Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le traité qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui marque une étape de plus – décisive, espérons-le ! – dans le long historique des relations diplomatiques franco-afghanes.
Voilà déjà quatre-vingt-dix ans, la délégation archéologique française en Afghanistan était créée, posant ainsi les bases d’une riche coopération culturelle. En 1923, le premier lycée francophone, connu aujourd’hui sous le nom d’Esteqlal, voyait le jour. Le 21 août 1966, un accord de coopération culturelle et technique était signé entre nos deux pays. Mais jamais n’avions-nous encore été unis par un traité. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers traités signés par l’Afghanistan avec un pays en dehors de sa région.
D’emblée, je veux souligner que, au-delà des relations franco-afghanes, c’est aussi, de façon plus générale, la stabilisation de l’Afghanistan qui est ici en jeu. En effet, voilà près de onze ans, les États-Unis et leurs alliés, dont la France, attaquaient le régime taliban pour mettre fin à son soutien affiché aux actions terroristes d’Al-Qaïda. Une guerre longue, trop longue, s’est ensuivie, qui a endeuillé des milliers de familles afghanes et qui a aussi coûté la vie à quatre-vingt-sept de nos soldats. Je veux ici, après d’autres, et je sais que l’ensemble des personnes présentes se joindront à moi, rendre hommage à ces disparus et saluer leur engagement au service de la France et de la paix.
On le sait, en Afghanistan, la guerre n’a pas encore cessé. Toutes ces années de conflit, ainsi qu’une instabilité chronique depuis l’invasion soviétique de 1979, ont mis le pays dans une situation humaine, économique et politique difficile. Aujourd’hui, nous l’espérons, l’heure de la stabilisation est venue.
Le traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan a été évoqué pour la première fois entre les présidents Hamid Karzaï et Nicolas Sarkozy à l’été 2011, à l’occasion d’un déplacement de ce dernier à Kaboul. Il a été signé le 27 janvier dernier, alors que M. Karzaï était à Paris. Depuis lors, le Président de la République, François Hollande, a effectué, à son tour, une visite en Afghanistan, quelques jours seulement après son investiture. Reste donc aujourd’hui aux parlements français et afghan à donner leur accord sur ce texte.
Du côté afghan, les réactions ont été immédiatement très positives lorsque le projet de traité a été présenté. Je pense que, pour notre part, nous pouvons également le considérer avec bienveillance. Je soulignerai qu’il s’agit d’un texte incontournable si l’on veut engager efficacement l’après-2012 pour la France en Afghanistan. Le temps de la présence militaire est révolu. C’est dans le domaine civil que nous aurons désormais un rôle à jouer.
Mais agir sur le civil ne signifie pas ignorer le militaire, la sécurité des Afghans et des Français. Ainsi, dès les premières lignes du traité, il est rappelé que la France « poursuit son appui à la formation et à l’efficacité des forces de sécurité afghanes ». Il s’agit non seulement de donner les moyens aux forces afghanes d’assurer la sécurité dans leur pays, mais aussi de prévenir toute menace qui pourrait viser les intérêts français. Nous aiderons l’Afghanistan – en tant que rapporteur pour avis du budget de la gendarmerie, j’y suis particulièrement sensible – à créer une gendarmerie nationale.
La volonté d’agir et de bien faire est indéniable, mais, seule, elle ne suffira pas. Il faudra aussi que les personnels formés soient en mesure de repérer et de circonscrire ces menaces, ce dont nous n’avons pas l’assurance pour le moment. Je m’inquiète notamment de la faible cohésion qui semble régner au sein des armées ainsi que du niveau des salaires, qui favorise la corruption. Je m’inquiète également de la pénétration, dans les forces de sécurité, d’éléments favorables aux talibans, qui ont d’ailleurs causé des pertes à nos forces armées. Kaboul même est touché par des attentats. Certaines provinces sont toujours tenues par les seigneurs de la guerre et n’attendent peut-être que le départ des forces, qu’ils considèrent comme des forces d’occupation, pour se déployer dans tout le pays et ruiner les espoirs de paix et de démocratie que nous nourrissons.
Dès lors, nombreux sont ceux qui peuvent douter de l’avenir de ce pays, l’un des plus pauvres de la terre, comme l’ont rappelé certains orateurs, en raison de ce que je viens de dire, de la poursuite de la culture du pavot, qui alimente les trafics de stupéfiants et les réseaux mafieux partout dans le monde, de la faiblesse du pouvoir actuel, de l’instabilité régionale, ou bien encore de la crise économique et sociale dans notre pays.
Bref, pour beaucoup, le scepticisme est grand. Comment croire que l’on pourrait obtenir par des conventions ou des traités ce que l’on n’a pu que partiellement réussir avec des soldats dans le cadre de la FIAS ? Quel avenir pour un traité d’amitié, dès lors que le pays serait à nouveau dirigé par des forces intégristes et obscurantistes ? J’entends même certains s’émouvoir du coût d’un tel traité dans le contexte social de notre pays et plaider pour un repli sur soi, pour une forme de résignation, voire de renoncement.
Mais a-t-on le droit d’abandonner l’espoir ? A-t-on le droit d’abdiquer face au risque ? Ne rien faire serait, à mon sens, hautement coupable. Ce traité d’amitié, au-delà du volet sécurité, pose des conditions qui ont à voir avec l’humanité et la dignité.
Faut-il injurier l’avenir d’un pays pauvre, pourtant si riche de ressources culturelles et aux richesses minières prometteuses ? Faut-il laisser ce pays livré à lui-même après le départ de nos troupes, sans soutenir ni aider celles et ceux qui portent des idées de progrès, d’émancipation et de liberté ? Je pense le contraire. Je crois à l’effet des liens tissés par ce traité d’amitié, à l’espoir qu’il peut susciter pour de nombreux Afghans. C’est pourquoi, ne voulant récolter ni la honte ni le déshonneur, mes collègues du groupe socialiste et moi-même voterons en faveur de ce traité.