaz toxique contre des écoles de filles n’ont pas été punis. Plusieurs femmes engagées dans la lutte pour leurs droits ont été abattues, et aucun de leurs meurtriers n’a été jusqu’à présent traduit en justice.
Enfin, l’adoption en mars 2009 de la loi relative au statut personnel chiite ne constitue-t-elle pas un épisode législatif lourd de sens sur le plan sociétal ?
Cinquièmement, l’accès aux soins et à l’éducation s’est-il amélioré ?
En matière d’éducation, les récents progrès sont fragiles et constamment menacés. Le discours officiel fait état de chiffres sans précédent dans l’histoire afghane, avec 7 millions d’enfants scolarisés, dont près de 3 millions de filles, mais nous savons les handicaps culturels et structurels d’un système éducatif tout juste capable de délivrer un apprentissage des connaissances de base.
En matière de santé, 85 % de la population a désormais accès à un contact médical en centre de soins en moins d’une demi-journée… de marche. Ledit contact médical est souvent dérisoire, avec un personnel réduit et peu formé, qui lutte pour trouver les médicaments et le matériel nécessaire. Quant au personnel féminin – le seul à pouvoir approcher des patientes –, il est de moins en moins nombreux à partir en milieu rural du fait de l’insécurité.
Ce bref tour d’horizon, pour sombre qu’il soit, montre a contrario l’ampleur du travail qui reste à mener en Afghanistan, et il justifie chaque effort, aussi parcellaire soit-il.
La seule voie possible pour sortir de la misère à terme est en effet le développement économique. L’aide internationale, à laquelle la France prendra sa part pour les vingt ans qui viennent, doit servir à rebâtir le cadre de l’État où s’égare présentement la nation ou plutôt, en termes plus modestes, sinon à installer, du moins à instiller des éléments de démocratie dans le respect – ne l’oublions pas ! – de la souveraineté, sourcilleuse et légitime, de l’Afghanistan.
Le traité d’amitié et de coopération franco-afghan que vous nous présentez, madame la ministre déléguée, rythmera, scandera notre engagement à soutenir cette indispensable évolution. C’est pourquoi nous soutenons l’adoption du projet de loi de ratification, en saluant la détermination du Gouvernement, qui l’a inscrit sans tarder à l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, conformément à la volonté du Président de la République, nos troupes ont commencé dès 2012 à se retirer de l’Afghanistan.
À la fin de cette année, nos militaires engagés en Kapisa et en Surobi auront quitté la région où ils ont lutté avec efficacité contre Al-Qaïda et les talibans, réunissant ainsi toutes les conditions qui permettent de transférer aux forces afghanes la prise en charge de leur sécurité dans ces zones.
En 2013, ne resteront en Afghanistan, et plus particulièrement à Kaboul, que les forces chargées de la santé et de la logistique ainsi que toutes celles qui participent à la formation des policiers et des militaires afghans, lesquels seront progressivement, comme en Kapisa et en Surobi, responsables du maintien de l’ordre dans tout leur pays.
Au moment où nos troupes terminent leurs missions, je pense particulièrement à nos quatre-vingt-sept soldats qui ont laissé leur vie sur le territoire afghan, aux blessés et à leurs familles.
Je souhaite également rendre hommage à nos dizaines de milliers de militaires qui se sont succédé en Afghanistan et ont participé pendant ces nombreuses années à la lutte contre Al-Qaïda, en maintenant, malgré tous les dangers que cela représentait, des contacts au plus près des populations. Il est d’ailleurs nécessaire de souligner que les talibans craignaient ces rapprochements entre les militaires et les populations locales, car ils donnaient une image positive de notre présence dans ce pays, et c’est bien souvent au cours de leurs rencontres avec les villageois que nos militaires étaient attirés par les talibans dans des embuscades meurtrières.
Je peux témoigner de la qualité de notre présence militaire puisque j’ai eu l’occasion, au cours d’une mission effectuée en juin 2011, de constater le professionnalisme de nos troupes, leur volonté et leur engagement, dans le respect des populations locales.
Les Afghans ne l’oublieront pas, comme ils n’oublient pas les relations diplomatiques établies dès 1922 avec la création de la délégation archéologique dans leur pays. Les fondements de la coopération franco-afghane apparaissent également dans les domaines de l’éducation – notamment avec la création des lycées francophones pour les garçons en 1923 et pour les filles en 1942 –, de la santé, de la coopération culturelle et technique et de l’agriculture.
En 1970, a été fondé le centre culturel à Kaboul, devenu en 2011, après rénovation, l’institut français d’Afghanistan.
Après l’invasion soviétique de 1979, l’effort de la France s’est concentré dans le domaine humanitaire. L’action des ONG françaises n’a jamais cessé, même aux pires moments de la guerre, permettant à notre pays de bénéficier d’un véritable « capital sympathie » parmi la population afghane.
L’historique de nos relations est un réel atout. Nous pouvons et nous devons nous appuyer sur notre expérience passée et sur l’histoire qui unit nos deux pays pour construire et développer une nouvelle coopération sur le plan civil.
Aujourd’hui, une page se tourne, et celle qu’il convient d’écrire engagera et définira le rôle de notre pays, qui, en quelques années, remplacera nos actions militaires par des missions économiques, industrielles, culturelles, sanitaires, agricoles. Ainsi sera mis en application le traité d’amitié et de coopération signé le 27 janvier 2012 entre la République française et la République islamique d’Afghanistan.
Le 8 juillet dernier s’est tenue à Tokyo une conférence internationale, à laquelle participait le ministre des affaires étrangères. À cette occasion, les bailleurs de fonds ont fixé le montant de l’assistance allouée à l’Afghanistan pour la décennie 2015-2025, qualifiée de « décennie de la transformation ». Il s’agit d’éviter un effondrement de l’économie afghane comme celui qu’elle connut, en 1992, trois ans après le retrait des troupes russes et, par conséquent, celui des aides financières, ce qui a entraîné la chute du régime de Mohammed Najibullah.
Ce montant a été fixé après qu’ait été connue l’évaluation de la situation financière de l’Afghanistan par la Banque mondiale, qui estime les déficits à venir à plus de 6, 3 milliards d’euros se répartissant par moitié environ entre les dépenses civiles, prises en charge par les pays donateurs, et les dépenses militaires, prises en charge par les pays de l’OTAN.
Le traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan, conclu pour vingt ans, précise d’une manière plus détaillée les projets qui seront menés sur une première période de cinq ans, de 2012 à 2016, dans les domaines de la sécurité – formation militaire, formation de police et de la gendarmerie –, de la coopération scientifique, culturelle et technique – agriculture, recherche, éducation, santé, archéologie et, bien sûr, gouvernance –, des infrastructures, de l’économie et du commerce. Pendant ces cinq années, la France va fournir 230 millions d’euros qui permettront la transition d’une économie de guerre à une économie de paix, comme le soulignait tout à l’heure M. le ministre des affaires étrangères.
