C'est aujourd'hui notre avant-dernière séance avant la suspension de nos travaux. Nous avons à présenter un important rapport sur Mayotte, au retour de notre mission avec Félix Desplan et Christian Cointat. Notre collègue Jean-Jacques Hyest avait déjà conduit une mission à Mayotte il y a quelques années, en 2008.
La semaine prochaine, le 25 juillet, nous entendrons le rapport de nos collègues Jean-Pierre Michel et Patrice Gélard sur la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'un rapport sur EURODAC. Nous aurons, de 11heures 30 à 13 heures, l'audition de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, sur la question de l'immigration, audition qui sera publique si vous en êtes d'accord.
La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel se réunira le 26 juillet à 9 heures 30 à l'Assemblée nationale.
MM. Jean-Pierre Sueur, Alain Anziani, Mmes Christiane Demontès, Eliane Assassi, MM. Jean-Jacques Hyest, François Pillet et Yves Détraigne sont désignés comme candidats titulaires et M. Nicolas Alfonsi, Mme Esther Benbassa, M. Philippe Kaltenbach, Mme Virginie Klès, M. André Reichardt, Mme Catherine Troendle et M. François Zocchetto sont désignés comme candidats suppléants.
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
La commission examine ensuite les rapports d'information de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan sur la situation à La Réunion et à Mayotte.
Avec Félix Desplan et Christian Cointat, nous nous sommes rendus pendant huit jours à Mayotte et à La Réunion. Nous avons passé cinq jours à Mayotte et trois jours à La Réunion. Nous avons beaucoup travaillé puisque nous avons auditionné trente à quarante personnes par jour.
Nous avons bénéficié à Mayotte de l'accueil particulièrement chaleureux de notre collègue Thani Mohamed Soilihi ainsi que celui d'Abdourahmane Soilihi. Notre rapport a profité de leur inspiration.
Nous avons réalisé deux rapports, l'un pour Mayotte, l'autre pour la Réunion. Je vais me limiter à détailler nos propositions.
Mayotte est le 101ème département français. La départementalisation se réalise dans des conditions difficiles. Je n'imagine pas que l'on puisse atteindre le droit commun à court terme.
Il y a un défi démographique important à Mayotte : la population officielle s'élève à 186 000 habitants mais, avec l'immigration clandestine, on doit atteindre 250 000. Il y a également un défi de la vie chère, j'en parlerai tout à l'heure lorsque j'évoquerai la situation de La Réunion, qui rencontre la même problématique. Il y a un défi de la scolarisation : la même salle de classe est occupée le matin et l'après-midi par deux classes différentes, en raison de l'insuffisance des locaux. Il faudrait construire à Mayotte une classe supplémentaire par jour, un collège par an et un lycée tous les deux ans.
Mayotte connaît également une problématique très difficile en matière d'immigration illégale. Concernant la sécurité publique et la situation pénitentiaire, nous avons pu constater les conditions de détention détestables de la maison d'arrêt de Majicavo.
Dernier défi, les collectivités territoriales connaissent une situation financière très dégradée : le déficit du conseil général est de 80 millions d'euros par an et pratiquement toutes les communes sont en faillite.
Voici quelles sont nos propositions détaillées dans le domaine de la justice.
Il est nécessaire de créer une cour d'appel à Mayotte, le rattachement à la cour d'appel de La Réunion n'étant pas pertinent, y compris d'un point de vue financier. Une véritable politique de formation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit être assurée pour les magistrats et les personnels de l'administration pénitentiaire à Mayotte. Un nouveau projet immobilier doit être conduit pour le tribunal de grande instance de Mamoudzou, afin d'obtenir des conditions de travail et d'audience normales. Les officiers de l'état civil doivent être correctement formés, car la question de la création d'un véritable état civil à Mayotte n'est pas encore totalement réglée.
Nous avons eu de longues conversations, y compris philosophiques, avec les cadis. Aujourd'hui, ils n'ont plus de fonctions officielles, mais ils conservent une autorité morale dans la société mahoraise. Il faut donc clarifier leur situation, en leur confiant une fonction de médiation sociale en lien avec la justice de droit commun et le conseil général.
Enfin, à l'occasion de notre visite de la maison d'arrêt de Majicavo, nous avons pu constater le statut précaire des surveillants mahorais. Il est nécessaire de les intégrer rapidement dans le corps administratif de droit commun.
