Intervention de Éric Bocquet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 novembre 2011 : 4ème réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission solidarité insertion et égalité des chances - examen du rapport spécial

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur spécial :

Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui retrace une partie de l'intervention de l'Etat au titre de la solidarité nationale et finance des actions disparates :

- l'insertion par l'emploi ;

- les tutelles des majeurs ;

- le handicap ;

- le soutien aux familles ;

- ou encore l'égalité entre les hommes et les femmes.

Elle porte surtout des dépenses d'intervention, qui sont obligatoires, et sur lesquelles les marges de manoeuvre restent faibles. Ces dépenses, pour les principales, sont connues, il s'agit de :

- l'allocation aux adultes handicapés : l'AAH ;

- le revenu de solidarité active, le RSA, pour sa partie activité ;

- l'allocation supplémentaire d'invalidité.

Nous ne saurions reprocher cette hétérogénéité qui n'est qu'un révélateur de la diversité des situations de détresse sociale. En revanche, nous pouvons regretter un certain manque de lisibilité de l'action publique.

D'ailleurs, la mission ne donne pas une vision exhaustive de la politique de solidarité nationale et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, la politique de solidarité relève également, si ce n'est plus, de la responsabilité des départements et des organismes de sécurité sociale. Par exemple, le programme « Handicap et dépendance », hormis quelques crédits relatifs à la maltraitance des personnes âgées, ne contribue guère à la problématique de la perte d'autonomie.

Ensuite, l'intervention de l'Etat recoupe d'autres politiques publiques et est donc logiquement retracée dans d'autres missions du budget général, telles que « Ville et logement » ou « Travail et emploi ».

Enfin, l'Etat met en oeuvre une politique fiscale tout autant qu'une politique budgétaire. A titre d'illustration, les dépenses fiscales rattachées à la mission représentent près de 12,5 milliards d'euros cependant que les crédits budgétaires s'élèvent à 12,75 milliards d'euros, soit des montants quasiment équivalents.

Outre 11 milliards d'euros de dépenses d'intervention inscrites sur quatre programmes, la mission comprend également un programme support, qui rassemble tous les moyens des « ministères sociaux », tant au niveau national que déconcentré, étant précisé que, par la magie de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les services du sport, de la jeunesse et de la vie associative sont désormais rattachés aux « ministères sociaux ».

Le programme support est doté d'environ 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard au titre des crédits de personnels.

Avant d'entrer dans le vif du sujet budgétaire, je voudrais d'abord m'arrêter sur l'intervention fiscale de l'Etat puisque trente dépenses fiscales sont rattachées à la mission en 2012. Je sais que mes prédécesseurs ont longtemps regretté ne pas disposer d'évaluations précises sur l'ensemble de ces niches.

Le contexte est désormais différent puisque le rapport Guillaume sur l'évaluation des dépenses fiscales a été rendu public le mois dernier. Hélas, le bilan n'est pas fameux ! Sur trente-deux niches étudiées en 2010, le Comité considère que dix-huit d'entre elles ne sont pas efficaces dans l'absolu ou pas suffisamment au regard de leur coût, pour un total de près de 9 milliards d'euros.

Les principaux reproches adressés à ces dispositifs dérogatoires sont les suivants :

- caractère anti-redistributif de la mesure ;

- redondance et mauvaise articulation avec d'autres dispositifs ;

- instrument fiscal inadapté au regard de l'objectif poursuivi.

A titre d'illustration, je liste, dans mon rapport écrit, une partie des dispositifs dont peuvent bénéficier les personnes invalides, soit une dépense sociale, une dépense budgétaire et, au moins, trois dépenses fiscales différentes, soit a minima cinq instruments !

Au fil des années, les dispositifs se sont empilés sans cohérence, ni réflexion d'ensemble. Les moyens et deniers publics sont mal organisés et par conséquent mal utilisés.

Alors, bien sûr, la solution de facilité serait de trancher d'un coup net, définitif, ce noeud gordien et de supprimer ainsi l'ensemble des niches jugées inefficaces.

Je ne crois pas à cette solution. Plus encore, je ne l'admettrais pas. Le droit fiscal est constitué d'un embrouillamini de dispositions hétéroclites qui supportent mal toute révolution en forme de « big-bang ». A cet égard, je rappellerai, pour mémoire, le triste précédent de la « suppression » de la taxe professionnelle...

Appliquée aux dépenses fiscales de solidarité, une telle méthode aurait des conséquences désastreuses avec des effets de bord non anticipés qui léseraient de nombreux foyers fragiles.

La méthode doit être plus chirurgicale. Je crois qu'il faut revoir, par catégorie de bénéficiaires, l'ensemble des dispositifs budgétaires, sociaux et fiscaux applicables et se fixer deux principes de réforme :

- assurer un montant de redistribution au moins équivalent à celui d'aujourd'hui ;

- et assurer une plus grande redistributivité des mécanismes fiscaux.

J'en viens maintenant aux considérations plus strictement budgétaires. Je l'ai dit, la mission rassemble plus de 12,75 milliards d'euros de crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 3,14 % par rapport à l'an passé. En réalité, cette augmentation résulte du très fort dynamisme de l'AAH, en hausse 6 %, et dissimule la baisse, parfois justifiée mais souvent inappropriée, des dotations des autres programmes.

Dans le temps qui m'est imparti, je me limiterai à quelques rapides observations.

En ce qui concerne le programme « Lutte contre la pauvreté : RSA et expérimentations sociales », l'analyse budgétaire est un peu ardue. En effet, il porte, à titre principal, la dotation d'équilibre du Fonds national des solidarités actives (FNSA) qui finance le « RSA activité », c'est-à-dire le complément de revenus versé aux « travailleurs pauvres ».

