C'est un très grand plaisir de m'exprimer devant votre commission, qui traite de sujets majeurs pour les élus locaux que vous êtes aussi - et que j'ai été jusque très récemment. Je sais qu'elle compte en son sein des spécialistes reconnus, en particulier Mme Herviaux pour la mer et le littoral, MM. Ries, Teston et Nègre, pour les transports terrestres. Je me réjouis donc de nos échanges et souhaite qu'ils soient les plus réguliers possibles, car je sais qu'ils seront vivants et enrichissants pour chacun d'entre nous.
Une information préalable : je définis actuellement, avec le Premier ministre - que je rencontre après-demain à ce sujet -, les grandes orientations de mon ministère : nous vous les présenterons à la rentrée. Vous comprendrez que, dans ces conditions, je ne sois pas en mesure de tout vous dire aujourd'hui, même si je vais tâcher de vous donner la plus entière satisfaction.
Un constat, ensuite : si le Grenelle de l'environnement a prétendu transformer notre vision et nos pratiques des transports, les résultats sont encore loin du compte : l'objectif est de porter le fret non routier de marchandises à 25%, mais nous peinons à dépasser les 10%. Fin 2011, les Assises du ferroviaire ont constaté les handicaps de notre système ferroviaire, plombé par la dette de RFF, par une organisation peu lisible, par des persistances du passé à la SNCF - que certains qualifient de dinosaure. La dette de RFF dépasse non seulement les 30 milliards, mais elle croît de 1,5 à 2 milliards par an : à ce rythme, la dette atteindrait 55 milliards en 2025, ce n'est guère supportable. Le mauvais état de notre réseau, sauf quelques lignes à grande vitesse, le rend incapable d'absorber le surplus de fret que nous souhaitons, ceci malgré toute la priorité qu'on accorde au fret : ce qu'il faut d'abord, c'est remettre notre réseau à niveau ! Cela vaut d'ailleurs pour toutes nos infrastructures de transports. Le premier sujet de ma feuille de route, c'est donc la réforme de notre système ferroviaire : elle est nécessaire, nous la mènerons, conformément à ce qu'en a dit le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Un mot sur l'ouverture à la concurrence des transports de voyageurs : elle interviendra assurément, puisque l'Union européenne l'a prescrite, et nous devons l'anticiper pour ne pas nous retrouver dans la situation d'impréparation qui était la nôtre lors de l'ouverture du fret à la concurrence, avec toutes les conséquences négatives que notre opérateur historique a subies. Cependant, la première chose à faire, c'est de réformer l'organisation de notre système ferroviaire, indépendamment même de la question de l'ouverture à la concurrence. Les organisations syndicales me l'ont bien dit : l'urgent, c'est d'améliorer l'efficacité de notre système ferroviaire, de clarifier les compétences entre le gestionnaire d'infrastructures et les opérateurs ferroviaires, de bien poser le cadre social du ferroviaire et de moderniser les réseaux.
Sur le SNIT, je commencerai par une remarque de méthode : imaginez que, comme le Gouvernement précédent l'a fait avec les collectivités, chacun de vous demande à ses administrés quelles infrastructures ils souhaiteraient, pour en faire une liste sans retenue - mais pour avouer seulement lors du débat budgétaire, que la liste n'est pas réalisable ! Vous conviendrez qu'une telle méthode n'est pas des plus réalistes, et l'idée que l'inscription sur la liste serait un sésame ne nous facilite guère la tâche ! Cependant, l'Etat doit tenir sa parole et le Président de la République a été très clair : les travaux engagés seront menés à leur terme. Le SNIT n'est pas un document contractuel et son montant de 245 milliards d'euros n'est guère financé - cette coquette somme représente 120 années de mon budget, je le dis par boutade, mais c'est une réalité... Dans ces conditions, il est bien normal que nous nous interrogions sur des lignes à grandes vitesse qui ont été annoncées par le Gouvernement précédent sans qu'aucune étude d'impact économique et environnemental n'ait démontré leur pertinence.
