Intervention de André Gattolin

Réunion du 18 juillet 2012 à 14h30
Accord de coopération en matière de sécurité intérieure avec les émirats arabes unis — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la demande de nos collègues de l’UCR d’un débat de deux heures sur un tel sujet nous a, dans un premier temps, un peu surpris. Cet accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre les Émirats arabes unis et notre pays s’inspire en effet d’un « accord type », dont de nombreux avatars ont déjà été adoptés via une procédure de vote simplifiée, sans débat ni prise de parole dans l’hémicycle. J’y vois, toutefois, l’occasion de développer la position des écologistes sur ce type de textes en général et sur le présent projet de loi en particulier.

Nous avons pour habitude de nous abstenir lorsqu’un accord de sécurité intérieure est soumis à cette assemblée. En effet, de tels textes entrent globalement en contradiction avec la conception écologiste de l’intérêt général et notre attachement au principe de protection des libertés individuelles. J’y reviendrai dans un instant.

S’agissant de l’accord dont il est question aujourd’hui, alors que le débat nous donne l’opportunité d’examiner le fond de la chose et de préciser ce qui, à nos yeux, pose véritablement problème, la position du groupe écologiste se veut plus ferme encore qu’à l’accoutumée.

Tout d’abord, vous me permettrez, mes chers collègues, de m’arrêter sur ce qui constitue l’accord type de coopération en matière de sécurité intérieure : élaboré par la France en 2007, il appartient à l’héritage que nous a laissé, en matière de sécurité et de politique étrangère, l’ancienne majorité, notamment la ministre de l’intérieur de l’époque et l’un de ses successeurs.

Cet accord type a pu, certes, obtenir l’assentiment de nos amis socialistes à plusieurs reprises, ce qui prouve bien que ces domaines sont complexes et appréciés diversement, indépendamment des clivages politiques. Je crois cependant que, comme le reste dudit héritage, il mérite d’être évalué et repensé. D’autant que le changement arrivé en France a aussi frappé à la porte d’autres États, et dans des proportions autrement plus importantes ! Je veux parler d’États avec lesquels de semblables coopérations ont pu être menées par le passé et avec lesquels nous nous devons de mettre en place des relations sur des bases franchement renouvelées.

Ensuite, en ce qui concerne le contenu de l’accord type, notre première réticence réside dans son champ d’application, défini à l’article 1er. Celui-ci place en effet au même rang les différents domaines que recouvre la notion de « sécurité intérieure », donnant autant d’importance à la « lutte contre l’immigration illégale » qu’à la « lutte contre la criminalité organisée » ou « la lutte contre la traite des êtres humains, contre l’abus et l’exploitation sexuelle des enfants ».

Un tel amalgame nous semble inopportun, alors qu’il paraît nécessaire d’apporter une réponse proportionnée à chacun de ces domaines. En particulier, mettre au même niveau l’« immigration illégale » et la « traite des êtres humains » va clairement à l’encontre de notre attachement à la liberté de circulation des personnes.

L’article 2 de l’accord type expose les méthodes de coopération. Il s’agit notamment de faciliter l’échange d’informations entre les autorités des deux pays et de prendre les mesures policières nécessaires à la demande de l’autre partie, ce qui ne nous semble pas adapté sur des domaines tels que l’immigration illégale.

Mes chers collègues, l’accord type de coopération en matière de sécurité intérieure ne nous paraît généralement pas posé de façon pertinente : pour sa genèse, pour sa finalité, comme pour ses modalités précises.

J’en viens au cas particulier qui nous occupe aujourd’hui, un cas d’autant plus particulier que les Émirats arabes unis sont réputés appartenir aux pays les plus sécuritaires de la planète.

Il ne s’agit pas de dénier toute logique à l’accord. Après tout, formaliser la coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure entre la France et les Émirats arabes unis, qui existe déjà, de fait, depuis 1995, paraît sensé. En outre, nous reconnaissons les raisons qui poussent nos collègues à voter ce texte, lequel présente peu de contraintes pour notre pays, sur les plans tant financier et opérationnel que juridique. La ratification d’un accord de coopération est toujours perçue comme un signal positif et une preuve d’ouverture sur le plan diplomatique. Cela facilite également les échanges d’expériences et le partage de compétences entre les deux États concernés. Aux yeux de beaucoup, ces avantages paraissent sans doute suffisants.

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je crains, toutefois, qu’en suivant ce raisonnement nous ne fassions fausse route. Est-il vraiment nécessaire de rappeler la situation des droits humains aux Émirats arabes unis ?

À quoi cela rimerait-il d’établir une coopération de sécurité avec un pays où le simple fait de critiquer le gouvernement et de réclamer des réformes est passible d’emprisonnement ?

