Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur et président de la commission, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan.
Ce traité est l’aboutissement d’un processus relativement rapide, qui a débuté à l’occasion du déplacement du Président Sarkozy à Kaboul le 12 juillet 2011. Un projet de traité a été présenté par le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes à son homologue afghan lors de sa visite à Paris, le 26 octobre dernier. Les négociations n’ont rencontré aucune difficulté majeure et ont permis d’aboutir à un accord sur l’ensemble du texte le 3 janvier 2012.
Le traité a donc été signé le 27 janvier 2012 par nos deux pays. Le programme de coopération quinquennal qui le complète a été paraphé le jour même par les ambassadeurs de France et d’Afghanistan. Ce nouveau traité vise ainsi à rationaliser le cadre juridique de l’ensemble des relations franco-afghanes, en regroupant au sein d’un seul instrument les différents volets de notre coopération.
Aux termes de l’article 13, son entrée en vigueur entraînera l’abrogation de l’accord de coopération culturelle et technique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan du 21 août 1966, qui constituait jusqu’à présent l’épine dorsale de la coopération entre les deux pays.
La France, présente sur le théâtre des opérations afghan depuis 2001, entend dorénavant modifier la nature de son engagement, parallèlement au retrait progressif de ses forces combattantes. Ce traité marque donc le passage d’une vision principalement axée sur une démarche militaire à une conception beaucoup plus marquée par une approche civile.
L’Afghanistan s’efforce désormais de s’inscrire dans une certaine normalité au regard de la vie internationale. En témoigne notamment la conclusion de partenariats avec d’autres États, en particulier avec l’Inde, en octobre 2011, un partenariat avec les États-Unis étant actuellement en préparation.
Ce pays tente de se relever d’une situation sécuritaire particulièrement chaotique depuis l’intervention soviétique de 1979. Sa stabilité intérieure reste plus que jamais un sujet de préoccupation.
Carrefour de l’Asie, l’Afghanistan a entretenu, tout au long de son histoire tumultueuse, des rapports tourmentés avec le monde extérieur, puisqu’il a connu à maintes reprises la présence de forces étrangères sur son sol, qu’il s’agisse des Britanniques entre 1840 et 1919, des soviétiques de 1979 à 1989 ou, depuis 2001, de la coalition internationale formée par quarante-neuf pays, dont la France.
La mise en place et la pérennisation d’un État de droit représentent ainsi les défis majeurs que l’Afghanistan doit relever. En effet, la viabilité d’un pays dépend avant tout de la robustesse de ses institutions.
Dans cette optique, le traité d’amitié et de coopération, comme le prévoit son article 1er, est sous-tendu par un double objectif : perpétuer les liens d’amitié, de paix et de solidarité qui unissent les deux pays ; établir des programmes quinquennaux de coopération dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la démocratie, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, de l’archéologie, de la culture, des infrastructures, des ressources minières et de la formation des cadres civils.
Composé de treize articles, ce traité tend à couvrir les domaines administratifs, sécuritaires, économiques, sociaux et financiers.
L’article 2 prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes : une commission pour le suivi des programmes de coopération, une commission politico-militaire et une commission de sécurité intérieure.
L’article 3 traite du volet purement « défense et sécurité » de la coopération.
L’article 4 porte sur la coopération agricole et le développement du monde rural.
L’article 5 a trait au volet sanitaire de la coopération, visant notamment à réduire les taux de mortalité maternelle et infantile et à améliorer l’accès aux soins.
Les articles 6 et 7 traitent de la coopération en matière d’éducation, d’enseignement supérieur et d’échanges culturels, avec l’objectif de protéger et de mettre en valeur le patrimoine archéologique, historique et artistique de l’Afghanistan.
L’article 8 développe le thème de la gouvernance démocratique, en insistant en particulier sur la protection des droits des femmes et l’accès de celles-ci à la justice.
Les articles 9 et 10 portent sur le développement des infrastructures afghanes et sur les questions économiques, financières et commerciales.
Quant aux trois derniers articles, ils sont surtout d’ordre administratif.
L’article 11 traite des dispositions fiscales relatives aux institutions et personnels français qui participent à la relation bilatérale.
L’article 12 aborde notamment les questions d’immunité relatives au personnel coopérant français.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 13 prévoit que l’entrée en vigueur du traité abrogera les instruments juridiques ayant précédemment existé, c’est-à-dire l’accord de coopération culturelle et technique du 21 août 1966 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan, ainsi que ses annexes.
En tant qu’écologiste, je me félicite de l’inflexion vers une coopération clairement civile qu’apporte ce traité.
