Nos facultés de droit doivent continuer à revendiquer la formation des magistrats et des avocats. Si je déplore que nos concurrents soient plus efficaces pour préparer au concours de l'ENM, je ne me fais pas de soucis : nous risquons plutôt de crouler sous la confiance que nous inspirons !
Il y a deux manières d'appréhender la formation des magistrats. On peut soit, comme à l'ENM, donner aux futurs auditeurs de justice la formation la plus vaste possible, qui doit les rendre opérationnels rapidement ; soit, comme dans certains pays, n'admettre dans la magistrature que des juristes éprouvés. Sous la IIIe République, il fallait être inscrit au barreau et avoir une expérience de trois ans pour devenir juge ! L'opinion publique ne comprendrait pas que l'on revienne à un tel système : c'est une objection dirimante. Toutefois, je ne juge pas malsaine une cohabitation entre des personnes au profil et à l'expérience différents, et je regrette que la formation actuelle des magistrats ne le permette pas suffisamment.
S'agissant de l'action des personnes extérieures au sein du CSM, je ne peux répondre que pour moi-même. Les dossiers disciplinaires sont essentiels. Donner aux justiciables la possibilité de se plaindre est une réforme sans précédent. Les magistrats ne sont pas pour autant responsables civilement, du moins dans la pratique. C'est un enjeu important. À ce titre, l'action des membres extérieurs à la magistrature, au nom de la société, peut être précieuse, car la magistrature est au service du pays tout entier.
La question du parquet est brûlante. J'ai pris connaissance de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Moulin contre France, et des polémiques sur le statut du parquet. Aujourd'hui, le parquet est, sans aucun doute, une autorité judiciaire. L'article 1er du statut de la magistrature l'affirme, le Conseil constitutionnel, par sa décision du 11 août 1993, le confirme. Dans l'affaire Moulin, la Cour ne fait que dire que la privation de liberté ne peut résulter d'une décision du parquet : le statut du parquet en tant qu'autorité judiciaire n'est pas nécessairement remis en cause. L'enjeu est de savoir si le procureur pourra continuer encore longtemps à contrôler le placement en garde à vue. Je ne fais pas de pronostics, tout en précisant que la situation actuelle ne me choque pas.
Faut-il s'inspirer des expériences d'autres pays ? Je le crois. Nous ne pouvons rester indifférents aux innovations de pays voisins. Toutefois la justice, fonction régalienne, est tellement intimement liée à notre histoire qu'on ne peut sans transition adopter des mesures révolutionnaires, même si elles semblent excellentes en Allemagne ou en Angleterre. Je prône donc la prudence, mais non la fermeture.
J'ai longtemps enseigné la raison d'être du dualisme juridictionnel, mais avec une foi faiblissante, connaissant les mécomptes qui s'ensuivaient pour les justiciables. L'unification complète des ordres juridictionnels n'est pas possible, ne serait-ce qu'à cause du statut particulier du juge constitutionnel ou des juridictions financières, mais il faut en finir avec les jeux de raquette que les fins connaisseurs du contentieux administratif admirent avec trop de piété...
Je suis mal à l'aise pour répondre sur l'unité de corps au regard des attributions du CSM. Je ne suis pas le législateur, encore moins le constituant ! Je prends les textes tels qu'ils résultent des délibérations du Parlement. Je crois toutefois que l'extension des compétences du CSM est un réel progrès : aucune décision en matière de nomination ne lui échappera.
Je suis moi aussi étonné par la féminisation de la magistrature : 75 à 80% des nouveaux magistrats sont des femmes, et 57% des magistrats actuellement en poste. Dans le pyramidage des postes, toutefois, hors hiérarchie, rien ne peut inquiéter l'élément masculin. Il y a lieu de s'inquiéter... Ce n'est toutefois pas ma mission de donner une solution.
Je ne crois pas que les trois grades nuisent à la spécialisation des magistrats. C'est une incontestable simplification. Je ne crois pas que la mobilité imposée par le souci d'avancement soit excessive. Depuis la loi organique de 2001, inamovibilité ne veut plus dire absence totale de mobilité. Il me semble raisonnable de ne pas rester plus de sept ans chef de cour. Ces règles n'aboutissent pas au papillonnage que l'on pourrait craindre.
Le modèle français est-il exportable ? Encore faudrait-il le définir.... Je ne suis pas sûr qu'il faille préconiser l'exportation du modèle juge d'instruction-parquet, avec partage de l'autorité judiciaire, déjà menacé en France. Un système juridictionnel est en fait le produit de l'histoire : je suis contre les exportations dans ce domaine.