Cette aide, il faut y insister, représente sensiblement le double de celle que nous avons apportée au cours des dix dernières années. Il va de soi cependant qu’elle ne sera versée que sous condition : le gouvernement afghan doit lutter efficacement contre la corruption, véritable fléau dans ce pays ; les droits de l’homme et plus particulièrement ceux de la femme devront être respectés.
J’en viens à la corruption.
Le fait que ce pays soit l’un des plus pauvres du monde ne justifie absolument pas le détournement d’une très grande partie des aides qui lui sont accordées.
La France doit être vigilante et, chaque année, le Parlement français contrôlera l’usage des fonds qui seront alloués. Ce sont des conditions indispensables pour rassurer les parlementaires français et les Français.
Cette inquiétude, certains l’ont exprimée lors de ce débat. Peut-être même manifesteront-ils leur réticence en s’abstenant au moment du vote et en n’apportant pas leur soutien à ce traité et, par voie de conséquence, à l’accord de Tokyo où plus de 80 États étaient représentés.
Pour ma part, je voterai ce traité d’amitié et de coopération, qui s’inscrit dans la continuité de toutes les actions que notre pays a développées en Afghanistan depuis bientôt un siècle. Peut-on imaginer que nous ne participions pas à cette coopération financière internationale que souhaitait à Tokyo M. le ministre des affaires étrangères, alors que ce pays possède des potentiels économiques considérables et où tout est à faire ?
Nous souhaitons que les entreprises françaises s’implantent dans ce pays et participent elles aussi à ce renouveau économique. Nos atouts ne manquent pas, nos savoir-faire en agriculture, en irrigation, dans tous les travaux d’infrastructures – routes, barrages, canaux –, dans les hôpitaux, l’éducation, l’aviation, les transmissions sont reconnus partout dans le monde.
Les aides de la France et la sympathie du peuple afghan à notre égard seront les signes forts d’un renouveau économique où nous devons être présents et qui conditionnera l’avenir de l’Afghanistan.
Ce traité est une chance pour ce pays. Le soutien apporté à Tokyo par un très grand nombre d’États est une chance pour l’Afghanistan. Ne les laissons pas passer. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, comme je le ferai moi-même, à adopter ce traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.
–, je tiens avant tout à saluer M. Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France, qui se trouve dans les tribunes.
Je remercie les orateurs qui se sont exprimés et vous prie d’excuser M. le ministre des affaires étrangères, qui n’a pu rester jusqu’à la fin de ce débat. Je m’associe également à l’hommage qui a été rendu à Jean François-Poncet, ancien ministre des affaires étrangères et ancien sénateur, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que je défends au nom du Gouvernement un texte examiné par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je m’en réjouis et salue l’excellent travail réalisé par cette commission.
Je répondrai de façon groupée aux questions qui ont été posées.
Les premières interrogations ont porté sur le montant de l’aide et les risques de dispersion. Le précédent gouvernement avait annoncé une augmentation significative de notre aide. Nous tenons cette promesse. La distribution de cette aide sera doublement contrôlée, par le biais du traité, d’une part, et par le biais du mécanisme établi lors de la conférence de Tokyo à laquelle Laurent Fabius a participé le 8 juillet dernier, d’autre part.
Vous vous êtes également interrogés sur les dispositions pour lutter contre la corruption et assurer l’efficacité de l’aide. La corruption reste un phénomène endémique au sein de la société afghane et une préoccupation majeure pour l’ensemble des pays et institutions impliqués dans le processus de reconstruction de l’Afghanistan.
À la conférence de Tokyo du 8 juillet dernier, nous avons acté le principe d’une conditionnalité de notre aide à l’Afghanistan, notamment au regard du respect de ses engagements en matière d’application du droit et de lutte contre la corruption.
J’en viens à l’appui aux entreprises françaises. L’Afghanistan présente des secteurs prometteurs pour nos entreprises : hydrocarbures, minerai, ciment, eau, agriculture, agroalimentaire, infrastructures. Le traité d’amitié et de coopération prévoit que les Afghans facilitent l’action des entreprises françaises intéressées à intervenir dans ces secteurs. Avec le MEDEF international, nous avons réuni des entreprises intervenant dans le secteur minier pour les sensibiliser au potentiel afghan.
Une question a porté sur la conférence de paix régionale et le rôle des pays voisins. Nous avons participé dès ses débuts au lancement du processus de paix régionale, dit « processus d’Istanbul ». Le ministre Pascal Canfin a représenté la France à la dernière réunion ministérielle de ce processus, le 14 juin dernier, à Kaboul. Nous sommes donc engagés en appui des efforts régionaux et appelons les pays voisins à s’engager de manière constructive. C’est une clé du succès de la stabilisation du pays et de la région.
J’ai bien noté les préoccupations exprimées par tous les intervenants sur la drogue, le bon déroulement des élections de 2014 et 2015, la condition des femmes ainsi que la protection de l’environnement. Ce sont autant d’enjeux que nous considérerons comme une priorité dans la mise en œuvre du traité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Est autorisée la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan signé à Paris, le 27 janvier 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?….
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Le projet de loi est adopté.
L’ordre du jour appelle l’examen de sept projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière, signé à Paris le 18 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière (projet n° 497, texte de la commission n° 647, rapport n° 646).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée la ratification du protocole d’amendement et d’adhésion de la Principauté d’Andorre au traité entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales signé à Bayonne le 10 mars 1995, signé à Andorre-la-Vieille le 16 février 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation du protocole d’amendement et d’adhésion de la Principauté d’Andorre au traité entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales (projet n° 133, texte de la commission n° 643, rapport n° 642).
Le projet de loi est définitivement adopté.
Est autorisée la ratification de l’accord entre la République française et la République fédérale d’Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts, signé à Paris le 4 février 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord entre la République française et la République fédérale d’Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts (projet n° 372 [2010-2011], texte de la commission n° 651, rapport n° 650).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée la ratification du traité relatif à l’établissement du bloc d’espace aérien fonctionnel « Europe Central » entre la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la Confédération suisse, signé à Bruxelles le 2 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’établissement du bloc d’espace aérien fonctionnel « Europe Central » entre la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la Confédération suisse (projet n° 421, texte de la commission n° 645, rapport n° 644).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant l’interprétation de la convention relative au service militaire des double-nationaux du 16 novembre 1995 et mettant fin au dispositif mis en place par l’accord sous forme d’échange de notes des 28-29 décembre 1999, signées à Paris les 15 et 16 février 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant l’interprétation de la convention relative au service militaire des double-nationaux du 16 novembre 1995 et mettant fin au dispositif mis en place par l’accord sous forme d’échange de notes des 28-29 décembre 1999 (projet n° 611 [2010-2011], texte de la commission n° 649, rapport n° 648).
Le projet de loi est définitivement adopté.
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de l’élimination des situations d’urgence, signé à Astana, le 6 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de l’élimination des situations d’urgence (projet n° 349, texte de la commission n° 417, rapport n° 415).
Le projet de loi est définitivement adopté.
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité, signé à Astana, le 6 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité (projet n° 348, texte de la commission n° 416, rapport n° 415).
