Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur un accord de coopération policière, conclu le 26 mai 2009 à Abou Dhabi, voilà maintenant près de trois ans, entre le ministre français des affaires étrangères et le ministre émirien de l’intérieur représentant la Fédération des Émirats arabes unis. Il serait temps de ratifier cet accord s’il était banal. Mais tel n’est pas le cas, et cet examen en séance publique, plutôt que selon la procédure simplifiée, nous donne l’occasion d’évoquer les questions sensibles qu’il soulève.
Je voudrais dire, d’emblée, que je comprends parfaitement que la France signe ce type d’accords de coopération technique avec des États étrangers. Cela nous permet d’exporter notre savoir-faire dans ce domaine ; notre industrie de défense et de sécurité peut éventuellement en recueillir quelques retombées. J’apprécie que notre savoir-faire et nos matériels puissent ainsi se faire une place dans une région où les Américains et les Britanniques sont solidement implantés.
Je sais également que, dans le domaine policier, si nous ne devions coopérer qu’avec des pays démocratiques, notre champ d’intervention serait extrêmement réduit. Il y a toutefois des limites, des principes à respecter.
Un pays comme le nôtre ne peut prétendre à l’exemplarité que s’il défend, de par le monde, un certain nombre de valeurs, en particulier celles de la République, auxquelles nous sommes tous attachés.
Il y a deux aspects à considérer dans cet accord : l’accord-cadre, proprement dit, et le contexte dans lequel il a été signé et dans lequel il évoluerait.
L’accord-cadre est quasiment identique aux accords de coopération technique sur la sécurité intérieure que nous signons avec de nombreux pays. Il vise à préciser la coopération technique en matière de sécurité intérieure que nous entretenons déjà avec les Émirats arabes unis.
Les neuf articles sont donc très généraux et apportent des précisions juridiques au contenu de l’accord. Ils peuvent sans doute avoir pour vertu de donner une doctrine d’emploi à peu près claire et organisée aux forces policières émiraties, qui en sont dépourvues.
Les domaines couverts sont très étendus : la lutte contre le terrorisme, le trafic et la consommation de stupéfiants, la prostitution, le blanchiment d’argent, ce qui est d’ailleurs assez cocasse quand on connaît la réalité de ces pays, l’immigration illégale, ou bien encore l’insécurité routière.
Tout cela évoluera dans un cadre juridique assez flou. En effet, contrairement à la France, les Émirats arabes unis n’ont pas pris d’engagements internationaux dans les domaines cruciaux que sont la lutte contre le terrorisme ou bien la criminalité organisée. Ils ne sont pas non plus partie à la convention unique des Nations unies sur les stupéfiants.
Au-delà de l’accord-cadre, il est essentiel de connaître le contexte dans lequel il s’exercerait si nous le ratifiions, c’est-à-dire la réalité politique, économique et sociale des Émirats arabes unis, ainsi que les objectifs implicites que ceux-ci se fixent en matière de sécurité intérieure. Ces objectifs sont d’ailleurs très bien exposés dans le rapport écrit de notre commission que nous a présenté Mme Goulet.
On y apprend, sans surprise, que bien que les Émirats arabes unis n’aient, jusqu’ici, pas connu d’actes terroristes et que les taux de délinquance y soient très faibles, ce qui préoccupe les dirigeants et leur apparaît comme la principale menace est la présence de fortes communautés de travailleurs étrangers. Il faut en effet savoir que, dans chacun des émirats, les Yéménites, les Philippins, les personnes originaires du Bengladesh, par exemple, sont très largement majoritaires par rapport aux autochtones. Ils sont, la plupart du temps, cantonnés dans des emplois subalternes et dans des tâches souvent les plus ingrates.
Les ressortissants nationaux profitent, eux, de la redistribution de la rente pétrolière, du commerce international, des activités financières. Ils doivent pourtant une part importante de leur prospérité au travail de ces étrangers.
Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste des pays du Golfe pour comprendre les tensions qu’engendre une telle situation, ni pour imaginer comment les conflits y sont résolus !
Le rapport écrit de notre commission explique très clairement les recettes des dirigeants des émirats pour assurer la stabilité de leurs régimes politiques. Je ne résiste d’ailleurs pas au plaisir d’en citer un passage : cette stabilité « s’explique par d’excellents services de renseignements, qui recourent abondamment à la technologie – l’utilisation massive de la vidéo surveillance, censure d’internet, surveillance des liaisons téléphoniques, équipements de pointe dans les aéroports… – mais aussi aux sources humaines. Dans un pays qui compte environ 85 % d’expatriés, les services de renseignement disposent d’un réseau très efficace d’informateurs réguliers ou occasionnels. » Je crois que tout est dit !
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les Émirats arabes unis ne connaissent ni opposition politique, ni contestation sociale importante, pas plus que de mouvements se réclamant d’un islamisme radical. Les droits de l’homme et les droits sociaux y sont des notions quasiment inconnues.
Mais cet accord s’inscrit aussi plus largement dans la politique que menait le précédent gouvernement dans cette région. Je rappelle qu’il a été signé en même temps qu’un très important accord de défense avec ces mêmes Émirats arabes unis.
Notre groupe avait, à l’époque, critiqué cet accord et voté contre. S’il nous permettait, certes, d’ouvrir une base militaire à Abou Dhabi, il marquait, surtout, une nouvelle fois, l’alignement du gouvernement de Nicolas Sarkozy sur la politique des États-Unis en nous insérant dans leur dispositif au cœur d’une région qui concentre les risques de conflits les plus lourds de la planète. En outre, le texte de l’accord envisageait que la France puisse mettre en œuvre « tous les moyens militaires à sa disposition » pour défendre les Émirats arabes unis s’ils venaient à être agressés. Il introduisait ainsi une grande ambiguïté sur l’utilisation éventuelle de nos armes nucléaires.
Fût-il technique, l’accord de coopération policière avec les Émirats arabes unis ne peut être détaché de ce contexte. Son contenu répressif n’est ni un procès d’intention à l’égard des Émirats arabes unis ni une hypothèse d’école. Je rappelle que, il y a quelques années, à Dubaï, des manifestations d’ouvriers originaires du Bengladesh qui protestaient contre leurs conditions de travail ont été très durement réprimées. Il faut aussi se souvenir que des éléments des Émirats arabes unis sont intervenus il y a quelques mois à Bahreïn aux côtés des Saoudiens.
Au moment où notre pays est pleinement engagé à l’ONU dans des discussions pour fixer un cadre déontologique aux exportations d’armements, réfléchissons avant de signer ce type d’accord ! Ne prenons pas le risque de nous voir reprocher par la suite de tenir un double langage !
Je considère qu’il y a dans cet accord de coopération en matière de sécurité intérieure trop d’ambiguïtés et de contradictions pour l’approuver. À l’évidence, il entre en totale contradiction avec le discours que la gauche a pu tenir et avec les valeurs qu’elle a défendues lors des « printemps arabes ». Pour ma part, il n’est pas question d’accepter de prêter main-forte à des régimes qui veulent préserver leur émirat pétrolier de toute contestation sociale.
Et que l’on ne nous oppose pas le respect de la parole de la France ! C’est bien pour que le Parlement puisse exercer sa souveraineté que notre Constitution prévoit que les traités internationaux, signés par les plus hautes autorités de l’État, sont ratifiés après discussion devant les assemblées.
Pour cet ensemble de raisons, vous aurez donc compris, monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, que le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre cet accord.