Intervention de Philippe Leroy

Réunion du 26 avril 2011 à 14h30
Débat sur la désindustrialisation des territoires — Orateurs inscrits

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy :

Les télécommunications, vous le savez, monsieur le ministre, ne se développeront vraiment bien en France que lorsque nous pourrons associer les réseaux d’initiative publique, portés par les collectivités locales, et les grands réseaux, portés par les grands opérateurs.

Les initiatives publiques locales pèsent lourd dans le budget du développement industriel, puisqu’elles sont estimées à 6 milliards d’euros ou 7 milliards d’euros par an.

Le deuxième constat de ce rapport extrêmement riche me plaît particulièrement en tant qu’agronome. J’observe en effet que l’on parle désormais d’« écosystème industriel ». Un écosystème se manie avec précaution, car il est porté par une multitude d’agents, de facteurs, d’éléments de toutes sortes, dont l’intervention peut avoir des conséquences immenses, à la façon du fameux battement d’aile de papillon qui provoque un ouragan à mille kilomètres de distance.

Un écosystème est donc extrêmement fragile et il me semble que, s’agissant de l’industrie, l’image est pertinente. En plus, un écosystème ne fonctionne bien qu’en l’absence de facteur limitant, les agronomes le savent bien ! Vous aurez beau réunir tous les éléments nécessaires à la croissance d’une forêt, même si vous recrutez les meilleurs forestiers, s’il manque un seul élément fondamental, comme l’eau, vous n’aurez pas de forêt ! S’il vous manque un seul facteur, vous n’obtiendrez aucun résultat.

Il en est de même pour l’industrie, qui exige de la confiance. La confiance des hommes est un élément fondamental, à commencer par l’esprit d’entreprise. S’y ajoute, pour nos populations, l’envie de participer.

Je remercie nos collègues président et rapporteur d’avoir insisté sur la nécessité de donner confiance aux chefs d’entreprise, à ceux qui prendront des responsabilités. Pour eux, la confiance, repose d’abord sur la sécurité juridique - la simplification administrative et surtout la stabilité des normes pour un cadre juridique doté d’une certaine constance -, mais également sur l’assurance d’obtenir les financements en temps et en heure.

Un chef d’entreprise doit se sentir en confiance vis-à-vis de son environnement administratif et politique, de même que la population, pour adhérer aux projets industriels, doit « aimer » l’industrie, ce qui rend nécessaires tous les efforts pour développer une culture industrielle.

Il faut également, monsieur le rapporteur – c’est un sujet sur lequel le Gouvernement se penche actuellement –associer le capital et le travail. Cette idée n’est pas neuve, on cherche à la faire vivre d’année en année, mais elle peine à se concrétiser. Pour autant, c’est une piste indispensable, car relevant aussi du domaine de la confiance : on ne réussit rien, dans un pays, sans l’adhésion de ceux qui prennent des initiatives et de ceux qui travaillent au jour le jour, au sein de nos industries, pour gagner leur vie.

Ce climat de confiance, au niveau tant des normes que des financements, est important mais exige aussi la participation des territoires. Ainsi, les territoires sur lesquels nos industries s’installent doivent être bien équipés.

Ces territoires, monsieur le ministre, participent également à la mondialisation, et c’est un point sur lequel je voudrais, au passage, formuler une petite remarque, qui me tient à cœur.

Il nous faut situer notre économie dans un tissu mondial, un milieu global, à la fois pour exporter nos produits, pour bénéficier d’investissements extérieurs et pour accueillir les réseaux de vente de nos partenaires étrangers. Or je pense que, s’agissant des relations extérieures de la France avec ses partenaires économiques mondiaux, l’État commet une erreur en favorisant trop la spécialisation d’un échelon administratif, à savoir la région, dans ce domaine.

Certaines régions n’ont pas de compétences économiques marquées, faute d’avoir une population suffisante ou faute de se préoccuper de la question. Inversement, les métropoles sont appelées à contribuer pour une très large part au rayonnement économique et intellectuel de la France – c’est la réforme des collectivités territoriales – et certains départements, comme le mien, prendront des initiatives pour porter leur territoire à travers le monde.

Permettez-moi donc cette petite critique, monsieur le ministre, mais je souhaite que vous puissiez nous aider à régler ce problème : certains services économiques français, notamment l’Agence française pour les investissements internationaux – l’AFII – et l’Agence française pour le développement international des entreprises – Ubifrance –, s’appuient trop fortement sur les régions, en excluant d’autres échelons. L’État doit pouvoir faire appel à tous les volontaires, qu’il s’agisse de régions, de départements ou de villes. C’est important pour l’avenir !

