Avec Félix Desplan et Christian Cointat, nous nous sommes rendus pendant huit jours à Mayotte et à La Réunion. Nous avons passé cinq jours à Mayotte et trois jours à La Réunion. Nous avons beaucoup travaillé puisque nous avons auditionné trente à quarante personnes par jour.
Nous avons bénéficié à Mayotte de l'accueil particulièrement chaleureux de notre collègue Thani Mohamed Soilihi ainsi que celui d'Abdourahmane Soilihi. Notre rapport a profité de leur inspiration.
Nous avons réalisé deux rapports, l'un pour Mayotte, l'autre pour la Réunion. Je vais me limiter à détailler nos propositions.
Mayotte est le 101ème département français. La départementalisation se réalise dans des conditions difficiles. Je n'imagine pas que l'on puisse atteindre le droit commun à court terme.
Il y a un défi démographique important à Mayotte : la population officielle s'élève à 186 000 habitants mais, avec l'immigration clandestine, on doit atteindre 250 000. Il y a également un défi de la vie chère, j'en parlerai tout à l'heure lorsque j'évoquerai la situation de La Réunion, qui rencontre la même problématique. Il y a un défi de la scolarisation : la même salle de classe est occupée le matin et l'après-midi par deux classes différentes, en raison de l'insuffisance des locaux. Il faudrait construire à Mayotte une classe supplémentaire par jour, un collège par an et un lycée tous les deux ans.
Mayotte connaît également une problématique très difficile en matière d'immigration illégale. Concernant la sécurité publique et la situation pénitentiaire, nous avons pu constater les conditions de détention détestables de la maison d'arrêt de Majicavo.
Dernier défi, les collectivités territoriales connaissent une situation financière très dégradée : le déficit du conseil général est de 80 millions d'euros par an et pratiquement toutes les communes sont en faillite.
Voici quelles sont nos propositions détaillées dans le domaine de la justice.
Il est nécessaire de créer une cour d'appel à Mayotte, le rattachement à la cour d'appel de La Réunion n'étant pas pertinent, y compris d'un point de vue financier. Une véritable politique de formation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit être assurée pour les magistrats et les personnels de l'administration pénitentiaire à Mayotte. Un nouveau projet immobilier doit être conduit pour le tribunal de grande instance de Mamoudzou, afin d'obtenir des conditions de travail et d'audience normales. Les officiers de l'état civil doivent être correctement formés, car la question de la création d'un véritable état civil à Mayotte n'est pas encore totalement réglée.
Nous avons eu de longues conversations, y compris philosophiques, avec les cadis. Aujourd'hui, ils n'ont plus de fonctions officielles, mais ils conservent une autorité morale dans la société mahoraise. Il faut donc clarifier leur situation, en leur confiant une fonction de médiation sociale en lien avec la justice de droit commun et le conseil général.
Enfin, à l'occasion de notre visite de la maison d'arrêt de Majicavo, nous avons pu constater le statut précaire des surveillants mahorais. Il est nécessaire de les intégrer rapidement dans le corps administratif de droit commun.
Concernant le statut de région ultrapériphérique, c'est fait depuis quelques jours. La décision de principe est prise, mais il faut veiller à rendre effectif l'accès à ce statut au 1er janvier 2014, c'est un gros travail. Les élus et les fonctionnaires doivent être sensibilisés et formés à cet enjeu.
Dans le domaine social, il y a un gros problème avec le revenu de solidarité active (RSA) : il s'applique à Mayotte mais il y a peu de bénéficiaires. En effet, il s'élève à 25 % du montant métropolitain, soit 119 euros par mois, ce qui est peu incitatif, d'autant qu'il faut défalquer de ce montant les autres prestations sociales à 100 %. Les étrangers qui demandent à en bénéficier rencontrent également de fortes contraintes. La mise en oeuvre du RSA a pourtant coûté cher au conseil général, d'après ce qui nous a été dit. Nous proposons donc de fixer rapidement le montant du RSA mahorais à 50 % du montant national.
En matière d'éducation, il est impératif de prévoir la construction de 600 classes supplémentaires dans les prochaines années, avec la participation financière de l'État.
J'en viens à nos propositions en matière d'immigration et de droit d'asile.
Il faut tout d'abord revoir le système des « bons roses », qui permettent aux mineurs immigrés de se soigner. Ces bons sont aujourd'hui distribués de manière erratique et sans rigueur. Un centre d'accueil pour les demandeurs d'asile doit être mis en place.
Nous avons visité le centre de rétention administrative de Mayotte. La description qu'en a donnée Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en était pudique... Le centre comporte trois pièces : une pour les femmes et les enfants, une autre pour les hommes et entre les deux se trouve un local exigu où travaille le personnel de la police aux frontières. Ce n'est pas possible que cela continue comme ça ! Il faut vraiment hâter la construction d'un nouveau centre de rétention administrative, qui permette également au personnel, qui a besoin d'être renforcé, de travailler dans des conditions décentes.
