Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 mars 2011 : 2ème réunion
Répartition des contentieux et allègement des procédures juridictionnelles — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

Le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles reprend plusieurs recommandations du rapport Guinchard, remis le 30 juin 2008. Parmi les 65 préconisations de ce rapport, un grand nombre ont déjà été reprises dans des textes législatifs ou réglementaires, comme la loi du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires, issue d'une proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille ; ou la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées.

Le texte qui nous est soumis porte sur des aspects très divers de l'activité judiciaire : juridictions de proximité, création de nouvelles juridictions spécialisées, réforme de la justice militaire, de la procédure applicable en matière de divorce, extension des procédures accélérées de jugement.

Le projet de loi comporte quatre volets principaux.

Le premier vise à instaurer une répartition des contentieux plus claire et plus simple. Plusieurs mesures visent à simplifier l'organisation judiciaire.

La première est la suppression de la juridiction de proximité et la redéfinition des missions des juges de proximité. Créée par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, la juridiction de proximité statue à juge unique sur les petits litiges de la vie quotidienne aussi bien en matière civile qu'en matière pénale. En mars 2011, on compte 672 juges de proximité en exercice qui ont été nommés pour sept ans, la loi prévoyant qu'en cas d'absence ou d'empêchement d'un juge de proximité, les fonctions sont exercées par un juge du tribunal d'instance. Le rapport Guinchard estime que ce nouvel ordre de juridiction n'a pas permis d'atteindre les objectifs ambitieux qui lui étaient assignés d'une justice réconciliée avec les usagers. Il relève également la difficulté d'adaptation des compétences des juges de proximité à la technicité du contentieux civil. Aussi la commission sur la répartition des contentieux a-t-elle préconisé la suppression de la juridiction de proximité.

Le Gouvernement propose cependant de maintenir les juges de proximité, tout en les rattachant au tribunal de grande instance (TGI), ce qui leur permettrait de côtoyer davantage les juges professionnels. Cette réforme maintient donc les fonctions des juges de proximité pour statuer en matière pénale, sur les contraventions des quatre premières classes, mais supprime leurs compétences en matière de contentieux civil. Elle leur permet néanmoins d'effectuer des mesures d'instruction dans le cadre de la procédure civile et étend leur participation en tant qu'assesseur à l'ensemble des formations collégiales du TGI, tant en matière civile que pénale.

Deuxième mesure : le projet de loi étend au TGI la procédure d'injonction de payer, afin de simplifier l'exercice de l'opposition par le défendeur, lorsque la requête en injonction de payer porte sur un montant supérieur à 10 000 euros. Il définit en outre les juridictions compétentes pour connaître des procédures européennes d'injonction de payer et de règlement des petits litiges.

Troisième mesure : la spécialisation des juges départiteurs en matière prud'homale et la spécialisation des TGI en matière de propriété intellectuelle. Le projet de loi tend à assurer une meilleure spécialisation des juges ayant à connaître de la départition prud'homale, en évitant que cette départition ne soit confiée, dans de petits ressorts, à des magistrats qui statueraient rarement dans cette matière complexe.

Quatrième mesure : la répartition des compétences entre tribunal d'instance et TGI. Le projet de loi transfère aux TGI le contentieux douanier, qui se rattache au contentieux fiscal dont ces tribunaux ont déjà à connaître.

Le projet de loi comporte un deuxième volet, relatif à la création de nouvelles juridictions spécialisées, afin de renforcer l'efficacité de la justice pénale dans des contentieux qui se distinguent par leur complexité et leur technicité. L'article 16 crée ainsi un pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre au sein du TGI de Paris. L'article 17 crée des juridictions spécialisées pour les accidents collectifs - grandes catastrophes en matière de transport ou liées à un risque technologique - sur le modèle des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Enfin, l'article 18 aligne les règles de compétence des juridictions du littoral spécialisées en matière de pollution involontaire et volontaire en mer.

Troisième volet : le projet de loi étend le champ de trois procédures pénales simplifiées.