Concernant le statut de région ultrapériphérique, c'est fait depuis quelques jours. La décision de principe est prise, mais il faut veiller à rendre effectif l'accès à ce statut au 1er janvier 2014, c'est un gros travail. Les élus et les fonctionnaires doivent être sensibilisés et formés à cet enjeu.
Dans le domaine social, il y a un gros problème avec le revenu de solidarité active (RSA) : il s'applique à Mayotte mais il y a peu de bénéficiaires. En effet, il s'élève à 25 % du montant métropolitain, soit 119 euros par mois, ce qui est peu incitatif, d'autant qu'il faut défalquer de ce montant les autres prestations sociales à 100 %. Les étrangers qui demandent à en bénéficier rencontrent également de fortes contraintes. La mise en oeuvre du RSA a pourtant coûté cher au conseil général, d'après ce qui nous a été dit. Nous proposons donc de fixer rapidement le montant du RSA mahorais à 50 % du montant national.
En matière d'éducation, il est impératif de prévoir la construction de 600 classes supplémentaires dans les prochaines années, avec la participation financière de l'État.
J'en viens à nos propositions en matière d'immigration et de droit d'asile.
Il faut tout d'abord revoir le système des « bons roses », qui permettent aux mineurs immigrés de se soigner. Ces bons sont aujourd'hui distribués de manière erratique et sans rigueur. Un centre d'accueil pour les demandeurs d'asile doit être mis en place.
Nous avons visité le centre de rétention administrative de Mayotte. La description qu'en a donnée Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en était pudique... Le centre comporte trois pièces : une pour les femmes et les enfants, une autre pour les hommes et entre les deux se trouve un local exigu où travaille le personnel de la police aux frontières. Ce n'est pas possible que cela continue comme ça ! Il faut vraiment hâter la construction d'un nouveau centre de rétention administrative, qui permette également au personnel, qui a besoin d'être renforcé, de travailler dans des conditions décentes.
Il y a à Mayotte un problème de prise en charge, par les pouvoirs publics, des mineurs étrangers isolés, phénomène qui accompagne l'immigration illégale. Beaucoup de mineurs sont ainsi laissés à l'abandon. L'association Tama, que préside notre collègue Thani Mohamed Soilihi, estime à 500 le nombre des mineurs étrangers isolés et à 3 000 le nombre de ceux en passe de basculer dans cette situation. Ce phénomène est un danger pour les mineurs concernés et a pour conséquence l'accroissement de la délinquance. Beaucoup de décisions de justice ne sont pas exécutées concernant ces mineurs, car il n'y a pas de dispositif sérieux de prise en charge.
Enfin, concernant l'immigration, je dois aborder la question difficile des kwassas kwassas. La semaine dernière encore, il y a eu sept morts. Ces bateaux sont surchargés d'immigrants clandestins, gérés par des passeurs d'Anjouan et souvent conduits par des mineurs, car ils ne peuvent être appréhendés pénalement. Le trajet dure 25 heures. On compte des centaines de morts chaque année. A l'arrivée, les immigrants sont conduits au centre de rétention administrative pour 24 heures puis reconduits. Les reconduites s'élèvent à 25 000 par an environ, ce qui est remarquable sur le plan statistique, mais la plupart reviennent immédiatement. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de ce système. Sur le plan humain, c'est une tragédie. Cette situation pèse lourdement sur la population de Mayotte, qui la vit très mal alors que les conditions de vie sont déjà difficiles. Nous en avons beaucoup parlé avec le préfet.
Nous avons donc une proposition à formuler. Le coût de cette politique à l'efficacité discutable est de 50 à 70 millions d'euros par an. Pour surmonter le problème de l'immigration clandestine, nous devons négocier avec les Comores une autre politique de coopération. Je sais la difficulté diplomatique que nous avons avec les Comores à propos de Mayotte, mais le peuple a tranché. Certes, on a déjà dit qu'il fallait renforcer la coopération avec les Comores, mais il faut mettre aujourd'hui tous les moyens de la diplomatie pour s'engager dans cette voie, car elle serait plus efficace, plus juste et plus humaine. Il faut employer les sommes que j'ai indiquées pour une vraie coopération, notamment policière, avec les Comores. Nous pensons également qu'il faut mettre fin au « visa Balladur ». Ce visa, qui devait rendre plus rigoureux l'accès à Mayotte depuis les Comores, est inefficace.
