Intervention de Aurélie Filippetti

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Aurélie Filippetti ministre de la culture et de la communication

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

J'ai été sensible, madame la présidente, à votre invitation à venir m'exprimer devant votre commission. C'est bien volontiers que je me plie à cet exercice dont, pour avoir siégé durant la législature précédente à l'Assemblée nationale, je mesure l'enrichissement qu'il représente pour chacun d'entre nous.

J'évoquerai, d'abord, le lien que j'entends tisser avec votre commission, avant d'en venir aux principaux axes de la politique que je compte mener.

Je connais la valeur du travail parlementaire, dont les rapports présentés par les sénateurs membres de cette commission au cours des derniers mois sont un parfait témoignage. Je pense notamment au rapport d'information sur la culture à l'heure du numérique ou encore aux différents rapports budgétaires qui sont une vraie mine d'informations.

J'ai pu constater la qualité du travail collectif mené par les parlementaires qui permet à la fois le temps de la réflexion et la prise en considération des positions extérieures par le biais des auditions.

Je souhaite donc associer votre commission aux actions que nous allons mener et développer avec vous une relation de confiance, plus indispensable que jamais en cette période de crise.

Je souhaite ensuite m'inscrire en rupture avec les politiques menées ces dernières années. Mes prédécesseurs ont en effet orienté leurs actions sur l'idée d'une « culture pour chacun », ce qui revient à une culture qui renverrait dos-à-dos des individus isolés, jouissant en privé d'une culture que l'on aurait dépouillée d'une de ses grandes vertus : sa capacité à créer du lien social, à renforcer notre vivre ensemble, à nourrir des rêves communs.

La gestion du ministère de la culture par le précédent gouvernement a été particulièrement erratique, puisque de très nombreux projets ont été engagés sans que les financements en soient assurés. La « sanctuarisation » des crédits de la culture et de la communication était en réalité un mythe.

Il s'agit de prendre la mesure de cette situation financière extrêmement dégradée mais aussi de donner à notre politique la plus grande vitalité possible. Les difficultés budgétaires n'affaibliront pas notre ambition. Je souhaite que tous nos partenaires puissent se mobiliser : les élus, le ministère, les établissements publics...

Je dois rappeler aussi l'impact économique des investissements de l'État en matière culturelle, comme l'a fait le Président de la République lors de son déplacement en Avignon : la culture est aussi un investissement qui permet à des territoires d'être plus attractifs « économiquement », de générer des « emplois » et de « donner une image de compétitivité pour notre pays », d'autant que les enjeux auxquels ce ministère est confronté n'ont pas qu'une dimension budgétaire.

La culture, en tant que bien particulier, ne relève pas uniquement des logiques de marché. Nous devons à ce titre défendre l'exception culturelle française au niveau européen, ce qui permet de forger un contenu culturel à la construction européenne. La notion de culture doit être au coeur de la citoyenneté, surtout dans une période de crise, pour permettre justement à tous les citoyens de retrouver une fierté d'eux-mêmes.

En conformité avec l'action du Président de la République, je souhaite donc que le ministère considère comme sa première mission la recherche de l'égal accès de tous à la culture. Ce grand principe ne saurait être distinct de la question de la production d'oeuvres artistiques. Je m'attacherai donc à mener une politique en faveur de toutes les créations.

Défendre la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde est un devoir aussi impérieux que celui de garantir la liberté de la presse et de l'audiovisuel public, diversité et liberté étant intimement liées.

Le ministère de la culture et de la communication se doit de prendre soin du territoire national, les Outre-mer inclus, bien sûr, qu'il entend revitaliser par ses politiques d'aide au spectacle vivant, à la création, à la valorisation du patrimoine, mais aussi en renforçant les liens avec les collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation culturelle.

Aucun de nos territoires - ruraux comme urbains - ne doit être délaissé. Cette revitalisation va de pair avec la volonté de redonner du sens aux politiques publiques à l'ère du numérique.