Le projet de loi est définitivement adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État des Émirats arabes unis (projet n° 496, texte de la commission n° 631, rapport n° 630).
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a l’honneur de soumettre à l’examen du Sénat un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État des Émirats arabes unis.
Signé à Abou Dhabi le 26 mai 2009, cet accord correspond au modèle dit « allégé » des accords de coopération en matière de sécurité intérieure conclus par la France avec les pays de la région. Il a pour principal objectif de renforcer la coopération à la fois technique et opérationnelle entre les services de police français et émiriens dans une région particulièrement sensible, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. L’accord prévoit également le développement d’une coopération policière dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, en particulier le commerce illicite d’armes, l’immigration irrégulière, la traite des êtres humains ou encore le trafic de stupéfiants.
Conformément aux dispositions contenues dans l’accord, la coopération ainsi mise en œuvre pourra prendre la forme d’échanges d’informations, d’expertises et d’expériences, l’envoi le cas échéant de personnels de liaison et d’une collaboration dans le domaine de la formation. Comme tous les accords de sécurité intérieure, cet accord ne permet en aucun cas la participation ou l’intervention d’éléments des forces de police françaises dans des opérations de police ou de maintien de l’ordre sur le territoire émirien.
Cet accord contient aussi un article spécifique consacré à la coopération franco-émirienne dans le domaine de la sécurité civile.
Cet accord s’inscrit enfin dans le cadre d’un partenariat privilégié, qui a été construit en quelques années avec les Émirats arabes unis et qui s’est traduit par le développement de liens dans un grand nombre de domaines.
Cette évolution a concerné les secteurs traditionnels de notre coopération, en particulier le domaine de la coopération militaire et de défense, notamment à la suite de l’installation d’une base militaire française à Abou Dhabi, seule implantation militaire française en dehors du continent africain. Elle a également porté sur des secteurs innovants, notamment ceux de l’énergie, mais aussi ceux de l’éducation et de la culture, en donnant lieu à des projets conjoints de grande ambition, à l’instar du Louvre Abou Dhabi ou de la Sorbonne Abou Dhabi. Elle a permis l’établissement d’un dialogue politique de grande confiance sur l’ensemble des grands dossiers régionaux et internationaux, notamment la Syrie, l’Iran et l’Afghanistan, ainsi que sur les sujets globaux pour lesquels les Émirats arabes unis se montrent de plus en plus actifs.
Cet accord nous permettra ainsi de consolider encore davantage nos liens avec un pays essentiel, situé dans une zone stratégique, au cœur de l’« arc de crise » décrit par le Livre blanc de 2008, où la France a des intérêts majeurs à défendre.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État des Émirats arabes unis.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la France développe, depuis une quinzaine d’années, une coopération technique en matière de sécurité intérieure avec les Émirats arabes unis, à la demande de ceux-ci.
Pour poursuivre cette action sur une base claire et stable, le présent accord a été conclu le 26 mai 2009 et constituera un texte de référence pour les deux pays. Il en existe par ailleurs de semblables avec d’autres États de la région, comme l’Arabie saoudite.
Proposé en 1995 par la France à son partenaire, l’accord a fait l’objet de négociations ayant permis d’intégrer un certain nombre de remarques.
Je m’en tiendrai à une présentation rapide des Émirats arabes unis, car tout le monde connaît cette zone, et à quelques observations sur l’accord, ce texte n’ayant fait l’objet d’aucune difficulté en commission.
Fondée le 2 décembre 1971, cette fédération est constituée de sept émirats. Couvrant une superficie d’environ 80 000 kilomètres carrés, dont Abou Dhabi représente 80 %, elle est peuplée de 7, 1 millions d’habitants, dont 1, 06 million de nationaux, selon les estimations émiriennes. Les deux principaux émirats sont Abou Dhabi et Dubaï.
Situés au cœur d’une zone sensible, les Émirats arabes unis n’ont jamais fait l’objet d’attaque terroriste, mais la menace existe. Cela est dû à d’excellents services de renseignement, qui recourent abondamment à la technologie, mais aussi aux sources humaines. Dans un pays qui compte 85 % d’expatriés, ces services disposent d’un réseau très efficace d’informateurs réguliers ou occasionnels. La combinaison de moyens technologiques modernes et des sources humaines nombreuses a permis, jusqu’à maintenant, d’éviter tout attentat sur le sol émirien. On peut tout de même regretter un manque de centralisation des informations.
À ces explications sécuritaires, il faut ajouter la vision particulière de l’islam qui prévaut dans ce pays. Les prêches sont très encadrés par les services des Émirats et le ministère des biens de mainmorte, lesquels surveillent de façon extrêmement étroite les imams et leur formation.
En matière de trafic de stupéfiants, les Émirats arabes unis appliquent une politique de tolérance zéro. Une peine automatique de quatre ans d’emprisonnement est prononcée contre un simple usager et les trafiquants encourent la peine de mort. C’est relativement dissuasif !
Les autorités émiriennes sont conscientes des vulnérabilités de leur police, qui tiennent à sa répartition sur les sept émirats, sans structure fédérale solide de supervision et à l’obligation de recourir à de la main-d’œuvre étrangère pour effectuer ses missions régaliennes. Certes, les officiers sont émiriens, mais les tâches d’exécution sont le plus souvent confiées à des contingents de policiers provenant de pays de la Ligue arabe, malgré une politique, déjà remarquée dans la région, de forte « émiratisation ». Pour pallier ces faiblesses, les autorités ont donc conclu des accords bilatéraux de sécurité intérieure avec plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.
Les forces de police émiriennes sont d’inspiration anglo-saxonne par leur histoire et leurs structures. Dans un but d’efficacité, le vice-premier ministre, ministre fédéral de l’intérieur, est aussi le chef de la police d’Abou Dhabi. Il a engagé une action visant à renforcer progressivement son contrôle sur les polices des six autres émirats de la fédération, mais la police fédérale a encore peu de prise sur ces entités.
Forts de 44 000 hommes environ, les services de police émiriens se répartissent entre les forces fédérales, environ 5 000 personnes, et les forces de police locales, qui dépendent de chacun des sept émirats composant la fédération. La police fédérale, placée directement sous l’autorité du ministre de l’intérieur, est une entité relativement faible, en raison de l’attachement de chaque émirat à sa propre police.
Les services de police émiriens sont de création récente. Il s’agissait à l’origine de milices paramilitaires. Le périmètre d’intervention de la police aux Émirats arabes unis est différent et plus large qu’en France. Aux missions traditionnellement assumées par la police française s’ajoutent en effet celles imparties dans notre pays à l’administration pénitentiaire, aux services des préfectures et à la sécurité civile.
Les équipements des forces de police des Émirats arabes unis sont impressionnants par leur nombre et leur qualité, et la sécurité est une priorité budgétaire. Faut-il préciser que, dans ce pays, les problèmes de finances publiques ne sont pas très importants ? Le parc automobile est bien fourni, tout comme celui des hélicoptères, au nombre d’une cinquantaine. Les réseaux de communication ou l’utilisation intensive de l’informatique dans les tâches administratives sont autant de signes tangibles de la qualité des équipements. Dubaï est en passe de s’équiper d’une importante vidéosurveillance sur la voie publique et la ville d’Abou Dhabi devrait l’imiter rapidement.