Sa première proposition est d'élargir le champ de l'ordonnance pénale délictuelle. Initialement limité à certaines contraventions, le champ d'application de l'ordonnance pénale a progressivement été élargi à un certain nombre de délits depuis la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Aujourd'hui, 93 % des ordonnances pénales concernent des infractions en matière de circulation routière. Considérant que cette procédure simple, rapide et peu coûteuse, est particulièrement adaptée aux contentieux de masse, la commission Guinchard a préconisé d'en étendre le champ d'application à l'ensemble des délits, quelle que soit la peine encourue, et d'élargir le spectre des sanctions susceptibles d'être prononcées par cette voie aux peines d'emprisonnement avec sursis de trois mois maximum. A deux reprises, notre commission s'est opposée à une telle perspective. En effet, si la procédure de l'ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux extrêmement simples - tels que les infractions au code de la route -, elle n'est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes, en particulier dans le cadre du traitement en temps réel des affaires pénales où l'analyse du parquet se fonde souvent exclusivement sur les éléments recueillis au cours de l'enquête de police. Or, la procédure de l'ordonnance pénale ne permet à aucun moment à la personne d'être entendue par un magistrat, à moins qu'elle ne fasse opposition. Les arguments de notre commission semblent avoir été entendus par le Gouvernement, puisque l'article 20 du projet de loi propose d'étendre le champ de l'ordonnance pénale de façon strictement encadrée : d'une part, son champ serait étendu à certains délits précisément énumérés ; d'autre part, non seulement le projet de loi ne reprend pas la proposition d'ouvrir la possibilité de prononcer des peines d'emprisonnement avec sursis par cette voie, mais, en outre, le montant maximal de l'amende susceptible d'être prononcée serait limité à la moitié du montant de l'amende encourue, sans pouvoir excéder 5 000 euros.

Deuxième proposition : une extension générale du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Cette procédure permet au procureur de la République de proposer à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, une peine qui, en cas d'accord de l'intéressé, pourra être homologuée directement par le président du tribunal. Les peines d'emprisonnement proposées par cette procédure ne peuvent être supérieures à un an, ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue. La CRPC est aujourd'hui acceptée par l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. L'article 21 du projet de loi propose donc d'étendre la possibilité pour le parquet de recourir à cette procédure pour l'ensemble des délits, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions limitativement énumérées.

Troisième proposition : l'extension de la forfaitisation aux contraventions de cinquième catégorie. A l'heure actuelle, le mécanisme de l'amende forfaitaire est limité aux contraventions des quatre premières catégories. L'article 22 du projet de loi permettrait au pouvoir réglementaire d'avoir recours à la forfaitisation pour certaines contraventions de cinquième catégorie.

Quatrième volet : le projet de loi apporte deux allègements importants à la procédure applicable devant le juge aux affaires familiales.

Premier allègement : la dispense de comparution pour les couples sans enfant mineur dans le cadre du divorce par consentement mutuel. L'article 13 du projet de loi prévoit que ces derniers n'auraient plus à comparaître personnellement et systématiquement devant le juge aux affaires familiales. Le juge n'ordonnerait cette comparution que s'il l'estime nécessaire, ou si l'un ou l'autre des époux en fait la demande. En outre, l'article 14 propose une régulation des honoraires d'avocat pour le divorce par consentement mutuel. Ainsi, l'avocat ne pourrait pas demander des honoraires supérieurs au montant fixé par un arrêté, sauf s'il a conclu une convention d'honoraires avec son client.

Deuxième allègement : l'article 15 prévoit une expérimentation pendant trois ans de l'obligation de recourir à la médiation familiale pour les actions tendant à faire modifier les mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale, précédemment fixées par une décision de justice. La saisine du juge aux fins de modification de ces mesures devrait par conséquent être précédée, à peine d'irrecevabilité, par une tentative de médiation, sauf si les parents sont d'accord sur les modifications envisagées ou si un motif légitime justifie une saisine directe du juge.

J'en viens aux ajustements qu'il me semble nécessaire d'apporter au projet de loi pour garantir une justice accessible et efficace.

En effet, ce nouveau mouvement de simplification et d'allègement des procédures intervient alors que l'institution judiciaire est confrontée à de profondes mutations. Outre la réforme de la carte judiciaire, achevée au début de cette année, nombre de juridictions doivent faire face à une pénurie des moyens humains et matériels et sont, par exemple, conduites à supprimer dans les derniers mois de l'année les audiences des juges de proximité ou leur participation, en tant qu'assesseurs, aux formations collégiales du tribunal correctionnel, faute de crédits pour payer leurs vacations. Il importe donc de vérifier que les modifications envisagées par ce projet de loi vont bien se traduire par un meilleur fonctionnement de l'institution judiciaire.