En matière de sécurité publique et de sécurité civile, une plus grande coopération est nécessaire entre La Réunion et Mayotte pour la prise en charge des mineurs délinquants. Un second escadron de gendarmerie devrait être créé dans la région, soit à Mayotte, soit à La Réunion, des moyens aériens civils devant pouvoir être réquisitionnés pour assurer le transport des personnels et des moyens de sécurité d'un département à l'autre.
La mise en place du service départemental d'incendie et de secours de Mayotte doit être repoussée, car on ne réussira pas à le mettre en place à la date prévue, le 1er janvier 2014. Les ressources du service sont en outre insuffisantes.
Concernant enfin les questions financières et fiscales, nous citons dans notre rapport des cas d'entreprises à l'égard desquelles les collectivités ont des dettes qu'elles ne peuvent pas payer. Ce problème doit être résolu. Par ailleurs, il faut dès aujourd'hui sérieusement réfléchir à la répartition du produit de la fiscalité locale de droit commun lorsqu'elle sera mise en place. En tout état de cause, cette mise en place est impossible au 1er janvier 2014, comme c'est pourtant prévu. Il faut être plus réaliste et prévoir une transition de quatre ou cinq ans supplémentaires.
Pour conclure sur cette question, je vois mal comment éviter une subvention d'équilibre de l'État aux collectivités territoriales, sinon il sera impossible de les gérer et d'assurer le redressement de leurs finances. Les dépenses sociales du conseil général ne représentent que 3 % de son budget, ce qui est anormal, en comparaison du poids des dépenses de personnel au sein des dépenses de fonctionnement, qui s'explique pour des raisons historiques.
Je vais maintenant aborder notre rapport sur La Réunion. Je tiens d'abord à remercier nos collègues, MM. Michel Vergoz, Paul Vergès et Michel Fontaine, sénateurs de La Réunion, pour leur aide précieuse lors de notre déplacement.
Au titre des propositions faites dans le rapport, je voudrais tout d'abord aborder le thème de la vie chère.
À cet égard, nous proposons de modifier profondément, par des normes législatives et réglementaires, les mécanismes qui se traduisent par des monopoles de fait dans le secteur de la distribution à La Réunion. Pour les produits de première nécessité, il serait nécessaire d'ouvrir le marché réunionnais aux pays voisins, Madagascar par exemple, même si nous sommes bien conscients que les produits en provenance de ces pays n'obéissent pas forcément aux mêmes normes de qualité que celles appliquées aux produits européens.
Nous proposons ensuite de diminuer les taxes d'importation pesant sur les produits de première nécessité et, parallèlement, d'augmenter celles touchant les produits dits « de luxe ».
Quant aux prix de l'essence et des produits pétroliers, il nous apparaît nécessaire de les réglementer davantage. On rappellera que nos collègues députés, Jacques Le Guen et Jérôme Cahuzac, dans leur rapport d'information sur le prix des carburants dans les départements d'outre-mer, avaient dénoncé l'absence de transparence dans la fixation du prix du pétrole, qui débouchait sur une absence de contrôle de la part des services de l'État. Ils avaient également relevé le phénomène de position dominante des compagnies pétrolières ainsi que leurs relations opaques et complexes avec les gérants. C'est pourquoi ils avaient proposé une clarification de l'information du consommateur afin que ce dernier dispose en permanence de tous les éléments pour pouvoir influer sur la tarification des produits proposés.
Pour votre information, sachez, chers collègues, que les marges des sociétés pétrolières sont de 18 % à La Réunion, ce qui est sans équivalent sur le reste du territoire de la République...
Plus généralement, pour l'ensemble des produits, il nous semble primordial d'offrir aux consommateurs une plus grande transparence quant à la formation des prix. À cet effet, il nous paraît intéressant de proposer la mise en place d'un dispositif permettant de comparer les prix pratiqués à La Réunion avec ceux affichés en métropole, et de pouvoir sanctionner les entreprises qui pratiquent des marges trop élevées. Je ne vous citerai qu'un seul exemple, qui nous a été donné par les services fiscaux locaux : une paire de chaussures importée de Chine au prix de 70 centimes d'euros (dont 10 centimes de taxes), est vendue en moyenne 20 euros à La Réunion, soit une marge de 19,30 euros !