Les autorités émiriennes s’inquiètent du développement du trafic et de la consommation des stupéfiants, ainsi que de la prostitution, particulièrement à Dubaï, avec son corollaire mafieux, notamment d’origine russe, indienne et chinoise. Le développement de l’aéroport et du port de Dubaï fait de cette ville une zone très propice à l’immigration illégale et aux trafics en tout genre.
Les Émirats arabes unis ne connaissent ni opposition politique, ni contestations sociales importantes, ni islamisme radical, bien que la police d’Abou Dhabi ait arrêté voilà quelques jours un groupe d’islamistes qualifiés de radicaux.
La lutte contre le terrorisme est une priorité absolue. Les autorités suivent avec attention la situation en Arabie saoudite et au Yémen, s’inquiétant de toute contagion possible venant de l’extérieur. J’ajoute qu’un millier de soldats des Émirats arabes unis sont actuellement à Bahreïn, pays voisin gagné par l’agitation du « printemps arabe » depuis l’an dernier et où les manifestations sont toujours réprimées. La fédération se trouve donc dans cette périphérie extrêmement mouvante, mais j’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet plus tard.
Madame la ministre déléguée, la volonté du pouvoir fédéral de renforcer son autorité sur les polices de chaque émirat passe par l’instauration d’une meilleure coordination. C’est un point essentiel, vital pour l’efficacité de cette convention. Cette coordination doit prendre la forme d’une interconnexion des fichiers criminels et d’immigration des sept émirats, complétant le réseau de la carte d’identité informatique.
Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande d’adopter le présent accord, déjà ratifié par les Émirats arabes unis, lesquels financeront intégralement les actions à venir.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, si l’histoire des Émirats arabes unis est davantage liée à celle des Britanniques, la France a tout de même développé régulièrement de nombreux liens d’amitié et de coopération avec ces territoires bordant le Golfe persique, territoires qu’une journaliste décrivait comme « une bulle de bonheur climatisée peuplée de centres commerciaux géants » continuant « de célébrer l’alliance technochic de l’acier et du turban ».
C’est en 1975 que la France et les Émirats arabes unis ont posé les fondations d’une coopération culturelle et technique devenue dense. En effet, au fil des décennies, les échanges se sont intensifiés, s’inscrivant parfaitement dans la stratégie de la fédération, qui consiste à s’imposer comme un pôle culturel mondial à l’horizon de 2030.
Cette ambition passe par des projets assez singuliers, tels que l’installation d’un musée du Louvre dans le district culturel de l’île de Saadiyat à Abou Dhabi.
Le bâtiment devrait ouvrir ses portes en 2015. Cette transposition de l’un des fleurons culturels de la France illustre la volonté des Émirats arabes unis de se construire une identité. Il faut savoir que la France tirera avantage de cette coopération : 360 millions d’euros dans un premier temps et beaucoup plus à terme. Souhaitons toutefois que les enjeux financiers ne fassent pas perdre au musée français le contrôle de son label « Louvre ».
La France et la fédération entretiennent également des relations économiques, mais elles sont, à mon sens, en deçà de ce qu’elles pourraient être au regard du potentiel des Émirats arabes unis. Ces derniers ont judicieusement diversifié leur économie afin de dépasser la seule rente pétrolière, qui leur garantit un socle de croissance bien enviable, mais qui est menacée à terme par le fameux « pic de Hubbert ». En attendant, si les Émirats arabes unis ont subi le contrecoup de la crise mondiale, ils se sont relevés assez vite, ce qui démontre toute la pertinence de leur stratégie de diversification vers l’industrie et les services.
Sachons profiter davantage de ce marché. Le poids de la France dans les importations de cet État n’est que de 3, 48 %, ce qui classe notre pays au neuvième rang des fournisseurs de la fédération. C’est bien peu, et ce ne sont pas les revers commerciaux que nous avons subis avec l’EPR français ou encore les Rafale qui vont doper nos exportations.
Au-delà de la confiance et des intérêts qui lient réciproquement notre pays avec les Émirats arabes unis dans le domaine culturel et économique, des liens plus récents se sont noués au cours des dernières années dans des domaines plus sensibles. Je pense en particulier à l’accord qui a permis l’installation d’une base militaire française à Abou Dhabi, signé le 26 mai 2009. Décidée par l’ancien Président de la République, cette implantation forte de 670 hommes combine des installations aériennes, aéronavales et terrestres. Comme vous le savez, mes chers collègues, la base militaire d’Abou Dhabi est la première ouverte depuis cinquante ans hors de l’Afrique. Elle se trouve de surcroît dans une zone d’influence anglo-saxonne.
Si certains peuvent s’interroger sur la pertinence de ce choix, il faut bien reconnaître que l’épicentre de l’arc de crise défini dans le dernier Livre blanc de 2008 se déplace de plus en plus vers l’est. Dans ces conditions, on peut apprécier l’intérêt d’un point d’ancrage militaire français face à l’Iran.
J’ajouterai que la fédération des Émirats arabes unis a toujours entretenu de bonnes relations avec les alliés occidentaux. Dans différentes crises, elle s’est rangée de notre côté. Souvenons-nous de son rôle positif dans la libération du Koweït. Plus récemment, en Libye, les Émirats arabes unis ont été les premiers, avec le Qatar, à s’engager militairement dans ce conflit. En effet, je rappellerai que, à l’issue d’une phase humanitaire, ils ont participé aux opérations d’instauration de la zone d’exclusion aérienne.
S’agissant du dossier syrien, la fédération étant membre de la Ligue arabe, elle a rejoint la position notamment exprimée par le Conseil de sécurité de l’ONU.
À l’égard de l’Iran, les Émirats arabes unis entretiennent une position plus complexe. Leurs autorités perçoivent bien ce pays comme une menace, mais deux éléments modèrent les rapports entre les deux voisins. D’une part, l’Iran est l’un de leurs principaux débouchés économiques et, d’autre part, une forte communauté iranienne de 500 000 personnes est présente dans la fédération, surtout à Dubaï.
Au regard des postures adoptées ces dernières années par les Émirats arabes unis sur la scène internationale, la France a jugé opportun d’approfondir en toute confiance sa coopération bilatérale avec eux.
L’accord de coopération en matière de sécurité intérieure qui nous est soumis pour ratification, conclu le 26 mai 2009 à Abou Dhabi, s’inscrit dans cette démarche. Il a connu une gestation relativement longue puisqu’il a été proposé en 1995, mais un certain nombre d’obstacles juridiques ont ralenti le processus. En effet, comme vous l’avez souligné, madame la rapporteur, l’accord avec les Émirats arabes unis est d’une ambition moindre que celle de l’accord type de sécurité intérieure élaboré par la France en 2007.
