Concernant la revalorisation des professions, dont parlait Mme Michelle Meunier, je pense que le travail commencé doit être poursuivi. Dans certaines professions, l'analyse des tâches accomplies doit aboutir à revaloriser certaines fonctions.
Mais, si elle est nécessaire, cette analyse n'est, à mon sens, pas suffisante.
En effet, on voit bien que l'arrivée d'hommes dans des professions dites « féminines » suffit à en relever le prestige. C'est pourquoi nous avons axé notre stratégie d'action sur l'impulsion de choix professionnels et de conduites de carrière qui visent à créer de la mixité professionnelle.
Car, il ne faut pas se leurrer : si l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail a invalidé les anciennes représentations, et notamment l'idée que le salaire de la femme serait un « salaire d'appoint », on est encore confronté à des mentalités qui fonctionnent sur ces anciens schémas.
A cet égard, une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré que, dès l'adolescence, les filles envisagent des métiers qui leur permettront d'articuler au mieux responsabilités familiales et responsabilités professionnelles, alors que les garçons s'inscrivent, eux, déjà, dans des projets professionnels purs et durs !
Vous avez relevé que les hommes qui s'engagent dans le secteur social cherchent à accéder à des responsabilités. Mais les femmes ont autant besoin que les hommes d'évoluer dans leur carrière.
Si, par conséquent, on veut arriver à une réelle parité dans les organigrammes et les instances stratégiques des organisations, il faut absolument changer les conduites de carrière des femmes.
Concernant la formation initiale et le rôle de l'Éducation nationale, je reprends souvent la formule de Mme Brigitte Grésy qui dit que l'inégalité professionnelle est un problème systémique.
Je pense que les discriminations subies par les femmes au travail résultent d'un ensemble de facteurs qui interagissent et qui ressortent autant des stéréotypes véhiculés par les familles, par l'école, que d'un certain nombre de comportements au travail.
N'oublions pas que, dans les années 1980, l'école a mis en place des plans d'action qui visaient à orienter les filles vers des filières traditionnellement réservées aux garçons. Souvenons-nous de la formule « c'est technique, c'est pour elle ». A l'époque, ce sont les entreprises qui n'ont pas suivi ; aujourd'hui, c'est l'inverse. Et puis, fondamentalement, l'école fonctionne sur le modèle de l'élève neutre - c'est d'ailleurs conforme aux valeurs de la République - mais nous savons bien que la neutralité véritable n'existe pas et qu'elle renvoie en pratique à une réalité masculine.
Il faut aujourd'hui la dépasser, mais cela suppose un important travail de formation - des enseignants notamment -, mais aussi des conseillers d'orientation.
Une convention interministérielle sur l'égalité de 2000 avait d'ailleurs prévu la désignation de responsables académiques à l'égalité et la mise en place de formations, proposées notamment aux professeurs principaux de 3ème, qui sont souvent très démunis face aux choix d'orientation des élèves.
Toutefois, j'insiste sur le fait que l'Éducation nationale ne peut apporter à elle seule les réponses. Aujourd'hui, nombreuses sont les entreprises et les organisations qui veulent développer la mixité et cherchent à embaucher des personnes du sexe minoritaire dans des emplois « fermés » : des femmes techniciennes chez ERDF (Électricité réseau distribution France), des femmes machinistes à la RATP (Régie autonome des transports parisiens), des hommes dans les crèches... Or, je suis convaincue que, si on n'arrive pas à décloisonner ces métiers, l'égalité professionnelle va reculer.
Pôle-emploi doit en effet changer sa façon de travailler. C'est évidemment à l'occasion des processus de reclassement qu'il faut inciter les candidats à l'emploi à faire évoluer leurs projections de carrière. Mais cela n'est pas véritablement la préoccupation de Pôle-emploi qui n'a d'ailleurs pas matériellement le temps de le faire. C'est la raison pour laquelle j'étais allé trouver Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, pour lui indiquer combien il me paraissait indispensable que Pôle-emploi intègre véritablement cette problématique.
Je crois qu'aujourd'hui il faut « mettre le paquet » pour que des adultes - femmes et hommes - fassent des choix qui garantissent la mixité des métiers, car ils y sont davantage prêts que des jeunes adolescents qui sont encore trop sous l'emprise des stéréotypes sexués ; c'est l'âge qui veut cela. C'est en faisant monter des hommes et des femmes dans des métiers atypiques des sexes que l'on pourra constituer des modèles d'identification pour les plus jeunes. Sinon, on ne continuera à former et à recruter que des « infirmières » et des « carrossiers ».
Or, on le sait bien, les familles, les amis, les collègues exercent parfois des pressions fortes contre une orientation atypique. Les conseillers à l'orientation doivent pouvoir aider les jeunes gens à « résister aux résistances » qu'ils rencontrent auprès de leur environnement et à affirmer leurs choix.
Concernant les « seniors », et en particulier les femmes de plus de cinquante ans, on observe une grande différence qualitative des emplois entre les femmes et les hommes : les femmes de plus de cinquante ans sont souvent prêtes à accepter des emplois à temps partiel, mal rémunérés... dont les hommes ne voudraient pas. Après 60 ans, les hommes ont généralement acquis leurs droits à pension de retraite, mais cela n'est pas le cas des femmes et les deux ou trois générations de femmes qui vont arriver à la retraite dans les prochaines années seront pauvres.