Enfin, nous proposons de renforcer sensiblement les moyens de l'autorité de la concurrence pour les départements d'outre-mer.
Je poursuivrai mon propos en vous exposant les mesures que nous avons retenues concernant le domaine de la justice et de la sécurité civile.
À l'issue de nos travaux, après avoir entendu les magistrats, les avocats, les personnels judiciaires, nous proposons de maintenir tous les postes de magistrats du siège de la cour d'appel de Saint-Denis-de-La-Réunion, tel que prévu par la circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires pour l'année 2012 ; de pourvoir rapidement la totalité des vingt-sept postes de magistrats du siège du tribunal de grande instance de Saint-Denis-de-La-Réunion et d'y créer un sixième poste de magistrat du parquet ; de créer un sixième poste de magistrat du parquet au tribunal de grande instance de Saint-Pierre et de pourvoir le troisième poste de juge d'instance au tribunal d'instance de Saint-Pierre-de-La-Réunion. Quant aux assistants de justice, leur nombre devra être doublé dans l'ensemble des juridictions réunionnaises.
Quant au budget « justice », il nous semble indispensable de prévoir une dotation exceptionnelle aux juridictions réunionnaises, afin de leur donner les moyens d'apurer leurs arriérés en matière de frais de justice et de continuer à disposer du concours d'experts.
Il faudrait ensuite mettre fin au fléchage des crédits de la justice afin de donner aux gestionnaires locaux les moyens d'une meilleure affectation et d'une plus grande souplesse dans leur utilisation.
Enfin, nous proposons le maintien de la dotation budgétaire allouée au conseil départemental d'accès au droit de La Réunion, au minimum à son niveau de 2012.
Concernant la police et la gendarmerie, la sécurité publique doit être renforcée par la création d'un second escadron de gendarmerie, installé soit à Mayotte, soit à La Réunion, et par la possibilité de réquisitionner des moyens aériens civils pour permettre l'acheminement des moyens de sécurité entre les deux départements.
De plus, il serait nécessaire de créer huit postes supplémentaires affectés à la police aux frontières de La Réunion, afin de faire face à l'augmentation du trafic aérien de l'aéroport Roland-Garros.
Enfin, en matière de lutte contre les incendies, le service départemental d'incendie et de secours de la Réunion ne dispose pas de moyens suffisants pour détecter les départs de feux. Nous proposons donc de prévoir la mise en service d'un deuxième hélicoptère, destiné à assurer, pendant les saisons chaudes notamment, une surveillance biquotidienne du parc national et de raccorder le service d'incendie et de secours de La Réunion, dans les plus brefs délais, au réseau radio numérique Tétrapol.
Pour finir, dans le domaine économique et social, nous proposons de faciliter la création d'entreprises pour les jeunes entrepreneurs, en leur facilitant notamment l'accès au crédit.
Il nous paraît enfin opportun de mettre en place un dispositif de complémentarité pour l'encadrement des mineurs délinquants entre la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de La Réunion et celle de Mayotte et d'assurer, par le biais de formations adaptées, la professionnalisation des familles d'accueil des jeunes mineurs délinquants de La Réunion.
Puisque nos co-rapporteurs en sont d'accord, je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui désirent poser des questions.
Je voudrais tout d'abord remercier nos collègues pour leurs excellents travaux sur Mayotte et La Réunion. Je n'ai pas de question mais je voudrais vous faire part de quelques observations.
Le territoire de Mayotte rencontre des difficultés immenses. Une journée entière ne suffirait pas pour en parler. Cette ancienne colonie est rattachée à la France depuis 1841, avant même Nice et la Savoie. On l'oublie trop souvent, il ne s'agit pas d'un pays du tiers monde. C'est pourquoi les travaux que vous avez entrepris me paraissent primordiaux.
Les efforts entrepris ces dernières années sont louables, mais insuffisants. Je me demande, combien de temps encore, nous allons continuer à fournir des efforts insuffisants...
Parmi les nombreux défis présentés, la question de la jeunesse et de l'éducation, trop souvent laissée de côté, me parait centrale. J'insiste sur le fait que plus de 60 % des mahorais ont moins de 24 ans. Si l'on n'y prête pas attention, cette jeunesse oubliée peut causer de plus en plus de difficultés dans les années à venir.