Je considère d'abord que l'augmentation des moyens des tribunaux d'instance, est une condition nécessaire à la suppression de la juridiction de proximité. Le projet de loi supprime la compétence des juges de proximité pour le contentieux civil relatif aux actions personnelles ou mobilières jusqu'à une valeur de 4 000 euros mais ne leur retire pas leur compétence en matière pénale, pour statuer sur les contraventions des quatre premières classes. Rattachés au TGI, les juges de proximité pourront siéger au sein des formations collégiales civiles de ce tribunal et au sein du tribunal correctionnel, en tant qu'assesseurs. Leurs missions ainsi redéfinies, les juges de proximité pourront s'intégrer pleinement au sein d'une équipe. Toutefois, cette réforme ne peut être mise en oeuvre sans moyens supplémentaires accordés aux tribunaux d'instance dont l'activité a connu une forte croissance ces dernières années et qui vont subir le transfert de plus de l00 000 affaires civiles nouvelles en raison de la suppression des compétences des juges de proximité en matière de contentieux civil. On peut estimer à une soixantaine d'ETP de magistrats les besoins des tribunaux d'instance de ce fait.

Je propose ensuite d'étendre la compétence et les moyens du nouveau pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. La création d'un pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l'humanité devrait permettre de concentrer davantage de moyens sur l'instruction de ces crimes, qui suppose une connaissance approfondie du contexte historique et culturel particulier dans lequel ils ont été commis. Il paraît donc indispensable qu'une équipe de magistrats se consacre exclusivement à ce type d'affaires, avec l'aide d'enquêteurs spécialisés. Je vous présenterai deux amendements visant à compléter le champ de compétence du nouveau pôle pour lui attribuer également compétence, d'une part, en matière de crimes et délits de guerre, ceux-ci ayant été inscrits dans notre code pénal en 2010, et d'autre part, en matière de crimes de torture visés par la convention de New York du 10 décembre 1984. Je vous propose aussi de permettre au pôle judiciaire spécialisé d'utiliser les mesures d'investigation que le code de procédure pénale prévoit en matière de criminalité organisée et de terrorisme, telles que l'infiltration, la sonorisation et la fixation d'images, ou encore les perquisitions de nuit. Il me semble en outre nécessaire de préciser et de faciliter les investigations à l'étranger des magistrats chargés de l'instruction de ces crimes et délits, en leur permettant de conduire eux-mêmes, dans le cadre d'une commission rogatoire internationale et avec l'accord des autorités compétentes de l'État concerné, l'audition de témoins dans un État étranger.

Je vous propose également quelques amendements sur le recours accru aux procédures rapides de jugement. Si les procédures simplifiées de traitement des affaires pénales se sont bien développées et permettent de réserver les audiences correctionnelles aux contentieux les plus complexes ou les plus sensibles, elles doivent cependant se concilier avec les droits de la défense et les droits de la victime. A cet égard, on peut approuver les dispositions du projet de loi tendant à étendre, de façon limitée, le champ de la procédure d'ordonnance pénale, sous réserve d'aménagements. Dans un souci de pédagogie de la réponse pénale et afin de mieux prévenir la récidive, je propose toutefois qu'il ne puisse pas y être recouru lorsque les faits ont été commis en état de récidive légale. Par ailleurs, je propose que la procédure de CRPC, qui est étendue aux infractions punies de peines supérieures à cinq ans d'emprisonnement, en matière de trafic de stupéfiants ou d'escroqueries par exemple, ne puisse pas être utilisée dans les cas d'atteintes aux personnes les plus graves. Compte tenu du préjudice subi par la victime dans de telles affaires, la culpabilité de la personne mise en cause doit à mon sens pouvoir être systématiquement discutée contradictoirement devant le tribunal correctionnel. Enfin, je vous propose d'exclure du champ des contraventions de cinquième catégorie qui pourraient dorénavant faire l'objet d'une forfaitisation celles qui deviennent un délit lorsqu'elles sont commises en état de récidive légale.

Je vous propose enfin de maintenir des procédures garantissant l'équilibre des parties et l'accès effectif à un juge dans le cadre du divorce par consentement mutuel.