Il faudra enfin redonner toute sa place à la diplomatie culturelle et contribuer à étendre l'influence de la France en matière culturelle à l'étranger.

Trois chantiers vont concentrer les efforts du ministère, tout d'abord l'éducation artistique et culturelle qui doit trouver une vraie place dans notre société, pour donner une assise à notre politique. Cet acte citoyen permet de renouer avec le lien historique qui existe entre art et culture d'une part, et éducation populaire d'autre part.

Sensibiliser tous les jeunes à l'art et leur permettre cette rencontre intime avec les oeuvres est essentiel parce que l'art et la culture les relient les uns aux autres et permettent de donner du sens et de favoriser l'échange, la rencontre et la découverte de soi-même. Priorité doit être donnée à cette démarche, diffuse sur le territoire, mais insuffisamment valorisée et soutenue. Ce projet s'inscrit dans les principes qui guident mon action au ministère : le lien avec les collectivités territoriales, le lien avec la jeunesse, la question de la justice sociale.

Ce ministère a un rôle pilote dans la définition des grandes orientations du chantier national de l'éducation artistique et culturelle. La loi d'orientation sur l'école, à la préparation de laquelle je suis associée, sera présentée à l'automne. Je travaille en concertation avec le ministre de l'éducation nationale, M. Vincent Peillon, mais aussi avec Mmes Valérie Fourneyron, pour l'éducation populaire, et Geneviève Fioraso, pour l'enseignement supérieur, pour présenter dès la rentrée un plan de développement.

Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) seront en première ligne pour animer les stratégies régionales de l'éducation artistique et culturelle.

Le lancement de ce projet, fondé sur un dialogue interministériel, constitue aussi l'élément moteur d'une nouvelle relation avec les collectivités territoriales assise sur des partenariats renforcés dans un esprit d'économie de moyens.

Le deuxième chantier consiste à refonder l'action publique culturelle à l'ère du numérique. Il faut sortir de la logique exclusivement répressive. Malgré leurs promesses, la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, (DADVSI) puis la loi sur la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) se sont axées sur la répression des internautes, sans chercher à imaginer de nouveaux modèles économiques compatibles avec le respect des droits des créateurs.

Le Président de la République m'ayant confié la tâche de mener la réflexion relative à la définition de « l'acte II de l'exception culturelle française », c'est sous l'égide du ministère de la culture et de la communication que se tiendra la mission confiée à Pierre Lescure, qui doit permettre de faire émerger de nouvelles ressources, tant du côté des fournisseurs d'accès à Internet, des grands opérateurs internationaux comme Google ou Amazon, qui sont aujourd'hui quasiment exemptés de TVA, que du côté des fabricants d'ordinateurs.

Les nouveaux acteurs économiques du numérique n'ont, pour l'instant, pas été mis à contribution. Or, ceux qui font commerce de contenus réalisés par d'autres doivent participer au financement de la création. J'ai déjà engagé des discussions avec la Commission européenne et, par ailleurs, une mission d'expertise confiée au conseiller d'État Pierre Collin et à l'inspecteur des finances Nicolas Colin, devra remettre ses conclusions à l'automne sur la fiscalité du numérique.

Cette concertation doit permettre également d'assurer les conditions du renforcement de l'offre légale en ligne, l'enjeu étant de détourner les internautes des offres illégales tout en trouvant des solutions à la rémunération des artistes et au respect des droits d'auteur.

La défense de la diversité culturelle, évoquée dans les principes directeurs de mon action à la tête du ministère, est probablement la dernière pierre de cet édifice. Elle implique de travailler sur une cohérence d'ensemble. Il faut définir les outils juridiques et économiques adaptés à ce bouleversement du paysage numérique, assurer une consolidation des sources de financement du secteur culturel et notamment des industries culturelles et garantir la diversité de la création.

Le troisième axe est le soutien à la création d'une part, et la préservation, la valorisation et la transmission de notre patrimoine d'autre part.

