Intervention de Jean-Pierre Michel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 décembre 2010 : 3ème réunion
Audition de M. Jean-Pierre Machelon candidat proposé par M. Le Président de la république pour siéger au sein du conseil supérieur de la magistrature

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

C'est un grand honneur pour moi que de me présenter devant vous. Je mesure le privilège de pouvoir dialoguer avec la représentation nationale sur le sujet de la magistrature.

Ma carrière est essentiellement celle d'un professeur qui a rejoint l'université par goût de la libre recherche intellectuelle, et s'y est trouvé bien, tout en étant appelé de temps à autres à remplir d'autres missions de service public dans l'administration active.

Après mes études supérieures, aux facultés de droit et des lettres et à Sciences po, j'ai parcouru le cursus normal des juristes universitaires : assistanat, doctorat d'État. À l'issue de l'agrégation de droit public, j'ai été nommé professeur à l'université d'Auvergne, où je suis resté jusqu'en 1987, puis à l'université Paris V-René Descartes, où j'enseigne le droit constitutionnel et l'histoire de la pensée politique. Élu doyen, je dirige la faculté de droit, ainsi que son centre de recherche en droit public. À la Sorbonne, je suis directeur d'études cumulant à l'École pratique des hautes études et titulaire de la chaire d'histoire des institutions européennes.

J'ai parallèlement exercé différentes responsabilités. Conseiller au cabinet du président Monory pour les questions juridiques et institutionnelles, j'ai assisté à la rénovation du CSM par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993. J'exerce depuis 25 ans des fonctions dans l'administration de la recherche : auprès du ministère, à deux reprises, comme chef de département ou directeur scientifique, et à la direction du CNRS, dont je suis administrateur depuis 2005. Je signale également mon ancienne appartenance à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, mes fonctions d'expert à la commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe, et ma présidence de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics.

Le vif intérêt que je porte à l'institution judiciaire ressort sans doute davantage de mon activité et de mes travaux universitaires. Comme doyen de la faculté de droit, je suis responsable de l'Institut d'études judiciaires. Avec un millier d'inscrits, c'est aujourd'hui le troisième en France.

Comme juriste et comme historien, j'ai conduit et dirigé des recherches sur la magistrature française. Ma thèse de doctorat comportait des développements sur la magistrature sous la Troisième République. J'ai fait paraître un recueil de textes commentés qui montrent que la réforme judiciaire était à la fois sujet de discussion favori de la classe politique et terrain de réforme quasi impraticable. D'autres de mes publications, par exemple sur l'épuration, mettent en lumière la proximité entre le pouvoir et les juges au XIXème siècle, et les difficultés qui s'ensuivaient entre la magistrature en place et les régimes politiques. Les conséquences étaient graves pour le crédit de l'institution judiciaire. Anatole France résume cette méfiance : « Cela seul me cause un insupportable embarras qu'il faille que ce soient les juges qui rendent la justice » ! Tout cela est fort loin. L'étude du passé rend optimiste pour l'avenir : le besoin de justice toujours plus impérieux interdit les pronostics péremptoires.

La transformation du CSM renforce cet optimisme. Sans porter de jugement, je suis aujourd'hui plus sensible aux promesses de la réforme qu'inquiet de ses éventuelles insuffisances. Ce nouveau Conseil, pourvu d'un droit de regard sur l'ensemble des nominations de magistrats, est mieux à même d'assurer l'indépendance du corps judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique et d'éviter le corporatisme. Le Conseil supérieur de la magistrature n'est plus le Conseil supérieur des magistrats, désormais minoritaires. La faculté accordée aux justiciables de saisir le CSM à titre disciplinaire fait naître beaucoup d'espoirs, et s'inscrit, comme les questions prioritaires de constitutionnalité, dans le mouvement actuel de renforcement de l'État de droit.

Je souhaite aider à lever les inconnues qui demeurent sur la portée des innovations. Le nouveau CSM aura à connaitre des grandes questions statutaires ou matérielles que soulèvent l'activité judiciaire et la recherche d'une bonne justice, indépendante, sereine et efficace. Le corps judiciaire ne peut se gérer sans avoir égard aux moyens de la justice et ni à la portée réciproque du principe d'inamovibilité des magistrats du siège et de l'impératif « managérial » de mobilité. Le principe de l'unité du corps judiciaire, consacré par le Conseil constitutionnel, ne peut rester sans incidence sur la mise en oeuvre de cet impératif de mobilité.

Au CSM d'apprécier jusqu'à quel point la responsabilité du juge peut être recherchée sans entamer son indépendance. Entre les deux - responsabilité et indépendance - le CSM détiendra le curseur, en statuant sur les questions disciplinaires. Il mettra à jour le recueil des obligations déontologiques du magistrat. Ce chef de compétence, dont l'affaire d'Outreau a révélé les implications humaines, suffirait à justifier une large présence de non magistrats au sein du Conseil supérieur. Il suffit à justifier la motivation résolue qui est la mienne pour exercer la fonction à laquelle le Président de la République, sous réserve de votre avis, envisage de me nommer.

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