Deuxième sujet de ma feuille de route, nous saisirons l'acte III de la décentralisation pour renouveler la répartition des compétences en matière de transport. Nous avons besoin de nouvelles relations entre l'Etat et les collectivités locales : c'est vrai pour le cofinancement - qui, fort heureusement, a résisté aux assauts de ceux qui voulaient l'éradiquer -, mais c'est vrai également pour le choix des infrastructures, pour définir leur pertinence, car nous avons besoin de territoires unis autour de leurs projets de transports et qui trouvent toute leur place dans la négociation avec l'Etat. Les transports sont un levier essentiel pour réduire la fracture territoriale, dans le plein respect des territoires, de leurs spécificités, de leurs choix : nous en avons éminemment besoin, tant les écarts de développement expliquent que dans certains territoires, parce qu'ils ont été oubliés, nos concitoyens en sont venus à douter des capacités mêmes de développement de leurs territoires, à douter d'eux-mêmes - on en a vu les conséquences avec le vote extrême dans la dernière élection. La compétence transport est segmentée - le ferroviaire aux régions, le transport scolaire aux départements, les transports urbains aux agglomérations, voire aux communes -, elle est trop peu lisible ; nous devons la réorganiser, en associant tous les modes de transport et en repensant les liens entre la stratégie nationale, dont l'Etat est responsable, et les échelons locaux, en particulier celui de la coordination. Cette coordination serait plutôt d'échelle régionale, mais elle devra composer avec les autorités organisatrices de transport d'échelon infra-régional, qui peuvent garder toute leur pertinence.
Nous accorderons également toute notre attention au fret ferroviaire, en tenant compte des spécificités du secteur. Il est certain que le fret ferroviaire subit le dumping social du transport routier. Nous mettrons en place l'écotaxe poids lourds, qui a été décidée par nos prédécesseurs - mais je souhaite un cadre apaisé pour son application : l'intermodalité ne se fera pas sans une coopération entre les divers modes de transport, nous associerons les entreprises de transport et les chargeurs à nos discussions sur l'application de l'écotaxe, elle touche à leur compétitivité, tout en constituant un enjeu pour la société toute entière.
Je souhaite encore conduire des réformes structurantes dans le domaine maritime. La mer et la pêche se retrouvent, dans mon ministère, aux côtés des transports : c'est bien le signe que nous reconnaissons l'économie maritime dans son entier, et que nous faisons toute leur place aux liens entre nos ports maritimes et leur hinterland. Nos ports maritimes doivent être confortés, mais également mieux reliés aux infrastructures de transport : c'est à cette aune que nous évaluerons les investissements à réaliser. Ensuite, je sais d'expérience que bien des infrastructures ne sont pas suffisamment utilisées, faute de gouvernance et d'insertion dans un schéma d'ensemble : à nous de faire qu'elles servent plus, grâce à une meilleure organisation. Enfin, je veux avancer sur le chemin d'une politique maritime intégrée : la mer, ce n'est pas d'un côté la pêche, de l'autre le littoral, ailleurs encore la construction navale - c'est tout cela à la fois et c'est bien l'enjeu d'un ministère de la mer que de donner à cet ensemble une gouvernance intégrée qui soit un levier de développement. La gouvernance du littoral doit encore s'adapter aux réalités des façades maritimes, qui varient bien entendu selon les territoires, de l'érosion, ou encore des risques naturels : l'Etat doit accompagner les collectivités locales dans la mise en place d'une telle gouvernance, au besoin en activant un fonds d'aménagement du littoral, que nous examinerons comme une piste. La mer représente également un enjeu important pour l'énergie, avec les énergies marines renouvelables : nous avons des chercheurs, une technologie made in France, dans l'éolien flottant, « l'hydraulien », nous avons des filières industrielles en gestation - à nous de les soutenir, voilà bien un enjeu de développement !
Sur l'aérien, des négociations internationales capitales sont en cours. Je pense en particulier aux travaux de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) sur le système d'échange de quotas d'émission de CO2, tel que l'Union européenne le propose avec l'ETS. L'Union européenne fait jusqu'ici un peu cavalier seul et l'adoption d'un système d'envergure international lui serait d'un grand secours dans la concurrence sans trêve que se livrent les constructeurs aériens et leurs commanditaires.
Voilà donc esquissé ce portefeuille ministériel si vaste et passionnant que le Premier ministre m'a fait l'honneur de me confier. Puisse cette esquisse vous tenir en haleine jusqu'à cet automne où, comme je vous l'ai dit, je pourrai vous présenter en détail quelle sera ma stratégie !