Il est vrai que certaines contraintes juridiques subsistent, s’agissant, en particulier, de la protection des données à caractère personnel, puisque nos législations ne concordent pas. Précisons également que les Émirats arabes unis ne sont pas encore suffisamment impliqués dans certaines conventions internationales, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ce qui a réduit en conséquence les considérants de l’accord.
Malgré toutes ces réserves, l’accord a été finalisé et il est soumis aujourd’hui à l’approbation du Sénat.
II s’agit, vous l’avez dit, madame la ministre déléguée, d’aider les Émirats arabes unis à améliorer l’efficacité de leur service de sécurité intérieure. Compte tenu de leurs importants moyens financiers, la police fédérale et les polices locales n’ont pas de problème de qualité en matière d’équipement. J’ajouterai que cet État ne connaît pas une forte délinquance. Toutefois, l’enrichissement rapide de la zone a favorisé le trafic et la consommation de stupéfiants, la prostitution, le blanchiment d’argent et l’immigration illégale. Malgré toutes ces difficultés, le pays demeure assez sûr, même si, il faut bien le dire, cette sûreté doit beaucoup à une surveillance étroite des habitants, notamment des étrangers, et à une loi pénale particulièrement dissuasive.
Les services de renseignement sont particulièrement actifs à l’égard des Indiens, des Pakistanais et des Iraniens. Un peu trop d’ailleurs, selon Amnesty International, qui a déploré, en 2010, l’expulsion, pour des raisons de sécurité nationale, d’étrangers qui résidaient de longue date aux Émirats arabes unis. Ces personnes étaient des Palestiniens originaires de Gaza et des Libanais de confession chiite. Mais fermons la parenthèse sur ces épisodes, qui, disons-le sans détour, embarrassent quelque peu le jeu diplomatique.
Mes chers collègues, c’est essentiellement en termes de coopération technique que les autorités locales souhaitent bénéficier de l’expertise occidentale, en l’occurrence française.
Mme la rapporteur a exposé les points faibles de la police émirienne. Je ne ferai que les énumérer : une expérience récente du fait de l’accession tardive des Émirats arabes unis à l’indépendance, une géographie handicapante pour la supervision fédérale, des effectifs étrangers pour l’exécution et émiriens pour l’encadrement, et, enfin, l’absence d’une doctrine d’emploi claire et adaptée à la zone d’intervention.
L’accord de coopération, fondé sur neuf articles, permettra, espérons-le, d’aider les Émirats arabes unis à progresser dans le domaine de la sécurité intérieure et, en contrepartie, de bénéficier à la France, dans la mesure où l’échange d’informations pourra également lui être utile en la matière. C’est le sens du texte signé le 26 mai 2009 par la France et les Émirats arabes unis.
Le RDSE, soucieux de contribuer à la présence française au Moyen-Orient, apportera son soutien au projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre déléguée.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la demande de nos collègues de l’UCR d’un débat de deux heures sur un tel sujet nous a, dans un premier temps, un peu surpris. Cet accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre les Émirats arabes unis et notre pays s’inspire en effet d’un « accord type », dont de nombreux avatars ont déjà été adoptés via une procédure de vote simplifiée, sans débat ni prise de parole dans l’hémicycle. J’y vois, toutefois, l’occasion de développer la position des écologistes sur ce type de textes en général et sur le présent projet de loi en particulier.
Nous avons pour habitude de nous abstenir lorsqu’un accord de sécurité intérieure est soumis à cette assemblée. En effet, de tels textes entrent globalement en contradiction avec la conception écologiste de l’intérêt général et notre attachement au principe de protection des libertés individuelles. J’y reviendrai dans un instant.
S’agissant de l’accord dont il est question aujourd’hui, alors que le débat nous donne l’opportunité d’examiner le fond de la chose et de préciser ce qui, à nos yeux, pose véritablement problème, la position du groupe écologiste se veut plus ferme encore qu’à l’accoutumée.
Tout d’abord, vous me permettrez, mes chers collègues, de m’arrêter sur ce qui constitue l’accord type de coopération en matière de sécurité intérieure : élaboré par la France en 2007, il appartient à l’héritage que nous a laissé, en matière de sécurité et de politique étrangère, l’ancienne majorité, notamment la ministre de l’intérieur de l’époque et l’un de ses successeurs.
Cet accord type a pu, certes, obtenir l’assentiment de nos amis socialistes à plusieurs reprises, ce qui prouve bien que ces domaines sont complexes et appréciés diversement, indépendamment des clivages politiques. Je crois cependant que, comme le reste dudit héritage, il mérite d’être évalué et repensé. D’autant que le changement arrivé en France a aussi frappé à la porte d’autres États, et dans des proportions autrement plus importantes ! Je veux parler d’États avec lesquels de semblables coopérations ont pu être menées par le passé et avec lesquels nous nous devons de mettre en place des relations sur des bases franchement renouvelées.
Ensuite, en ce qui concerne le contenu de l’accord type, notre première réticence réside dans son champ d’application, défini à l’article 1er. Celui-ci place en effet au même rang les différents domaines que recouvre la notion de « sécurité intérieure », donnant autant d’importance à la « lutte contre l’immigration illégale » qu’à la « lutte contre la criminalité organisée » ou « la lutte contre la traite des êtres humains, contre l’abus et l’exploitation sexuelle des enfants ».
Un tel amalgame nous semble inopportun, alors qu’il paraît nécessaire d’apporter une réponse proportionnée à chacun de ces domaines. En particulier, mettre au même niveau l’« immigration illégale » et la « traite des êtres humains » va clairement à l’encontre de notre attachement à la liberté de circulation des personnes.
L’article 2 de l’accord type expose les méthodes de coopération. Il s’agit notamment de faciliter l’échange d’informations entre les autorités des deux pays et de prendre les mesures policières nécessaires à la demande de l’autre partie, ce qui ne nous semble pas adapté sur des domaines tels que l’immigration illégale.
Mes chers collègues, l’accord type de coopération en matière de sécurité intérieure ne nous paraît généralement pas posé de façon pertinente : pour sa genèse, pour sa finalité, comme pour ses modalités précises.
J’en viens au cas particulier qui nous occupe aujourd’hui, un cas d’autant plus particulier que les Émirats arabes unis sont réputés appartenir aux pays les plus sécuritaires de la planète.
Il ne s’agit pas de dénier toute logique à l’accord. Après tout, formaliser la coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure entre la France et les Émirats arabes unis, qui existe déjà, de fait, depuis 1995, paraît sensé. En outre, nous reconnaissons les raisons qui poussent nos collègues à voter ce texte, lequel présente peu de contraintes pour notre pays, sur les plans tant financier et opérationnel que juridique. La ratification d’un accord de coopération est toujours perçue comme un signal positif et une preuve d’ouverture sur le plan diplomatique. Cela facilite également les échanges d’expériences et le partage de compétences entre les deux États concernés. Aux yeux de beaucoup, ces avantages paraissent sans doute suffisants.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je crains, toutefois, qu’en suivant ce raisonnement nous ne fassions fausse route. Est-il vraiment nécessaire de rappeler la situation des droits humains aux Émirats arabes unis ?