En conséquence, nous devons étudier en détail les recettes et les dépenses du Fonds pour savoir si la dotation d'équilibre apportée par l'Etat est correctement calibrée.

Or, par le passé, du fait d'une lente montée en charge du « RSA activité », le Fonds a accumulé les excédents de trésorerie, jusqu'à 1,3 milliard d'euros fin 2010 !

Pour 2012, la dotation du Fonds est fixée à 535 millions d'euros contre 700 millions en 2011. Néanmoins, sa trésorerie devrait toujours s'établir autour de 250 millions d'euros fin 2012.

Je n'ai donc pas d'inquiétude sur la dotation RSA. Je regrette simplement que l'Etat accumule les excédents sur le « RSA activité » pendant que les départements ont de plus en plus de mal à financer le « RSA socle ».

J'ajoute également que, les années passées, le Gouvernement a profité des excédents disponibles sur le FNSA pour financer, en fin d'année, la prime de Noël et cela, en dehors de toute autorisation parlementaire.

Je souhaite par conséquent que la prime de Noël soit inscrite de manière pérenne dans la loi de finances initiale, ce qui serait plus conforme aux règles budgétaires et qui, de surcroît, permettrait de lever l'hypocrisie selon laquelle la prime ne serait qu'un dispositif exceptionnel - alors même qu'elle a été renouvelée chaque année depuis 1998 !

En ce qui concerne, le programme « Actions en faveur des famille vulnérables », je constate tout d'abord une absence de dotation du Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNPE), laissant les conseils généraux supporter une charge croissante en matière d'aide sociale à l'enfance.

Une fois de plus, le Gouvernement marque son refus d'appliquer les obligations issues de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Combien de fois encore faudra-t-il qu'il soit condamné par les juridictions administratives pour qu'il assume enfin ses responsabilités ?

Par ailleurs, le programme porte, très majoritairement, des crédits destinés à financer la protection juridique des majeurs, à hauteur de plus de 216 millions d'euros. Nous aurons bientôt l'occasion d'étudier en détail ce chapitre lors de la présentation d'une enquête que notre commission a demandée à la Cour des comptes.

S'agissant du programme « Handicap et dépendance », les crédits de l'AAH représenteront, en 2012, la somme substantielle de 7,5 milliards d'euros. Et encore, je calcule qu'il devrait manquer au moins 200 millions d'euros à la fin de l'année.

Nous savons que la dépense d'AAH progresse de près de 8 % par an sous l'action d'un « effet-prix », la revalorisation du montant de l'AAH de 25 % sur cinq ans, et d'un « effet-volume », la hausse du nombre de bénéficiaires, qui est, en réalité, mal comprise.

Le Gouvernement nous annonce son intention de réaliser 100 millions d'euros d'économies sur cette prestation. J'en prends acte mais permettez-moi d'en douter !

Quant au programme « Égalité entre les hommes et les femmes », je voudrais distribuer un bon point malheureusement tout de suite balayé par un très mauvais point.

Je suis d'ailleurs un peu surpris que cette politique figure dans la mission « Solidarité ». La condition féminine, l'égalité entre les hommes et les femmes devrait relever d'un ministère dédié et ne peut se réduire à la simple notion de solidarité. Il me semble que nous avons besoin d'une politique plus vaste, plus ambitieuse.

Néanmoins, s'agissant du bon point, le Gouvernement nous offre une maquette budgétaire renouvelée, plus lisible, qui semble refléter une vision en matière d'égalité entre les hommes et les femmes.

Malheureusement, nous constatons dans le même temps une aggravation de la diminution des moyens de cette politique, ce que vient confirmer la baisse de 5 % des crédits. A vrai dire, je suis scandalisé que le Gouvernement ait choisi des économies de « bout de chandelle » sur ce programme et de surcroît par réduction des subventions aux associations. Ce sont les rouages indispensables pour la mise en oeuvre de la politique d'égalité sur le terrain !

Symboliquement, j'ai l'impression que le Gouvernement nous explique que, dans le projet de société français, les femmes n'ont plus leur place !

Enfin, en ce qui concerne le programme support « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », je me limiterai à une observation. Les crédits de personnel représentent 1,2 milliard d'euros, en baisse de près de 5 %.

Le Gouvernement nous vante le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui est effectivement mis en oeuvre. Mais, en l'espèce, la diminution des crédits s'explique surtout par le transfert de personnels vers d'autres missions du budget général et non par la maîtrise de la dépense.

En conclusion je constate que :

- l'Etat accumule des excédents sur le RSA pendant que les départements ont de plus en plus de mal à financer leurs dépenses sociales ;

- le Gouvernement refuse délibérément de doter le FNPE et, là encore, fait peser sur les départements une charge croissante en matière d'aide sociale à l'enfance ;

- la politique du handicap fait l'objet d'un effort - certes méritoire - de budgétisation par rapport aux années passées, mais nous savons déjà qu'il ne sera probablement pas suffisant ;

- en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, je viens de le dire, les choix d'économies sont dérisoires au regard du déficit public mais particulièrement brutaux pour les associations visées.

Pour l'ensemble de ces raisons, je ne peux pas adhérer au budget qui nous est proposé, qui reflète une politique prenant insuffisamment en compte nos concitoyens parmi les plus fragiles et les plus modestes.

Je vous propose par conséquent le rejet des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

L'article 61 rattaché, quant à lui, a pour objet de mettre à la charge du FNSA, et donc de l'Etat, l'intégralité des dépenses relatives au « RSA jeunes », pour l'année 2012, et de prolonger ainsi le dispositif dérogatoire appliqué depuis deux ans.

Il s'agit d'une disposition bienvenue qui évite la création d'une « usine à gaz » juridique et financière entre l'Etat et les départements pour des sommes très modestes. Je vous propose de l'adopter sans modification.

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