Intervention de Stéphane Richard

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Stéphane Richard président-directeur général de france télécom-orange

Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom - Orange :

Je commencerai par évoquer la panne qui a affecté notre réseau mobile, et qui illustre effectivement la complexité et la précarité des nos sociétés contemporaines. Il s'agit d'un accident, à l'abri duquel ne se trouve aucun opérateur, aussi expérimenté soit-il en matière de réseaux que France Télécom. Nos homologues britanniques, norvégiens et américains en ont d'ailleurs également fait l'expérience. Nous souhaitons à présent analyser l'origine de la panne, qui se trouve dans une défaillance logicielle sur un équipement de coeur de réseau, et surtout en tirer les conséquences pour l'avenir. Nous avons encore des progrès à réaliser, non pas sur la réactivité, qui a été remarquable au sein du groupe, mais sur les procédures à mettre en oeuvre lors d'une crise de ce type. Fort heureusement, il s'agit là d'un type d'incident très rare, dont la dernière occurrence remonte à 2004.

Je souhaiterais ensuite mettre l'accent sur le secteur des télécommunications, qui a contribué depuis une vingtaine d'années à l'investissement et à l'emploi en Europe et en France. Notre groupe réalise ainsi chaque année 3 milliards d'euros d'investissement dans notre pays, où il compte 100 000 salariés, dont 60 000 encore fonctionnaires. 3 500 salariés sont spécialisés en recherche et innovation, 10 000 ayant été recrutés ces trois dernières années. Les quatre principaux opérateurs historiques en Europe (France Télécom, Deutsch Telekom, Telefonica et Telecom Italia) emploient près de 800 000 personnes à travers le monde, ont près d'un milliard de clients et investissent près de 30 milliards par an ; il faut bien mesurer le poids de ce secteur dans l'économie de ces pays.

L'Europe des télécommunications se trouve toutefois en grande difficulté aujourd'hui, du fait d'une régulation exclusivement orientée en faveur du consommateur. L'industrie est extrêmement fragmentée, avec 100 opérateurs en Europe pour 450 millions de clients, contre 4 aux États-Unis pour 350 millions de clients, 3 en Chine et 8 en Inde pour environ 1 milliard de clients. Du fait de la pression règlementaire, le groupe France Télécom perd chaque année 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, soit 350 millions d'euros de marge, qui sont autant de fonds ne pouvant donc être réinvestis. Si l'on ajoute à cela la pression fiscale, également extrêmement lourde, on aboutit à une situation très critique, où les opérateurs européens peuvent être les cibles d'opérateurs de pays tiers comme le mexicain America Movil, porteur d'une offre publique d'achat hostile sur l'opérateur de télécommunications néerlandais KPN. La valorisation boursière cumulée des quatre opérateurs historiques européens précités et de KPN est deux fois et demi inférieure à celle d'Apple. La valeur boursière de France Télécom, plus spécifiquement, est aujourd'hui inférieure à celle de ses fonds propres. Les opérateurs européens sont désormais des « géants aux pieds d'argile ».

Ceci intervient à un moment où l'on doit faire face à l'explosion des usages : le trafic de données sur les réseaux mobiles a été multiplié par 68 depuis 5 ans, et doit continuer à croître d'un rapport de 6 ou 7 d'ici à 2015, nécessitant des investissements très conséquents dans les réseaux. Ce déclin n'est pas une fatalité, si l'on se réfère aux opérateurs américains, chinois et des pays émergents. Mais une particularité européenne, celle d'un marché de consommateurs où est recherchée la baisse du prix des produits et services, sans se préoccuper suffisamment des enjeux en termes d'emploi, d'investissement, de recherche et d'innovation.

La situation française connaît de plus une spécificité, avec l'arrivée d'un quatrième opérateur, de façon contracyclique, à un moment où la plupart des pays européens réduisent leur nombre. Il existe certes des pays recensant quatre ou cinq opérateurs, mais ils ont été introduits il y a une décennie, alors que le marché connaissait une croissance spontanée. Nous n'avons pas fini de payer les conséquences de ces choix.

Une prise de conscience se dessine aujourd'hui sur la nécessité d'un changement d'approche du secteur, comme l'illustre l'annonce récente par la commissaire européenne chargée de la société numérique, Mme Nelly Kroes, d'une proposition de recommandations sur la réglementation prévoyant la stabilisation du tarif d'accès au réseau cuivre, en contrepartie d'engagements des opérateurs à investir dans les réseaux du futur. Le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), M. Jean-Ludovic Silicani, m'a indiqué partager cette réorientation et être prêt à en tirer les conséquences au niveau français.

Le groupe France Télécom-Orange est aujourd'hui solide, car sa situation financière a été restaurée après la crise des années 2000, avec une recapitalisation de l'État, détenteur de 27 % du capital. Avec une dette maitrisée, des conditions d'accès aux marchés financiers satisfaisantes et des capacités d'investissement intactes, la situation est saine. Le groupe peut faire face aux contraintes qu'il connaît aujourd'hui, en France notamment, en faisant preuve de pragmatisme et en ne considérant pas que l'emploi ne doit pas être la variable d'ajustement. Le marché du mobile n'y représentant que le quart environ du chiffre d'affaires du groupe, la situation pour France Télécom-Orange est différente de celle d'autres opérateurs. Des adaptations doivent être réalisées, mais dans le respect des engagements pris en matière d'emplois : les recrutements seront moindres que les deux ou trois dernières années, mais il n'y aura pas de réduction d'effectifs ou de plan social.

L'objectif est aujourd'hui d'investir autant que possible, dans les réseaux fixes tout d'abord, avec le déploiement de la fibre, qui débutera dans 3 600 communes d'ici 2015. En 2012, le montant des investissements sera le double de celui de 2011, et il sera encore supérieur en 2013 : il y a donc une réelle montée en puissance. Je tiens à attirer votre attention sur le lien étroit existant entre réseaux fixes et mobiles, les acteurs étant les mêmes : ainsi, l'affaiblissement des opérateurs mobiles lié à l'arrivée d'un quatrième opérateur sur le marché aura des répercussions sur le déploiement de la fibre.

L'investissement portera aussi sur les réseaux mobiles, avec une accélération du déploiement de la 4G, qui sera porteur d'une différenciation positive pour le groupe et permettra de désenclaver certains territoires. J'ai inauguré il y a quelques jours le premier réseau 4G à Marseille, une première gamme de terminaux mobiles étant attendue pour septembre.

Je souhaite, pour conclure, faire passer des messages forts s'agissant de la réglementation du secteur. Seul opérateur mondial de télécommunications sur le marché national, le groupe France Télécom-Orange est présent dans 35 pays, dont certains représentent des enjeux politiques particulièrement importants. Il s'agit d'en faire une entreprise utile aux français, notamment à travers les emplois, tout en rayonnant sur la scène internationale.

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