À quoi cela rimerait-il d’établir une coopération de sécurité avec un pays où le simple fait de critiquer le gouvernement et de réclamer des réformes est passible d’emprisonnement ?
À quoi cela rimerait-il de coopérer avec un pays qui place l’impératif de sécurité intérieure au-dessus de tout respect des droits humains ?
Les Émirats arabes unis sont dotés, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, de services de renseignement très pointus, reposant sur un réseau d’informateurs vraiment dense et un important recours au croisement de fichiers informatiques. L’État émirien s’appuie également sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment au travers de son réseau de carte nationale d’identité informatique permettant la reconnaissance des empreintes digitales et de l’iris, ce qui lui assure une efficacité redoutable en matière de lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Il est inutile de préciser que, dans ces conditions, la population migrante, qui représente 87 % des habitants, est très étroitement surveillée.
Les sanctions pénales à l’encontre des expatriés sont systématiquement assorties d’une expulsion, voire d’une interdiction de retour. Elles sont parfois motivées par le seul fait d’avoir voulu exercer un droit syndical, puisque le gouvernement a le pouvoir de briser une grève et de forcer la reprise du travail ; l’an dernier, au moins 71 personnes originaires du Bangladesh ont ainsi été expulsées en raison de leur rôle dans un conflit social.
Le code pénal donne le pouvoir à l’État de poursuivre et d’emprisonner des citoyens pour atteinte à la sûreté de l’État. Ce dernier y a eu recours, l’an dernier, contre au moins 5 hommes qui avaient simplement critiqué, sur internet, la direction du pays. Le code pénal donne aussi à chaque homme le droit de discipliner femme et enfants, si besoin par la force.
Je ne rappellerai pas le rôle qu’ont pu jouer les Émirats arabes unis en 2011, lorsqu’ils ont prêté main-forte à Bahreïn, qui faisait alors face à une contestation grandissante. Certes, les troupes émiraties n’ont, semble-t-il, pas directement participé à la répression. Mais qu’aurait-on dit si tel avait été le cas et que certains de leurs éléments avaient été formés par la France en vertu de cet accord ? Il faut le savoir, parmi les formations dont les forces de l’ordre émiraties ont pu bénéficier au cours des années 2009 et 2011, on trouve aussi bien un apprentissage aux techniques d’enquête en matière de crime sexuel – je ne trouve rien à y redire – que des formations dites « snipers » ou « snipers avancées » !
Mes chers collègues, à quoi cela rime-t-il de ratifier un accord de sécurité intérieure avec un pays dont la conception de la sécurité est telle qu’elle va à l’encontre des valeurs de la République française ?
Certains espèrent qu’en partageant nos compétences techniques nous encouragerons les Émirats arabes unis à faire évoluer leur droit interne vers une meilleure garantie des droits humains. N’encourageons-nous pas, au contraire, cet État ultrasécuritaire à poursuivre sa politique ? Ne cautionnons-nous pas, indirectement, des pratiques attentatoires aux libertés publiques, en contribuant à renforcer l’efficacité des forces de l’ordre émiriennes ?
J’exprimerai une dernière réserve sur le présent texte. Présentant une spécificité par rapport à l’accord type, il pourrait nous placer dans une situation délicate sur le plan diplomatique. Je pense aux dispositions de l’article 6, aux termes duquel, en cas de refus de coopération, la partie sollicitée doit justifier sa décision auprès de la partie requérante. Cette précision a été demandée par l’État émirien, alors que, dans l’accord type de coopération de sécurité intérieure, la partie sollicitée doit simplement informer de son refus, et non le justifier.
Je n’ose imaginer la prudence dont nos services devront faire preuve, dans leurs travaux de justification, dès lors qu’ils voudront décliner une demande tout en évitant un incident diplomatique. Je ne serais pas surpris que cela s’avère le moyen le plus efficace de nous contraindre à l’autocensure.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà deux mois, les citoyens français ont fait le choix du changement. Ce choix, nous devons le respecter dans tous les domaines. Cela passe, notamment, par une vision renouvelée de nos relations diplomatiques.
Le champ de la coopération internationale est vaste ; adopter un accord en matière de sécurité intérieure avec un État sécuritaire ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons d’un quinquennat humaniste et progressiste.
Pour nous, écologistes, l’heure n’est plus à la ratification de traités à la finalité douteuse. Notre pays s’est doté des moyens intellectuels et humains nécessaires pour proposer à nos partenaires internationaux des accords pertinents.
Mes chers collègues, nous avons confiance dans le Gouvernement et dans sa capacité à impulser un vrai changement. C’est précisément pour cela que nous voterons contre ce texte, élaboré à une autre époque et ne reflétant pas ce qui doit constituer, pour nous, les priorités de la majorité en matière de diplomatie, de défense et de sécurité.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur un accord de coopération policière, conclu le 26 mai 2009 à Abou Dhabi, voilà maintenant près de trois ans, entre le ministre français des affaires étrangères et le ministre émirien de l’intérieur représentant la Fédération des Émirats arabes unis. Il serait temps de ratifier cet accord s’il était banal. Mais tel n’est pas le cas, et cet examen en séance publique, plutôt que selon la procédure simplifiée, nous donne l’occasion d’évoquer les questions sensibles qu’il soulève.
Je voudrais dire, d’emblée, que je comprends parfaitement que la France signe ce type d’accords de coopération technique avec des États étrangers. Cela nous permet d’exporter notre savoir-faire dans ce domaine ; notre industrie de défense et de sécurité peut éventuellement en recueillir quelques retombées. J’apprécie que notre savoir-faire et nos matériels puissent ainsi se faire une place dans une région où les Américains et les Britanniques sont solidement implantés.
Je sais également que, dans le domaine policier, si nous ne devions coopérer qu’avec des pays démocratiques, notre champ d’intervention serait extrêmement réduit. Il y a toutefois des limites, des principes à respecter.
Un pays comme le nôtre ne peut prétendre à l’exemplarité que s’il défend, de par le monde, un certain nombre de valeurs, en particulier celles de la République, auxquelles nous sommes tous attachés.
Il y a deux aspects à considérer dans cet accord : l’accord-cadre, proprement dit, et le contexte dans lequel il a été signé et dans lequel il évoluerait.
L’accord-cadre est quasiment identique aux accords de coopération technique sur la sécurité intérieure que nous signons avec de nombreux pays. Il vise à préciser la coopération technique en matière de sécurité intérieure que nous entretenons déjà avec les Émirats arabes unis.
Les neuf articles sont donc très généraux et apportent des précisions juridiques au contenu de l’accord. Ils peuvent sans doute avoir pour vertu de donner une doctrine d’emploi à peu près claire et organisée aux forces policières émiraties, qui en sont dépourvues.
Les domaines couverts sont très étendus : la lutte contre le terrorisme, le trafic et la consommation de stupéfiants, la prostitution, le blanchiment d’argent, ce qui est d’ailleurs assez cocasse quand on connaît la réalité de ces pays, l’immigration illégale, ou bien encore l’insécurité routière.
