Mes chers collègues, ce traité mérite amplement d’être ratifié, car il apporte une réponse concrète, diverse et réaliste au formidable besoin de développement du peuple afghan.
La France n’a cessé, en quatre-vingt-dix ans, de renforcer ses relations amicales avec l’Afghanistan. La coopération mise en place a permis la création de lycées, le développement d’une action en faveur de l’archéologie ou encore un soutien humanitaire, mis en œuvre dès 1979. Durant toutes ces années, nous avons su mettre le savoir-faire français au service des populations afghanes.
Aujourd’hui, le développement de l’Afghanistan est un enjeu crucial pour l’avenir de la région et l’éradication des groupes d’islamistes radicaux. C’est en ce sens que la France souhaite accroître son engagement, par le biais de ce traité qui scelle notre coopération pour les vingt années à venir. Cet acte solennel établit ainsi les bases de nouvelles relations avec l’Afghanistan, afin que notre investissement dans cette région du monde particulièrement troublée perdure au-delà du retrait de nos troupes.
Par ce traité, la France s’engage aux côtés des forces gouvernementales dans une coopération bilatérale, notamment en matière d’agriculture, d’éducation, de lutte contre la drogue, de combat en faveur de la santé, mais aussi de gouvernance.
Même s’il est illusoire et vain de tenter d’imposer un système démocratique occidental à un pays de culture tribale et ancestrale très différente, notre effort doit néanmoins porter sur la gouvernance de cet État.
Qu’il s’agisse de la condition des femmes – M. le ministre a rappelé l’effroyable assassinat en public pour adultère d’une femme, le 11 juillet dernier – ou de l’accès de tous à l’éducation, nous désirons donner aux nouvelles autorités toute l’assise nécessaire pour faire assurer le respect de l’État de droit. Pour cela, le traité prévoit une collaboration accrue entre nos deux pays dans le domaine des institutions.
Toutefois, si ces buts sont louables, de nombreuses inquiétudes subsistent quant à la mise en œuvre de ce traité.
Le premier sujet d’inquiétude tient au coût financier de nos engagements. En effet, pour les cinq prochaines années, 308 millions d’euros de crédits d’aide civile au développement sont prévus à la suite de la conférence de Tokyo. C’est une somme considérable, monsieur le ministre : 50 millions d’euros par an pour un seul pays, alors que la France consacre en moyenne à chacun des quatorze pays les plus pauvres, cibles prioritaires de la coopération, à peine plus de 10 millions d’euros par an !
Au moment où les difficultés budgétaires ne cessent de s’accumuler, au point que le Gouvernement annonce ces jours-ci un vaste plan de rigueur concernant tous les Français, comment pourrez-vous tenir de tels engagements financiers ? Sachez que nous serons particulièrement attentifs à la réponse que vous nous apporterez sur ce point.
Notre deuxième sujet d’inquiétude a trait à la sécurité de nos militaires et de nos coopérants : l’État français a bien évidemment une responsabilité à cet égard.
Le nouveau Président de la République a décidé d’accélérer le retrait logistique de nos troupes : nous en prenons acte, mais nous craignons que ce retrait ne s’effectue dans la précipitation. Cette décision hâtive n’expose-t-elle pas nos troupes à des risques d’attentats et d’agressions, comme s’évertuent à le souligner de nombreux experts ?
Nous sommes également préoccupés par la sécurité des personnels dédiés à la coopération civile. Comme vous le savez, les groupes terroristes n’ont aucun scrupule à s’en prendre à la sécurité et à la vie des Français engagés dans les organisations non gouvernementales ; l’exemple du Sahel est, hélas, frappant à cet égard.
Certes, le traité leur garantit des immunités de juridiction et sécurise les conditions d’intervention de l’Agence française de développement, présente à Kaboul depuis des années : c’est une bonne chose, qui était attendue depuis longtemps. Cependant, les effectifs des troupes qui resteront sur place, avec des missions précises, seront-ils suffisants pour assurer leur sécurité ? Ce point continue de nous inquiéter.
Enfin, notre vigilance porte aussi sur l’efficacité de notre aide. Même si d’indéniables progrès ont été réalisés, principalement en matière d’infrastructures et de développement économique, l’Afghanistan reste frappé par la corruption, les rivalités idéologiques et le commerce institutionnalisé de la drogue, qui constituent autant d’obstacles au redressement durable et autonome de ce pays.
En particulier, nous craignons fortement la persistance d’infiltrations de rebelles talibans au sein des forces afghanes, d’autant qu’un retour des talibans au pouvoir favoriserait dans les pays voisins, notamment au Pakistan, la montée de l’islamisme radical.
Pour que notre aide soit efficace, votre action diplomatique, monsieur le ministre, devra donc privilégier l’implication des grandes puissances voisines – Pakistan, Iran, Chine et Russie –, sans le concours desquelles la paix ne reviendra pas.