Sur la comparution en matière de divorce par consentement mutuel : la commission Guinchard a estimé que l'abandon, en matière de divorce par consentement mutuel, de la garantie que constitue pour les époux, comme pour leurs enfants, le recours au juge n'était pas souhaitable. La voie de la déjudiciarisation étant fermée, faut-il pour autant continuer d'emprunter celle de l'allègement procédural ? Cette question appelle un examen prudent. En effet, la réforme de 2004 a d'ores et déjà permis d'aller très loin dans la simplification procédurale pour les parties puisque la durée moyenne de l'audience, toutes phases comprises, n'est que de 25 minutes en moyenne. Il me paraît d'abord utile que la séparation d'un couple marié soit entourée d'une certaine solennité, symétrique de celle du mariage, quand bien même les parties se seraient entendues sur tous les aspects de leur divorce. Le divorce n'est pas un acte banal et ne doit pas le devenir. Par ailleurs, l'entrevue des époux avec le juge, permet à celui-ci de s'assurer de la réalité du consentement de chacun des conjoints, de l'absence de contraintes, plus ou moins directes, s'exerçant sur lui et de sa compréhension des effets du divorce tels que la convention conclue avec l'autre partie les organise. La comparution personnelle des époux constitue une garantie importante de la procédure de divorce. Je vous proposerai donc de supprimer l'article 13.

Pour la régulation des honoraires de l'avocat dans le divorce par consentement mutuel, le projet prévoit qu'un honoraire maximum soit fixé par arrêté du garde des sceaux, après avis du Conseil national des barreaux (CNB). Cependant, les avocats pourraient y déroger, à la condition de conclure avec leur client, préalablement à leur intervention, une convention d'honoraires. Dans ce dispositif, le tarif maximum ne joue que comme une incitation, pour l'avocat, à proposer une convention d'honoraires aux parties, afin de pouvoir échapper au plafonnement. D'ailleurs l'efficacité de cette incitation dépendra du plafond choisi: plus il sera bas, plus les avocats auront intérêt à conclure une convention pour s'en exempter. Pour améliorer la prévisibilité, pour les parties, des honoraires qu'ils auront à acquitter, je propose de passer d'une incitation à une obligation, conciliable avec la liberté de fixation des honoraires, pour toutes les procédures de divorce et de prévoir également la diffusion d'un barème indicatif élaboré par la Chancellerie en collaboration avec 1e CNB, à partir des usages observés, pour informer pleinement les justiciables sur les frais auxquels ils s'exposent.

Enfin, l'expérimentation d'une obligation de médiation familiale préalable en matière d'exercice de l'autorité parentale s'inscrit dans la droite ligne des propositions tendant à privilégier les modes alternatifs de résolutions des conflits familiaux. Cependant, mon attention a été appelée sur l'importance des moyens que nécessiterait la généralisation de la médiation familiale préalable. Dans le cadre de la seule expérimentation menée dans cinq départements, 5 169 dossiers actuellement traités directement par les juges aux affaires familiales devraient faire l'objet d'une médiation préalable. Cette expérimentation nécessiterait à elle seule 103 ETPT de médiateurs familiaux supplémentaires, ce qui correspond à la moitié de l'effectif actuel de médiateurs temps plein dans l'ensemble des TGI. En cas de généralisation, il serait nécessaire de recruter l'équivalent de plus de 1 700 ETPT de médiateurs familiaux, soit six fois l'effectif actuel. On peut donc craindre que les services compétents ne disposent pas des moyens humains nécessaires pour répondre à l'augmentation des demandes de médiation. Le risque est double : que les délais de médiation familiale s'étendent considérablement, au détriment de l'impératif de règlement du conflit, ou qu'une part importante de la demande soit orientée vers le secteur libéral, qui ne répond ni aux mêmes conditions tarifaires, ni au même encadrement institutionnel. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement prévoyant que l'obligation de médiation préalable pourra être écartée si les parties courent le risque de se voir privées de leur droit d'accéder, dans un délai raisonnable, au juge aux affaires familiales. Je vous proposerai également d'exempter les parents de l'obligation de médiation préalable lorsqu'ils déposent conjointement une demande de décision relative aux modalités d'exercice de l'autorité parentale, ou lorsque l'un des deux dépose la demande et que l'autre ne s'y oppose pas.

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