Tout cela évoluera dans un cadre juridique assez flou. En effet, contrairement à la France, les Émirats arabes unis n’ont pas pris d’engagements internationaux dans les domaines cruciaux que sont la lutte contre le terrorisme ou bien la criminalité organisée. Ils ne sont pas non plus partie à la convention unique des Nations unies sur les stupéfiants.
Au-delà de l’accord-cadre, il est essentiel de connaître le contexte dans lequel il s’exercerait si nous le ratifiions, c’est-à-dire la réalité politique, économique et sociale des Émirats arabes unis, ainsi que les objectifs implicites que ceux-ci se fixent en matière de sécurité intérieure. Ces objectifs sont d’ailleurs très bien exposés dans le rapport écrit de notre commission que nous a présenté Mme Goulet.
On y apprend, sans surprise, que bien que les Émirats arabes unis n’aient, jusqu’ici, pas connu d’actes terroristes et que les taux de délinquance y soient très faibles, ce qui préoccupe les dirigeants et leur apparaît comme la principale menace est la présence de fortes communautés de travailleurs étrangers. Il faut en effet savoir que, dans chacun des émirats, les Yéménites, les Philippins, les personnes originaires du Bengladesh, par exemple, sont très largement majoritaires par rapport aux autochtones. Ils sont, la plupart du temps, cantonnés dans des emplois subalternes et dans des tâches souvent les plus ingrates.
Les ressortissants nationaux profitent, eux, de la redistribution de la rente pétrolière, du commerce international, des activités financières. Ils doivent pourtant une part importante de leur prospérité au travail de ces étrangers.
Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste des pays du Golfe pour comprendre les tensions qu’engendre une telle situation, ni pour imaginer comment les conflits y sont résolus !
Le rapport écrit de notre commission explique très clairement les recettes des dirigeants des émirats pour assurer la stabilité de leurs régimes politiques. Je ne résiste d’ailleurs pas au plaisir d’en citer un passage : cette stabilité « s’explique par d’excellents services de renseignements, qui recourent abondamment à la technologie – l’utilisation massive de la vidéo surveillance, censure d’internet, surveillance des liaisons téléphoniques, équipements de pointe dans les aéroports… – mais aussi aux sources humaines. Dans un pays qui compte environ 85 % d’expatriés, les services de renseignement disposent d’un réseau très efficace d’informateurs réguliers ou occasionnels. » Je crois que tout est dit !
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les Émirats arabes unis ne connaissent ni opposition politique, ni contestation sociale importante, pas plus que de mouvements se réclamant d’un islamisme radical. Les droits de l’homme et les droits sociaux y sont des notions quasiment inconnues.
Mais cet accord s’inscrit aussi plus largement dans la politique que menait le précédent gouvernement dans cette région. Je rappelle qu’il a été signé en même temps qu’un très important accord de défense avec ces mêmes Émirats arabes unis.
Notre groupe avait, à l’époque, critiqué cet accord et voté contre. S’il nous permettait, certes, d’ouvrir une base militaire à Abou Dhabi, il marquait, surtout, une nouvelle fois, l’alignement du gouvernement de Nicolas Sarkozy sur la politique des États-Unis en nous insérant dans leur dispositif au cœur d’une région qui concentre les risques de conflits les plus lourds de la planète. En outre, le texte de l’accord envisageait que la France puisse mettre en œuvre « tous les moyens militaires à sa disposition » pour défendre les Émirats arabes unis s’ils venaient à être agressés. Il introduisait ainsi une grande ambiguïté sur l’utilisation éventuelle de nos armes nucléaires.
Fût-il technique, l’accord de coopération policière avec les Émirats arabes unis ne peut être détaché de ce contexte. Son contenu répressif n’est ni un procès d’intention à l’égard des Émirats arabes unis ni une hypothèse d’école. Je rappelle que, il y a quelques années, à Dubaï, des manifestations d’ouvriers originaires du Bengladesh qui protestaient contre leurs conditions de travail ont été très durement réprimées. Il faut aussi se souvenir que des éléments des Émirats arabes unis sont intervenus il y a quelques mois à Bahreïn aux côtés des Saoudiens.
Au moment où notre pays est pleinement engagé à l’ONU dans des discussions pour fixer un cadre déontologique aux exportations d’armements, réfléchissons avant de signer ce type d’accord ! Ne prenons pas le risque de nous voir reprocher par la suite de tenir un double langage !
Je considère qu’il y a dans cet accord de coopération en matière de sécurité intérieure trop d’ambiguïtés et de contradictions pour l’approuver. À l’évidence, il entre en totale contradiction avec le discours que la gauche a pu tenir et avec les valeurs qu’elle a défendues lors des « printemps arabes ». Pour ma part, il n’est pas question d’accepter de prêter main-forte à des régimes qui veulent préserver leur émirat pétrolier de toute contestation sociale.
Et que l’on ne nous oppose pas le respect de la parole de la France ! C’est bien pour que le Parlement puisse exercer sa souveraineté que notre Constitution prévoit que les traités internationaux, signés par les plus hautes autorités de l’État, sont ratifiés après discussion devant les assemblées.
Pour cet ensemble de raisons, vous aurez donc compris, monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, que le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre cet accord.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Bis repetita, mais j’interviens cette fois-ci au nom du groupe auquel j’ai le plaisir d’appartenir.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, vous le savez peut-être, j’entretiens avec les pays du Golfe, notamment avec les Émirats arabes unis, une relation ancienne et passionnée. Il faut dire que mon mari, Daniel Goulet, a créé il y a près de quarante ans, en 1973, le premier groupe d’amitié entre la France et les pays du Golfe. S’il ne s’appelait pas, comme en a décidé son successeur au Sénat, « France-Arabie saoudite-Pays du Golfe », c’est parce qu’il considérait que les six pays de la péninsule étaient équivalents et constituaient un ensemble cohérent.
Daniel Goulet est mort à Abou Dhabi il y a cinq ans. Je pense que, si l’on ne choisit pas le lieu où l’on naît, on ne décide pas non plus de l’endroit où l’on meurt. Reste que je vois dans cette situation le signe de son attachement viscéral à cette partie du monde.
Jusqu’au renouvellement de 2004, ce groupe d’amitié peinait à accueillir cinq membres. Il aura fallu la crise économique et le boom des fonds souverains pour que d’autres de nos collègues commencent à s’intéresser à cette zone névralgique.
Le projet de loi autorisant l’accord de coopération que j’ai eu l’honneur de rapporter, au nom de notre commission, est assez classique, mais il me donne l’occasion d’aborder des sujets qui me semblent utiles pour nos débats à venir. Il est en effet absolument essentiel, non par angélisme, mais pour des raisons stratégiques, diplomatiques et évidemment économiques, que la France accroisse son rôle dans cette région où elle n’a été que trop absente. Je le dis d’autant plus volontiers qu’il semble que le Président Hollande ait une vision d’une vraie politique arabe, totalement effacée de notre histoire diplomatique par le précédent Président de la République. Je suis bien aise de penser que la France aura à nouveau dans cette région du monde une politique plus proche de celle du Président Chirac et du Président de Gaulle que de celle du Président Bush.