En effet, l’établissement et le développement d’un État de droit légitime et efficace sont les conditions indispensables à l’épanouissement d’une société civile apaisée en Afghanistan. Une réponse purement militaire ne peut être viable à long terme si l’on souhaite voir naître un Afghanistan plus démocratique et plus sûr.
En revanche, je note l’absence d’un volet environnemental dans ce traité. Je trouve ce fait fort dommageable, compte tenu des dégâts écologiques causés par les conflits successifs en Afghanistan. Ce point est souvent omis, ignoré, pourtant le colloque « guerre et environnement » organisé au Sénat le 6 mars 2008 a permis de rappeler que près de 95 % des forêts d’Afghanistan avaient été détruites au cours de décennies de conflits.
Dès 2003, un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement sur les conséquences des conflits en matière environnementale et sanitaire, réalisé en collaboration avec les autorités afghanes, soulignait que le pays était au bord d’un véritable désastre environnemental, constituant un frein important à sa reconstruction.
Le rapport d’évaluation avait été élaboré par une vingtaine de scientifiques afghans et internationaux ayant examiné trente-huit sites urbains répartis dans quatre villes et trente-cinq sites ruraux. Le tableau alors dressé se révéla extrêmement préoccupant. Les phénomènes de déforestation et de désertification ont été aggravés par une pollution désastreuse : décharges toxiques, réseaux d’égouts dévastés, raffineries et usines ne respectant nullement les normes.
En outre, des tests effectués sur l’eau potable révélèrent de très fortes concentrations en bactéries provenant du réseau d’égouts et constituant une menace importante pour la santé publique, les enfants étant notamment susceptibles de contracter le choléra.
Les différentes investigations menées par le Programme des Nations unies pour l’environnement avaient permis de constater l’état de délabrement des installations, les pollutions engendrées, le manque de maintenance, de moyens et de compétences dans le secteur industriel, lequel présente ainsi des risques pour les populations et les enfants qui y travaillent sans protections.
M. Toepfer, alors directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, souligna qu’il était évident qu’une grande partie des efforts en vue de la reconstruction du pays devraient passer par une restauration de l’environnement. Il rappela que plus de 80% des Afghans vivaient en zones urbaines et qu’ils avaient vu leurs ressources vitales – eau pour l’irrigation, bois pour le chauffage et le carburant – perdues en seulement une génération.
Il faut impérativement comprendre que les questions de sécurité et de préservation de l’environnement sont intimement liées.
À ce titre, l’évaluation de l’environnement rural révéla d’importantes pertes de surfaces boisées dans la plupart des régions du pays durant les trente dernières années. Cela est dû à l’économie mise en place sous les talibans, qui exportaient leur bois principalement vers le Pakistan, mais aussi, naturellement, aux conflits, qui incitaient les militaires à déboiser des zones pouvant servir de camps retranchés et favorables aux embuscades.
Aussi le Programme des Nations unies pour l’environnement a-t-il formulé 163 recommandations pour renforcer la législation sur l’environnement, créer des emplois, reconstruire les infrastructures, évaluer les effets des pollutions, améliorer la qualité de l’eau, de l’air, des sols, établir des zones protégées, reboiser, lutter contre la désertification, permettre l’accès aux ressources vitales, redévelopper l’agriculture…
La problématique environnementale n’est donc pas accessoire. Elle revêt même une dimension stratégique essentielle, en particulier dans le cas de l’Afghanistan moderne.
Dans cette perspective, il aurait été pertinent, selon nous, d’ajouter un quatorzième article destiné à définir de manière précise une coopération environnementale entre la France et l’Afghanistan, passant par un renforcement des liens entre les institutions compétentes, ainsi que par la mise en place de formations spécifiques pour les futurs cadres de la société afghane.
En outre, l’article 2 du traité aurait pu être enrichi par la création d’une quatrième commission mixte autonome appelée à traiter exclusivement des questions environnementales.
À défaut de prendre en compte tous ces éléments dans le traité lui-même, le Gouvernement pourrait peut-être les inclure dans les programmes de coopération et de développement qui y seront attachés dans le futur, dont un axe fort pourrait justement être l’action dans les domaines de l’environnement et de la soutenabilité.
Voyez-vous, mes chers collègues, le cas afghan est emblématique des conséquences dramatiques des conflits armés sur l’environnement. Il est essentiel de comprendre que la paix et le développement durable sont intrinsèquement associés.
Ces observations étant faites, je pense que ce traité constitue malgré tout une avancée pour le développement de l’Afghanistan, eu égard à son approche à dominante civile et aux multiples programmes de coopération qu’il recouvre.
Le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan va donc dans la bonne direction. En conséquence, le groupe écologiste le votera. §