J'ai moi-même entrepris un certain nombre de démarches à ce propos, auprès des différents ministères. Une mission interministérielle d'évaluation pourrait permettre d'élaborer un certain nombre de solutions concrètes adaptées.
Dans ma jeunesse sénatoriale, j'ai moi aussi beaucoup travaillé sur la situation à Mayotte. Je m'y suis rendu à plusieurs reprises avec notre collègue Jean-Jacques Hyest, et notre ancien collègue José Balarello. Je constate, quelques années plus tard, que la situation a certes évolué, mais qu'elle a parfois empiré, notamment en matière d'immigration.
C'est un peu inévitable lorsque, dans un archipel, une île a un statut économique et social plus avancé que les autres, ce qui est le cas à Mayotte. Les populations des îles voisines vont alors chercher à en profiter. Le fait de naître sur le territoire français, par exemple, donne certains droits.
Si l'une des réponses aux difficultés de Mayotte consiste à permettre aux Comores d'atteindre un niveau de développement équivalent à celui de Mayotte, il faut être néanmoins bien conscient que cela nécessitera un investissement considérable.
Il y a déjà quelques années, quand nous nous y étions rendus, la mise en place du cadastre était prévue dans les deux-trois ans suivants. Qu'en est-il ? En tant que département, Mayotte doit opérer une sorte de remise à niveau et disposer d'un cadastre à jour, permettant notamment la mise en oeuvre d'un dispositif de fiscalisation effectif, qui générerait des ressources propres, au bénéfice des collectivités territoriales.
Quant aux progrès de la justice, comment fonctionne aujourd'hui la justice des cadis ? Si ce système était très utile car il permettait de prendre en considération des spécificités liées à une culture ou une histoire, je me souviens, qu'à l'époque, étaient prononcées des peines très sévères, comme la lapidation même si, dans les faits, elles n'étaient pas appliquées car elles étaient levées par la justice de droit commun.
Je note, pour ma part, deux satisfactions majeures. La départementalisation tout d'abord et l'accès de Mayotte, par décision du Conseil européen du 11 juillet 2012, aux fonds européens, en tant que région ultrapériphérique (RUP).
J'attire votre attention sur l'importance de ce dispositif et sur la nécessité de soutenir son niveau de financement pour le budget couvrant la période 2014-2020, alors même que ce dispositif n'a pas très bonne presse au niveau européen et qu'il ne concerne que peu de pays de l'Union.
Par la suite, comme à La Réunion probablement, nous rencontrerons un problème lié à la consommation de ces crédits. En effet, pour monter un projet et bénéficier des fonds européens, les collectivités doivent fournir une somme de départ, difficile à fournir pour les plus modestes.
J'ai été moi aussi à plusieurs reprises à Mayotte et je constate également que la situation ne s'améliore pas, voire même qu'elle s'aggrave.
Déjà, dans les années 1980, l'île comptait 50 à 60 000 habitants. Aujourd'hui, elle en compte plus de 250 000. Avec les arrivées massives de populations en provenance des Comores et d'Anjouan, la situation est intenable pour Mayotte.
La pression démographique est telle qu'aucun projet ne peut être mené à bien. Par exemple, comment mettre en place un système d'enseignement scolaire viable, alors même que le nombre de classes nécessaires augmente de 600 par an ?
À titre de comparaison, en Seine-et-Marne, département qui a pourtant des moyens plus importants que ceux dont dispose Mayotte, les capacités d'accueil en établissement scolaire n'ont augmenté, les meilleures années, que de 400 places, et c'était déjà beaucoup.
Se pose aussi la question du financement de ces projets. Les collectivités d'outre-mer n'ont souvent que de très faibles ressources. Alors, certes, elles bénéficient du dispositif de soutien des régions ultrapériphériques, et cela leur ouvre de réelles possibilités, mais elles ne peuvent supporter la part de financement qui leur revient.
Quant aux problématiques de l'immigration et de l'asile, il me semble qu'une précision s'impose. Le problème ne sera pas réglé par la suppression pure et simple du visa « Balladur ». Il me semble plus opportun d'évoquer sa modification, son remplacement par un autre dispositif, plutôt que sa disparition.
Enfin, concernant le cadastre, aujourd'hui, l'identification physique existe, en revanche, on ne sait pas attribuer la propriété des parcelles. Or, sans cadastre, pas de fiscalisation possible... Plus qu'une augmentation du nombre de magistrats, il faudrait donc renforcer les effectifs de fonctionnaires des impôts car, plus on retarde le règlement de ce problème, plus on retarde la mise en place d'une source pérenne de financement pour les collectivités territoriales.