Autre facteur à prendre en compte, la politique monétaire. M. le rapporteur en a dit un mot et, par pudeur, je pense, ne consacre que deux pages de son rapport au sujet. Il nous faudra, à terme, oser en parler.

Il est effectivement impudique, aujourd’hui, d’évoquer une politique de l’euro. Or, que nos partenaires aient ou n’aient pas de politique monétaire, le dollar et le yuan naviguent sur les marchés au gré de je ne sais quelle volonté. L’euro, quant à lui, voit son cours encadré par les décisions d’une autorité administrative qui s’est donné pour seul objectif celui de lutter contre l’inflation.

Je ne suis pas du tout certain que, dans le cadre de la compétition mondiale, cette politique monétaire européenne soit la meilleure. Je ne remets pas en cause le principe de cette politique : il ne s’agit évidemment pas de sortir de l’euro, c’est impossible ! Mais que les responsables de la Banque centrale européenne puissent parfois conduire la politique de l’euro avec plus de souplesse suffirait, me semble-t-il, à nous adapter aux spéculations financières enregistrées sur les places internationales.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas demander, au titre de cette mission sur la réindustrialisation des territoires, qu’on évoque une fois, et de façon très circonstanciée, la façon dont l’Europe pourrait aujourd’hui, avec sa monnaie unifiée, retrouver quelques marges de manœuvre en matière de politique financière et monétaire ?

Cette préoccupation rejoint d’ailleurs les interrogations que suscite le marché du carbone. On en parle beaucoup, mais, à l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucune conception technique, qui soit issue d’un examen approfondi et qui soit bien structurée, de l’organisation des marchés d’échange de quotas de production de carbone. Il y a également beaucoup trop de pudeur à cet égard !

J’entamerai ma dernière série de remarques en souhaitant qu’on approfondisse l’idée selon laquelle le succès industriel n’est pas nécessairement lié à des innovations technologiques de rupture.

En laissant croire que le succès des acteurs économiques sur leur marché, marché qui peut être mondial, repose sur une parfaite maîtrise des innovations technologiques de rupture, on découragerait la plupart d’entre eux, notamment tous ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à ces innovations, par exemple au travers des pôles de compétitivité.

Il nous faut être plus modestes, examiner cette question en s’inspirant de la pratique allemande et des instituts Fraunhofer – ces instituts n’ont rien à voir avec des centres de recherche très élaborés, qui travailleraient sur des ruptures technologiques importantes – et, notamment, réfléchir à la nécessité de permettre à l’ensemble des industriels de disposer, au jour le jour, des pratiques technologiques les plus avancées.

En effet, il est question non pas de faire des sauts technologiques, mais de maîtriser la technologie. Il faut tout simplement que l’essentiel du peloton des industriels d’un territoire donné, les petites et moyennes entreprises notamment, aient les moyens d’accéder aux technologies de leur filière, tout simplement.

Dans mon département, la Moselle, par exemple, je constate que nous ne sommes pas en mesure, aujourd’hui, de donner à tous les sous-traitants du secteur de l’automobile l’accès aux technologies de la filière.

Il y a là une dimension qu’il faut prendre en compte : il ne s’agit pas d’inventer la poudre ; il faut simplement savoir comment l’utiliser !

Cette question mériterait donc aussi quelques approfondissements, dont certains sont liés à nos modes d’enseignement.

Lorsque, dans l’enseignement supérieur, nous formons des techniciens et des ingénieurs pour l’industrie, nous avons effectivement trop tendance à privilégier l’excellence, dans un souci, de nouveau, de recherche des ruptures technologiques. De cette façon, on « fabrique » des salariés d’entreprises, et non des créateurs d’entreprises.

Les étudiants en école d’ingénieur ou à l’université ont tellement la tête dans les étoiles ! Ils font systématiquement leur stage dans de très grandes entreprises et, souvent, ne gèrent aucun projet dans ce cadre. Ce sont des stages pour futurs salariés ! Notre système de formation engendre, pour l’essentiel, des salariés, alors que nous avons besoin de créateurs, de managers !

Il faudrait donc encourager, dans nos écoles, les stages orientés autour de la reprise ou de la gestion de projets industriels, ce qui nous permettrait de former des personnes prêtes à investir et à entrer de plain-pied dans la bagarre économique.

Ces remarques étant faites, monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre présence pour cet important débat sur l’industrie et du temps que vous y consacrez.

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