Intervention de Matthieu de Montchalin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Matthieu de Montchalin président et guillaume husson délégué général du syndicat de la librairie française slf

Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF) :

Le SLF s'était alarmé de la hausse de la TVA dans un secteur déjà fragile. Ces fragilités, nous les avions exposées lorsque vous aviez eu la gentillesse de nous auditionner sur la loi sur le prix unique du livre numérique ; elles se concrétisent aujourd'hui. Pour nous, le passage à la TVA à 7 % représentait également une remise en cause de la loi de 1981 ; un texte voté, comme la plupart des autres concernant le livre, dans le consensus.

Le Gouvernement reviendra sur cette mesure dans le prochain collectif budgétaire. Reste à déterminer la date d'entrée en vigueur du nouveau dispositif. Pour les libraires, le retour à la TVA à 5,5 % implique de modifier une nouvelle fois un million de prix dans les bases interprofessionnelles. Les libraires ne peuvent pas réaliser cette opération technique en quelques jours, et certainement pas durant l'été. Le risque d'un bug informatique existe. Cette étape étant surmontée, le plus tôt sera le mieux. Les éditeurs maintiendraient les prix fixés pour une TVA à 7,7 %, cela semble confirmé. Par parenthèse, le prix du livre est loin d'avoir suivi, ces dernières années, l'indice général des prix.

Le retour à 5,5 % dégagerait un supplément de marge pour les libraires de l'ordre de quelques centimes d'euros entre le 1er septembre et jusqu'au 1er janvier, moment où a lieu l'augmentation traditionnelle des prix. Cette période est essentielle pour la profession avec la rentrée et les fêtes de fin d'année.

Nous avions proposé, sans succès, un autre scénario au Gouvernement : maintenir la TVA à 7,7 % durant quelques mois et consacrer environ 20 millions de ce surplus de recettes à la création d'un fonds structurel de soutien à la librairie indépendante, qui délivrerait des prêts de trésorerie et des aides à l'exploitation. Techniquement, j'ignore quelle forme doit prendre cette proposition : faut-il doter le ministère de la culture, créer un autre fonds ou utiliser l'outil existant du Centre national du livre (CNL) ? Autrement dit, nous reprenons le modèle des dispositifs existant pour la presse et le cinéma qui ont fait leurs preuves. Le principe est le même : pour préserver la diversité culturelle, il faut maintenir un réseau de diffusion varié : des kiosques pour la presse, des salles pour le cinéma et des librairies pour le livre. L'État y gagnerait car il conserverait la majeure partie du surcroît de recettes.

L'urgence est de prendre des mesures pratiques et transparentes pour les librairies indépendantes dont l'économie est très fragilisée. D'après la ministre de la culture, la librairie indépendante, pour se maintenir, doit atteindre un taux de rentabilité de 2 % en fin d'année. Ce chiffre raisonnable, qui équivaut à celui des fleuristes, se situe dans la moyenne basse des commerces de centre-ville. Or, d'après l'étude Xerfi, notre taux avoisinait 0,3 % en 2009. Le moindre soubresaut de conjoncture menace donc la librairie indépendante. Les derniers chiffres confirmeront cette tendance.

Un taux de 2 % de rentabilité diminuera notre dépendance à l'égard des banques. S'il existe un système d'offices et de retours, le libraire achète par avance son stock aux éditeurs. D'où des besoins importants en trésorerie. Si nous ne sommes pas rentables, qui acceptera de nous financer ? Toute la chaîne sera touchée : les 2 500 librairies indépendantes - le secteur en compte 3 500 - comme les 3 000 éditeurs, en particulier les petits qui travaillent, aux côtés des libraires, à découvrir de nouveaux auteurs.

La question de la rentabilité est importante aussi pour la transmission de nos entreprises. La librairie, comme les autres secteurs, sera, dans les trois à quatre ans, marquée par les départs en retraite des baby-boomers. Certes, l'institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, l'IFCIC, peut garantir de crédits, et l'association pour le développement de la librairie de création délivrer des aides, mais ce n'est toujours qu'une partie du montage financier.

Enfin, la baisse de la rentabilité se conjugue avec l'augmentation des charges. Celle-ci s'évalue à environ 2 % par an. Et encore, ce n'est qu'une moyenne si l'on considère la hausse vertigineuse des loyers commerciaux en centre-ville. Les éditeurs vous confirmeront que l'année 2012 sera mauvaise, comme toutes années électorales, sans parler de la crise. Résultat, nous peinons de plus en plus à couvrir nos frais. Ce qui est dommage quand les librairies sont le maillon le plus fragile de la chaîne économiquement, mais aussi, avec Internet, le maillon le plus dynamique commercialement. Les grandes chaînes ont connu un décrochage, non les librairies qui ont su fidéliser leurs clients. Je rappelle que les éditeurs réalisent 40 % de leur chiffre d'affaires en librairie indépendante, voire 50 % pour la création littéraire. Les représentants des territoires que vous êtes au Sénat savent également le rôle que nous jouons dans l'animation des centres-villes.