De même, notre dispositif d’aide au développement se doit d’être le plus efficace possible. Malheureusement, la Cour des comptes vient de publier un rapport dans lequel elle dénonce l’éclatement de cette aide et un effet de saupoudrage. Dans le cas de l’Afghanistan, il semblerait même que nous atteignions des sommets d’irréalisme : on ajoute la dispersion à la pénurie pour achever de priver notre action de toute lisibilité.
En tant que rapporteurs pour avis des crédits de la mission « Aide au développement », Jean-Claude Peyronnet et moi-même insistons sur le fait qu’il faut impérativement rationaliser notre dispositif et évaluer de façon régulière les actions conduites si nous voulons être efficaces. Je tiens à saluer, à cet instant, l’action menée en ce sens par notre collègue Henri de Raincourt lorsqu’il était ministre de la coopération. Son successeur, Pascal Canfin, qui a eu l’élégance et la courtoisie de nous recevoir, nous a déclaré qu’il faisait de l’évaluation, de la transparence et de la lutte contre la corruption des priorités de la coopération internationale : l’Afghanistan est un terrain d’application tout trouvé pour cette politique, et nous l’aiderons bien évidemment à la mettre en œuvre.
Monsieur le ministre, le Gouvernement devra relever trois défis pour réussir à rendre ce traité utile et productif.
Le premier d’entre eux sera celui de la gouvernance : dans un pays où la corruption endémique empêche toute avancée, il y a fort à craindre que l’aide internationale ne se perde dans les sables mouvants du népotisme et de la concussion qui gangrènent tout l’appareil d’État. Aussi, monsieur le ministre, à quelles conditions comptez-vous soumettre l’octroi de notre aide ? Les élections doivent se tenir en 2014 et en 2015 : pensez-vous pouvoir influer sur l’action du gouvernement afghan pour que des réformes profondes favorisent la sincérité du scrutin et endiguent la corruption ?
Il nous faudra aussi faire émerger des activités économiques diversifiées. Il s’agit là de développer des activités de substitution à la culture du pavot. Je partage sur ce point l’analyse du président Carrère : il convient d’être optimistes face à ce défi, au demeurant fort difficile à relever si l’on considère que le chiffre d’affaires lié à cette production se situe, selon les instances internationales, entre 1 milliard et 4 milliards de dollars. Cela étant, M. Carrère a rappelé avec raison que les paysans afghans ne recueillaient qu’une faible part de ces sommes.
C’est à juste titre que l’on a fait du développement agricole du premier pays producteur d’opium et d’héroïne l’une des pierres angulaires du traité, afin de tenter d’assurer un revenu de substitution aux exploitants agricoles. Le traité retient toutes les bonnes options : mise en culture du coton, irrigation, mécanisation, électrification, élevage, enseignement agricole. Les jalons sont posés, saurons-nous les exploiter ? Nous aurons besoin de toute la compétence de nos coopérants pour y parvenir. Vous devrez savoir les soutenir, monsieur le ministre, et leur donner les moyens d’agir.
Un autre défi concerne l’amélioration des conditions de vie et la protection des libertés, qui devront être constantes durant ces vingt prochaines années, et bien au-delà.
S’agissant de l’accès aux soins, de l’accès à l’éducation, de la préservation du patrimoine architectural et culturel, le traité, là encore, ouvre la voie et trace la route. Les moyens suivront-ils ? Il ne faudrait pas que les grandes réalisations, comme l’hôpital pour la mère et l’enfant de Kaboul, cachent la triste réalité d’un délabrement des infrastructures sanitaires dans les campagnes. La situation des femmes et des enfants afghans sera notre critère pour mesurer les progrès accomplis.
Enfin, il est légitime d’espérer, avec un tel effort de coopération, que les entreprises françaises pourront accéder au marché de la reconstruction et du développement de l’Afghanistan. Trop souvent, hélas ! la France consent des efforts de coopération importants, mais se voit supplantée par bien d’autres pays lorsqu’il s’agit de bénéficier des fruits de la reconstruction. Il conviendra donc de préserver les intérêts de la France et ceux de nos entreprises. À cet égard, l’exemple d’Haïti est riche d’enseignements. Vous nous préciserez, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire en ce sens.
Mes chers collègues, le 27 janvier dernier, la France s’est solennellement engagée dans une nouvelle dynamique aux côtés du peuple afghan. Il revient désormais au nouveau gouvernement de donner une portée concrète aux promesses d’aide au développement contenues dans ce traité. Nous serons là pour vous accompagner dans un esprit constructif, monsieur le ministre, mais nous serons aussi, vous le comprendrez, particulièrement vigilants.
La France a apporté une contribution majeure à la lutte contre le terrorisme en Afghanistan : 3 500 de nos soldats y ont servi avec courage et abnégation ; surtout, quatre-vingt-sept d’entre eux y ont fait le sacrifice de leur vie, et nous leur rendons une nouvelle fois un hommage unanime. Ces sacrifices ne doivent pas rester vains : il faut que nos soldats, que les familles de nos disparus sachent que le prix immense qu’ils ont payé permettra un jour à l’Afghanistan de vivre en paix et dans la prospérité. Ce jour-là, ce jour-là seulement, le don de leur vie aura trouvé un sens !