Dans la phase de mise en place de notre coopération, il est essentiel de veiller, comme je l’ai dit tout à l’heure, à la centralisation des renseignements et, surtout, aux procédures d’échanges des informations. Cela aura évidemment à être débattu dans la confidentialité des états-majors, mais, sans centralisation et sans échanges, nos conventions n’auront absolument aucune efficacité.
Pour ce qui concerne les échanges d’informations, madame la ministre déléguée, il faudra inciter nos amis émiriens à être plus vigilants sur le respect des conventions internationales en matière de croisement de fichiers. Il y a évidemment un parallélisme des formes et une réciprocité aux termes desquels nous ne pouvons ni utiliser certaines informations ni les échanger si les conditions ne sont pas conformes aux engagements internationaux de la France.
Je voudrais également souligner un point qui, faute d’être directement lié à son objectif, ne figure pas dans la convention mais qui pourra, dans le cadre de votre mission ministérielle qui ne fait que débuter, être l’objet d’une véritable coopération. Je veux parler de la sécurité routière ou, plus exactement, de la violence routière, qui est un vrai fléau aux Émirats arabes unis. Sur ces routes modernes et droites sur lesquelles circulent des chauffeurs de multiples nationalités au volant de puissantes voitures, les morts se comptent par centaines.
Pour l’instant, on ne peut absolument rien y faire. Sachez pourtant que Daniel Goulet avait proposé un programme de sécurité routière pour les écoles, la mise en place d’un vrai SAMU, qui n’existe pas en tant que tel, et la formation d’une police de la route.
Cette coopération, absolument indispensable, est un acte totalement détachable des autres sujets que nous pouvons évoquer entre la France et les Émirats arabes unis. Si vous le souhaitez, je suis à la disposition de celui de vos collaborateurs que vous voudrez bien me désigner pour traiter ce dossier auquel notre ambassade sur place est très attentive. Le Quai d’Orsay connaît d’ailleurs parfaitement ce sujet, qu’il évoque régulièrement. Vous le savez, la sécurité routière est un domaine dans lequel nous sommes particulièrement performants, et il y a tout à faire. Cette coopération pourrait donc être extrêmement utile aux Émirats arabes unis et à la France.
Par ailleurs, je veux rappeler que notre base militaire sur place est essentielle pour les autorités d’Abou Dhabi. Hier, celles-ci ont démantelé un réseau islamiste à Dubaï, preuve que la menace existe. Toute aide que nous pourrons apporter à ce pays ami sera donc bienvenue.
Je le répète, il ne s’agit pas de faire de l’angélisme. Il s’agit de pouvoir apporter la meilleure plus-value possible et, surtout, d’assurer une présence française dans une région dont nous sommes absents depuis trop longtemps.
Il est vrai qu’un millier d’hommes des Émirats arabes unis ont été en poste à Bahreïn. Mais, contrairement à nos amis saoudiens, les Émiriens, je tiens à le dire, sont restés casernés et n’ont pas participé à la répression. Dans la mesure où il existe un accord de défense entre les pays du Golfe, il serait un peu curieux qu’ils ne soient pas présents.
Je le répète une nouvelle fois, gardons-nous de l’angélisme ! La Suisse vient d’ailleurs de cesser ses exportations d’armes à destination des Émirats après avoir découvert qu’un certain nombre de grenades qu’elle leur avait vendues ont été retrouvées entre les mains de rebelles syriens.
Il ne faut pas imaginer que tout est simple dans cette partie du Golfe. Il faut être précis, prudent, vigilant. Plus le Parlement sera partenaire de cette coopération, plus nous aurons de chances que ces accords soient bien appliqués. Voilà pourquoi le président du groupe de l’Union centriste et républicaine a demandé, non pas une procédure simplifiée, mais un débat. Nous pensons en effet qu’il est nécessaire de nous exprimer clairement sur un accord de coopération avec un pays voisin de l’Iran et situé à la périphérie des printemps arabes.
Mes chers collègues, nous devons évidemment adopter cette convention et accroître notre coopération avec les Émirats arabes unis, même si cela ne doit pas nous empêcher de rester vigilants. C’est un pays important, un pays attachant. Il n’est pas parfait mais lequel d’entre nous l’est ?
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il me paraît important de faire un rappel pour rassurer certains des orateurs qui se sont exprimés.
Cet accord de sécurité intérieure ne doit en aucun cas être confondu avec un accord de défense. Il a pour principal objectif de réaliser des opérations de coopération technique qui visent à exporter l’expertise française en matière de sécurité intérieure. De plus, si la coopération opérationnelle est permise par l’accord, elle ne pourra prendre la forme que d’échanges d’informations strictement encadrés par les législations nationales en vigueur.
La France a une position claire consistant à défendre les droits de l’homme partout dans le monde et à soutenir les aspirations populaires dans la région.
Les Émirats arabes unis sont un État de droit qui coopère de façon satisfaisante avec les Nations unies. Des progrès peuvent certainement encore être réalisés, et nous pourrons en parler dans le cadre de notre dialogue bilatéral.
Madame la rapporteur, j’ai bien noté les dossiers qui vous intéressent, et je saurai faire appel à vous le moment venu.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État des Émirats arabes unis, signé à Abou Dabi le 26 mai 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre la France et les Émirats arabes unis marque l’aboutissement de quinze années de coopération technique. Il permet d’abord et avant tout de clarifier et d’officialiser les fondements de nos futurs échanges avec les Émirats arabes unis, dont le rôle pour la stabilité de la région est très important.
Beaucoup de nos collègues se sont exprimés sur la situation dans cette zone. Mais, en tant que parlementaires, nous devons nous concentrer sur le volet législatif de l’accord. Gardons-nous de tomber dans le piège de certains écueils ! Nous devons être prudents quant aux signaux qui pourraient être envoyés au-delà de cet hémicycle et à l’interprétation qui pourrait en être faite par les différentes représentations diplomatiques en France et à l’étranger. En effet, à l’heure où la diplomatie française œuvre pour la sortie de crise en Syrie – nous savons quelle est aujourd’hui la situation dans ce pays –, il est primordial de ne pas envoyer de messages qui pourraient nuire aux efforts de paix.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le présent projet de loi.
Personne ne demande plus la parole ?….
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Le projet de loi est adopté.
M. le président du Sénat a reçu de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, une lettre par laquelle cette commission demande, sur l’initiative de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé, l’exercice des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête afin de pouvoir mener, d’ici au 30 septembre, des investigations sur pièces et sur place, notamment auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Acte est donné de cette demande.
Conformément à l’article 22 ter de notre règlement, cette demande est transmise à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, appelée à émettre un avis sur sa conformité avec l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et sera soumise à la conférence des présidents lors de sa prochaine réunion prévue le 25 juillet.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 18 juillet 2012, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2012-280 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 24 juillet 2012 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
2. Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances rectificative pour 2012.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures cinq.