Pour ma part, je souhaiterais obtenir des précisions sur la situation de l'administration pénitentiaire à Mayotte et à La Réunion qui, pendant longtemps, était peu respectueuse des principes liés au respect de la dignité des personnes humaines. Qu'en est-il aujourd'hui ? Quelles ont été les améliorations apportées aux bâtiments pénitentiaires ? Mais surtout, en matière de postes, qu'il s'agisse de la protection judiciaire de la jeunesse ou des services d'insertion et de probation, quels ont été les efforts fournis ? Y a-t-il eu des améliorations en matière de formation professionnelle ?
J'ai été, pendant longtemps, représentant du Sénat au sein du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui s'est plusieurs fois déplacé à Mayotte. Je voudrais connaître la part d'immigration économique, liée à la situation des pays voisins, et la part d'immigration relevant du droit d'asile des personnes ayant à craindre pour leur sécurité ou pour leur vie, ou pour celles de leurs proches.
En matière de lutte contre les incendies, vos propositions visent-elles la surveillance des départs de feux ou l'intervention sur le terrain ? Peut-être pourrait-il être envisagé d'utiliser des drones de surveillance en couplant avec les moyens de la défense ?
Concernant les questions en lien avec l'immigration, j'aimerais savoir ce qui relève d'une problématique spécifique à Mayotte et ce qui relève de problématiques générales.
Pour prendre un exemple que je connais, à Roubaix, deux tiers de l'aide d'urgence à l'hébergement sont destinés aux étrangers en situation irrégulière. Il en est de même pour l'aide médicale d'urgence.
À Mayotte, s'agit-il de problèmes d'accès aux infrastructures, comme l'accès aux soins, ou de la problématique de l'accès à la nationalité française ?
Comme mes collègues avant moi, je considère que l'accès de Mayotte aux crédits européens, en tant que région ultrapériphérique, est une bonne chose. Mais, comme eux, je m'interroge sur les effets de cette aide européenne. Ne serait-il pas opportun d'évaluer le montant total des crédits utilisés dans ce cadre, leur destination et la part supportée au niveau national ?
Il y a cinq ans, quelques temps avant sa départementalisation, je me suis rendu à Mayotte. Comme nos co-rapporteurs, je m'interroge sur la possibilité de stabiliser la situation de ce territoire, tant que le problème d'une immigration à flot continu n'est pas réglé. Nous sommes pour l'instant face à un « puits sans fond ». Je suis totalement en accord avec leur proposition consistant à promouvoir les relations avec les Comores, en permettant notamment à ces populations d'accéder à un niveau de développement tel, qu'il réduirait l'attrait que Mayotte représente aujourd'hui pour elles.
Ce n'est pas le premier rapport sur le sujet. Malgré le contexte actuel de crise, si rien n'est fait en matière économique et sociale pour Mayotte, dans cinq ans, nous ferons un nouveau rapport, qui dressera le même constat, même si certaines choses auront forcément évolué.
Les rapports se sont succédé mais, en dehors de la départementalisation, la situation a-t-elle vraiment changé ? Ne faudrait-il pas, pour épargner au présent rapport le sort des précédents, cibler quelques thèmes prioritaires comme la justice, l'immigration et l'éducation et en saisir les ministres compétents pour qu'ils présentent des initiatives concrètes ?
Je me suis rendu à trois reprises depuis 2004 à Mayotte et j'ai constaté des évolutions considérables. La départementalisation a permis la création d'un véritable état civil ainsi que le retrait aux cadis des attributions qu'ils exerçaient en ces matières, qui expliquaient pour une part la progression considérable du nombre de Comoriens immigrés auxquels la nationalité mahoraise avait été reconnue. J'ajoute que l'administration semble enfin avoir pris la pleine mesure des enjeux de la départementalisation. Restent cependant, il est vrai, des domaines dans lesquels aucun progrès n'est observé.