À quoi cela rimerait-il de coopérer avec un pays qui place l’impératif de sécurité intérieure au-dessus de tout respect des droits humains ?

Les Émirats arabes unis sont dotés, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, de services de renseignement très pointus, reposant sur un réseau d’informateurs vraiment dense et un important recours au croisement de fichiers informatiques. L’État émirien s’appuie également sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment au travers de son réseau de carte nationale d’identité informatique permettant la reconnaissance des empreintes digitales et de l’iris, ce qui lui assure une efficacité redoutable en matière de lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Il est inutile de préciser que, dans ces conditions, la population migrante, qui représente 87 % des habitants, est très étroitement surveillée.

Les sanctions pénales à l’encontre des expatriés sont systématiquement assorties d’une expulsion, voire d’une interdiction de retour. Elles sont parfois motivées par le seul fait d’avoir voulu exercer un droit syndical, puisque le gouvernement a le pouvoir de briser une grève et de forcer la reprise du travail ; l’an dernier, au moins 71 personnes originaires du Bangladesh ont ainsi été expulsées en raison de leur rôle dans un conflit social.

Le code pénal donne le pouvoir à l’État de poursuivre et d’emprisonner des citoyens pour atteinte à la sûreté de l’État. Ce dernier y a eu recours, l’an dernier, contre au moins 5 hommes qui avaient simplement critiqué, sur internet, la direction du pays. Le code pénal donne aussi à chaque homme le droit de discipliner femme et enfants, si besoin par la force.

Je ne rappellerai pas le rôle qu’ont pu jouer les Émirats arabes unis en 2011, lorsqu’ils ont prêté main-forte à Bahreïn, qui faisait alors face à une contestation grandissante. Certes, les troupes émiraties n’ont, semble-t-il, pas directement participé à la répression. Mais qu’aurait-on dit si tel avait été le cas et que certains de leurs éléments avaient été formés par la France en vertu de cet accord ? Il faut le savoir, parmi les formations dont les forces de l’ordre émiraties ont pu bénéficier au cours des années 2009 et 2011, on trouve aussi bien un apprentissage aux techniques d’enquête en matière de crime sexuel – je ne trouve rien à y redire – que des formations dites « snipers » ou « snipers avancées » !

Mes chers collègues, à quoi cela rime-t-il de ratifier un accord de sécurité intérieure avec un pays dont la conception de la sécurité est telle qu’elle va à l’encontre des valeurs de la République française ?

Certains espèrent qu’en partageant nos compétences techniques nous encouragerons les Émirats arabes unis à faire évoluer leur droit interne vers une meilleure garantie des droits humains. N’encourageons-nous pas, au contraire, cet État ultrasécuritaire à poursuivre sa politique ? Ne cautionnons-nous pas, indirectement, des pratiques attentatoires aux libertés publiques, en contribuant à renforcer l’efficacité des forces de l’ordre émiriennes ?

J’exprimerai une dernière réserve sur le présent texte. Présentant une spécificité par rapport à l’accord type, il pourrait nous placer dans une situation délicate sur le plan diplomatique. Je pense aux dispositions de l’article 6, aux termes duquel, en cas de refus de coopération, la partie sollicitée doit justifier sa décision auprès de la partie requérante. Cette précision a été demandée par l’État émirien, alors que, dans l’accord type de coopération de sécurité intérieure, la partie sollicitée doit simplement informer de son refus, et non le justifier.

Je n’ose imaginer la prudence dont nos services devront faire preuve, dans leurs travaux de justification, dès lors qu’ils voudront décliner une demande tout en évitant un incident diplomatique. Je ne serais pas surpris que cela s’avère le moyen le plus efficace de nous contraindre à l’autocensure.

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà deux mois, les citoyens français ont fait le choix du changement. Ce choix, nous devons le respecter dans tous les domaines. Cela passe, notamment, par une vision renouvelée de nos relations diplomatiques.

Le champ de la coopération internationale est vaste ; adopter un accord en matière de sécurité intérieure avec un État sécuritaire ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons d’un quinquennat humaniste et progressiste.

Pour nous, écologistes, l’heure n’est plus à la ratification de traités à la finalité douteuse. Notre pays s’est doté des moyens intellectuels et humains nécessaires pour proposer à nos partenaires internationaux des accords pertinents.

Mes chers collègues, nous avons confiance dans le Gouvernement et dans sa capacité à impulser un vrai changement. C’est précisément pour cela que nous voterons contre ce texte, élaboré à une autre époque et ne reflétant pas ce qui doit constituer, pour nous, les priorités de la majorité en matière de diplomatie, de défense et de sécurité.

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