La transgression, c'est un point fort des Français... J'en viens à la partie « propositions », dont je signale d'emblée qu'elles ont été considérablement enrichies par le travail de la section de l'Environnement du Conseil économique, social et environnemental, pour une meilleure prise en compte de l'environnement.
Premier ensemble de propositions : définir des objectifs de long terme.
La croissance, d'abord, ne saurait être durable sans intégrer les enjeux environnementaux, c'est-à-dire sans économiser les ressources naturelles. Nous devons changer nos comportements, valoriser ce que les spécialistes appellent l'éco-fonctionnalité, c'est-à-dire la primauté de l'usage sur la propriété - par exemple la location automobile : il faut savoir qu'à Paris, une voiture est utilisée à peine 5 % de son temps disponible - et nous devons également valoriser l'éco-conception, c'est-à-dire la prise en compte du recyclage dès la conception du produit - on pourrait économiser jusqu'à 40 % de ressources naturelles, c'est considérable.
Nous proposons, ensuite, de conforter l'État-stratège et la réindustrialisation de notre territoire. La France, c'est sa tradition, confère un rôle important à l'État dans le développement de son économie ; nous souhaitons que l'État continue à jouer un rôle important, en déterminant et en protégeant des secteurs stratégiques. M. Jean-Louis Levet a eu cette formule que je vous propose de retenir : plutôt qu'une politique en faveur de l'industrie, mieux vaut un développement économique par l'industrie, ce qui implique des choix de stratégie, donc accepter qu'il y ait des gagnants, mais aussi des perdants. L'État-stratège peut jouer un rôle essentiel, également, dans la coordination des initiatives. J'ajoute que la dimension locale doit être pleinement prise en compte : les contrats de projets État-régions mobilisent 37 milliards d'euros, c'est davantage que le grand emprunt.
Une politique industrielle ambitieuse, enfin, doit être définie à l'échelon européen : la politique de concurrence ne doit pas être un dogme ! Lors de son audition, M. Denis Ranque a souligné qu'avec les règles que nous connaissons aujourd'hui, il serait probablement impossible de créer EADS : cela donne à réfléchir... Or, nos grands concurrents que sont les États-Unis et le Japon - sans parler de la Chine - n'hésitent pas, eux, à protéger leurs secteurs stratégiques, en particulier le numérique, les biosciences, les industries de la santé, du transport des matériaux, ou encore les nouvelles technologies « propres ». L'Union européenne doit, elle aussi, protéger ces secteurs stratégiques !
Deuxième ensemble de propositions : améliorer l'environnement des entreprises.
Nous proposons, d'abord, de réformer le financement des entreprises, en renforçant Oséo, en lançant un grand emprunt pour financer l'industrie, et en modulant le taux de l'impôt sur les sociétés en fonction de la redistribution du résultat. J'insiste sur ce dernier point : le résultat qui est mis en réserve au lieu d'être distribué en dividendes entretient la trésorerie et, en augmentant les fonds propres, augmente la capacité d'emprunt des entreprises. La modulation du taux de l'impôt est donc un puissant levier de financement de nos entreprises.
Nous proposons, ensuite, d'investir dans nos infrastructures, en liaison avec les territoires : la position géographique de la France est un atout, à condition que nos territoires soient accessibles : il nous appartient de valoriser cet atout, ou bien il perdra sa valeur.
Nous suggérons, enfin, de faire évoluer le financement de notre protection sociale, à laquelle nous sommes très attachés. Nous sommes allés assez loin dans la recherche de nouvelles pistes de financement, en évoquant en particulier la CSG, une « TVA sociale », une cotisation sur la valeur ajoutée ou encore une taxation des échanges financiers.
Troisième série de propositions : valoriser le potentiel humain.
Il faut renforcer l'attractivité des métiers scientifiques et techniques, moteurs de l'innovation. Cela passe par un décloisonnement des métiers, des formations et des carrières, autant que par un effort de rémunération : en Allemagne, les carrières industrielles sont mieux rémunérées que les carrières financières, aux différents échelons. Je suis également favorable à des mesures plus symboliques mais qui ont toutes leur importance, comme l'accueil par les entreprises de classes scolaires dès le collège.
Nous soulignons également le rôle essentiel de l'apprentissage et de la formation continue. En France, les métiers techniques sont trop souvent choisis par défaut, même si la crise a peut-être un peu changé la donne : les élèves se disent davantage qu'avec un IUT et un BTS, ils trouveront plus facilement du travail qu'avec une formation générale. La formation continue est encore un facteur essentiel : elle doit être vivante, pour toutes les catégories de salariés.
Nous posons encore des jalons du côté de la gouvernance des entreprises, ce qui n'est pas allé sans grincements. A l'évidence, l'organisation allemande, où les salariés participent plus directement à la gouvernance des entreprises, a des avantages pour la production elle-même, pour l'adaptation des produits au marché. En France, nous avons beaucoup à faire pour intégrer le bottom-up, mieux associer les salariés aux décisions de l'entreprise - nous préparons un avis du CESE sur la question.
Enfin, nous nous sommes interrogés - le point d'interrogation était la condition de l'unanimité - sur un nouveau partage de la valeur ajoutée, qui est stable depuis vingt-cinq ans.
Quatrième série de propositions : dynamiser l'appareil de production. Il s'agit de consolider le tissu économique, en soutenant les ETI et en incitant les grandes entreprises à entretenir des relations de co-traitance avec les PME. Il s'agit encore de soutenir de nouvelles spécialisations - les technologies de l'information, la filière « verte », les services à la personne, la santé, l'agroalimentaire, les énergies renouvelables maritimes, les exportations de services. Enfin, nous proposons de renforcer la recherche et développement, en encourageant les mécanismes d'interface comme les instituts Carnot, mais aussi les pôles de compétitivité à vocation mondiale. A propos du crédit d'impôt recherche, M. Denis Ranque a attiré notre attention sur un risque de recentrage de cet impôt sur les PME : attention à ce que des grandes entreprises ne délocalisent pas leurs centres de recherche ! Enfin, j'ajoute que la promotion de la recherche passe par de meilleures rémunérations des chercheurs !
Pour conclure, je dirai que la compétitivité, c'est l'affaire de tous. J'ai proposé l'organisation d'un Grenelle de la compétitivité, je n'ai pas été suivie, hélas, mais je vous en confie l'idée. Dans ce rapport, nous avons souligné que la compétitivité ne relevait pas d'une mesure miracle, mais d'un ensemble de réformes, cohérentes à long terme, qui visent en particulier à réindustrialiser nos territoires : le rapport que j'ai eu l'honneur de vous présenter n'est que le début d'une longue démarche pour la réindustrialisation de nos territoires !