C'est le cas de l'immigration. Faute d'être correctement appliqués, le « visa Balladur » est un échec. Il faut le remplacer. La surveillance des côtes est insuffisante en dépit des quatre radars installés : les immigrés embarquent sur les kwassas-kwassas par temps de vagues pour ne pas être repérés et mettent ainsi leur vie grandement en danger. Nous défendons une autre approche : la mise en place d'un système de circulation contrôlée entre les Comores et Mayotte qui permette aux autorités mahoraises de recueillir les informations nécessaires sur les migrants (état civil, empreintes digitales) et de connaître ainsi exactement les flux migratoires.
Comme nous l'avons fait dans le précédent rapport pour l'état civil, il faut que nous tapions du poing sur la table et exigions des progrès sur la question de l'immigration.
Nous être rendus, au cours du même déplacement, à La Réunion et à Mayotte nous a permis de comparer deux départements d'outre-mer à deux stades différents.
Peut-on maintenir le pacte de départementalisation de Mayotte en l'état ? La question se pose. Il me semble nécessaire de définir un ordre de priorité dans les propositions et de placer au premier rang les sujets de la justice et de l'immigration, comme l'a souligné Mme Tasca, ainsi que celui de la formation.
Je confirme par ailleurs à M. Lecerf que le statut des agents pénitentiaires est beaucoup plus défavorable à Mayotte qu'en métropole. S'agissant de l'asile, sur 1 200 demandes déposées en 2011, seules 8 % ont été acceptées.
Le retard pris dans l'élaboration d'un cadastre fiable rend incertain l'établissement dès 2014 d'une fiscalité locale.
Madame Tasca, notre rapport se distingue des précédents en ce qu'il est le premier à prendre acte de la départementalisation, ce qui élève nécessairement le niveau de nos exigences.
Les fonds européens versés aux régions ultrapériphériques françaises s'élèvent à 500 millions d'euros. Malheureusement, les personnels qui devraient les gérer n'y sont pas toujours suffisamment formés.
Je propose que les rapporteurs pour avis des budgets DOM et COM consacrent une partie de leurs développements à l'utilisation qui est faite des fonds européens pour les RUP. De la même manière, les rapports pour avis pourraient évoquer cette année la situation en outre-mer, en matière d'asile par exemple.
Je signale à la commission que Georges Patient est d'ores et déjà chargé, pour la commission des affaires européennes, d'un rapport sur l'utilisation des fonds européens.
On a tort de croire que la situation n'a pas progressé, comme le montre le cas de l'état civil. En revanche, il faut veiller aux suites qui seront données à notre rapport. Je propose que nous rencontrions les ministres compétents pour qu'ils nous indiquent les initiatives qu'ils entendent prendre sur les sujets qui nous occupent. Rien n'est aisé mais la difficulté ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.
La publication du rapport est autorisée à l'unanimité.
Enfin, la commission examine une proposition de résolution européenne présentée par M. Jean-Yves Leconte sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (E 7388) relatif à la création du système « EURODAC » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale présentée dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et pour les demandes de comparaison avec les données d'EURODAC présentées par les services répressifs des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (Refonte), dont elle s'est saisie en application de l'article 73 quinquies, alinéa 2, du Règlement du Sénat.
La base EURODAC a été mise en place dans le cadre du règlement Dublin II sur l'asile. Elle permet de déterminer si le candidat à l'asile a déjà déposé une première demande dans l'un des pays de la zone Schengen. Le fichier contient les empreintes biométriques et l'état civil déclaré de deux catégories de personnes : les demandeurs d'asile et les personnes interpellées lors du franchissement irrégulier d'une frontière Schengen.
Actuellement, ce fichier contient environ 600 000 empreintes biométriques et en 2010 la France l'a enrichi de 36 000 nouvelles empreintes. Le fichier ne répond qu'à une seule finalité : la gestion de l'asile par la détermination du pays responsable du traitement de chaque demande. Il n'y a pas en l'état de consultation possible à des fins de police judiciaire. La présente proposition de règlement présentée par la commission, à la demande du Conseil de l'Union européenne, constitue la deuxième tentative pour élargir les possibilités de consultation de la base. La volonté d'ouvrir l'accès de la base aux services répressifs trouve son origine dans les attentats de Madrid de 2004.
J'attire votre attention sur le fait que cette proposition de règlement est intégrée au paquet législatif sur l'asile et qu'elle n'a jusqu'à présent fait l'objet d'aucune prise de position des parlements nationaux. Le Sénat français pourrait donc avoir une position pionnière en Europe.