Il y a à Mayotte un problème de prise en charge, par les pouvoirs publics, des mineurs étrangers isolés, phénomène qui accompagne l'immigration illégale. Beaucoup de mineurs sont ainsi laissés à l'abandon. L'association Tama, que préside notre collègue Thani Mohamed Soilihi, estime à 500 le nombre des mineurs étrangers isolés et à 3 000 le nombre de ceux en passe de basculer dans cette situation. Ce phénomène est un danger pour les mineurs concernés et a pour conséquence l'accroissement de la délinquance. Beaucoup de décisions de justice ne sont pas exécutées concernant ces mineurs, car il n'y a pas de dispositif sérieux de prise en charge.
Enfin, concernant l'immigration, je dois aborder la question difficile des kwassas kwassas. La semaine dernière encore, il y a eu sept morts. Ces bateaux sont surchargés d'immigrants clandestins, gérés par des passeurs d'Anjouan et souvent conduits par des mineurs, car ils ne peuvent être appréhendés pénalement. Le trajet dure 25 heures. On compte des centaines de morts chaque année. A l'arrivée, les immigrants sont conduits au centre de rétention administrative pour 24 heures puis reconduits. Les reconduites s'élèvent à 25 000 par an environ, ce qui est remarquable sur le plan statistique, mais la plupart reviennent immédiatement. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de ce système. Sur le plan humain, c'est une tragédie. Cette situation pèse lourdement sur la population de Mayotte, qui la vit très mal alors que les conditions de vie sont déjà difficiles. Nous en avons beaucoup parlé avec le préfet.
Nous avons donc une proposition à formuler. Le coût de cette politique à l'efficacité discutable est de 50 à 70 millions d'euros par an. Pour surmonter le problème de l'immigration clandestine, nous devons négocier avec les Comores une autre politique de coopération. Je sais la difficulté diplomatique que nous avons avec les Comores à propos de Mayotte, mais le peuple a tranché. Certes, on a déjà dit qu'il fallait renforcer la coopération avec les Comores, mais il faut mettre aujourd'hui tous les moyens de la diplomatie pour s'engager dans cette voie, car elle serait plus efficace, plus juste et plus humaine. Il faut employer les sommes que j'ai indiquées pour une vraie coopération, notamment policière, avec les Comores. Nous pensons également qu'il faut mettre fin au « visa Balladur ». Ce visa, qui devait rendre plus rigoureux l'accès à Mayotte depuis les Comores, est inefficace.
En matière de sécurité publique et de sécurité civile, une plus grande coopération est nécessaire entre La Réunion et Mayotte pour la prise en charge des mineurs délinquants. Un second escadron de gendarmerie devrait être créé dans la région, soit à Mayotte, soit à La Réunion, des moyens aériens civils devant pouvoir être réquisitionnés pour assurer le transport des personnels et des moyens de sécurité d'un département à l'autre.
La mise en place du service départemental d'incendie et de secours de Mayotte doit être repoussée, car on ne réussira pas à le mettre en place à la date prévue, le 1er janvier 2014. Les ressources du service sont en outre insuffisantes.
Concernant enfin les questions financières et fiscales, nous citons dans notre rapport des cas d'entreprises à l'égard desquelles les collectivités ont des dettes qu'elles ne peuvent pas payer. Ce problème doit être résolu. Par ailleurs, il faut dès aujourd'hui sérieusement réfléchir à la répartition du produit de la fiscalité locale de droit commun lorsqu'elle sera mise en place. En tout état de cause, cette mise en place est impossible au 1er janvier 2014, comme c'est pourtant prévu. Il faut être plus réaliste et prévoir une transition de quatre ou cinq ans supplémentaires.
Pour conclure sur cette question, je vois mal comment éviter une subvention d'équilibre de l'État aux collectivités territoriales, sinon il sera impossible de les gérer et d'assurer le redressement de leurs finances. Les dépenses sociales du conseil général ne représentent que 3 % de son budget, ce qui est anormal, en comparaison du poids des dépenses de personnel au sein des dépenses de fonctionnement, qui s'explique pour des raisons historiques.
Je vais maintenant aborder notre rapport sur La Réunion. Je tiens d'abord à remercier nos collègues, MM. Michel Vergoz, Paul Vergès et Michel Fontaine, sénateurs de La Réunion, pour leur aide précieuse lors de notre déplacement.
Au titre des propositions faites dans le rapport, je voudrais tout d'abord aborder le thème de la vie chère.
À cet égard, nous proposons de modifier profondément, par des normes législatives et réglementaires, les mécanismes qui se traduisent par des monopoles de fait dans le secteur de la distribution à La Réunion. Pour les produits de première nécessité, il serait nécessaire d'ouvrir le marché réunionnais aux pays voisins, Madagascar par exemple, même si nous sommes bien conscients que les produits en provenance de ces pays n'obéissent pas forcément aux mêmes normes de qualité que celles appliquées aux produits européens.