Le projet de loi d'orientation sur le spectacle vivant et la création, annoncé dans le programme du Président de la République, s'inscrit dans la perspective d'un double soutien aux artistes et à leurs publics. Notre mission est d'assurer l'accès de tous à la culture, d'accompagner les collectivités territoriales dans la revitalisation des territoires et de garantir la diversité des démarches artistiques.

Cet engagement en faveur du spectacle vivant comme du patrimoine est à mettre en lien avec la décentralisation, la recherche de nouveaux viviers d'emplois, mais aussi le plan d'éducation artistique et culturelle, qui implique d'accompagner les nombreuses écoles d'art du ministère.

Le soutien que j'apporte au spectacle vivant, qui se traduira par des arbitrages budgétaires, s'accompagne de la mise en place d'une concertation pour assurer la viabilité et la pérennité du régime de l'intermittence. Je me félicite à ce propos de l'initiative prise par les commissions des affaires culturelles et des affaires sociales de l'Assemblée nationale qui ont décidé de lancer une mission d'information commune sur l'emploi culturel en France.

Une large concertation a été lancée dans le secteur du livre. Engagée le 20 juin dernier, elle devra se poursuivre dans les mois à venir avec l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Trente ans après la loi Lang sur le prix unique du livre, nous devons conforter ce très bel héritage à l'ère du numérique.

Un processus de réforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et des modalités de désignation des présidents de l'audiovisuel devrait voir le jour. Ce projet de loi comportera, le cas échéant, une réforme de l'audiovisuel extérieur de la France (AEF) et de l'audiovisuel public. Dans un même esprit de garantie d'indépendance et de protection des libertés, un projet de loi concernera la protection du secret des sources des journalistes.

Dans un autre domaine, j'ai réuni la semaine dernière une grande partie des acteurs de la filière musicale pour traiter du projet de Centre national de la musique. Nous voulons accompagner la filière dans sa transition économique vers le numérique, dans un souci de responsabilité budgétaire alors que des engagements ont été pris sans être financés, et avec la volonté de permettre le maintien d'une diversité musicale qui fait la spécificité et la fierté de notre pays.

Lors des Journées nationales de l'archéologie, j'ai annoncé des mesures d'urgence tendant à défendre l'archéologie préventive et la création d'une commission appelée à rédiger un Livre blanc évaluant le bilan de la loi sur l'archéologie préventive dix ans après sa promulgation, ce qui me permettra de prendre les mesures nécessaires. L'expertise de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est indiscutable mais l'émergence de nouveaux acteurs - collectivités territoriales, mais aussi opérateurs privés - rend une nouvelle analyse indispensable. Dans l'intervalle, le financement de l'Inrap devra être assuré.

Si les Archives nationales, dont j'aurai le plaisir d'inaugurer, à la rentrée, le nouveau bâtiment à Pierrefitte-sur-Seine, sont une priorité, je souhaite aussi renforcer le partenariat avec l'État pour ce qui concerne les archives départementales. Il faudra également revenir sur certaines dispositions de la loi sur les archives de 2008, qui sont de nature à entraver la recherche archivistique. J'entends redonner aux chercheurs la liberté dont ils ont besoin et l'accès à cette ressource constituée collectivement.

Nous célébrerons le 4 août prochain le cinquantième anniversaire de la loi Malraux sur les plans de sauvegarde et de mise en valeur des quartiers historiques, qui s'insère également dans une perspective patrimoniale. La défense et la mise en valeur de notre patrimoine sont l'une des principales missions revendiquées par ce ministère.

La très récente inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais traduit la volonté du ministère de valoriser le patrimoine industriel comme socle de la mémoire collective. Cet exemple montre, par excellence, comment et pourquoi la culture, loin d'établir des séparations entre les hommes, est au contraire le lieu symbolique de leur réunion, de leur rassemblement et de leur réconciliation. Dans les temps de crise que nous connaissons, l'art et la culture doivent être, plus que jamais, une source d'espoir.

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