Le dispositif retenu par la proposition de règlement manque de clarté : s'agit-il seulement de confirmer aux services de police la présence dans la base des empreintes qu'ils ont transmises, à charge pour eux d'obtenir ensuite les données de l'Etat qui les détient ou bien s'agit-il d'autoriser la transmission directe de ces données par EURODAC ?
Surtout, le présent texte pose deux questions de principe.
EURODAC n'a été conçu que pour faciliter la gestion des demandes d'asile. Nous avons eu ce débat au moment de la discussion de la proposition de loi sur la protection de l'identité : l'Etat risque de perdre toute crédibilité à modifier a posteriori les finalités des fichiers créés à l'origine pour servir une seule fin. Il me semble que cette position de principe, défendue par la CNIL, peut tous nous réunir.
Le second problème posé par la proposition de règlement a trait à la protection constitutionnelle des demandeurs d'asile. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré non conforme à la Constitution la possibilité pour des services administratifs de consulter, à d'autres fins que l'examen d'une demande d'asile, les données recueillies par l'OFPRA.
J'ajoute à ces considérations de principe plusieurs réserves que m'inspire le texte : le dispositif proposé autoriserait une circulation d'informations entre des Etats qui n'ont pas tous -loin de là- les mêmes standards de protection des données personnelles. Par ailleurs, la définition des infractions susceptibles de permettre la consultation de la base n'est pas suffisamment précise. Enfin, l'accès d'EUROPOL à la base EURODAC irait bien au-delà d'une consultation ponctuelle.
C'est pourquoi la proposition de résolution européenne que je vous propose d'adopter s'oppose à l'élargissement prévu par la proposition de règlement. Il s'agit d'une position de principe.
Je ne partage pas plusieurs des motivations de la proposition de résolution. En effet, il me semble erroné de confondre la protection constitutionnelle du droit d'asile avec la protection des données enregistrées dans la base. Certaines appartiennent à des personnes qui n'ont pas déposé de demande d'asile et d'autres à des personnes dont la demande a été rejetée.
Par ailleurs, on peut certes juger le changement de finalité du fichier inopportun mais on ne peut en tirer argument en droit pour interdire à l'autorité légitime d'en décider ainsi.
J'ajoute qu'il est regrettable d'utiliser le terme de « services répressifs » pour désigner les autorités susceptibles de consulter la base alors que celles-ci n'y procèdent que dans le cadre d'une enquête judiciaire.
Sans me prononcer sur le fond, je souhaiterais que la rédaction de l'antépénultième paragraphe soit améliorée.
Il faudrait ajouter deux précisions au texte qui nous est soumis : d'une part rappeler que l'on ne peut refuser d'examiner une demande d'asile au seul motif que les empreintes digitales de l'intéressé ne sont pas lisibles, d'autre part préciser qu'une demande d'asile peut toujours être examinée par un Etat, même si une demande a déjà été déposée avant dans un autre pays.
Je partage la position exprimée par Alain Richard. J'ajoute que la proposition de résolution européenne qui nous est soumise signifierait la fin du système EURODAC puisque sa finalité d'origine -l'application du règlement Dublin II- est de plus en plus contestée.
La référence aux « services répressifs » est celle de la proposition de règlement elle-même.
La décision du Conseil constitutionnel porte sur les données personnelles enregistrées dans le fichier de l'OFPRA, sans considération du sort de la demande présentée par les candidats à l'asile.
Certes, la même autorité qui a créé le fichier EURODAC peut en changer les finalités. La question est celle de l'acceptabilité sociale du fichier et de la crédibilité de l'engagement pris d'en réserver l'usage à son objet initial. Lorsqu'on crée un fichier, il faut dire pourquoi on le fait et s'y tenir.
La décision du Conseil constitutionnel porte exclusivement sur une consultation administrative -et non judiciaire- du fichier de l'OFPRA.
Il s'agit toutefois bien des données personnelles des demandeurs d'asile quelle qu'ait été la réponse de l'OFPRA. J'appelle en outre votre attention sur le fait que, faute de moyens, la France ne met pas à jour son fichier EURODAC.
La commission adopte la proposition de résolution européenne présentée par M. Jean-Yves Leconte. Le délai-limite du dépôt par tout sénateur d'amendements éventuels à ce texte, dont l'examen interviendra, le cas échéant, lors de la réunion de la commission des lois du mercredi 25 juillet, est fixé au lundi 23 juillet à 12 heures.