Nous proposons ensuite de diminuer les taxes d'importation pesant sur les produits de première nécessité et, parallèlement, d'augmenter celles touchant les produits dits « de luxe ».
Quant aux prix de l'essence et des produits pétroliers, il nous apparaît nécessaire de les réglementer davantage. On rappellera que nos collègues députés, Jacques Le Guen et Jérôme Cahuzac, dans leur rapport d'information sur le prix des carburants dans les départements d'outre-mer, avaient dénoncé l'absence de transparence dans la fixation du prix du pétrole, qui débouchait sur une absence de contrôle de la part des services de l'État. Ils avaient également relevé le phénomène de position dominante des compagnies pétrolières ainsi que leurs relations opaques et complexes avec les gérants. C'est pourquoi ils avaient proposé une clarification de l'information du consommateur afin que ce dernier dispose en permanence de tous les éléments pour pouvoir influer sur la tarification des produits proposés.
Pour votre information, sachez, chers collègues, que les marges des sociétés pétrolières sont de 18 % à La Réunion, ce qui est sans équivalent sur le reste du territoire de la République...
Plus généralement, pour l'ensemble des produits, il nous semble primordial d'offrir aux consommateurs une plus grande transparence quant à la formation des prix. À cet effet, il nous paraît intéressant de proposer la mise en place d'un dispositif permettant de comparer les prix pratiqués à La Réunion avec ceux affichés en métropole, et de pouvoir sanctionner les entreprises qui pratiquent des marges trop élevées. Je ne vous citerai qu'un seul exemple, qui nous a été donné par les services fiscaux locaux : une paire de chaussures importée de Chine au prix de 70 centimes d'euros (dont 10 centimes de taxes), est vendue en moyenne 20 euros à La Réunion, soit une marge de 19,30 euros !
Enfin, nous proposons de renforcer sensiblement les moyens de l'autorité de la concurrence pour les départements d'outre-mer.
Je poursuivrai mon propos en vous exposant les mesures que nous avons retenues concernant le domaine de la justice et de la sécurité civile.
À l'issue de nos travaux, après avoir entendu les magistrats, les avocats, les personnels judiciaires, nous proposons de maintenir tous les postes de magistrats du siège de la cour d'appel de Saint-Denis-de-La-Réunion, tel que prévu par la circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires pour l'année 2012 ; de pourvoir rapidement la totalité des vingt-sept postes de magistrats du siège du tribunal de grande instance de Saint-Denis-de-La-Réunion et d'y créer un sixième poste de magistrat du parquet ; de créer un sixième poste de magistrat du parquet au tribunal de grande instance de Saint-Pierre et de pourvoir le troisième poste de juge d'instance au tribunal d'instance de Saint-Pierre-de-La-Réunion. Quant aux assistants de justice, leur nombre devra être doublé dans l'ensemble des juridictions réunionnaises.
Quant au budget « justice », il nous semble indispensable de prévoir une dotation exceptionnelle aux juridictions réunionnaises, afin de leur donner les moyens d'apurer leurs arriérés en matière de frais de justice et de continuer à disposer du concours d'experts.
Il faudrait ensuite mettre fin au fléchage des crédits de la justice afin de donner aux gestionnaires locaux les moyens d'une meilleure affectation et d'une plus grande souplesse dans leur utilisation.
Enfin, nous proposons le maintien de la dotation budgétaire allouée au conseil départemental d'accès au droit de La Réunion, au minimum à son niveau de 2012.
Concernant la police et la gendarmerie, la sécurité publique doit être renforcée par la création d'un second escadron de gendarmerie, installé soit à Mayotte, soit à La Réunion, et par la possibilité de réquisitionner des moyens aériens civils pour permettre l'acheminement des moyens de sécurité entre les deux départements.
De plus, il serait nécessaire de créer huit postes supplémentaires affectés à la police aux frontières de La Réunion, afin de faire face à l'augmentation du trafic aérien de l'aéroport Roland-Garros.
Enfin, en matière de lutte contre les incendies, le service départemental d'incendie et de secours de la Réunion ne dispose pas de moyens suffisants pour détecter les départs de feux. Nous proposons donc de prévoir la mise en service d'un deuxième hélicoptère, destiné à assurer, pendant les saisons chaudes notamment, une surveillance biquotidienne du parc national et de raccorder le service d'incendie et de secours de La Réunion, dans les plus brefs délais, au réseau radio numérique Tétrapol.
Pour finir, dans le domaine économique et social, nous proposons de faciliter la création d'entreprises pour les jeunes entrepreneurs, en leur facilitant notamment l'accès au crédit.
Il nous paraît enfin opportun de mettre en place un dispositif de complémentarité pour l'encadrement des mineurs délinquants entre la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de La Réunion et celle de Mayotte et d'assurer, par le biais de formations adaptées, la professionnalisation des familles d'accueil des jeunes mineurs délinquants de La Réunion.