Comment atteindre ce seuil de rentabilité raisonnable de 2 % ? Certaines mesures ont trait à notre organisation interne et à notre productivité, nous y travaillons ; d'autres relèvent du dialogue avec les éditeurs ; d'autres encore dépendent du législateur. Aujourd'hui, nous posons la question de la suppression du rabais de 5 % permis par la loi de 1981, qui coûte chaque année 2 à 3 points de rentabilité à la librairie indépendante. Cette décision forte et importante nécessitera beaucoup de pédagogie auprès des groupes et des consommateurs. Un des groupes de travail, dont la ministre de la culture a proposé la création, travaillera ce sujet. Les professionnels sont tous pour l'ouverture de ce débat, à l'exclusion de la FNAC.

Autre proposition, une modification du code des marchés publics, code louable, utile et indispensable à la démocratie, mais d'une lourdeur inadaptée au marché du livre. En particulier, il proscrit le localisme quand les services que les libraires apportent sont, par définition, locaux. Sans compter que les élus craignent de voir leur décision d'attribution du marché contestée devant un tribunal administratif. D'ailleurs, la conclusion du rapport demandé par M. Frédéric Mitterrand à deux inspecteurs du contrôle général économique et financier sur l'accès des librairies aux marchés d'achats de livre des bibliothèques alertait le Gouvernement sur le risque important d'annulation des marchés en l'état actuel du droit. D'autant que les contentieux vont se multiplier avec l'arrivée de grossistes et de libraires qui, prenant acte du rétrécissement du marché du livre, ont beaucoup investi ces dernières années pour mieux répondre aux appels d'offres publics.

Ma librairie, Mme Catherine Morin-Desailly le sait pour être élue de mon département, a vu son chiffre d'affaires chuter brutalement de 7 % après avoir perdu les marchés de la bibliothèque départementale de prêt de Seine-Maritime au profit d'un grand libraire. C'est la loi du marché. En revanche, j'ai été choqué lorsque j'ai reçu, quinze jours plus tard, un appel de la directrice de la bibliothèque me demandant l'autorisation pour ses agents de continuer à repérer les ouvrages dans mes rayons, le prestataire retenu étant à Bordeaux... L'attrait local joue un rôle, le code doit en tenir compte.

D'après la société française des intérêts des auteurs de l'écrit, les marchés publics des collectivités territoriales représentent environ 15 % du chiffre d'affaires d'une librairie indépendante. Comment survivre si on l'en prive soudainement ? Cet élément, plus encore qu'Internet, la TVA ou le prix du livre numérique, est crucial pour nous.

Le code des marchés publics est un ensemble lourd et complexe à manier, les enjeux sont européens. Pour autant, dans la pratique, les collectivités territoriales s'évertuent à trouver des solutions pour ne pas trop en dépendre. Mais si elles suivent à la lettre le code, les petites librairies sont de facto éliminées.

Dernier point, nous sommes très attachés, et depuis des longues années, à la création d'un médiateur. Le mot est tabou car il a fait peur à nos partenaires éditeurs. Si bien que l'on évoque, dans le rapport rendu à M. Frédéric Mitterrand, « un collège dont la tâche serait de régler les problèmes interprofessionnels » : en fait, un médiateur... Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Le médiateur aura vocation, non pas à fixer les prix ou les marges, mais à dénouer les difficultés qui surviennent dans l'application de la loi pour une profession qui est totalement réglementée par des textes. L'intervention de M. Pierre-François Racine lors du débat sur la hausse de la TVA a été déterminante pour dépassionner le débat et séparer les questions techniques et politiques ; l'intervention d'une autorité publique capable de négocier avec le ministre et d'avoir une vue d'ensemble des dossiers semble nécessaire à la profession. Ce serait aussi un moyen de faire face à notre prédateur, Amazon, à qui la loi française ne s'applique pas. Il suffit de regarder leur site : le prix unique n'est plus affiché, il est question d'un prix Amazon, d'un prix conseillé ou d'un prix « état neuf ». Nous sommes dans le flou le plus complet, au détriment du consommateur. La voie du tribunal n'est pas la bonne : nous avons engagé plusieurs actions contre Amazon. A chaque fois, nous recevons, 48 heures avant l'audience, 350 pages de nouvelles notes... Un médiateur est indispensable, Mme Aurélie Filippetti en est consciente ; elle a évoqué ce sujet lorsqu'elle a reçu récemment les acteurs de la distribution et de la diffusion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion