Séance en hémicycle du 26 avril 2011 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, les vendredi 15 et mercredi 20 avril 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel cinq décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-141 QPC et 2011-142 QPC, 2011-143 QPC, 2011-144 QPC et 2011-145 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de ces communications.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle le débat sur la désindustrialisation des territoires.

Après avoir entendu le président et le rapporteur de la mission commune d’information, puis les orateurs inscrits et la réponse de M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, nous procéderons à un débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure trente par la conférence des présidents.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat clôture près d’un an de travail intense de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, que j’ai eu l’honneur de présider. Ces travaux ont été engagés sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat dans le cadre de son droit de tirage.

Face à l’urgence de la situation, j’ai souhaité que la mission affronte la réalité de la France industrielle en s’intéressant non seulement aux grands groupes, qui se portent plutôt bien – Michelin vient d’inventer un nouveau modèle de PDG : le « 505 », comprenez 505 % d’augmentation de salaire ! –, mais aussi aux bassins de production et d’emploi, aux territoires d’innovation, à la France qui travaille dur, celle des petits entrepreneurs, des petites et moyennes entreprises ou PME, des très petites entreprises ou TPE, la France des ouvriers, des ingénieurs et chercheurs ainsi que des partenaires sociaux et des élus territoriaux.

Il est important d’aller sur le terrain, parce qu’il y a la France dont on parle et la France réelle ; il y a l’industrie dont on parle et l’économie réelle. Car si l’industrie ne compte plus aujourd’hui que pour 14 % de notre PIB, elle n’en concerne pas moins très concrètement la vie quotidienne de nos concitoyens et alimente le tissu économique de tous nos territoires, tant urbains que ruraux !

Certains diront que nous nous sommes rendus au chevet de l’industrie ; à bien des égards, ils n’auront pas tort. Nous sommes bien confrontés à une désindustrialisation de très grande ampleur, aux origines profondes, qui s’est accélérée depuis la crise économique et financière de 2008 et qui continue de poursuivre sa course. C’est une réalité incontestable, et incontestée. Aussi le constat a-t-il fait l’unanimité de la mission.

Si nous sommes totalement lucides quant à la gravité de la situation, nous sommes également convaincus, au terme de ces mois de travail et de déplacements dans nos régions, que l’industrie française dispose d’atouts indéniables pour contribuer à une croissance durable, riche en emplois, et ce dans tous les territoires.

Cela étant, je suis tout aussi persuadé que nous n’empruntons pas toujours le bon chemin pour parvenir à cette réindustrialisation.

Il nous faut avoir, quelles que soient nos opinions, une grande ambition pour l’industrie.

À l’issue de leurs travaux, les membres de cette mission ont un accord profond sur le diagnostic, mais un désaccord tout aussi majeur sur les remèdes.

Nous proposons une stratégie de réindustrialisation, non pas défensive, mais résolument offensive, qui s’appuie sur deux principes : la protection de nos bases industrielles et la mise en œuvre de la nouvelle industrie.

L’ensemble de nos filières sont en pleine évolution structurelle. Or l’État porte une responsabilité exemplaire pour accompagner ces mutations et inciter ces entreprises à opérer des gains de productivité réels plutôt que de chercher à rogner des marges par des délocalisations ou le recours au global sourcing.

Nous avons ainsi le devoir d’aider nos bases industrielles à passer le cap de ruptures technologiques majeures qui ne manqueront pas de survenir dans les prochaines années. C’est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Cet outil servira non pas une politique d’assistanat, mais un processus dynamique qui permettra de hausser le niveau des qualifications des ouvriers et personnels en période de baisse d’activité tout en conservant leur contrat de travail.

Il ne suffit pas simplement de protéger les banques ou les grandes sociétés, il faut aussi protéger les salariés. Il faut donc anticiper les reconversions, éviter le recours excessif à l’intérim, aux licenciements ou aux départs volontaires.

C’est aussi dans cette optique que nous croyons urgent de soutenir toutes les mesures permettant à nos bases industrielles de se doter d’une plus grande indépendance ou de se diversifier. Le recours systématique à des pratiques ou à des machines beaucoup moins énergivores ainsi que le soutien d’un programme français de construction de machines outils, abandonné depuis des années, s’imposent donc.

Nous pensons que notre pays ne peut pas pour autant se reposer sur ses lauriers et rester sur l’héritage industriel des trente glorieuses. C’est maintenant que nous devons tout tenter pour faire émerger dans nos territoires les nouvelles industries qui pourront constituer les perspectives de croissance de demain.

Nicole Notat le rappelait très justement, « Gutenberg n’a pas attendu le développement du marché du livre pour inventer l’imprimerie ». Or des marchés vont se constituer dans les toutes prochaines années. Ils seront des sources de croissance, de bien-être et de progrès social. Ils représentent des gisements d’emplois, en particulier pour les jeunes, dans le respect de l’environnement et de la sécurité industrielle.

Serons-nous au rendez-vous de cette nouvelle croissance durable ? La réponse à cette question est fondamentale.

Nous proposons tout d’abord d’engager une révolution énergétique en permettant non seulement l’essor de véritables éco-industries au service de la maîtrise d’énergie – donc des économies d’énergie –, de la progression constante d’un « mix » énergétique, mais aussi du ferroutage, qui ne peut plus rester au stade embryonnaire. Pour nous, l’environnement, cela ne suffit pas ; cela commence !

L’énergie photovoltaïque, bien qu’elle ait été tuée dans l’œuf par les dernières mesures gouvernementales, ne doit pas être abandonnée.

La géothermie, l’énergie hydrolienne, la biomasse, la filière bois, sont autant de perspectives industrielles et de recherche de grande ampleur.

Par ailleurs, nous avons rencontré des chercheurs de PME et de TPE qui se sont positionnés sur des niches d’innovation tout à fait prometteuses comme la domotique, les nanotechnologies, les biotechnologies. Mais ces PME et TPE, pour innovantes qu’elles soient, sont insuffisamment soutenues et, surtout, ne sont pas assez nombreuses dans ces secteurs.

Mes chers collègues, nous avons la possibilité de ne pas subir la compétition internationale en anticipant aujourd’hui les marchés de demain. Nous ne pouvons pas manquer le train de l’Histoire. Or cette stratégie suppose un certain nombre de conditions et de réorientations majeures de nos politiques publiques.

Premièrement, notre pays doit au préalable se doter d’une véritable culture industrielle.

La crise financière et bancaire de 2008 a, certes, mis à mal les ressorts d’une idéologie fondée sur la spéculation et les profits immédiats, mais elle n’a pas pour autant permis de faire prendre conscience de l’intérêt à orienter l’appareil économique et éducatif tout entier en direction de l’industrie.

Nous n’avons pas définitivement tourné le dos à cette idéologie de l’économie post-industrielle.

Cette culture industrielle doit en effet irriguer tous les pans de notre société, toutes les générations, alimenter les plus petites décisions économiques, sociétales et fiscales. Elle doit résister aux coupes claires budgétaires. Elle doit s’appuyer sur une politique fiscale qui privilégie l’appareil productif plutôt que la spéculation.

Force est de constater que, là encore, nous n’en prenons pas le chemin. Nous appelons à un plan de communication de grande ampleur en faveur de l’industrie.

Deuxièmement, et ce n’est pas la moindre des conditions, nos politiques publiques doivent impérativement rééquilibrer leurs modes d’intervention en faveur des PME et des TPE, souvent les oubliées des politiques publiques.

Nous proposons de rééquilibrer la fiscalité en faveur des petites et moyennes entreprises, en particulier celles qui font le pari de l’investissement et de l’innovation. Est-il en effet normal qu’une entreprise comme Total paie un impôt sur les sociétés inexistant, alors que des PME désireuses d’investir, innovantes, paient le tarif maximum ?

C’est incroyable et pourtant c’est vrai. Voilà comment le système fonctionne !

Aujourd’hui, la politique industrielle du pays est complètement tournée vers le soutien aux groupes du CAC 40. Je le répète : les PME et les TPE sont les grandes oubliées de cette politique.

Nous souhaitons promouvoir un impôt sur les sociétés modulé en fonction des investissements réalisés. Il n’est pas possible de continuer à avoir deux poids deux mesures concernant l’impôt sur les sociétés : c’est injuste et surtout totalement inefficace. C’est pourquoi nous proposons un système de bonus-malus : bonus pour les entreprises qui investissent dans l’outil de travail, dans la production ; malus pour celles qui investissent dans la bourse et dans la spéculation financière.

Sans rééquilibrage de la fiscalité, toute politique industrielle est vouée à l’échec !

Il n’y a pas d’industrie sans invention, pas d’industrie sans innovation, pas industrie sans investissement. Ces trois « i » sont fondamentaux. Or l’industrie française souffre indéniablement d’un déficit chronique d’investissement comme de réinvestissement qui nuit à sa compétitivité et qui contribue directement à la désindustrialisation. C’est là, et pas ailleurs, que se trouvent l’origine et les causes profondes de la désindustrialisation. Sinon, comment expliquer que, avec un coût du travail équivalent et un taux de recherche privée comme un niveau d’investissement deux fois supérieurs au nôtre, l’Allemagne profite d’une telle avance de compétitivité ?

Nous voulons non pas opposer les PME aux grands groupes, mais au contraire jeter les bases d’un nouveau partenariat, plus équilibré, dans le cadre de contrats de filière ou de contrats industriels territoriaux.

Je considère, pour ma part, comme un objectif prioritaire de susciter la création dans les délais les plus rapprochés d’un grand nombre de petites et moyennes entreprises, et ce dans tous les territoires, travaillant en réseau, avec des chercheurs, des pôles universitaires spécialisés, des financeurs potentiels.

Une étude parue aujourd’hui dans La Tribune établit que seuls 7 % des patrons de PME estiment possible que leur société devienne une entreprise de taille intermédiaire.

Troisièmement, nous ne réindustrialiserons pas si nous ne procédons pas à une nouvelle étape de la décentralisation.

Nous devons donner aux régions pleine compétence dans ce domaine. Les collectivités territoriales ont été, aux côtés de l’État, des remparts essentiels, y compris financiers, pour empêcher les fermetures d’usines. Elles ont également permis la reprise d’entreprises dans les meilleures conditions possibles et favoriser l’implantation d’autres.

Il s’agit aujourd’hui d’en faire les têtes de pont de la réindustrialisation, qui se concentreraient sur le soutien de l’innovation dans les territoires. Nous trouvons logique de nous situer au plus près des dynamiques territoriales existantes, afin de permettre leur développement.

Nous proposons de créer des fonds régionaux d’investissement qui pourraient être alimentés par un produit d’épargne industriel et qui soutiendraient directement les PME en réseau.

Nous sommes surtout très attentifs à ce que les collectivités concernées disposent des moyens financiers et institutionnels suffisants pour mener à bien ces nouvelles missions. Nous jugeons en effet particulièrement dangereux que des territoires très industrialisés ayant la responsabilité de faire vivre des écosystèmes industriels se soient vu appliquer une contribution économique territoriale – CET – qui leur soit aussi défavorable.

Quatrièmement, nous devrons sans nul doute revoir de fond en comble les aides publiques consacrées à l’industrie.

Ces aides sont capitales, notamment parce que les banques, malgré les sommes colossales engagées par l’État pour les sauver et malgré les prêts consentis, ne font pas du financement des projets industriels une priorité.

Or il est clairement apparu, lors de nos auditions et de nos déplacements, que ces aides n’étaient ni transparentes, ni conditionnées à des objectifs d’investissement, d’emploi, d’environnement, et étaient parfois inaccessibles aux PME et aux TPE. Est-il normal que certaines entreprises ayant perçu des aides publiques importantes se délocalisent sans être contraintes de rembourser ces aides, comme cela s’est produit à plusieurs reprises ?

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons vivement la création d’un pôle de garantie et d’investissement public, territorialisé et refondé. Ce pôle ne prendrait pas la place des banques, mais permettrait de mutualiser des risques au service de l’innovation et favoriserait la levée de fonds.

Je conclurai sur la politique européenne.

La politique industrielle et énergétique européenne est, à ce jour, inexistante. Cette situation est paradoxale si l’on se souvient que la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA, était le fondement même de la politique européenne. Nous sommes aujourd’hui en proie à une politique de la concurrence anti-industrielle, qui s’est manifestée notamment par l’adoption de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui est une aberration économique en France autant qu’un coup de poignard pour certaines de nos industries – je pense notamment aux industries électro-intensives.

Nous souffrons de l’absence d’une politique européenne qui permette de promouvoir un modèle de production écologique et social de haute qualité, mais aussi d’engager de grandes politiques publiques.

Nous ne croyons pas qu’il faille seulement jeter les bases d’une politique industrielle énergétique européenne ; il faut aussi « réimpulser » une Europe qui est aujourd’hui à l’arrêt par une politique industrielle et énergétique commune.

Ainsi, la coordination des politiques fiscales est une urgence : il existe vingt-sept impôts sur les sociétés différents en Europe. Le marché et la concurrence ne sont pas une politique industrielle. La taxe carbone et sociale européenne doit être une priorité pour protéger à la fois nos marchés, nos entreprises et nos économies, mais aussi soutenir concrètement la reconversion écologique de nos sociétés.

Cette mission se termine, chers collègues, mais ce n’est en rien la fin de l’engagement du groupe socialiste pour l’industrie. Sur la base de la contribution que nous avons souhaité adjoindre au rapport, nous interviendrons dans le débat sur différents points : la réforme fiscale, la clause de revoyure de la taxe professionnelle, les compétences des collectivités territoriales.

Nous appelons aussi à une transposition et à un débat rapide sur le Small Business Act et la taxe carbone européenne. Nous déposerons certainement une ou plusieurs propositions de loi rassemblant nos propositions.

Jean Monnet, grand artisan de la politique industrielle européenne, indiquait : « Ce qui est important, ce n’est ni d’être optimiste, ni pessimiste, mais d’être déterminé. » Nous sommes déterminés !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sachant combien l’avenir de nos industries dans nos territoires est important pour l’ensemble des élus, je considère comme un honneur d’avoir été rapporteur de cette mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, même si je préfère pour ma part parler de la « réindustrialisation » des territoires.

Il faut se réjouir que nous ayons fait ce travail dans le cadre d’une mission pluraliste, constituée sur l’initiative du groupe socialiste dans le cadre de son « droit de tirage », mission qui regroupe l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée.

Après avoir créé voilà trente-cinq ans puis présidé une importante entreprise de taille intermédiaire française dans l’agroalimentaire, c’est avec la plus grande ouverture d’esprit, je vous l’assure, que j’ai abordé cette mission. Je l’ai fait également avec la volonté de refléter au mieux, dans le rapport, la diversité des problématiques qui ont été soulevées au cours des auditions et des déplacements, tout autant que les analyses et les points de vue exprimés par les membres de la mission.

Nous nous sommes donc entendus sur dix-sept séries de propositions que je vais vous présenter de manière synthétique. Il est toutefois nécessaire de dresser auparavant un constat de l’état de la désindustrialisation, tel que la mission en a été le témoin. Je n’éviterai pas non plus les points, finalement assez limités, sur lesquels le rapport a dû constater un désaccord parmi les membres de la mission.

Le constat, il faut bien le reconnaître, est celui d’un déclin progressif de l’industrie dans l’économie française. L’industrie a perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007, soit 1, 9 million d’emplois ou encore 71 000 emplois par an.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Un quart d’entre eux correspond toutefois à un transfert vers des entreprises de services. Dans le même temps, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est passée, en France, de 24 % en 1980 à moins de 14 % en 2008.

Peut-on se passer d’une économie industrielle, et faut-il s’engager résolument sur la voie d’une économie de services ?

À cette question, nous avons été unanimes à répondre « non » : la France a besoin d’une industrie forte, qui est source de maintien d’activités dans les territoires, qui encourage la recherche et l’innovation, qui apporte des investissements sur le territoire national et contribue à l’amélioration de la balance commerciale.

Il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Nos voisins allemands, qui consacrent toujours 30 % de leur économie à l’industrie, nous montrent la voie. Les résultats sont probants : la balance du commerce extérieur de l’Allemagne est excédentaire de plus de 150 milliards d’euros en 2010, alors que celle de la France affiche un déficit de 50 milliards d’euros, soit 200 milliards d’euros d’écart ! Pourquoi se passerait-on d’une telle concurrence ?

Pour autant, notre situation est diverse selon les territoires et selon les secteurs. Ainsi est-il nécessaire de passer à la vitesse supérieure sur les industries vertes, qui remplissent un double objectif, à la fois environnemental et économique. L’éolien, le photovoltaïque, la chimie verte, les biomatériaux, les nouvelles énergies, les agrocarburants, la filière bois, notre mission a insisté sur le potentiel que représentent toutes ces filières innovantes et porteuses d’emplois.

Je crois notamment à l’important avenir des industries agroalimentaires, pour lesquelles la France dispose d’atouts particuliers. C’est la seule branche de l’industrie française qui n’a pas perdu d’emplois depuis 1980, mais il convient de prendre garde aux menaces qui pèsent sur leur avenir : leur solde commercial a diminué fortement ces dernières années, passant de 7 milliards d’euros à 4, 2 milliards d’euros entre 2006 et 2009, et cela même si elles représentent toujours 550 000 salariés et 14 % de la valeur ajoutée industrielle française.

Notons aussi que c’est l’un des rares secteurs industriels à bien irriguer nos territoires ruraux et à assurer le débouché des productions agricoles.

Nous avons également étudié tout particulièrement les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de la métallurgie, véritables catalyseurs du développement dans les territoires où ils sont implantés. De grands donneurs d’ordre y fédèrent des entreprises sous-traitantes qui maintiennent l’emploi et le développement local.

L’Allemagne a été un point de référence constant au cours des travaux de la mission. C’est pourquoi le rapport lui consacre une place non négligeable.

Les raisons du maintien d’une industrie forte en Allemagne ont été souvent décrites : choix stratégiques et excellente réputation des produits, structures productives favorisant la coopération entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants locaux, lien entre les entreprises et les banques, qualité de la formation, qui encourage les jeunes à travailler dans l’industrie…

Les entreprises allemandes ont une capacité d’autofinancement près de deux fois supérieure à celle des entreprises françaises : c’est un élément moteur important pour l’industrie allemande et l’une des raisons de la solidité et du fort développement des entreprises allemandes.

Il faut aussi mentionner, même si ce n’est pas la seule raison, les coûts de production. Sur ce point, il y a eu des incompréhensions au sein de la mission, où s’est reflété le débat qui a animé la presse et les économistes ces derniers jours.

Nous ne disons pas que les produits allemands se vendent mieux parce que les salariés seraient moins bien payés. Au contraire, l’attractivité des salaires est une condition nécessaire pour attirer la jeunesse vers l’industrie.

Cependant, selon la Cour des comptes, le coût salarial horaire dans l’industrie était de 26 à 33 euros en France en 2008, et de 30 à 33 euros en Allemagne. En regardant de près, on constate que les cotisations sociales employeur, tous secteurs confondus, représentent environ 43 % du salaire en France, contre 29 % en Allemagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

En outre, la Cour des comptes fait observer que l’augmentation des coûts salariaux unitaires, lesquels baissaient dans le même temps en Allemagne, a affecté la compétitivité de l’industrie manufacturière française.

L’avantage de la compétitivité hors prix – la qualité, la réputation, les structures productives… – existait depuis longtemps en Allemagne. La nouveauté, depuis dix ans, c’est bien la recherche d’une réduction globale de tous les coûts, dans ce pays, pour améliorer la productivité et la rentabilité permettant l’investissement, notamment en recherche et développement.

Ce que propose la mission, c’est non pas de diminuer les salaires, mais de donner une priorité à l’industrie, créatrice de valeur, par rapport aux services.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

On pourrait redéployer vers les salariés de l’industrie les allégements et exonérations de charges prévus dans les entreprises de services, monsieur le ministre.

De même, au-delà de l’intéressement, de la participation des salariés ou du complément de rémunération dont il est actuellement question, je pense, par expérience personnelle, qu’il faudrait associer les salariés au capital de leur entreprise. C’est un facteur essentiel de cohésion sociale…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

… et de sentiment d’appartenance favorable à l’entreprise.

La mission a aussi exploré une voie concernant les industriels pour lesquels l’électricité constitue un coût de production majeur : il faut trouver un moyen de les autoriser à négocier des tarifs d’électricité de façon contractuelle en prenant en compte l’effacement, l’interruptibilité et la proximité de la source d’approvisionnement.

J’aborderai les autres propositions de la mission selon cinq angles d’approche : la culture industrielle, le rôle des collectivités, la coopération entre les entreprises, l’impulsion de l’État et de l’Europe, enfin le financement.

Il faut, en tout premier lieu, promouvoir une culture industrielle et réconcilier la Nation avec la science et le progrès technique.

Cela suppose d’améliorer la perception de l’industrie dans l’éducation, d’inciter plus fortement voire d’obliger les entreprises, en fonction du nombre de salariés, à accueillir des étudiants en alternance, de renforcer la présence d’industriels dans les conseils d’administration des entreprises publiques. Cette dernière disposition me paraît importante, monsieur le ministre.

Une fiscalité plus incitative doit également contribuer au dépôt et à l’exploitation des brevets. Nous plaidons aussi pour la valorisation des savoir-faire locaux grâce à la création d’indications géographiques protégées pour les produits non alimentaires.

Enfin, intensifions la recherche et l’innovation au service du développement industriel. Il faudrait pour cela moduler le taux du crédit d’impôt recherche afin de privilégier les PME et les entreprises de taille intermédiaire, et de promouvoir ainsi les activités et les produits liés au développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Voilà des décisions qui me paraissent très importantes !

Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Menons une action forte et déterminante sur les activités et les produits dans le cadre du « développement durable » en les fédérant et en les organisant – je pense notamment à la biomasse, à la méthanisation, aux bioénergies, au solaire, aux biomatériaux, à la chimie des plantes, à la bionutrition.

En deuxième lieu, j’évoquerai l’axe territorial, qui est incontournable.

Présent dans l’intitulé de la mission, il constitue la valeur ajoutée spécifique de notre assemblée, en lien direct avec les territoires, leurs élus, leurs entrepreneurs et leurs citoyens.

Nous proposons de constituer des bases de données régionales recensant les pratiques locales innovantes, ainsi que les marchés pertinents pour les entreprises locales.

De même, monsieur le ministre, créons enfin ce « guichet unique » pour les entreprises au niveau régional que les industriels attendent depuis trente ans. Simplifions les procédures administratives : il faut six mois pour créer une entreprise en France, trois jours aux États-Unis, six jours en Allemagne ! Donc, agissons !

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

On le dénonce toujours, mais il faut le faire !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Accompagnons les créateurs d’entreprises, notamment les jeunes en sortie de pépinières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

La mission suggère également de développer des « contrats de filière » entre la région et les représentants des différentes filières industrielles locales, fondés sur l’identification et l’accompagnement des filières stratégiques pour le maintien et le développement de l’emploi local.

Les collectivités territoriales ne constituent plus une simple force d’appoint à la politique industrielle nationale ; elles sont les acteurs de leur développement. Nous avons mis l’accent sur les écosystèmes industriels locaux et étudié l’impact de la fiscalité locale.

La mission a évoqué la possible modulation du taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, selon les secteurs afin de favoriser les activités présentant un risque de délocalisation. Nous avons relayé les inquiétudes des collectivités locales concernant le dynamisme à moyen terme de leurs ressources compte tenu de la suppression de la taxe professionnelle.

Toutefois, je pense que la mission n’était pas le cadre approprié pour faire un bilan général sur la taxe professionnelle, même si sa suppression représente – ne l’oublions pas – un avantage concurrentiel important pour les entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Un tel débat aurait davantage sa place en d’autres lieux.

Cet impôt, qui était très pénalisant pour l’industrie, a été réformé et une clause de revoyure a été fixée. Il convient à présent de poursuivre le réglage fin du dispositif en tenant compte des situations rencontrées sur le terrain et en veillant notamment aux modalités de mise en place d’un mécanisme de péréquation à destination des communes et des EPCI à fiscalité propre. Il y a en effet un problème de ce point de vue.

En troisième lieu, il est important de renforcer la coopération entre les entreprises.

Chacun reconnaît l’importance des pôles de compétitivité : ils devraient souvent s’engager dans une logique plus opérationnelle et mieux coopérer au niveau interrégional. Leur visibilité internationale n’est pas non plus suffisante. Donnons-leur les moyens de leur réussite.

Parlons dorénavant d’internationalisation des activités et non plus d’exportations. N’oublions pas non plus les pôles d’excellence rurale, chers à notre collègue Raymond Vall. N’y a-t-il pas lieu, en s’appuyant sur le travail de nos collègues Marc Daunis et Michel Houel sur les pôles de compétitivité, travail auquel j’ai participé, d’établir dans les territoires des liens plus étroits entre les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale ? Cela serait, j’en suis sûr, une action importante.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Il faut également intensifier les échanges entre les donneurs d’ordre et le tissu économique local.

Nous proposons d’améliorer l’accompagnement à l’export des entreprises, notamment des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Pour cela, Ubifrance doit mieux s’appuyer sur les dispositifs régionaux et locaux, ainsi que sur Oséo.

Ne pourrait-on pas mettre en place un dispositif d’accompagnement des entreprises souhaitant s’implanter à l’étranger ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Un tel dispositif, qui n’existe pas aujourd'hui, comprendrait une aide financière et un soutien logistique des services consulaires pour les études de prospection.

De même, dans le secteur agroalimentaire, ne conviendrait-il pas d’accompagner nos entreprises en délocalisant le Salon international de l’alimentation, le SIAL, vers la Russie, la Chine, le Japon, les États-Unis ou le Brésil, au lieu de favoriser sur notre sol la concurrence étrangère en lui facilitant l’accès aux marchés par la centralisation de notre distribution ? Songez ainsi que quatre acheteurs représentent 80 % de la distribution en France !

Nous aidons les entreprises étrangères, alors que nous devrions être de véritables conquistadors.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

En quatrième lieu, l’engagement de l’État est fondamental.

Dans certains territoires que je connais bien, c’est l’État lui-même qui, dans le passé, a su engager une dynamique industrielle à l’origine de quelques-uns de nos champions nationaux, en particulier dans le secteur de l’aéronautique.

Certes, l’époque des grands projets mobilisateurs semble révolue. L’État doit néanmoins jouer un rôle d’accompagnement, en partenariat avec les collectivités territoriales. Il faut ainsi renforcer la promotion du site « France » en améliorant l’information et l’accompagnement des investisseurs étrangers, en favorisant la lisibilité des aides publiques, notamment européennes, à l’échelon régional. L’État doit aussi centrer la stratégie de promotion du « fabriqué en France » sur les produits à forte identité.

Toutefois, si nous devons être plus incitatifs en termes d’aides publiques, celles-ci doivent être obligatoirement subordonnées au développement « in situ ». À défaut, le remboursement intégral sera prévu comme obligation contractuelle. N’attribuons plus de subventions à des chasseurs de primes qui quittent ensuite le territoire français, que les entreprises concernées soient françaises ou étrangères.

En matière de marchés publics, nous ne pouvons que relayer le constat qui a été fait par de nombreux intervenants : le respect des règles européennes ne doit pas nous conduire à ouvrir grand les vannes de nos marchés alors que, dans certains pays – je pense à l’Allemagne –, des règles non écrites restreignent de fait l’activité des entreprises françaises non résidentes.

Nous devons mieux défendre les atouts de l’industrie française dans les marchés publics. Pour cela, il faut ouvrir davantage les marchés publics vers les PME, favoriser l’application systématique du principe de réciprocité et mieux prendre en compte la dimension écologique dans les échanges commerciaux.

L’impulsion européenne est incontournable dans la définition d’une politique industrielle.

Je pense, même si ce point a déjà été débattu, que la France doit mieux faire porter sa voix à Bruxelles. Il n’est pas normal que nous soyons parfois les derniers informés d’un projet d’évolution des réglementations sectorielles. Je propose, par exemple, que les fonctionnaires qui représentent la France à l’échelon européen aient l’obligation d’effectuer des stages dans des entreprises françaises et d’être en contact permanent avec les branches professionnelles, comme c’est le cas en Allemagne et en Italie, mais pas en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Le handicap monétaire que constitue l’euro fort est un défi particulier pour les entreprises exportatrices. Elles doivent en effet lutter contre des concurrents qui produisent dans la zone dollar. À cet égard, nous devons introduire la compétitivité parmi les objectifs de la politique monétaire de la zone euro.

Une harmonisation nous paraît également indispensable en matière de fiscalité, notamment en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, entre la France et l’Allemagne. N’oubliez pas, mes chers collègues, que Gerhard Schröder a abaissé voilà dix ans de 45 % à 25 % le taux de l’impôt sur les sociétés. De même, l’instauration d’une taxe carbone ne peut être envisagée que si elle est mise en place en même temps dans tous les pays européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

En cinquième et dernier lieu, j’évoquerai la question du financement.

La mission souhaite privilégier l’orientation de l’épargne vers l’industrie, donc vers le risque. J’espère que la réforme fiscale annoncée ne conduira pas une nouvelle fois à pénaliser ceux qui prennent des risques.

Nous proposons, par exemple, de ne pas appliquer aux prêts de trésorerie consentis aux entreprises industrielles l’augmentation des taux de refinancement des banques.

Il faut également développer les dispositifs innovants de financement – le capital-risque et le capital-développement – à l’échelon régional. C’est un point auquel, à titre personnel, je tiens tout particulièrement. La mission propose également de supprimer la notion de plafonnement des prêts en fonction des fonds propres.

Le Fonds stratégique d’investissement, monsieur le ministre, devrait mieux orienter ses interventions vers l’industrie, notamment vers les entreprises de taille intermédiaire. D’une manière générale, il faut privilégier l’orientation de l’épargne vers l’industrie et favoriser l’investissement en fonds propres dans les entreprises par un cadre financier et fiscal adapté.

En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre de notre mission péchait peut-être par pessimisme. Au lieu de nous lamenter sur la désindustrialisation, il nous a paru préférable, dès lors que le constat était établi, de consacrer tous nos efforts à l’élaboration de remèdes. C’est pourquoi j’ai souhaité que le titre du rapport mette en avant l’attitude volontariste qui doit être la nôtre dans un objectif de réindustrialisation de nos territoires. C’est l’objet essentiel de notre rapport, et c’est la raison pour laquelle, malgré certains désaccords sur l’analyse, nous nous sommes retrouvés, dans l’ensemble, sur les propositions qui y sont formulées.

« L’avenir appartient à ceux qui sont à même d’apporter aux autres des raisons de vivre et d’espérer ». Réindustrialisons nos territoires. Il n’y a pas, monsieur le ministre, une minute à perdre. Agissons !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;

Groupe socialiste, 26 minutes ;

Groupe Union centriste, 10 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, 10 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 8 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 3 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Biwer.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme des onze mois au cours desquels se sont déroulés ses travaux, la mission est en mesure de présenter aujourd’hui un diagnostic précis et argumenté sur la désindustrialisation.

En effet, en dix ans, le secteur a perdu plus de 500 000 emplois, pertes que l’on a essayé d’enrayer par une intervention renforcée de l’État et des collectivités territoriales. Entre 2008 et 2009, en Lorraine, le secteur industriel a représenté 20 % des baisses d’emploi.

Nous constatons que c’est bien l’Asie, et notamment la Chine, qui est aujourd’hui l’usine du monde, elle qui dispose par ailleurs d’un marché en pleine expansion.

Pour autant, l’Europe n’est pas mise au ban de l’industrie mondiale, comme le montre l’exemple de l’Allemagne. Ce pays a réussi à maintenir un tissu industriel fort, reposant sur l’excellence de ses formations, la valeur ajoutée de ses produits à forte dimension technologique, dans la chimie comme dans l’électronique, par exemple. La Chine jouit d’une réelle culture industrielle et peut compter sur un réseau dense de PME de taille critique pour exporter.

L’industrie française a bien sûr, elle aussi, ses fleurons dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’aéronautique par exemple, mais son réseau industriel manque peut-être de diversité et d’efficacité, du fait du nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire, capables, elles, d’exporter sur les marchés dynamiques.

Ce sont avant tout nos petites entreprises sous-traitantes de grands groupes industriels, étrangers parfois, qui sont les plus exposées à la désindustrialisation et en faveur desquelles il faut axer nos efforts.

En outre, dans notre pays, l’État, monsieur le ministre, n’est pas un bon industriel. On ne lui demande pas de l’être, d’ailleurs ; on attend seulement de lui qu’il crée les conditions permettant aux industries de grandir.

Pour cela, il faut des politiques publiques stables et non des campagnes de communication au cours desquelles on promet à tort que l’État empêchera la fermeture, pourtant inéluctable, d’un site, comme ce fut le cas d’Arcelor-Mittal en Lorraine.

Le Gouvernement aurait les moyens d’activer des leviers pour favoriser l’environnement industriel. À la place, il met en place des dispositifs d’aides directes non durables, fortement administrés et lourds, entraînant des effets d’aubaine qui les rendent moins efficients.

Ayant moi-même créé une toute petite entreprise dans l’hôtellerie-restauration, j’ai eu l’occasion, avant même l’ouverture de mon établissement, de mesurer le poids des difficultés administratives et financières. J’ai un peu regretté d’avoir choisi de rester dans mon village : si je m’étais installé quinze kilomètres plus loin, en Belgique ou au Luxembourg, j’aurais probablement été accueilli différemment et j’aurais peut-être eu la possibilité d’aller plus vite plus loin.

Par ailleurs, je constate que l’on a raboté cette année le taux du crédit d’impôt recherche de 75 % à 50 % ; il est prévu de le réduire à 25 % l’année prochaine. Comment peut-on soutenir l’innovation alors que, en quatre ans, les dispositifs fiscaux en faveur des industries innovantes ont été supprimés ou que les conditions d’éligibilité sont sans cesse plus restrictives ?

L’interventionnisme direct dans l’entreprise par le biais de subventions et le centralisme en France ne sont pas des leviers efficaces pour soutenir l’industrie. Il vaut mieux, à l’instar de ce que fait l’Allemagne, favoriser les conditions d’un développement réussi des entreprises en soutenant la recherche et en favorisant une culture industrielle, via l’apprentissage et l’harmonisation européenne en matière de dépôt de brevets.

En revanche, toutes les propositions – des vœux pieux ! – visant à renforcer les moyens des structures administratives existantes ou à favoriser l’interventionnisme de l’État dans l’entreprise elle-même me semblent vaines, car elles sont inadaptées aux attentes des entreprises de taille intermédiaire.

En outre, il nous faut renforcer l’ancrage territorial de nos entreprises. Les pôles de compétitivité, et parfois même les pôles d’excellence rurale, constituent à ce titre un instrument efficace et pertinent. Les entreprises, complémentaires les unes des autres, se constituent naturellement en réseau, essaiment sur le territoire et permettent le dialogue interentreprises. Pour ma part, je ne crois plus à l’efficacité, par exemple, des services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE.

L’ancrage territorial de nos entreprises passera par une responsabilisation sociétale de ces mêmes entreprises, telle qu’elle est prévue dans la norme ISO 26000 : engagement de formation des salariés, maillage du territoire, accords de méthode, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, revitalisation économique des territoires par anticipation, c'est-à-dire avant qu’un site ne procède à un plan social.

Plutôt que de dépêcher à la hâte des commissaires à la réindustrialisation, pompiers souvent sans lances à incendie pour éteindre le feu de la désindustrialisation, il nous faut anticiper et inciter les entreprises à prendre des mesures, afin de permettre à la France de se réindustrialiser, comme l’a dit M. le rapporteur, et de retrouver son rang à l’échelon mondial.

Parmi les difficultés que rencontre notre pays, ne perdons pas de vue le coût horaire de la main-d’œuvre française, dû partiellement à l’excellente protection sociale dont nous bénéficions, mais aussi, il faut le rappeler, aux effets des 35 heures

Protestations sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Chers collègues socialistes, mes propos vous déplaisent ? J’en ai entendu bien d’autres tout à l’heure que je désapprouvais tout autant, mais j’ai eu, moi, la courtoisie de vous écouter !

Dans notre pays, les entreprises n’ont pas intérêt à avoir besoin d’un dépannage urgent entre le jeudi soir et le mardi matin. Le « stock zéro » de pièces détachées, qui est devenu la règle, rend impossible tout dépannage avant le mardi, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de perturbation dans les transports !

Si je fais cette remarque, c’est parce que j’observe que nombre d’entreprises de mon département frontalier se tournent hors de nos frontières pour s’approvisionner, voire pour s’équiper.

Si toutes les entreprises implantées dans des zones situées à moins de 100 kilomètres de la frontière faisaient de même, c’est le tiers de notre production nationale qui serait abandonné au profit de nos voisins directs, par exemple les Allemands, les Belges, les Espagnols ou, pourquoi pas ?, les Italiens.

Cela concerne les équipements, le dépannage, mais également – j’ai eu l’occasion de le constater personnellement – les travaux lancés et orchestrés par nos collectivités territoriales.

Les fuites de capitaux, dont nous parlons parfois en France, limitent fortement nos capacités d’investissement et paralysent la consommation. Mais elles ne concernent pas seulement les grandes fortunes. Il y a aussi une multitude de petits porteurs qui franchissent nos frontières, et on n’en parle pas suffisamment.

Je ne suis donc pas de ceux qui pensent que l’État doit toujours faire plus et qu’il faut toujours en rajouter. Je rêve simplement de voir l’État français éviter toutes ces erreurs de stratégie et prendre les mesures administratives pour permettre à chaque Française et Français de retrouver l’instinct de nationalisme positif, afin d’aider et de participer au renouveau économique dont notre pays a besoin.

Pour cela, il faut redonner le goût au travail et l’espoir du lendemain, non pas par des promesses, mais par des actions simples permettant une relance avant tout psychologique, préalable nécessaire à la réindustrialisation de notre pays.

La mission d’information a bien pointé du doigt les anomalies et difficultés dont souffre l’économie française. Nous devons à présent être plus inventifs sur les actions à mener, en nous situant plus en amont qu’à l’accoutumée et au plus proche de l’entreprise et du territoire, de préférence sans politiser le débat.

Nous devons faire preuve de courage pour prendre les bonnes mesures et démontrer notre volonté de nous unir sur toutes les travées de cette assemblée, et même au-delà, afin de mettre les bonnes idées en application, avec l’envie de réussir et de servir l’entreprise et le territoire !

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, étant moi-même issu de l’entreprise, je me félicite que la conférence des présidents du 7 avril 2010 ait décidé, sur l’initiative du groupe socialiste, de mettre en place la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.

L’existence de cette mission est malheureusement largement justifiée par le constat qui vient d’être rappelé et qui doit évidemment tous nous interpeller.

Au cours des trente dernières années, plus de deux millions d’emplois ont été supprimés, et la contribution de l’industrie au PIB est tombée de 24 % à 14 % entre 1980 et 2007.

En clair, et vous l’avez tous indiqué, la France n’a plus de politique industrielle ambitieuse et adaptée aux contraintes d’une économie mondialisée. Surtout, l’image de l’industrie s’est dégradée dans notre pays. Le secteur n’attire plus les jeunes, et les élus de terrain, notamment les maires, ont le sentiment que l’on a tué l’envie d’entreprendre. D’ailleurs, les porteurs de projets sérieux se font rares.

Certes, ce constat, qui reflète seulement la situation à un instant donné, peut être nuancé. N’étant pas un pessimiste de nature, je constate qu’il y a également des réussites exceptionnelles.

Je voudrais féliciter le président de la mission d’information, M. Martial Bourquin, et son rapporteur, M. Alain Chatillon. Le premier incarne le courage, la volonté. C’est lui qui a pris l’initiative d’une telle démarche. Il est vrai que son département est particulièrement concerné par le problème. Le second, chef d’entreprise, a œuvré avec les compétences que nous lui reconnaissons tous, même si nous ne partageons pas nécessairement ses conclusions. Cela dit, le sujet mérite, me semble-t-il, que nous fassions un effort pour parvenir à un consensus.

La mission d’information a procédé à vingt-sept auditions et a organisé huit déplacements, tant en France qu’à l’étranger. Ses travaux ont, à l’évidence, été fructueux. Si les propositions en faveur de la sauvegarde de l’industrie ne vont pas assez loin pour certains, elles synthétisent pour d’autres l’équilibre nécessaire entre la relance de l’activité et le développement des territoires, un sujet sur lequel je souhaite revenir.

En réalité, les divergences ont porté sur quatre points : la question de l’État et des collectivités territoriales, le coût du travail, le rôle des banques et du crédit et, enfin, la réforme de la taxe professionnelle. Nous devrons certainement nous saisir de nouveau de ces dossiers. Mais tel n’était pas l’objet de la mission.

Le rapport met à juste titre l’accent sur la restauration d’une véritable culture industrielle.

Il est un risque bien réel, mes chers collègues, celui de voir perdre le combat, qui me paraît essentiel, entre les hommes sincèrement désireux d’entreprendre et les gestionnaires uniquement animés par une logique comptable – il est plus facile de se référer au seul langage des chiffres, auquel on peut faire dire ce que l’on veut !

En Allemagne, nombre de jeunes passent leurs dernières années d’études en travaillant à mi-temps dans des entreprises, ce qui leur permet ensuite de porter des projets sérieux et de s’épanouir dans des métiers dont ils ne soupçonnaient auparavant même pas l’existence.

Ce n’est pas le cas en France. Chez nous, l’image de l’entreprise est associée au « bleu de travail » et les parents vivent comme une catastrophe un tel choix pour leurs enfants. C’est un véritable problème !

C’est donc en amont, par l’éducation, qu’il faut agir, et ce dès l’école primaire. Aujourd'hui, seulement 22 % des enfants optent pour les filières scientifiques. Or les sciences sont à la base de l’intérêt pour la mécanique, la construction ou les professions qui impliquent une bonne connaissance des matériaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

À cet égard, je salue l’initiative qui a été prise de lancer les appels d’offres pour créer des maisons de la culture scientifique dans cinq régions françaises. J’espère que les départements ruraux ne seront pas oubliés. Dans nos territoires aussi, nous voulons pouvoir orienter nos enfants vers la culture scientifique.

Les travaux de la mission d’information ont mis en lumière un déficit de 40 000 emplois de techniciens et d’ingénieurs sur le pôle de compétitivité d’Airbus ! Là aussi, il y a des efforts à fournir.

Il est vrai, et c’est un peu mon obsession, que notre pays a un secteur de la grande distribution des plus puissants. Or, comme j’ai pu le constater lorsque j’exerçais dans le monde de l’entreprise, cela a contribué à détériorer, désintégrer, démolir, le tissu économique des PME, notamment dans l’agroalimentaire.

C’est que les consommateurs sont obnubilés par les prix, au détriment de toute considération pour la qualité, ce qui suscite une forme de culture du « manque de qualité ». On ne s’intéresse plus qu’aux prix ! Peu importe les conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués, peu importe le contexte humain ! L’acheteur s’intéresse seulement aux prix !

En habituant le consommateur à acheter non des biens de qualité, mais des prix, on a détruit un tissu économique important, car, la qualité n’étant plus au rendez-vous, nos compatriotes ont fini par ne plus vouloir des produits français et se tourner vers les productions étrangères. Les auteurs du rapport évoquent ainsi les exemples de l’automobile ou de l’électronique.

Tous les entrepreneurs que j’ai rencontrés nous demandent de simplifier les dispositifs. Le temps de l’industrie n’est pas celui du politique. On ne peut pas réformer en permanence, multiplier les circulaires, souvent sans préparation. D’ailleurs, notre ami Bruno Retailleau avait, me semble-t-il, proposé de bloquer le temps d’application des réformes, afin que l’entreprise puisse s’y préparer.

Les deux collègues qui m’ont précédé à cette tribune ont évoqué le problème du guichet. Les chambres de commerce et d’industrie, qui sont à la jonction entre l’État et les entrepreneurs, ne doivent-elles pas être replacées au cœur du système ? Après tout, c’est leur travail. Mais les dérives sont telles que ce travail n’est parfois plus fait.

Aujourd'hui, on constate un empilement extraordinaire de niveaux de compétence, cinq ou six au bas mot : les intercommunalités ont la compétence obligatoire en matière économique ; les pays continuent à gérer le contrat de plan avec les partenaires concernés ; les départements ont tous une agence de développement ; la région dispose forcément d’instruments pour favoriser l’innovation et l’extension de certaines activités. Quant à l’État, il lui revient de gérer les fonds européens, quand il ne les cogère pas avec la région ! De quoi décourager nombre d’acteurs ! Des simplifications s’imposent donc.

Il en est de même d’autres dispositifs, qui s’additionnent : les pôles de compétitivité, mais aussi Oséo, Ubifrance, le Fonds stratégique d’investissement, le FSI, ou le plan de relance…

Je voudrais remercier M. le président et M. le rapporteur de la mission d’avoir pris en compte, dans leur rapport, le rôle structurant des pôles de compétitivité dans la politique industrielle.

Comment peut-on imaginer labelliser un pôle d’excellence rurale, moteur économique d’un territoire, pour le laisser ensuite isolé sans pouvoir bénéficier du soutien du pôle de compétitivité?

Il faut absolument labelliser les pôles de compétitivité dans les filières où ils ont été reconnus. Il faut aussi prévoir une aide concrète en pourcentage de l’aide globale dont ces pôles disposent.

Par ailleurs, nous avons étudié le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. Tant que l’on parle d’économies, on ne peut pas parler d’infrastructures ! Et je vous rappelle que l’intitulé de la mission fait référence à la « désindustrialisation des territoires ». Nous serons donc obligés de procéder à une révision du SNIT, par cohérence avec les constats de la mission. Les handicaps des territoires ruraux, qui ont été évoqués, ne doivent pas être aggravés par le manque d’infrastructures, parfois destructeur en termes d’emplois.

En outre, je tiens à faire observer que le lobbying de la France à Bruxelles est inexistant. Ainsi, la région Midi-Pyrénées dispose de seulement 3 représentants auprès des instances communautaires, contre 80 pour la Catalogne et 120 pour la Bavière ! Nous risquons d’être battus à plate couture !

Comme cela a été souligné par l’ensemble des orateurs, le sujet est très important. À mon sens, nous devrons parvenir à un consensus pour mener des actions à partir des conclusions de la mission d’information. Tous les pays qui ont réussi dans ce domaine ont procédé ainsi. Nous ne pourrons pas faire autrement !

Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Danglot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a exposé Isabelle Pasquet en commission, les membres de notre groupe ont voté contre les conclusions de la mission, considérant qu’elles s’inscrivaient fidèlement dans la libéralisation de l’ensemble des secteurs industriels.

Le rapport décrit avec rigueur la saignée de l’emploi industriel en France depuis plusieurs décennies et reconnaît l’absence de politique industrielle.

Cependant, les solutions proposées comme les débats en commission ont montré les différences irréductibles entre notre conception de ce que devrait être la politique industrielle et celle de la droite. C’est en ce sens que nous avons déposé une contribution au rapport de la mission.

Dans la période récente, l’activité industrielle n’a cessé de se dégrader, notamment sous les effets pervers de l’économie de marché, de la concurrence libre et non faussée, ou encore, comme le note le rapport, en raison « des excès du libéralisme prôné par l’OMC ».

La crise économique et financière de ces dernières années et les politiques économiques irresponsables menées par une droite obnubilée par la rémunération de l’actionnariat ont détruit plus d’emplois dans l’industrie que dans tous les autres secteurs d’activité.

Dans ce contexte, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a encouragé la financiarisation de l’économie, tournant le dos à la production de richesses industrielles ainsi qu’à la revalorisation du travail et des qualifications.

La régression de l’effort global de formation professionnelle, le manque d’attractivité des métiers du secteur industriel – dans l’industrie manufacturière, notamment – et le faible niveau des salaires posent la question, cruciale pour l’avenir, du remplacement des effectifs du secteur et de la transmission des savoir-faire.

Les conflits portant sur les revalorisations de salaire dans l’industrie se multiplient : dans la région Nord - Pas-de-Calais, dont je suis l’élu, les salariés de Toyota, d’Eiffage, de Faurecia ou, au niveau national, ceux de Nestlé et de Carrefour ont entamé des grèves pour protester contre le faible niveau de leurs salaires.

Le « Président du pouvoir d’achat » n’a pas tenu ses promesses et la dernière promesse en date, l’attribution éventuelle d’une prime aux salariés contre le versement de dividendes aux actionnaires, constitue, au-delà de son caractère purement électoraliste, une mesure largement insuffisante, qui plus est discriminante entre les salariés des différentes entreprises.

Quand le patronat considère que le coût du travail est trop élevé en France, le Gouvernement lui donne satisfaction à coup d’exonérations de cotisations sociales, de crédits d’impôt, etc. Il s’agit, en réalité, d’accroître la richesse de quelques-uns contre l’intérêt de tous. Gardez à l’esprit que les entreprises du CAC 40 ont dégagé un bénéfice global de 82, 5 milliards d’euros en 2010, en augmentation de 85 % par rapport à l’année précédente ; tel n’est pas le cas des salariés !

Si le Gouvernement veut préserver l’activité industrielle, il doit regarder en face les comportements voyous de certains groupes du secteur industriel. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler le cas des salariés de Continental, licenciés en 2009 alors que l’entreprise réalisait, au deuxième trimestre de la même année, pas moins de 40 millions d’euros de bénéfices, ou celui des salariés de l’entreprise Caterpillar, eux aussi licenciés quand la multinationale annonçait 371 millions de dollars de bénéfices au second trimestre de la même année. Exemple plus récent, la suppression de près de 1 500 emplois à la suite de la fusion de Merck et de Schering-Plough, alors que le bénéfice net du groupe s’élevait à 12, 9 milliards de dollars en 2009, contre 7, 8 milliards de dollars en 2008.

Pourquoi ces situations inadmissibles sont-elles possibles ? À notre avis, la droite en porte l’entière responsabilité : en 2002, dès son retour au pouvoir, le gouvernement Raffarin et la majorité parlementaire ont décidé l’abrogation de la loi adoptée sur l’initiative de notre collègue Robert Hue, qui renforçait les pouvoirs des salariés contre les licenciements boursiers.

Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités, interdire les licenciements boursiers et soumettre à conditions l’octroi des aides publiques aux entreprises.

Quant aux aides à la relocalisation mises en place par le Gouvernement, elles sont un non-sens et constituent en outre une charge pour les contribuables ! Nous demandons l’instauration d’un mécanisme de remboursement des aides publiques, directes et indirectes, dans le cas où l’entreprise bénéficiaire aurait procédé à une délocalisation de sa production. Il faut établir un véritable contrôle et imposer une évaluation contradictoire des aides.

De plus en plus de groupes industriels à la santé florissante délocalisent leur production. Il y a deux semaines, le groupe PSA annonçait qu’il allait produire un nouveau modèle en Slovaquie ; ce projet représente un investissement de 130 millions d’euros et 900 nouveaux emplois. Le dumping social joue à plein au niveau européen ! Là encore, il est essentiel de revoir les règles et d’harmoniser par le haut les statuts et les rémunérations des travailleurs.

Pouvez-vous prétendre à la relance industrielle annoncée depuis les états généraux de l’industrie, si l’État n’intervient pas et laisse faire au nom du libéralisme ou, pis encore, accompagne les stratégies industrielles des grands groupes ? Selon les derniers chiffres officiels, 6 700 emplois industriels ont été perdus dans le Nord - Pas-de-Calais entre 2009 et 2010, 40 000 emplois en cinq ans.

Je citerai deux exemples récents concernant deux secteurs industriels stratégiques de mon département, la sidérurgie et l’automobile.

Le groupe Aperam, filiale d’Arcelor-Mittal, vient d’annoncer pour son usine d’Isbergues, qui a déjà perdu sa fonderie, un plan de sauvegarde de l’emploi pour le secteur tôlerie qui concerne plus de 200 salariés, alors qu’une expertise montre l’existence de solutions alternatives.

Le groupe Renault envisage de délocaliser la fabrication de deux futurs moteurs en Roumanie et en Espagne, au détriment de sa filiale spécialisée dans ce type de production, La Française de Mécanique, à Douvrin : des centaines d’emplois sont menacés.

Ensuite, nous estimons qu’il est urgent de faciliter le financement de l’industrie. Les banques, que l’État a largement aidées grâce à l’argent du contribuable, doivent être mises à contribution. Nous proposons de mettre en place un pôle public financier qui mettrait plus largement à contribution l’ensemble des banques, afin de les réengager dans la politique économique de notre pays.

Le Fonds stratégique d’investissement, avec ses 20 milliards d’euros de fond propres, n’a pas su jouer son rôle d’aide à la réindustrialisation et à la relance de l’emploi. Ce fonds a facilité les fusions et consolidations entre les entreprises, en ignorant les conséquences sociales des restructurations forcées !

Je voudrais dire une fois encore notre inquiétude quant à la réforme de la taxe professionnelle. Censée alléger les entreprises, elle constitue au contraire un frein au développement des territoires et aux aménagements nécessaires pour accueillir des activités industrielles. Cette suppression, qui prive les collectivités territoriales d’importantes ressources, car elle ne donne pas lieu à une compensation intégrale, ne permettra pas de ralentir les délocalisations, je viens d’en citer quelques exemples.

Il nous semble également important d’intensifier la recherche et l’innovation au service du développement industriel. Cependant, les incitations fiscales ne suffisent pas pour réaliser ces objectifs. Le crédit d’impôt recherche a coûté 5, 8 milliards d’euros à la collectivité en 2009 ; il a encouragé les manipulations comptables et les effets d’aubaine ; il a d’abord profité aux grands groupes et à leurs holdings financières. Il faut investir dans la recherche publique, ne pas négliger les apports de la recherche fondamentale et préserver les retours d’expérience au sein des entreprises.

Enfin, la politique énergétique menée par le Gouvernement, outre qu’elle fragilise le secteur électrique, devient un handicap supplémentaire pour toute l’industrie. L’énergie est l’exemple le plus frappant de l’action gouvernementale en faveur de l’actionnariat et des opérateurs privés, contre l’intérêt général, contre l’intérêt national !

Lors des débats sur la privatisation de GDF, en 2004, Nicolas Sarkozy répondait à ceux qui s’inquiétaient d’une augmentation des prix : « Toutefois, si on ne peut pas endetter une entreprise et si les prix de vente de ses services n’augmentent pas, comment financer son développement, sans une ouverture de capital ? La question me paraît d’une cohérence absolue. »

Cette « cohérence absolue » a conduit à une ouverture du capital et à une augmentation des prix de l’énergie sans précédent pour rémunérer le capital ! Vous connaissez les difficultés financières qu’ont rencontrées les entreprises qui avaient fait le choix de bénéficier de l’ouverture à la concurrence. Cela a conduit à des bricolages éphémères, je pense ici au tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, ou TARTAM.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique industrielle conduite par la droite montre très largement son inefficacité, voire sa très lourde responsabilité dans la désindustrialisation de nos territoires.

L’État doit se réengager dans la définition de la politique industrielle et assumer son rôle de pilote et de contrôle.

L’État doit conduire des actions et mobiliser des moyens financiers et humains en faveur de la protection des travailleurs du secteur, de la revalorisation des salaires, de la recherche fondamentale et appliquée.

Enfin, l’État doit reprendre la première place dans la régulation économique et financière des activités industrielles.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter la mission commune de ce travail sur la réindustrialisation et à saluer son président et son rapporteur.

Le rapport de la mission repose sur trois constats. L’un de ces constats a d’ailleurs été peu évoqué cet après-midi : l’écosystème industriel est désormais non plus national, mais européen et même mondial. On ne peut pas raisonner sur le développement économique et industriel de nos territoires sans le resituer dans un contexte mondial.

Je remercie également la mission de s’être appuyée sur l’idée, fondamentale, selon laquelle une économie sans industries n’a plus d’avenir. Évidemment, certains territoires sont davantage propices aux activités de services que d’autres, mais, globalement, une économie, dans son ensemble, ne peut se passer d’industries.

Je soulignerai enfin que nous sommes désormais tous d’accord sur l’idée que le développement industriel n’est pas possible sans initiative publique. Ce point d’accord est nouveau et il a d’ailleurs conduit la gauche et la droite à trouver un certain nombre de sujets de consensus et à exprimer des idées qui les rapprochent. Nous savons tous que, sans l’intervention de l’État et des collectivités territoriales, les politiques industrielles ont peu de chances de se développer.

Je rends grâce à M. le ministre et au Gouvernement d’avoir pris un certain nombre d’initiatives au cours des dernières années et des derniers mois, et encore aujourd’hui, pour favoriser l’industrialisation de notre pays : le Fonds stratégique d’investissement, dont j’espère, monsieur le ministre, qu’il sera efficace ; la confirmation de la Conférence nationale de l’industrie, qui vous aidera désormais, monsieur le ministre, à industrialiser la France ; le crédit d’impôt recherche qui, contrairement à ce que disent certains, a été à l’origine de nombreuses initiatives – évidemment, plutôt au profit des grands groupes, mais c’est toujours au profit de l’économie industrielle nationale ! – ; je n’oublie pas, enfin, les pôles de compétitivité.

Monsieur le ministre, les collectivités locales jouent désormais un rôle indispensable dans le développement industriel. J’en veux pour preuve que l’ensemble des infrastructures favorables à l’accueil des entreprises – les moyens de transport, notamment –, sont souvent réalisées ou modernisées sur initiative locale, et uniquement locale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Les télécommunications, vous le savez, monsieur le ministre, ne se développeront vraiment bien en France que lorsque nous pourrons associer les réseaux d’initiative publique, portés par les collectivités locales, et les grands réseaux, portés par les grands opérateurs.

Les initiatives publiques locales pèsent lourd dans le budget du développement industriel, puisqu’elles sont estimées à 6 milliards d’euros ou 7 milliards d’euros par an.

Le deuxième constat de ce rapport extrêmement riche me plaît particulièrement en tant qu’agronome. J’observe en effet que l’on parle désormais d’« écosystème industriel ». Un écosystème se manie avec précaution, car il est porté par une multitude d’agents, de facteurs, d’éléments de toutes sortes, dont l’intervention peut avoir des conséquences immenses, à la façon du fameux battement d’aile de papillon qui provoque un ouragan à mille kilomètres de distance.

Un écosystème est donc extrêmement fragile et il me semble que, s’agissant de l’industrie, l’image est pertinente. En plus, un écosystème ne fonctionne bien qu’en l’absence de facteur limitant, les agronomes le savent bien ! Vous aurez beau réunir tous les éléments nécessaires à la croissance d’une forêt, même si vous recrutez les meilleurs forestiers, s’il manque un seul élément fondamental, comme l’eau, vous n’aurez pas de forêt ! S’il vous manque un seul facteur, vous n’obtiendrez aucun résultat.

Il en est de même pour l’industrie, qui exige de la confiance. La confiance des hommes est un élément fondamental, à commencer par l’esprit d’entreprise. S’y ajoute, pour nos populations, l’envie de participer.

Je remercie nos collègues président et rapporteur d’avoir insisté sur la nécessité de donner confiance aux chefs d’entreprise, à ceux qui prendront des responsabilités. Pour eux, la confiance, repose d’abord sur la sécurité juridique - la simplification administrative et surtout la stabilité des normes pour un cadre juridique doté d’une certaine constance -, mais également sur l’assurance d’obtenir les financements en temps et en heure.

Un chef d’entreprise doit se sentir en confiance vis-à-vis de son environnement administratif et politique, de même que la population, pour adhérer aux projets industriels, doit « aimer » l’industrie, ce qui rend nécessaires tous les efforts pour développer une culture industrielle.

Il faut également, monsieur le rapporteur – c’est un sujet sur lequel le Gouvernement se penche actuellement –associer le capital et le travail. Cette idée n’est pas neuve, on cherche à la faire vivre d’année en année, mais elle peine à se concrétiser. Pour autant, c’est une piste indispensable, car relevant aussi du domaine de la confiance : on ne réussit rien, dans un pays, sans l’adhésion de ceux qui prennent des initiatives et de ceux qui travaillent au jour le jour, au sein de nos industries, pour gagner leur vie.

Ce climat de confiance, au niveau tant des normes que des financements, est important mais exige aussi la participation des territoires. Ainsi, les territoires sur lesquels nos industries s’installent doivent être bien équipés.

Ces territoires, monsieur le ministre, participent également à la mondialisation, et c’est un point sur lequel je voudrais, au passage, formuler une petite remarque, qui me tient à cœur.

Il nous faut situer notre économie dans un tissu mondial, un milieu global, à la fois pour exporter nos produits, pour bénéficier d’investissements extérieurs et pour accueillir les réseaux de vente de nos partenaires étrangers. Or je pense que, s’agissant des relations extérieures de la France avec ses partenaires économiques mondiaux, l’État commet une erreur en favorisant trop la spécialisation d’un échelon administratif, à savoir la région, dans ce domaine.

Certaines régions n’ont pas de compétences économiques marquées, faute d’avoir une population suffisante ou faute de se préoccuper de la question. Inversement, les métropoles sont appelées à contribuer pour une très large part au rayonnement économique et intellectuel de la France – c’est la réforme des collectivités territoriales – et certains départements, comme le mien, prendront des initiatives pour porter leur territoire à travers le monde.

Permettez-moi donc cette petite critique, monsieur le ministre, mais je souhaite que vous puissiez nous aider à régler ce problème : certains services économiques français, notamment l’Agence française pour les investissements internationaux – l’AFII – et l’Agence française pour le développement international des entreprises – Ubifrance –, s’appuient trop fortement sur les régions, en excluant d’autres échelons. L’État doit pouvoir faire appel à tous les volontaires, qu’il s’agisse de régions, de départements ou de villes. C’est important pour l’avenir !

Autre facteur à prendre en compte, la politique monétaire. M. le rapporteur en a dit un mot et, par pudeur, je pense, ne consacre que deux pages de son rapport au sujet. Il nous faudra, à terme, oser en parler.

Il est effectivement impudique, aujourd’hui, d’évoquer une politique de l’euro. Or, que nos partenaires aient ou n’aient pas de politique monétaire, le dollar et le yuan naviguent sur les marchés au gré de je ne sais quelle volonté. L’euro, quant à lui, voit son cours encadré par les décisions d’une autorité administrative qui s’est donné pour seul objectif celui de lutter contre l’inflation.

Je ne suis pas du tout certain que, dans le cadre de la compétition mondiale, cette politique monétaire européenne soit la meilleure. Je ne remets pas en cause le principe de cette politique : il ne s’agit évidemment pas de sortir de l’euro, c’est impossible ! Mais que les responsables de la Banque centrale européenne puissent parfois conduire la politique de l’euro avec plus de souplesse suffirait, me semble-t-il, à nous adapter aux spéculations financières enregistrées sur les places internationales.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas demander, au titre de cette mission sur la réindustrialisation des territoires, qu’on évoque une fois, et de façon très circonstanciée, la façon dont l’Europe pourrait aujourd’hui, avec sa monnaie unifiée, retrouver quelques marges de manœuvre en matière de politique financière et monétaire ?

Cette préoccupation rejoint d’ailleurs les interrogations que suscite le marché du carbone. On en parle beaucoup, mais, à l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucune conception technique, qui soit issue d’un examen approfondi et qui soit bien structurée, de l’organisation des marchés d’échange de quotas de production de carbone. Il y a également beaucoup trop de pudeur à cet égard !

J’entamerai ma dernière série de remarques en souhaitant qu’on approfondisse l’idée selon laquelle le succès industriel n’est pas nécessairement lié à des innovations technologiques de rupture.

En laissant croire que le succès des acteurs économiques sur leur marché, marché qui peut être mondial, repose sur une parfaite maîtrise des innovations technologiques de rupture, on découragerait la plupart d’entre eux, notamment tous ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à ces innovations, par exemple au travers des pôles de compétitivité.

Il nous faut être plus modestes, examiner cette question en s’inspirant de la pratique allemande et des instituts Fraunhofer – ces instituts n’ont rien à voir avec des centres de recherche très élaborés, qui travailleraient sur des ruptures technologiques importantes – et, notamment, réfléchir à la nécessité de permettre à l’ensemble des industriels de disposer, au jour le jour, des pratiques technologiques les plus avancées.

En effet, il est question non pas de faire des sauts technologiques, mais de maîtriser la technologie. Il faut tout simplement que l’essentiel du peloton des industriels d’un territoire donné, les petites et moyennes entreprises notamment, aient les moyens d’accéder aux technologies de leur filière, tout simplement.

Dans mon département, la Moselle, par exemple, je constate que nous ne sommes pas en mesure, aujourd’hui, de donner à tous les sous-traitants du secteur de l’automobile l’accès aux technologies de la filière.

Il y a là une dimension qu’il faut prendre en compte : il ne s’agit pas d’inventer la poudre ; il faut simplement savoir comment l’utiliser !

Cette question mériterait donc aussi quelques approfondissements, dont certains sont liés à nos modes d’enseignement.

Lorsque, dans l’enseignement supérieur, nous formons des techniciens et des ingénieurs pour l’industrie, nous avons effectivement trop tendance à privilégier l’excellence, dans un souci, de nouveau, de recherche des ruptures technologiques. De cette façon, on « fabrique » des salariés d’entreprises, et non des créateurs d’entreprises.

Les étudiants en école d’ingénieur ou à l’université ont tellement la tête dans les étoiles ! Ils font systématiquement leur stage dans de très grandes entreprises et, souvent, ne gèrent aucun projet dans ce cadre. Ce sont des stages pour futurs salariés ! Notre système de formation engendre, pour l’essentiel, des salariés, alors que nous avons besoin de créateurs, de managers !

Il faudrait donc encourager, dans nos écoles, les stages orientés autour de la reprise ou de la gestion de projets industriels, ce qui nous permettrait de former des personnes prêtes à investir et à entrer de plain-pied dans la bagarre économique.

Ces remarques étant faites, monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre présence pour cet important débat sur l’industrie et du temps que vous y consacrez.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la mission commune d’information, mes chers collègues, mon intervention portera sur la situation de la filière des autobus, autocars et poids lourds, dont la fragilité est patente par comparaison avec la même filière en Allemagne et, même, en Italie.

J’évoquerai tout d’abord le secteur des poids lourds.

La société Renault a vendu en 2000 sa division « poids lourds » à Volvo AB et, en contrepartie, est devenue son premier actionnaire. En 2011, pour rembourser les 3 milliards d’euros prêtés par l’État afin de faire face aux conséquences de la crise, l’entreprise a cédé ses actions sans droit de vote et ne détient plus que 6, 8 % du capital de Volvo AB et 17, 5 % des droits de vote.

Dans le cas où Renault céderait ses autres actions, sans précaution particulière, Volvo AB serait à la merci d’une offre publique d’achat hostile et la concentration qui en résulterait, dans un contexte marqué par une demande très inférieure aux capacités de production, pourrait être fatale à Renault Trucks et à ses usines en France.

De manière générale, il serait inadmissible que le gouvernement français accepte qu’il n’y ait plus aucun industriel français présent dans le secteur des poids lourds, ce qui aurait pour conséquence de nous faire totalement dépendre du bon vouloir de Volvo AB pour ce qui est du maintien ou non des activités de fabrication et d’assemblage de Renault Trucks en France.

Aussi, je demande que les pouvoirs publics français veillent à ce que Renault conserve durablement une part significative du capital et des droits de vote de Volvo AB. Dans mon esprit, il ne peut s’agir d’un simple actionnariat « dormant ».

Le groupe Scania assemble depuis 1992 des camions et tracteurs gros porteurs – de plus de 16 tonnes – dans son usine d’Angers, qui emploie 520 personnes. Les véhicules produits sont destinés aux marchés de l’Europe du Sud, notamment à la France.

Iveco produit, sur son site de Bourbon-Lancy, des moteurs de la famille Cursor, qui équipent de nombreux modèles d’autocars et d’autobus de marque Fiat et Irisbus et de camions de marque Iveco. Cette usine emploie 1 100 personnes.

Il convient de saluer l’engagement important tant de Scania que d’Iveco en France. Je suggère donc que le Gouvernement se rapproche de ces deux groupes de manière à déterminer les mesures susceptibles d’être prises afin d’assurer non seulement le maintien des activités actuelles, mais aussi le développement d’activités nouvelles.

J’en viens au secteur des autocars et autobus.

La Commission européenne s’étant opposée, en 2000, à ce que Renault soit à la fois actionnaire de Volvo AB et partenaire capitalistique d’Iveco au sein d’Irisbus, plus aucun industriel français n’est présent dans ce secteur. Iveco France, propriétaire de la marque Irisbus, est une filiale à 100 % du groupe Fiat.

Face à l’atonie du marché, le risque est grand qu’Iveco France transfère de plus en plus d’activités sur ses sites tchèques et italiens, au détriment des sites français d’Annonay et de Rorthais.

Il paraît donc nécessaire que le gouvernement français obtienne de Fiat l’engagement de maintenir les activités actuelles d’Iveco en France, ainsi que leur développement en cas de reprise économique.

À la différence notamment du groupe Man, propriétaire des marques Man et Neoplan, qui n’a pas d’usine en France, EvoBus France, filiale du groupe Daimler commercialisant les marques Mercedes-Benz et Setra, dispose d’une usine à Ligny-en-Barrois. Cette implantation en France est à souligner, même s’il ne s’agit que d’un site d’assemblage, sur des chaudrons entièrement traités et apportés d’Allemagne par camions, de pièces – moteur, boîte, pont, etc. – quasiment toutes fabriquées en Allemagne.

Désormais, seuls des autobus y sont assemblés, alors que le site réalisait aussi par le passé l’assemblage d’autocars.

Ainsi, le site de Ligny-en-Barrois emploie 400 salariés et EvoBus France 650 salariés, contre 10 000 emplois en Allemagne et 3 000 emplois dans le reste de l’Europe.

Là encore, il est nécessaire que le Gouvernement, tout en saluant l’engagement du groupe EvoBus en France, ouvre une négociation avec lui afin d’obtenir qu’il confie davantage d’activités au site de Ligny-en-Barrois, de manière à y faire progresser très sensiblement le nombre d’emplois. Ce groupe a obtenu en France près de 20 % du marché, ce qui me paraît de nature à justifier pleinement cette évolution.

À l’instar de nombreux observateurs, je tire de cette analyse le constat selon lequel, si la France compte un nombre assez important d’usines où sont fabriqués et/ou assemblés des autobus, des autocars et des poids lourds, elle n’a toutefois pas de véritable politique industrielle dans ce secteur. Il n’est pas encore trop tard pour en définir une.

Monsieur le ministre, les quelques mesures que je préconise pourraient en constituer l’amorce.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord porter témoignage de l’engagement et de l’investissement de nos collègues président et rapporteur de cette mission commune d’information, qui ont fourni un travail important d’écoute, d’analyse et de synthèse, pour aboutir au rapport qui nous réunit aujourd’hui et qui est une bonne photographie de la mission : riche, dense et argumenté.

Je me réjouis d’ailleurs qu’il porte en son titre ces deux mots forts, qui ont constitué en quelque sorte le fil rouge de nos travaux : réindustrialisation et territoires.

Ce rapport est solidement et classiquement construit sur trois piliers : le constat, les causes, les perspectives.

Nous partageons bien entendu – malheureusement, ai-je envie de dire – le constat sur le déclin de notre industrie, plus marqué encore ces dix dernières années, plus manifeste en France qu’en Allemagne, une comparaison qui a d’ailleurs fait référence tout au long de la mission.

Ce constat doit rester réaliste, mais peut-être faut-il éviter qu’il ne soit systématiquement alarmiste, ne serait-ce que pour ne pas décourager les trois millions de salariés de l’industrie, d’autant que ce secteur demeure malgré tout créateur d’emplois, à l’image de la métallurgie, qui, actuellement, cherche à recruter pas moins de 85 000 personnes.

Il faut rappeler aussi que notre industrie compte quelques beaux fleurons : les filières aéronautique, pharmaceutique, énergétique, pour les principales, sans oublier les PME innovantes, qui font souvent figure de champions industriels dans nos régions, mais dont on parle trop peu, car ces PME sont peu visibles, et la communication n’est pas forcément leur priorité.

Les causes, quant à elles, sont multiples, connues et relèvent d’un phénomène commun aux pays développés. Comme les uns et les autres l’ont rappelé, en France, la perte de compétitivité, l’insuffisance de l’innovation et des investissements, l’image négative de l’industrie sont autant de causes qui, conjuguées, peuvent expliquer la situation d’aujourd’hui.

Nombreux sont les responsables – il est difficile de s’exonérer de cette responsabilité – de cette situation : les parents, qui préfèrent pour leurs enfants le bureau à l’usine ; les enseignants, trop isolés, trop éloignés de la vie économique ; les politiques, qui, par exemple, prônaient 80 % de bacheliers ; les industriels, qui n’ont pas investi en temps voulu.

Dans nos divergences sur les causes de la perte de compétitivité de notre industrie, il y a le coût du travail, pointé régulièrement dans les études économiques, y compris et surtout dans les comparaisons avec l’Allemagne. D’ailleurs, au moment où la France a choisi de diminuer le temps de travail en introduisant les 35 heures, le chancelier allemand n’a-t-il pas réagi avec satisfaction en déclarant : « Ceci est bon pour l’Allemagne » ?

Une fois posés d’une manière synthétique ces éléments, tournons-nous vers les perspectives ; c’est bien ce qu’attendent nos industriels et, plus globalement, l’économie française.

Lors de nos rencontres avec les industriels, j’avais retenu dans les satisfactions, certes inégales selon les secteurs, qu’il se dégageait régulièrement trois points positifs : les pôles de compétitivité, la suppression de la taxe professionnelle et le crédit d’impôt recherche.

C’est bien la preuve de la prise de conscience de nos gouvernants depuis de nombreuses années, puisque des dispositifs concrets ont été mis en place.

C’est ainsi que les états généraux de l’industrie ont réuni tous les acteurs qui ont apporté leur expérience et leur vision pour une relance active de la politique industrielle française.

Monsieur le ministre, relativement aux travaux issus des états généraux de l’industrie ainsi qu’aux travaux de la Conférence nationale de l’industrie, pourrez-vous nous donner les perspectives d’une mise en œuvre rapide de la réindustrialisation de notre pays, et vous sentez-vous « optimiste » quant à un résultat tangible à court ou moyen terme ?

Enfin, face à la mondialisation, face à la montée en puissance des pays émergents, n’est-il pas temps de mettre en place, pour l’industrie comme pour l’énergie, une politique industrielle européenne ?

Pour terminer, je souligne que les conclusions de la mission débouchent sur des propositions explicites, concrètes, listées en dix-sept points clairement exprimés, que notre rapporteur a rappelés.

Je souhaite vivement que ces propositions puissent être mises en œuvre rapidement ou, lorsque le socle existe déjà, qu’elles constituent une réelle incitation à promouvoir une nouvelle culture industrielle, chère à Alain Chatillon et à Martial Bourquin, mais certainement chère aussi à chacun d’entre nous, pour que l’industrie française valorise et développe ce qui a toujours fait sa force : son savoir-faire.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui sur la désindustrialisation vient à point nommé.

Cela fait maintenant plusieurs décennies que, dans nos régions – nous sommes tous deux de la région Midi-Pyrénées, monsieur le rapporteur –, dans nos territoires, les gens s’interrogent : sommes-nous condamnés à subir la fatalité des délocalisations, condamnés à subir toujours plus de perte de notre tissu industriel ? Allons-nous vers ce que certains économistes appellent une « économie de services » ? Ou bien, ce dont je suis, comme vous, convaincu, l’industrie française a-t-elle un avenir ? Et quelles politiques pouvons-nous mettre en œuvre pour conforter le « site France », à l’heure de la concurrence internationale et de la mondialisation ?

Toutes ces questions, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires les a posées au cours de plusieurs mois de travail sur le terrain. Aussi me permettrez-vous de rendre hommage au travail de tous ses membres, sous l’égide de son président, Martial Bourquin, dont nous savons tous à quel point ces sujets lui tiennent à cœur.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, notre conviction, au sein du groupe socialiste, tient en peu de mots : oui, la France a un avenir industriel, et l’avenir de notre pays passe, en grande partie, par la reconstruction d’industries fortes, durables, permettant de faire face aux défis de demain. Il me semble d’ailleurs qu’il y a, sur ce sujet, un large consensus politique.

C’est, en revanche, sur le diagnostic et les remèdes que les analyses divergent.

Sur le diagnostic, la majorité présidentielle – le rapport qui nous est proposé semble aussi aller en ce sens – a pris l’habitude d’incriminer deux facteurs principaux : le coût et la durée du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mais peut-on vraiment s’arrêter là ?

J’ai souvenir d’un rapport d’information qui avait été établi au nom de la commission des affaires économiques du Sénat voilà sept ans, par un groupe de travail présidé par Christian Gaudin, et dont le rapporteur était Francis Grignon. Il était intitulé Délocalisations : pour un néo-colbertisme européen. Je vous engage à lire ce rapport, qui n’arrivait pas vraiment aux mêmes conclusions. Nous avions essayé à l’époque de ne pas tomber dans ce type de vision un peu manichéenne qui en revient systématiquement au coût et à la durée du travail.

Pour ce qui est du coût du travail, je ne m’attarderai pas ici sur les appréciations divergentes que nous pouvons faire des statistiques – Mme Lamure vient encore de nous en donner un exemple –, notamment en termes de comparaisons franco-allemandes, car on peut, j’en suis persuadé, faire dire tout et son contraire aux statistiques.

Je me bornerai à dire que, quoi que l’on fasse, notre pays ne pourra à l’évidence jamais rivaliser avec le coût de la main-d’œuvre dans les pays en développement. Ou alors notre modèle social serait totalement à remettre en cause, et il faudrait le dire...

C’est donc non pas en nous limitant au thème de la compétitivité et du coût, mais en regardant du côté de l’innovation, de la recherche et développement, de la qualité de nos produits et de nos processus de fabrication que nous pouvons tracer des perspectives.

Mais il y a aussi la durée du travail ! À chaque intervention, on entend de grands plaidoyers sur les 35 heures ! Sur ce sujet, pratiquement tout a été dit. Pourtant, alors que cela fait maintenant près de dix ans que l’actuelle majorité est aux responsabilités, je constate que bien peu a été fait pour abroger ou faire disparaître les 35 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Les 35 heures constitueraient donc un bouc émissaire idéal.

Ce n’est donc pas du côté du coût et de la durée du travail que nous devons chercher la solution aux maux de notre pays. Tout au contraire, il nous faut œuvrer, sans relâche, à la mise en œuvre de stratégies industrielles innovantes, en pariant sur des industries d’avenir en lien avec les territoires.

Car la désindustrialisation frappe d’abord, et de plein fouet, des territoires qui cumulent déjà les difficultés et les handicaps, nous en savons quelque chose : l’enclavement, l’éloignement par rapport aux grands centres de décision, la perte historique d’industries traditionnelles, comme la sidérurgie ou le textile.

Alors, au-delà de tous les discours, quels efforts mettez-vous véritablement en place pour accompagner ces territoires ? Quelles sont les modalités d’anticipation auxquelles vous réfléchissez pour éviter en amont les délocalisations ? Quels dispositifs spécifiques, quel volontarisme renforcé mobilisez-vous pour éviter de les transformer durablement en déserts français ?

Lorsque s’est produit le dramatique accident d’AZF à Toulouse, qui, bien sûr, sur le plan humain, a été extrêmement douloureux, mais qui, sur le plan économique, s’est soldé par 1 400 à 1 500 suppressions d’emploi, le Gouvernement a immédiatement mis en place un dispositif de zone franche, qui a incité les investisseurs à venir à Toulouse et dans les environs. Donc, sur le plan purement fiscal, il était plus intéressant de venir s’installer à Toulouse que dans d’autres départements plus excentrés de Midi-Pyrénées, notamment en Ariège, département dont je suis élu, qui a perdu, sur un bassin d’emplois d’environ 20 000 habitants, 5 500 emplois industriels…

Que faisons-nous aujourd'hui pour empêcher que ces départements, ces territoires ne soit pas purement et simplement éliminés de la carte ?

Aujourd’hui, en matière de politique industrielle, nous assistons à du pilotage à vue, comme l’a relevé Martial Bourquin. Pour l’industrie photovoltaïque, par exemple, c’est une véritable politique industrielle à l’envers qui a été conduite : d’abord, ont été mis en place des dispositifs incitatifs tellement généreux qu’ils ne pouvaient que favoriser la spéculation et les produits d’importation ; puis, alors qu’une filière industrielle commençait à se structurer en France, un moratoire a été décidé – c’est, à ma connaissance, la première fois qu’est mis en place un moratoire sur un dispositif qui fonctionne ! –, tuant dans l’œuf de nombreuses entreprises qui avaient pourtant de belles perspectives de développement à moyen et à long terme.

C’est tout le contraire qu’il faut faire. Notre pays doit renouer avec l’ambition qui était la sienne après la Seconde Guerre mondiale : identifier quelques grands secteurs stratégiques pour l’avenir, et mettre en place de vraies politiques industrielles pour les soutenir sur le long terme.

Ces secteurs, nous les connaissons bien, et les sénateurs socialistes en dressent une liste indicative dans leurs propositions. Je pense notamment au secteur de la croissance verte, où se développent des produits et des processus de fabrication souvent révolutionnaires : ils sont en train de donner corps au nouveau modèle de développement économique et social que nous voulons.

Je pense tout particulièrement aux énergies nouvelles, sur lesquelles nous devons miser massivement si nous ne voulons pas, une nouvelle fois, être distancés par l’Allemagne, l’Espagne, la Chine et les États-Unis.

Je pense aussi, dans le domaine du textile, au soutien que nous pourrions apporter à ce que l’on appelle les tissus intelligents.

Je pense aussi à de grands projets d’infrastructures européens, notamment en matière ferroviaire, pour structurer le continent et favoriser le ferroutage.

Ainsi l’Europe des projets succédera-t-elle à l’Europe du rejet, en se projetant de nouveau dans l’avenir.

Et, bien sûr, il faut une gouvernance publique adaptée pour piloter les politiques industrielles, comme l’a notamment souligné notre collègue Philippe Leroy.

C’est bien pour cela, et non par idéologie ou par conservatisme, que nous plaidons pour un « acte III » de la décentralisation, en lieu et place de la réforme territoriale que vous avez voulue – je sais que le rapporteur était un peu réticent – et qui compliquera un peu plus encore le rôle des régions en matière de pilotage économique.

C’est cette gouvernance décentralisée, qui dote les collectivités des bons outils pour structurer les filières et investir dans les secteurs stratégiques, qui fait la force de l’Allemagne, beaucoup plus qu’un coût de la main-d’œuvre prétendument inférieur.

Et c’est pour cela que le projet socialiste prévoit « une nouvelle politique industrielle », avec une banque publique et des fonds régionaux d’investissement ainsi qu’une attention toute particulière prêtée à nos PME.

Mes chers collègues, ce débat au Sénat vient conclure provisoirement les travaux de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.

Dans les mois qui viennent, la Haute Assemblée devra continuer à jouer tout son rôle sur ce dossier essentiel, parce que nous sommes la chambre haute du Parlement, et qu’il nous appartient, à ce titre, en tant qu’assemblée politique, de nous faire l’écho des préoccupations de nos concitoyens ; parce que nous sommes les représentants des collectivités territoriales et que, sans elles, sans leur concours, sans une réelle confiance placée dans les territoires de notre République, aucune ambition ne dépassera le stade des vœux pieux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, comme ceux qui m’ont précédé à cette tribune, à saluer le travail accompli par la mission commune d’information sous l’égide de son président et de son rapporteur. Quand je n’ai pas pu être présent, j’ai lu avec beaucoup d’attention les comptes rendus des différents déplacements. J’espère que cette discussion nous permettra de mesurer les enjeux pour notre pays d’une véritable politique industrielle.

Parmi les variables explicatives des carences dont souffre notre économie en matière industrielle, nous souhaitons insister sur le sous-investissement structurel, qui est, selon nous, le facteur crucial.

Monsieur le rapporteur, vous privilégiez dans votre analyse une lecture comptable du coût et de la durée du travail, lecture qui est d’ailleurs fausse si l’on compare la situation de notre pays à celle de l’Allemagne. Je regrette que vous n’ayez pu participer au déplacement à Stuttgart, car vous auriez alors entendu les propos de différents dirigeants, et non des moindres, de grandes entreprises de ce land remarquable et compris ce qu’il en était du coût et de la durée du travail.

Comme nous ne pouvons prendre le sillage de la formidable dynamique chinoise, nous ne pourrons pas non plus plagier le modèle mercantiliste allemand, qui ne manquera pas, à terme, de s’essouffler.

La comparaison des taux de croissance de nos deux pays sur les dix dernières années montre que l’Allemagne a connu une croissance moyenne de 0, 8 % quand la France faisait 1, 5 %. Or, c’est à partir de 2006 – une date que l’on peut situer sur l’échiquier politique – que les courbes se sont croisées et que la France a connu une véritable rupture industrielle. Tout dépend donc de notre capacité à nous positionner face au défi des « ruptures technologiques » : ce sera seulement à cette condition que notre économie pourra s’inscrire dans la stratégie de Lisbonne de l’économie de la connaissance.

Cela suppose que notre appareil industriel acquière les aptitudes visant à intégrer des innovations technologiques radicales, des technologies profondément différentes des technologies précédemment dominantes et pouvant bouleverser les usages et les marchés.

Cela suppose également que l’on cible des secteurs-clefs sur lesquels nous devons faire porter nos efforts en matière de politique industrielle parce qu’ils sont susceptibles de tirer notre économie vers le haut.

Cela a été évoqué, les éco-industries doivent permettre de faire évoluer le mix énergétique, tout en permettant de conserver – j’insiste sur ce point – l’objectif d’indépendance énergétique et le gain de compétitivité du prix de notre énergie. Car il ne peut exister de politique industrielle sans politique énergétique.

Or, vous le savez, l’État se défait aujourd’hui de ses leviers d’action, en particulier dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, et ferme le champ des actions envisageables, et ce alors même que les circonstances actuelles – je pense au Japon – et l’ambition industrielle plaident en faveur d’une stratégie inverse.

Vous agissez à contresens de l’Histoire, voire au mépris du bon sens, sinon à contretemps.

Les biotechnologies, les nanotechnologies, la biologie de synthèse sont autant de secteurs où nous sommes aujourd’hui en mesure de prendre l’ascendant pour peu que les bonnes décisions politiques soient prises.

Ainsi, la biologie de synthèse permet de déboucher sur la conception de systèmes biologiques artificiels dont la progression des connaissances doit rapidement se concrétiser par des applications industrielles à haute valeur ajoutée dans les domaines de l’informatique, de la santé, de l’environnement, voire du photovoltaïque.

Il est inutile de vous rappeler qu’il s’agit d’un enjeu industriel majeur dont nous ne pouvons faire l’économie. Nous sommes ici à la lisière de la recherche fondamentale et de l’innovation. Cela suppose que nous investissions fortement dans les nanotechnologies, la chimie du vivant et, de manière plus générale, dans les sciences de la vie et de l’information.

En effet, que ce soit par une stratégie sectorielle ou par des stratégies fondées sur l’incitation à l’innovation – le fameux crédit d’impôt recherche –, la France doit se mettre en capacité d’intégrer les ruptures technologiques.

Le secteur de l’énergie photovoltaïque est emblématique de notre incapacité à absorber ces ruptures. Je ne reviendrai pas sur la situation décrite à l’instant par Jean-Pierre Bel et sur l’aveu d’échec que représente le moratoire de la filière photovoltaïque. Vous avez en fait constitué une « bulle » autour du photovoltaïque – même EDF s’y est mis ! Pis, le bilan carbone des matériels importés, majoritairement de Chine, s’est révélé négatif.

Cet exemple traduit l’échec d’une filière dans laquelle nous pourrions jouer un rôle leader – vous le savez très bien, nous avons des potentiels de développement aussi bien au CEA qu’au MINATEC de Grenoble –, mais démontre surtout l’incapacité de notre pays à mettre en œuvre une stratégie gagnante, même lorsque nous possédons des atouts et des potentiels.

La France a tenté de se doter d’un des systèmes les plus favorables au monde avec le CIR, lancé par le gouvernement de Lionel Jospin et réformé en 2008. Mais de nombreux rapports ont montré les déséquilibres et les dérives dont souffre ce dispositif ; nous les avons largement évoqués en commission.

Je regrette que nous n’ayons pas été suivis par nos collègues lors de la discussion de la loi de finances, alors qu’un amendement aurait pu faire évoluer les taux du CIR pour les PME innovantes. Il ne suffit pas de vanter ici à tout propos l’innovation, il faut aussi donner les moyens aux jeunes équipes innovantes. Le dispositif devra être encore plus efficient pour favoriser l’innovation.

Enfin, l’État doit assumer ses responsabilités par une mobilisation des salariés, qui a été évoquée tout à l’heure, ce à quoi répondrait l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle. Elle aurait pour objectif – nous l’avons constaté à Stuttgart – de conserver à la fois la qualification des salariés dans les entreprises et ce potentiel de développement afin de franchir avec succès les ruptures technologiques.

Il faut donc conforter les aides directes à l’innovation, notamment octroyées par Oséo ; quant au fonds régional d’aide à l’innovation, il a déjà été évoqué.

Ce sont ces aides qui, en favorisant l’innovation dans les secteurs d’activité les plus variés, nous permettront de nous positionner au niveau mondial et parfois comme leader dans certains domaines qu’il reviendra aux responsables, notamment au Gouvernement, de sélectionner.

Mes chers collègues, c’est en allant dans cette direction que nous renouerons avec une croissance durable pour la France, à condition de nous mettre en position de compétition par rapport aux pays émergents. Ces derniers vont sauter les étapes en bénéficiant de certains acquis, ce qui pose de nouveau la question de la propriété intellectuelle, mais il s’agit d’un autre débat ! Nous devons opérer un rattrapage accéléré dans la décennie à venir : la sauvegarde de notre industrie et de notre modèle social est en jeu.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement notre collègue Martial Bourquin, qui est à l’initiative, avec le groupe socialiste, de cette mission ; il n’a pas ménagé ses efforts pour mener à bien une entreprise qui s’est révélée tout à fait nécessaire.

Durant près d’un an, nous avons auditionné de très nombreuses personnalités, effectué de multiples déplacements, et réuni les éléments nécessaires pour afficher un diagnostic complet et sans concession de la désindustrialisation de notre pays.

L’intérêt témoigné pour notre démarche par les acteurs rencontrés et la sincérité des échanges expliquent la déception que nous avons ressentie quand nous ont été livrées les premières versions du rapport, puis son ultime mouture, pourtant sérieusement remaniée.

Notre déception s’explique par le fait que le Sénat avait l’occasion d’afficher une forme d’indépendance par rapport au pouvoir en place, mais qu’il n’a pas voulu ou pas su saisir cette occasion opportune.

Il s’agit d’un acte manqué, la majorité ayant choisi de travailler sous la tutelle du Gouvernement, dans la continuité des conclusions affichées à l’occasion des états généraux de l’industrie. J’en veux pour preuve cette forme d’allégeance que constitue la justification plus que poussive de la suppression de la taxe professionnelle.

M. le rapporteur a expliqué les avantages supposés pour les entreprises de la suppression de cette taxe. Je voudrais, en ce qui me concerne, évoquer l’autre côté du miroir, celui qui intéresse les collectivités territoriales.

Avec cette réforme, le Gouvernement ignore, ou feint d’ignorer, le rôle central des collectivités locales pour l’attractivité et l’essor économique des territoires. Personne ne peut le nier, l’affaiblissement de leur lien fiscal avec les entreprises scelle la dévitalisation programmée des territoires.

Le rapport de la mission comporte dix-sept propositions dont la plupart ne sont pas à écarter, mais elles s’apparentent trop à des mesures techniques qui, par définition, font l’impasse sur l’enjeu politique de ce dossier. C’est là que se dévoile, sans surprise, le clivage qui sépare encore et toujours la gauche de la droite, ici comme ailleurs.

À travers ces propositions, le rôle joué par le crédit d’impôt recherche, le Fonds stratégique d’investissement, Oséo, les pôles de compétitivité, le grand emprunt et la Caisse des dépôts et consignations est central : voilà autant de structures et d’outils dans lesquels l’État et les collectivités territoriales sont parties prenantes et qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler la « puissance publique ».

Cette puissance publique est trop souvent reléguée au second plan et cantonnée, dans le pire des cas, dans le rôle de bailleur de fonds, d’aménageur ou de simple prestataire de services. Nous ne pouvons pas accepter pour elle ce rôle réducteur, déconnecté de choix politiques faits en amont.

Parce que nous préférons la compétitivité-innovation et la bonne performance à la compétitivité low cost et à l’hyper-concurrence, il est évident pour nous que la réindustrialisation de notre pays exige une nouvelle forme d’intervention renforcée de cette puissance publique pour anticiper, coordonner et impulser.

Dans un autre registre, nous pensons que le rôle de l’État comme actionnaire des grandes entreprises doit être mieux affirmé : il doit pouvoir parler haut et fort par l’intermédiaire de ses représentants quand cela est nécessaire. Je pense notamment aux secteurs industriels dont la stratégie relève de l’intérêt national, comme EADS. Ses succès commerciaux actuels sont les bienvenus, mais ils ne sauraient nous faire oublier les errements d’un passé pas si lointain, marqué par le plan Power 8. Les aléas de l’aéronautique, comme d’autres secteurs, justifient des interventions à caractère anticipateur plutôt que réparateur.

En évoquant l’anticipation, que dire au passage de la tentation avouée, sans plus de précisions, par Lagardère de se défaire de ses 7, 5 % du capital de l’entreprise où il est pourtant le partenaire privilégié de l’État à travers la Sogeade, la Société de gestion de l’aéronautique, de la défense et de l’espace ?

Pour revenir au rôle de l’État dans le secteur aéronautique, la structuration en filières est indispensable : elle est, semble-t-il, à l’ordre du jour. Le Gouvernement a créé à cet effet les fameux comités stratégiques de filières. Au moment où l’émergence d’un champion français en matière d’aérostructures autour d’Aerolia, de Latécoère, de Daher-Socata et de Sogerma s’impose comme une nécessité, le Gouvernement nous apporte des réponses minimalistes : selon lui, il appartient aux industriels de faire le nécessaire, à la suite de quoi l’État envisagerait d’accompagner et, éventuellement, d’aider par le biais du Fonds stratégique d’investissement. Autrement dit, l’État fait sienne la devise : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! », ce qui relativise singulièrement l’utilité du comité stratégique de filière !

Notre travail démontre pourtant le caractère indispensable de l’intervention de l’État pour affronter les problèmes structurels et conjoncturels rencontrés par l’industrie, en redonnant d’abord aux choix politiques en amont toute leur dimension.

Dans un tel contexte, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est impossible que les membres du groupe socialiste votent ce rapport : notre assemblée a manqué une occasion de mettre sa force de proposition au service d’une politique de réindustrialisation dont notre pays a pourtant bien besoin.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce fut pour moi un privilège de participer à une telle mission. Je remercie chaleureusement son président, Martial Bourquin, d’avoir su animer nos travaux sur un sujet aussi stratégique.

Je ne reviendrai pas sur le tableau, déjà dressé en filigrane ou de façon explicite, des ravages de la financiarisation de l’économie et des conséquences de la casse industrielle induite par l’application d’une certaine politique, ni sur tous les points fondamentaux qui ont été évoqués par les orateurs précédents ; je me bornerai à formuler quelques remarques, souvent issues de nos expériences d’élus locaux, qui ont inspiré certaines de nos préconisations.

En effet, après avoir nous aussi fait le constat de la désindustrialisation de nos territoires, nous avons très vite souhaité présenter des propositions en vue de leur réindustrialisation : nous ne souhaitions pas nous contenter de pointer des responsabilités politiques ou des divergences.

Cela nous amène à plaider en faveur non pas d’un nouveau dispositif de lutte contre le déclin de l’industrie française, mais d’une véritable révolution en matière de politique industrielle. Il convient en effet de ne pas miser uniquement sur une économie de services, choix qui semblait s’imposer encore récemment.

Nous devons prendre en compte la réalité de l’évolution industrielle, marquée par une recomposition concernant à la fois le poids des différentes activités et leur répartition géographique. Ainsi, l’idée de renforcer l’industrie manufacturière dans son ensemble, en se contentant d’apporter un soutien ponctuel aux entreprises composant le tissu industriel français, semble devenue obsolète.

Le soutien à l’industrie s’inscrit en réalité dans une politique plus générale de soutien à l’innovation, au pouvoir d’achat et à l’emploi, ainsi qu’aux collectivités territoriales. Ces dernières doivent en effet pouvoir disposer des moyens nécessaires pour parier de nouveau sur l’intelligence territoriale. Il me semble vital qu’elles puissent être en mesure d’encourager une réelle politique de contractualisation, menée sur leur initiative – je suis en désaccord sur ce point avec notre collègue Philippe Leroy – et propre à rassembler les différents acteurs : métropoles, départements, communautés d’agglomération, territoires, pays… Cela permettrait d’instaurer une cohérence qui, aujourd’hui, fait défaut.

La grande majorité des experts que nous avons auditionnés dans le cadre de la mission sont formels sur le point suivant : en des temps d’innovation intense, une organisation industrielle, pour être efficace, doit avant tout permettre d’allier, grâce à l’impulsion donnée par les pouvoirs publics, concurrence et coopération. À Sophia-Antipolis, nous avions ainsi développé, voilà une dizaine d’années, le concept de « coopétition », consistant à conjuguer compétition et coopération afin d’établir des maillages.

Nous proposons donc d’inciter à la constitution de réseaux d’entreprises ; une telle mesure doit être au cœur du dispositif d’aide au renouveau de l’industrie.

Nous préconisons par ailleurs la mise en place de mécanismes ciblés en faveur des PME et des TPE : l’élaboration d’un Small Business act apparaît à cet égard comme une urgence. Il importe en outre de garantir le financement de leurs investissements en aval de la phase de recherche-développement.

Je ne reviendrai pas sur la nécessité d’instituer un cadre fiscal stable.

En conclusion de mon propos, je rappellerai les quelques idées clés qui sous-tendent notre contribution.

Tout d’abord, selon nous, le rôle de la puissance publique est stratégique : nous ne pouvons pas nous en remettre, dans ce domaine, à la main invisible du marché.

Ensuite, il est essentiel de soutenir les PME et de cesser de ne se préoccuper que des seules entreprises du CAC 40.

Enfin, les choix opérés en matière de politique fiscale sont particulièrement importants, tout comme le contrôle des mécanismes d’aide publique.

L’existence de clivages profonds et légitimes ne doit cependant pas occulter la nécessité que notre pays retrouve une véritable ambition en matière de politique industrielle, en s’appuyant sur l’intelligence de ses territoires, le talent de ses créateurs et les forces du monde du travail, souvent ignorées, sinon méprisées.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir félicité M. le rapporteur de son excellent travail, tout à l’honneur du Sénat, je souhaite évoquer le développement international de nos PME, lequel n’est pas synonyme de désindustrialisation de nos territoires.

On exprime souvent la crainte que le développement de nos petites et moyennes entreprises à l’étranger ne constitue le premier pas vers un transfert de leurs activités hors de France, avec les pertes d’emplois que cela implique.

Pourtant, il semblerait que ce soit le contraire qui se produise. Ainsi, on observe que près de 25 % des PME de notre voisin d’outre-Rhin sont internationalisées, alors que, en France, ce même taux atteint péniblement 10 %. Le dynamisme économique allemand prouve que développement à l’étranger des activités des entreprises, y compris industrielles, n’est pas synonyme de désindustrialisation. En France, 25 % des exportations industrielles sont réalisées par des PME, contre 50 % en Allemagne.

Mais se développer à l’international ne signifie pas seulement exporter davantage, cela suppose surtout d’implanter des activités à l’étranger. Cette internationalisation vise non pas à remplacer les activités exercées sur le territoire national, mais à les compléter, à les renforcer. Dans ces conditions, loin d’affaiblir l’économie nationale, l’expansion des petites et moyennes entreprises à l’étranger est un facteur de compétitivité et de développement sur notre territoire.

L’une des clés de la réussite économique de nos entreprises industrielles est donc l’incitation au développement international.

Les PME sont sources d’emplois, notamment au bénéfice des plus jeunes, comme l’illustre le succès du volontariat international en entreprise, qui mériterait d’être largement développé, notamment en faveur des PME.

Ce point me semble d’autant plus important que les annonces récentes relatives à la création d’une exit tax contribuent à alimenter l’image tendancieuse d’expatriés quittant la France motivés par de bas calculs fiscaux, alors que nombre d’entre eux sont en réalité des entrepreneurs, trop peu épaulés dans leur démarche, pourtant créatrice de richesses et d’emplois.

Comme le souligne Arnaud Vaissié, président de la chambre de commerce française de Grande-Bretagne, les Français ne sont pas moins entrepreneurs que leurs voisins européens, mais, une fois nos PME créées, elles peinent à acquérir une stature internationale comparable à celle de leurs concurrentes allemandes ou britanniques, soit parce que l’environnement économique français ne leur est pas assez favorable, soit parce qu’elles sont revendues trop tôt.

L’« équipe de France de l’export », lancée par Anne-Marie Idrac en 2008, a constitué un véritable pas en avant en matière de synergie entre les différents opérateurs de l’appui à l’export. À tous les niveaux, de plus en plus d’acteurs sont sensibilisés à la problématique spécifique de l’internationalisation des PME. Ainsi, en 2010, 1 500 entreprises ont bénéficié du conseil douanier personnalisé du pôle PME des douanes. La simplification des procédures, qui devrait permettre de créer une entreprise en quelques heures, va également dans le bon sens ; je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir insisté sur ce point. L’appui à l’auto-entrepreneuriat ou l’autonomie des universités, qui permettra, à terme, le développement de partenariats avec les entreprises, constituent aussi des signaux positifs. Mais comment aller plus loin, pour mettre en place une véritable politique d’internationalisation des entreprises ?

L’information des PME sur les dispositifs d’aide à l’internationalisation, qu’ils soient français ou européens, pourrait encore être renforcée, car la complexité et les délais liés aux procédures constituent encore aujourd’hui un frein puissant. Un formidable travail est déjà réalisé par Ubifrance, et les 205 missions économiques – dont 66 sont désormais gérées par Ubifrance –, ainsi que par le réseau des 114 chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger, qui réunit plus de 25 000 entreprises dans 78 pays. Cependant, des synergies devraient être développées avec un plus grand nombre d’acteurs de terrain et de structures locales. Les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, dont beaucoup sont eux-mêmes des entrepreneurs, devraient être davantage associés à ce travail.

Je pense en particulier, à cet égard, aux problèmes de financement des PME françaises installées à l’étranger. La loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, qui permet aux dispositifs de défiscalisation de contribuer au financement des PME, va dans le bon sens. Plusieurs outils existent pour financer les entreprises à l’étranger, tels que OSÉO ou COFACE, mais ils restent encore trop souvent inaccessibles à nos PME, qui ont, de plus, souffert depuis 2008 des restrictions du crédit engendrées par la crise internationale. Dans les pays en développement, l’Agence française de développement, l’AFD, ne pourrait-elle pas financer davantage de projets portés par des PME françaises, dans des domaines ciblés où la France dispose de véritables avantages comparatifs ? Je pense par exemple au secteur du tourisme ou à celui des technologies vertes. Tout en contribuant au respect des engagements de la France en matière d’aide au développement, cela permettrait de soutenir nos PME. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelles coopérations existent ou sont en cours de discussion entre vos services et l’AFD ?

Enfin, eu égard aux multiples crises qui, du Japon à la Côte d’Ivoire en passant par l’Égypte, ont déstabilisé les tissus économiques locaux et fortement affecté nos PME sur place, j’aurais souhaité savoir si des dispositifs d’indemnisation ou d’aide à la sortie de crise ont été envisagés au bénéfice de nos entrepreneurs locaux.

Monsieur le ministre, s’il est essentiel de lier la réindustrialisation de notre territoire au développement des exportations, il importe avant tout de créer un véritable esprit d’entreprise dans notre pays. Un sondage a fait apparaître que, alors qu’un jeune Anglo-Saxon envisage de créer une entreprise à l’issue de ses études, un jeune Français souhaite intégrer un grand groupe. Nous devons vraiment travailler sur ce point.

Dans cet esprit, il convient d’identifier les secteurs dans lesquels nous pourrions favoriser la création d’entreprises. Voilà quelques mois, j’ai demandé que nos consulats à l’étranger, en particulier dans les pays d’Afrique, puissent s’équiper en défibrillateurs. Or je me suis aperçue qu’aucune entreprise française ne fabriquait ces appareils…

Pour conclure, n’oublions jamais que les efforts des entreprises françaises à l’international contribuent au développement économique de notre pays.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique

Monsieur le président, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, après plusieurs mois d’auditions, de déplacements sur le terrain et de travaux que je sais avoir été nourris, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires a adopté son rapport le 5 avril dernier. Il s’agit d’un document dense, de 342 pages, qui comporte à la fois un constat et des propositions.

Pour ce qui me concerne, je n’évoquerai que brièvement le constat contenu dans ce rapport, puisque la mission commune d’information m’avait auditionné longuement sur ce sujet le 15 décembre dernier.

Après avoir écouté avec intérêt tous les intervenants – je leur répondrai dans un second temps –, je crois pouvoir dire que nous partageons globalement un même sentiment : un phénomène de désindustrialisation, dont l’ampleur reste à déterminer, est en cours depuis de nombreuses années en France comme dans plusieurs autres pays occidentaux.

Il importe surtout de savoir comment nous pouvons lutter contre ce phénomène. C’est sur cet aspect que je centrerai mon intervention, en rappelant dans un premier temps les initiatives prises par le Gouvernement depuis 2007 et en exposant celles que j’entends prendre dans les mois à venir.

S’agissant d’abord du constat, la France connaît un phénomène de désindustrialisation, mais son ampleur diffère selon les territoires et les secteurs.

Le rapport de la mission commune d’information donne une définition intéressante de la désindustrialisation, issue des travaux de l’économiste Lionel Fontagné : celui-ci décrit la désindustrialisation comme « la diminution de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total ».

Si l’on retient cette définition, il est indéniable que, sous le double effet de la progression du poids des services dans notre économie, y compris celui des services à l’industrie, et de la croissance de la population active, un phénomène de désindustrialisation est en effet à l’œuvre en France depuis de nombreuses années.

Ce constat est partagé par l’ensemble des membres de la mission commune d’information. Il convient cependant de mesurer l’ampleur exacte de ce phénomène ; comme je vous l’avais dit le 15 décembre dernier, la situation me paraît contrastée selon les secteurs industriels et les territoires.

En ce qui concerne tout d’abord les secteurs industriels, si certains d’entre eux, comme l’automobile, ont été particulièrement touchés par la crise – ce qui a justifié l’intervention de l’État, notamment sous la forme de l’octroi d’un prêt de 3 milliards d’euros à nos deux grands constructeurs automobiles, qui vont aujourd’hui même terminer par anticipation de le rembourser –, d’autres restent, pour leur part, créateurs nets d’emplois industriels.

À cet égard, je pense notamment au secteur de l’énergie, dans lequel nous disposons de champions nationaux comme EDF, Areva, Total, Alstom ou GDF-Suez, à celui des hautes technologies, avec Gemalto, Thalès, Alcatel-Lucent, Dassault-Systèmes, ou à celui de la chimie, avec Arkéma, Sanofi-Aventis, Biomérieux ou Rhodia-Solvay.

Je pense également au secteur aéronautique, que plusieurs d’entre vous connaissent bien, en particulier M. Chatillon. Notre pays, seul au monde dans ce cas avec les États-Unis, présente la particularité d’être présent sur l’ensemble de la chaîne de construction aéronautique : Airbus est le leader mondial pour les avions commerciaux de plus de 100 places, Eurocopter est le leader mondial pour les hélicoptères civils et parapublics, Dassault compte au nombre des leaders mondiaux pour les avions d’affaires haut de gamme, la SNECMA est le leader mondial pour les turbomoteurs et les turbines pour hélicoptères, Messier-Bugatti est le leader mondial pour les freins en carbone, Labinal est le leader mondial pour le câblage aéronautique…

En ce qui concerne ensuite les territoires, certaines régions tirent bien leur épingle du jeu. Par exemple, l’industrie représente encore 28 % de l’emploi en Franche-Comté, terre d’implantation de l’industrie automobile. De leur côté, les régions les plus touchées par la crise économique ont bénéficié de l’ensemble des outils d’aide mis en œuvre par l’État : je pense par exemple aux Ardennes, où le Président de la République s’est rendu la semaine dernière pour rappeler la mobilisation de l’État en faveur des territoires les plus affectés.

Le constat est donc plus nuancé que l’on veut parfois le faire croire. Le Gouvernement le partage, ce qui l’a conduit à réagir dès 2007 pour lutter contre un phénomène de désindustrialisation amorcé bien avant.

Je rappellerai brièvement les actions menées depuis 2007 par le Gouvernement.

Le rapport de la mission commune d’information met en exergue dix-sept grands types de propositions. Je constate que, dans leur grande majorité, ses propositions sont cohérentes avec les actions d’ores et déjà mises en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre la désindustrialisation.

Je pense notamment aux initiatives prises en matière d’innovation, de mise en place de pôles de compétitivité ou encore de promotion d’une culture industrielle forte.

S’agissant d’abord des actions entreprises en matière de recherche et développement, je rappelle que le Gouvernement a bataillé ferme, lors de l’élaboration de la dernière loi de finances, pour que le crédit d’impôt recherche, dont la réforme de 2008 a permis de tripler le montant, soit préservé à l’identique. Je sais que beaucoup d’entre vous, notamment M. Chatillon, sont très attachés au crédit d’impôt recherche. Ce dispositif représente aujourd’hui une dépense fiscale et un investissement pour l’avenir de plus de 4 milliards d’euros par an. Il profite à la fois aux petites entreprises – on oublie trop souvent que 84 % des bénéficiaires du crédit d’impôt recherche sont des PME de moins de 250 salariés – et aux grandes entreprises, dont certaines prennent leurs décisions de localisation en fonction du crédit d’impôt recherche.

Je rencontre souvent des dirigeants de grandes entreprises qui me disent que, sans le crédit d’impôt recherche, certains centres de recherche et développement auraient peut-être été implantés ailleurs qu’en France. Les chiffres sont là pour le prouver : vingt-cinq nouveaux centres de recherche et développement d’entreprises étrangères se sont implantés en France en 2008, quarante et un en 2009 et cinquante et un en 2010.

Je sais que le rapport de la mission commune d’information demande que l’on aille encore plus loin. La mission souhaiterait par exemple que le crédit d’impôt recherche, qui a fait la preuve de son efficacité, soit étendu à l’aval du cycle de recherche et développement, afin notamment de permettre de financer des dépenses de « prototypage ».

Je ne peux évidemment pas me déclarer opposé à une telle mesure ; en tant que ministre chargé de l’industrie, je n’y verrais même que des avantages. Cependant, disons-le clairement : elle a un coût significatif, de l’ordre d’au moins plusieurs centaines de millions d’euros, ce qui rendrait sa mise en place difficile dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Un deuxième groupe de propositions formulées par la mission commune d’information, sur lesquelles M. Chatillon a insisté dans son intervention, a trait à l’accélération de la politique des pôles de compétitivité.

Comme vous le savez, ceux-ci sont plébiscités d’une façon unanime. Depuis leur création, près de 6 milliards d’euros de projets collaboratifs de recherche et développement ont été financés.

Le Gouvernement est bien décidé à continuer à soutenir les pôles de compétitivité. Lors de ma visite à la foire industrielle de Hanovre, le 7 avril dernier, j’ai annoncé la création d’un dispositif de soutien à la trésorerie des pôles de compétitivité, en partenariat avec OSÉO : tout pôle de compétitivité qui en fera la demande auprès d’OSÉO pourra bénéficier d’un concours de trésorerie ou d’une autorisation de découvert à hauteur de 30 % des aides publiques reçues l’année précédente.

Par ailleurs, et de façon encore plus significative, près de 3 milliards d’euros des investissements d’avenir seront affectés dans quelques jours au soutien aux nouveaux instituts de recherche technologique, les IRT, et aux instituts d’excellence en énergie décarbonée, les IEED, destinés à renforcer les pôles de compétitivité.

Le rapport de la mission commune d’information contient enfin des propositions tendant à « promouvoir une véritable culture industrielle ». Le Gouvernement s’y est déjà attelé. Le ministère de l’industrie a ainsi organisé, du 4 au 10 avril derniers, en partenariat avec les fédérations industrielles, la première « semaine de l’industrie », destinée à mieux faire connaître les métiers de l’industrie au grand public, notamment aux jeunes. Cette « semaine de l’industrie » a rencontré un large succès : 1 500 manifestations, organisées dans toute la France, ont rassemblé près de 100 000 personnes. Les états généraux de l’industrie, réunis en 2010 par mon prédécesseur Christian Estrosi, avaient déjà permis de mettre en évidence un manque de visibilité et d’attractivité de l’industrie aux yeux du grand public. Nous devons tous nous attacher à faire mieux connaître, et à mieux valoriser, les métiers de l’industrie.

De façon plus générale, nous recherchons les moyens de créer un véritable esprit de solidarité au sein de notre industrie, à l’instar de celui qui peut exister en Allemagne.

Madame la sénatrice Élisabeth Lamure, je crois que la Conférence nationale de l’industrie a un rôle primordial à jouer à cet égard. Il lui revient en effet de favoriser la coopération à l’intérieur des filières, mais aussi de débattre des grands sujets industriels du moment, tel l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne. J’indique à M. Bourquin que nous disposons nous aussi de douze comités stratégiques de filière, dans douze secteurs qui nous ont paru essentiels ; il appartient à la Conférence nationale de l’industrie de coordonner leur action.

Je sais que ce thème de la compétitivité, envisagé notamment sous l’angle du coût du travail, a fait débat au sein de la mission commune d’information. Il me semble qu’il faut, dans ce domaine, adopter une démarche pragmatique.

Le rapport que Michel Didier m’a remis le 25 janvier dernier mentionne douze facteurs de nature à expliquer notre écart de compétitivité avec l’Allemagne. Il est demandé à la Conférence nationale de l’industrie de réfléchir sur ces douze facteurs, et non pas seulement sur celui que constitue le différentiel existant en termes de coûts du travail.

L’étude des questions relatives à la formation professionnelle et à l’alternance pourra également être confiée à la Conférence nationale de l’industrie, madame Lamure. Il s’agit d’un enjeu majeur pour nos industries, régulièrement mis en exergue par les fédérations professionnelles et sur lequel la Conférence nationale de l’industrie pourrait utilement se pencher à l’avenir.

Comme vous le voyez, le Gouvernement a d’ores et déjà mis en place une grande partie des propositions que vous avez formulées. Ces actions menées pour lutter contre la désindustrialisation commencent d’ailleurs à porter leurs fruits.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

L’INSEE a ainsi annoncé, le 22 avril, que le moral des industriels français s’était stabilisé en avril à 110 points, soit à un niveau supérieur de 10 points à la moyenne de longue période. Deux autres indicateurs sont également très encourageants : la production industrielle s’est accrue de plus de 6 % en 2010, ce qui n’était pas arrivé depuis près de quinze ans ; l’emploi industriel total a augmenté, fût-ce modestement, pour la première fois depuis 2000.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Je compte, dans les prochains mois, continuer sur cette lancée, afin d’essayer de renforcer la compétitivité et le dynamisme de notre industrie.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur nos priorités en matière d’industrie pour les mois à venir.

Je partage votre constat : un phénomène de désindustrialisation est à l’œuvre en France. Ce serait un leurre de croire que nous pouvons conserver en France le même volume d’activités et d’emplois industriels, toutes choses égales par ailleurs. La concurrence évolue, nos structures productives également, et notre tissu industriel ne peut rester à l’identique. Dans cette perspective, c’est de « plus d’industrie », mais aussi de « mieux d’industrie », dont nous avons besoin.

Je souhaite que notre industrie soit plus productive, plus compétitive, et qu’elle contribue au rééquilibrage de notre balance des paiements. L’industrie, qui représente 75 % de la dépense de recherche et développement et 80 % de nos exportations, doit participer davantage encore à la croissance de notre économie.

Je voudrais mentionner deux priorités.

Je souhaite d’abord promouvoir les technologies d’avenir, celles qui se diffusent à l’ensemble de l’économie et permettent d’en améliorer l’efficacité et la productivité.

Mon ministère a récemment publié, en février 2011, une enquête intitulée « Technologies clés 2015 », qui analyse les principales technologies d’avenir et, pour chacune d’entre elles, le positionnement que la France pourrait acquérir. Ce rapport contient un volet encourageant : la France se situe dans le « peloton de tête » pour les deux tiers des technologies clés et se positionne comme leader ou co-leader pour 20 % d’entre elles. Il faut désormais réussir à saisir le potentiel que représentent ces nouvelles technologies.

Cela étant, je suis d’accord avec vous, monsieur Leroy : si nous devons certes nous préoccuper des technologies d’avenir, la France doit maintenir un certain nombre de métiers plus traditionnels, notamment en améliorant l’action menée en matière de formation professionnelle et d’apprentissage. C’est en particulier dans ce cadre que, comme je l’indiquais précédemment, je souhaite que la Conférence nationale de l’industrie se saisisse du sujet de la formation et de l’adaptation aux métiers dans le milieu spécifique de l’industrie.

Je voudrais citer quelques exemples de secteurs que nous devons considérer comme prioritaires.

Je pense tout d’abord aux robots. Nous devons développer leur usage, à la fois chez les particuliers et dans les entreprises.

Chez les particuliers, la robotique de services a représenté un marché de 2, 3 milliards d’euros en 2010. Je souhaite faire de la France un pays leader en matière de robotique pour les particuliers. C’est une ambition à notre portée. En Île-de-France, tout un écosystème autour de ce secteur s’est d’ores et déjà développé au sein du pôle de compétitivité Cap Digital.

Onze projets ont déjà été menés sur cette thématique, représentant un investissement de 22 millions d’euros. L’un des plus emblématiques d’entre eux vise à développer un robot humanoïde d’une taille de 1, 40 mètre, qui sera un véritable assistant-compagnon personnel dans le monde réel. Ce robot doit être capable d’intervenir sur les objets du quotidien, d’aider une personne à se déplacer à domicile ou même de lui porter secours en cas de chute. Il a bénéficié d’une certaine visibilité, puisqu’il a accueilli la Chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre François Fillon à la foire de Hanovre.

S’agissant de la robotique dans les entreprises, la France accuse un retard notable, qui explique pour partie son déficit de compétitivité par rapport à l’Allemagne, où l’on compte en effet quatre fois plus de robots que dans notre pays. L’écart continue de se creuser, puisque 15 000 robots sont installés chaque année chez notre voisin, contre seulement 2 600 en France.

J’évoquerai un second exemple concret, celui des sciences du vivant, plus particulièrement des biotechnologies.

Grâce aux biotechnologies, domaine dans lequel les industries françaises détiennent déjà des positions de leader, nous pourrons non seulement gagner des parts de marché dans les secteurs industriels, mais aussi améliorer la qualité de vie et la santé de nos concitoyens.

La France s’illustre particulièrement dans le domaine de la thérapie cellulaire ou médecine régénérative, qui permet de réparer ou d’améliorer les fonctions d’un organe endommagé. C’est très clairement l’avenir de la médecine. Troisième pays au monde à réaliser des essais cliniques dans ce domaine, la France sera le premier à établir des standards normatifs.

Des entreprises telles que Transgene ou Cellectis se distinguent au niveau international. J’irai d’ailleurs ce jeudi même visiter cette dernière entreprise, qui développe un projet innovant de cellules souches ouvrant sur des applications potentielles dans plusieurs domaines thérapeutiques. En mai, je visiterai le centre international de vaccins de Sanofi, installé à Lyon, qui produira le premier vaccin contre la dengue.

Ce pôle de vaccins témoigne du dynamisme du territoire lyonnais en matière de biotechnologies, la région Rhône-Alpes étant la deuxième du pays à accueillir une telle concentration d’entreprises de cette filière, après l’Île-de-France. En Rhône-Alpes, Sanofi Pasteur, la division vaccins du groupe Sanofi-Aventis, a investi près de 350 millions d’euros depuis 2008 pour la reconversion du site de Neuville-sur-Saône, usine pharmaceutique chimique classique qui est devenue une usine « biotech ».

Enfin, je souhaite que la France soit le leader dans le domaine des véhicules hybrides et électriques.

Comme vous le savez, nos constructeurs automobiles misent beaucoup sur le véhicule électrique et hybride, qui représentera à partir de 2020 un marché évalué entre 20 milliards et 50 milliards d’euros en Europe, dont 7, 5 milliards d’euros en France.

Dans ce cadre, le Gouvernement a lancé un plan d’action ambitieux pour soutenir le développement du véhicule électrique et hybride : « super bonus » de 5 000 euros pour les 100 000 premiers véhicules, mobilisation des investissements d’avenir à hauteur de 1 milliard d’euros pour le véhicule du futur, soutien à l’installation d’usines de production de batteries dans nos régions.

Le sénateur Louis Nègre, à qui a été confiée une mission de réflexion et de proposition sur les infrastructures de recharge, remettra ce soir à Nathalie Kosciusko-Morizet, à René Ricol et à moi-même son Livre vert sur le sujet.

Ce sont autant d’initiatives qui permettront chaque fois de développer le secteur industriel directement concerné – j’ai cité, parmi bien d’autres exemples, les fabricants de robots, les sociétés de biotechnologies, les constructeurs automobiles –, mais aussi de participer à l’augmentation de la productivité et de la valeur produite pour notre économie.

« Mieux d’industrie », c’est enfin une politique industrielle qui exploite davantage les synergies à l’échelon européen et qui pose les bases d’une véritable politique industrielle européenne.

Monsieur Bourquin, nous partageons votre diagnostic : la France se veut en pointe sur le sujet, bien aidée, il faut le dire, à la fois par Michel Barnier et par le commissaire européen à l’industrie, Antonio Tajani, qui partage un certain nombre de nos convictions. C’est nouveau : « industrie » et « politique industrielle » ne sont plus des gros mots au sein des instances européennes.

Je prendrai un seul exemple à cet égard, celui du brevet européen, très attendu par les entreprises. C’est la France qui, en décembre dernier, a pris l’initiative, au côté d’autres États membres, de demander une coopération renforcée en matière de brevet européen. Cette coopération renforcée, qui rassemble désormais vingt-cinq des vingt-sept États membres – nous avons tout tenté, malheureusement en vain, pour convaincre les deux autres de se joindre à l’aventure –, a été formellement validée par le Conseil « compétitivité » du 10 mars dernier. Cela permettra aux entreprises européennes de bénéficier d’un brevet unique, et l’innovation se trouvera « dopée » au sein de l’Union européenne. Jusqu’à présent, déposer un brevet coûtait dix fois plus cher à une PME en Europe qu’aux États-Unis. Grâce au brevet européen, nous réduirons significativement cet écart.

Voilà ce que je souhaitais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Il s’agit d’un débat, monsieur le ministre !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

J’ai annoncé en préambule que je répondrais de façon plus détaillée à chacun des orateurs après un propos plus général. Je prends vos réactions comme un encouragement, dont je vous remercie.

Monsieur Biwer, vous avez raison : le centre de gravité du monde industriel se déplace vers l'Asie. C’est pour nous une source de difficultés, appelant des adaptations, mais aussi de chances très importantes. Beaucoup d'économistes ont montré, par exemple, que la croissance des classes moyennes asiatiques représentera, pour les entreprises qui s’y seront préparées, un marché potentiel extrêmement vaste.

Vous insistez sur la nécessité de créer des conditions propices au développement de l'industrie. C’est ce que fait, me semble-t-il, le Gouvernement. J’ai déjà évoqué les douze filières stratégiques sur lesquelles nous travaillons, destinées à faire collaborer des grandes entreprises et des PME, afin que se créent de véritables relations partenariales entre sous-traitants et donneurs d’ordres.

Vous avez également évoqué, monsieur Biwer, le financement des entreprises. À cet égard, le Gouvernement a confié au député Jean-Luc Warsmann une mission sur la mise en place de mesures de simplification applicables à tous les acteurs économiques. C’est là une nouvelle étape dans la voie de la simplification.

Enfin, vous avez souligné à juste titre l'importance du crédit d’impôt recherche, auquel 4 milliards d'euros sont désormais consacrés.

M. Vall, quant à lui, a insisté sur l’image de l'industrie. C'est un sujet que certains trouveront peut-être anecdotique, mais il est exact que certains secteurs industriels ne parviennent pas, actuellement, à recruter. Nous devons montrer à nos concitoyens la permanence du lien existant entre progrès technique et progrès social et leur expliquer comment l'industrie continuera d'améliorer leur vie quotidienne.

Nous devons aussi montrer à nos jeunes dès le lycée, comme nous nous y sommes employés lors de la « semaine de l’industrie », que l'industrie peut être source de métiers extrêmement intéressants, de métiers de qualité, et qu'il faut rompre avec l’idée que les métiers de l’industrie seraient par hypothèse « sales » ou faiblement qualifiés. Telle n’est pas la réalité de l'industrie aujourd'hui.

J’ai rencontré la semaine dernière le Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France. Nous nous sommes accordés pour estimer qu’il fallait mener deux types d'actions : l’État doit apporter son aide et promouvoir des initiatives comme celle de la « semaine de l'industrie », tandis que les fédérations professionnelles doivent défendre leurs métiers et leurs formations.

M. Vall a en outre appelé de ses vœux une simplification administrative. Je rappelle que des assises nationales de la simplification se tiendront le 29 avril.

M. Danglot a évoqué une financiarisation de l'économie. Cela correspond peut-être à une réalité à l’échelon mondial, mais on ne saurait prétendre que, depuis 2007, l’action du Gouvernement se serait inscrite dans cette logique. J'ai déjà évoqué le crédit d’impôt recherche ; je pourrais aussi souligner l'importance du Fonds stratégique d'investissement, dont les engagements se sont élevés à 3, 6 milliards d'euros depuis la fin de 2008 : ce n'est pas rien ! Le Fonds stratégique d’investissement est ce fonds souverain dont certains appellent de leurs vœux la création.

Dans le même esprit, je rappellerai que 35 milliards d'euros ont été mobilisés au titre des investissements d’avenir, qui permettront notamment la mise en place des instituts de recherche technologique et de pôles d'excellence industrielle. Voilà deux ans, alors que nous étions au cœur de la crise, la France, sur l’initiative du Président de la République, a choisi d’engager un plan de relance et d’emprunter pour l’avenir. Nous commençons aujourd’hui à voir les résultats de cette politique. Le Président de la République avait déclaré que notre pays devait sortir de la crise plus fort qu’il n’y était entré : c’est le cas, grâce notamment aux investissements d'avenir.

Enfin, monsieur Danglot, vous jugez que l'État n'intervient pas assez, notamment dans le secteur de l'automobile. Je rappelle tout de même que des prêts d’un montant de 6 milliards d’euros ont été accordés à Renault et à PSA, que la prime à la casse a représenté une dépense de plus de 1 milliard d'euros et que les garanties OSÉO apportées à plus de 900 PME ont permis à celles-ci de se consolider et de se développer.

J’ajoute que, en matière de partage de la valeur ajoutée, vos analyses devraient logiquement vous conduire à voter le projet de loi instituant une prime pour les salariés, que défendra mon collègue Xavier Bertrand…

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur Leroy, je vous remercie d’avoir rappelé les différents outils mis en place ou renforcés par le Gouvernement. Je viens d'en citer quelques-uns : le FSI, la Conférence nationale de l'industrie, le crédit d’impôt recherche, les pôles de compétitivité. Comme vous l'avez souligné, l'association des collectivités locales est un élément crucial. Par exemple, si le Fonds stratégique d'investissement a été créé par apports de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations, il s’appuie sur le réseau régional de cette dernière pour identifier les dossiers. Quant à la Conférence nationale de l'industrie, sous l'impulsion de son vice-président, Jean-François Dehecq, elle cherche à mieux s'adosser aux réseaux locaux.

À juste titre, vous avez insisté sur l’importance de la confiance, en particulier dans la relation entre capital et travail. Le projet d’attribution d’une prime aux salariés en cas d’augmentation des dividendes versés aux actionnaires témoigne, me semble-t-il, de notre volonté de promouvoir et de renforcer cette confiance. L'idée est simple : quand une entreprise va mieux, il est logique et sain qu’elle en fasse aussi profiter ses salariés.

Concernant enfin l’AFII et Ubifrance, monsieur Leroy, ces deux organismes sont sous la tutelle de mes collègues Christine Lagarde et Pierre Lellouche. Je leur ferai part de vos réflexions.

Monsieur le sénateur Michel Teston, vous avez évoqué l’avenir de la filière autobus et poids lourds. Il s’agit en effet d’un sujet important. Les services du ministère sont déjà en contact avec les différents acteurs, notamment Renault, dont l’État détient une part du capital, et Iveco. La cession d’actions de Volvo par Renault n’a concerné que des actions sans droit de vote. Ainsi, Renault reste le premier actionnaire de Volvo en termes de droits de vote. J’ajoute que Renault Trucks investit de manière régulière en France, qu’il s’agisse des sites de Blainville-sur-Orne, de l’Ain ou du Rhône, où les investissements ont été opérés en lien avec le pôle de compétitivité Lyon urban trucks and buses.

Madame la sénatrice Élisabeth Lamure, je vous ai déjà répondu sur un certain nombre de points. J’ajoute que la Conférence nationale de l’industrie aura bien entendu un rôle clé à jouer sur des sujets tels que la structuration des filières, la compétitivité comparée entre la France et l’Allemagne ou la formation professionnelle. J’en ai parlé récemment avec M. Jean-François Dehecq, vice-président de la CNI. Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice : la CNI doit certes être une structure d’analyse, mais aussi un moteur. Il ne s’agit pas de créer des commissions pour le plaisir : leur utilité et leur caractère opérationnel ne doivent faire aucun doute. Nous aurons l’occasion, très prochainement, de faire ensemble un nouveau point sur ce sujet.

Monsieur le sénateur Jean-Pierre Bel, vous avez évoqué l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne. J’ai indiqué, dans mon propos liminaire, qu’il serait erroné de réduire ce sujet à celui de la compétitivité-coût. Pour autant, quelles que soient les statistiques retenues, il apparaît que la France a décroché par rapport à l’Allemagne en matière de coût du travail depuis le début des années 2000.

Ce qui est préoccupant, ce n’est pas tant que le coût du travail charges comprises soit désormais supérieur en France à ce qu’il est en Allemagne. Tous les experts reconnaissent qu’il existe une disparité : le débat ne porte que sur son ampleur. Le plus inquiétant, c’est que, en tendance, notre compétitivité par rapport à l’Allemagne est en train de se dégrader en termes de coût du travail. C’est une évidence absolue, quelles que soient les explications que l’on puisse donner de ce fait ! Cela mérite débat, et peut-être la prochaine campagne présidentielle sera-t-elle l’occasion de mettre ces questions sur la table.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Il est évident, par exemple, que les employeurs allemands paient moins de cotisations sociales que les employeurs français. Comment tenir compte de cette tendance sans réduire la protection sociale ? Il me paraît absolument nécessaire de répondre à cette question.

Dans cette perspective, il faut avoir une démarche pragmatique. La CNI, qui compte un certain nombre de syndicalistes en son sein, a été saisie du dossier, car il faut au moins que nous soyons d’accord sur le diagnostic, quitte à diverger ensuite sur les conclusions à en tirer.

Vous avez également évoqué, monsieur Bel, la politique en faveur des territoires. Le Gouvernement a pris en compte cette dimension en créant, en mars 2009, le Fonds national de revitalisation des territoires, le FNRT, qui accorde des prêts bonifiés sans garantie aux entreprises créant des emplois dans les territoires les plus en difficulté.

Monsieur le sénateur Daniel Raoul, vous avez parlé des fonds régionaux d’investissement solidaire, les FRIS. Je rappelle que le Fonds stratégique d’investissement alloue 200 millions d’euros par an aux fonds nationaux et régionaux. Un fonds régional vient ainsi d’être créé en Alsace, et le FSI est prêt à cofinancer d’autres fonds.

Vous avez aussi abordé le thème des biotechnologies. J’ai indiqué tout à l’heure à quel point le développement des biotechnologies est un sujet crucial aux yeux du Gouvernement.

En plus des efforts consentis directement par l’État, le FSI a créé en son sein un fonds consacré aux biotechnologies, InnoBio, qui a déjà investi dans plusieurs sociétés prometteuses.

Concernant la production d’électricité d’origine photovoltaïque, je tiens à souligner qu’elle a été multipliée par quarante-cinq en deux ans !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

M. Éric Besson, ministre. Certes, on partait de pas grand-chose, mais en soulignant ce fait, vous rendez un hommage appuyé à l’action du Gouvernement !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Nous avons mis fin à ce qu’il faut bien appeler une bulle spéculative. Personne ne souhaite que les finances publiques soient mises à contribution de façon inconsidérée. Or, il existait objectivement une bulle spéculative importante. Nous avons donc pris des dispositions qui permettront le développement du photovoltaïque en France tout en évitant la réapparition d’un tel phénomène.

Enfin, nous avons voulu, dans le même temps, favoriser l’émergence d’une filière industrielle du photovoltaïque. Il ne suffit pas de promouvoir l’énergie solaire ; il faut aussi que cela permette de créer des emplois en France et en Europe. C’est à cela que nous nous sommes attelés.

M. Mirassou a parlé d’acte manqué à propos de ce rapport sur la désindustrialisation.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Il me semble au contraire utile. Le travail de la mission commune d’information, qui a débouché sur la rédaction d’un rapport dense et argumenté, a largement contribué à nourrir la réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Ce sont surtout les conclusions qui sont un acte manqué !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Le Gouvernement se trouve en phase avec plusieurs des préconisations de ce rapport, mais cela ne signifie pas que le travail soit achevé. Il reste beaucoup à faire. Loin de relever d’un acte manqué, le rapport de la mission commune d’information me semble donc au contraire constituer un apport précieux au renouveau de notre conception de la politique industrielle.

Vous parlez d’anticipation dans les filières clés, monsieur Mirassou. Les comités stratégiques de filière que j’évoquais tout à l’heure ont précisément pour rôle d’anticiper. Celui de la filière aéronautique sera réuni officiellement par mon collègue Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports, et moi-même à l’occasion du prochain salon du Bourget, au mois de juin.

En ce qui concerne la taxe professionnelle, monsieur Mirassou, écoutons ce que nous disent tous les chefs d’entreprise sur le sujet : sa suppression a clairement permis d’accroître la compétitivité de nos entreprises. Si vous ne voulez pas rendre hommage au Gouvernement sur ce point, …

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

M. Éric Besson, ministre. … remerciez-le au moins d’avoir tenu compte de ce que disait François Mitterrand à propos de la taxe professionnelle, qu’il qualifiait d’« impôt imbécile » ! Nous avons donc supprimé cette imbécillité. Souvenez-vous en outre que M. Strauss-Kahn

Vives protestations sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Vous devriez apprécier que je rende hommage à François Mitterrand et à Dominique Strauss-Kahn !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Dominique Strauss-Kahn avait supprimé la part salariale de la taxe professionnelle, en soulignant que cela ne devait être qu’une étape sur la voie de la disparition de cet impôt.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Nous avons achevé le travail : c’est donc une œuvre collective que nous avons accomplie.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur Daunis, je partage votre constat : plus personne ne revendique l’avènement d’une société postindustrielle. C’est parce que nous aurons une industrie forte que nous aurons ensuite une économie forte, par le biais de l’innovation et de l’exportation.

Vous proposez par ailleurs de mêler concurrence et coopération. C’est, encore une fois, la vocation des comités stratégiques de filière et des pôles de compétitivité.

Quant à l’appel à la mise en place d’un Small Business act, s’il s’agit d’indiquer que le Gouvernement doit accorder une priorité au développement des petites et moyennes entreprises, nous sommes d’accord. Mais ne tombons pas dans le fétichisme du Small Business act ! Il s’agit non pas d’un texte gravé dans le marbre, mais d’une construction permanente, révisée quasiment tous les mois. Si l’on agrège les décisions que nous avons prises en faveur des TPE ou des PME, il me semble qu’il existe déjà dans les faits un Small Business act dans notre pays, même s’il ne porte pas ce nom.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez évoqué l’internationalisation des PME. Nous aurons l’occasion d’en reparler avec mes collègues Frédéric Lefebvre et Pierre Lellouche, qui travaillent sur certains des thèmes que vous avez cités.

Pour autant, le ministère de l’industrie essaie, lui aussi, de soutenir le développement des PME à l’international. Ubifrance a ainsi signé avec les pôles de compétitivité une convention en ce sens. L’ensemble des outils mis en place par le ministère de l’industrie – je pense notamment à la médiation de la sous-traitance – aident les PME à se renforcer sur leur socle national, et donc, de manière indirecte, à être mieux à même de se développer à l’international. Nous avons par exemple pu constater les résultats de cette action lors de la toute récente foire industrielle de Hanovre, où tous les dirigeants de PME réussissant bien à l’exportation ont expliqué au Premier ministre que leur entreprise disposait d’une base solide en France. Il n’y a donc pas opposition entre développement de l’activité sur notre territoire et expansion à l’international, mais complémentarité.

Il fut un temps où un certain nombre d’économistes vantaient les mérites des sociétés postindustrielles. Je me réjouis que l’ensemble des orateurs, toutes sensibilités politiques confondues, aient montré que la France continue de croire à la nécessité d’une politique industrielle forte dont l’État soit un levier majeur. Cette conviction ressort confortée de la crise financière et économique que nous venons de vivre. On observe que ce sont les pays ayant gardé une épine dorsale industrielle forte qui ont le mieux résisté à la crise, même si eux aussi ont été touchés. Ainsi, si la France a moins souffert qu’un certain nombre de ses partenaires européens, elle le doit notamment à la force toujours réelle de son industrie. C’est cette force que nous voulons tous développer.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure trente par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à M. François Patriat.

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Monsieur le ministre, ma région, la Bourgogne, vient de perdre en deux ans 22 000 emplois, dont 10 000 emplois industriels chez Potain, Kodak, Dim, Fruehauf, Hoover… Chaque fois, les collectivités locales ont été mises à contribution pour pallier les difficultés et reconstruire, au travers de contrats de site. À cet égard, l’État n’a pas toujours honoré sa parole. Les collectivités territoriales se trouvent démunies, d’autant qu’elles ont perdu à la suppression de la taxe professionnelle. Elles affrontent aujourd’hui seules les difficultés liées à la désindustrialisation.

Ma question portera sur un sujet qui n’a pas encore été évoqué, le développement de l’éolien. Le Gouvernement a-t-il vraiment la volonté de le favoriser, à l’heure où la filière commence à se structurer ? En cinq ans, 1 000 emplois ont été créés en Bourgogne dans la production de roulements à billes, de mâts, de pales, par des entreprises innovantes implantées dans des secteurs désindustrialisés comme l’Yonne ou la région du Creusot et de Chalon-sur-Saône.

Le Gouvernement est-il en mesure d’accélérer le processus de décision d’implantation de parcs éoliens et d’accompagner les efforts consentis par des collectivités, notamment en termes de formation, pour aider au développement d’une filière désormais structurée et à même d’exporter, mais en attente ? Le Gouvernement est-il disposé à donner un coup d’accélérateur pour que la filière française de l’éolien puisse atteindre le meilleur niveau européen ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur Patriat, entendons-nous bien : je n’ai jamais dit que tout allait bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

C’est pourtant ce que nous avons compris !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Après avoir établi le constat des forces et des faiblesses de l’industrie française, nous nous interrogeons collectivement sur les moyens de renforcer nos atouts et de remédier à certaines de nos faiblesses et de nos lacunes.

Le fait que, l’année dernière, pour la première fois depuis 2000, notre industrie ait créé plus d’emplois qu’elle n’en a détruits ne signifie bien évidemment pas que tous les territoires aient connu une amélioration : certains d’entre eux ont continué à souffrir, je n’en disconviens pas.

En ce qui concerne notre politique énergétique, vous en connaissez les fondements. La France a fait, depuis cinquante ans, le choix du nucléaire civil ; ce choix sera maintenu, avec un renforcement de la sécurité et de la transparence. Dans le même temps, conformément aux conclusions du Grenelle de l’environnement, nous entendons développer la production d’électricité à partir des énergies renouvelables.

Ainsi, depuis l’élection du Président de la République en 2007, la production d’électricité d’origine éolienne a été multipliée par dix. Nous développons l’éolien tant sur terre qu’offshore. Lors de la visite qu’il a effectuée à Saint-Nazaire voilà quelques semaines, le Président de la République a annoncé le lancement d’un appel à projets portant sur une capacité de production de 3 000 mégawatts, ce qui représente très exactement la moitié des engagements pris au titre du Grenelle de l’environnement. Cet appel à projets, eu égard à son ampleur, aura nécessairement une dimension européenne. Tout sera lancé au début de l’année prochaine.

Comme vous pouvez le constater, nous respectons scrupuleusement le tableau de marche qui avait été annoncé à la suite du Grenelle de l’environnement. Contrairement à une idée reçue, le Gouvernement est même en avance par rapport à celui-ci, que ce soit en matière d’éolien ou de photovoltaïque.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Je tiens tout d’abord à remercier et à féliciter les membres de la mission commune d’information, notamment son rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

L’industrialisation est un facteur d’aménagement du territoire. Il n’y aura pas de développement rural, de vie dans les zones de montagne sans une véritable industrialisation.

Dans cette optique, il est indispensable que l’accès au très haut débit et à l’électricité soit assuré à des prix identiques sur tous les territoires. Or, aujourd’hui, le coût d’un abonnement au très haut débit est beaucoup plus élevé en Lozère, par exemple, que dans une grande ville, même si les investissements pour l’équipement en fibre optique ont fait l’objet d’aides des collectivités concernées. En outre, dans nos régions, les entreprises fortement consommatrices d’électricité doivent participer au financement des équipements réalisés par ERDF pour assurer leur desserte. Je tenais à mettre l’accent sur ces deux aspects essentiels.

Enfin, s’agissant du photovoltaïque, je souligne qu’un décret fixe des délais d’exécution des travaux sans tenir compte de contraintes liées par exemple à la conduite de recherches archéologiques, qui peuvent fortement ralentir le processus. Pourriez-vous vous pencher sur cette question, monsieur le ministre ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, je vais demander à mes services d’étudier avec attention le dernier point que vous avez soulevé et d’envisager, le cas échéant, la possibilité d’un « gel » de la période consacrée aux recherches archéologiques.

Pour le reste, vous avez entièrement raison : il existe un lien entre la qualité des infrastructures et le développement industriel. Nous sommes vigilants sur ce point. En ce qui concerne le développement de l’économie numérique, nous avons ainsi pris un certain nombre d’initiatives importantes.

Je ferai d’abord un constat : comme le montre un récent rapport européen, en matière de haut débit, la France se situe à la troisième place en Europe. On peut certes estimer que nous pouvons faire mieux encore, mais cela signifie néanmoins que nous disposons déjà d’une base plutôt satisfaisante.

La grande bataille, c’est celle du très haut débit. Nous étudions actuellement comment améliorer l’aménagement numérique de nos territoires. Le développement de l’équipement en fibre optique constitue un premier axe. Nous avons dépassé, fin décembre, le cap du million d’abonnés, l’objectif étant de doubler ce nombre avant la fin de cette année, ce qui ferait de la France l’un des pays les plus performants à cet égard au sein de l’Union européenne. Nous travaillons sur ce dossier en lien avec les opérateurs, l’État ne jouant dans ce domaine qu’un rôle d’incitation par le biais notamment des investissements d’avenir. Par ailleurs, l’appel d’offres pour la téléphonie et l’accès à internet mobile de quatrième génération sera lancé très prochainement. Comme l’ont voulu tant le Parlement que le Gouvernement, le développement et l’aménagement de nos territoires constituent le premier critère fixé dans l’appel d’offres, le deuxième étant la concurrence et le troisième la valorisation du patrimoine immatériel de l’État.

Il s’agit, je le crois, d’objectifs ambitieux, presque trop aux yeux des opérateurs, mais il doit en être ainsi pour assurer un développement numérique soutenu. Cela étant, un certain nombre de zones ne pourront être couvertes que par le satellite, car bien évidemment tout le territoire ne saurait être raccordé à la fibre optique.

Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces sujets, mais soyez convaincu que le Gouvernement partage la préoccupation du Sénat de maintenir et de développer la qualité de nos infrastructures, qui est l’un de nos atouts.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Je veux saluer à mon tour le travail remarquable réalisé par la mission commune d’information, que j’ai accueillie lors de sa visite dans le Nord.

Je souhaite insister sur l’enjeu essentiel que constitue le soutien aux filières industrielles implantées sur nos territoires, en particulier à la filière ferroviaire, très fortement représentée dans le Nord-Pas-de-Calais, notamment dans le Valenciennois, avec Alstom et de nombreux sous-traitants ou équipementiers.

Il s’agit de soutenir et d’intensifier la recherche et l’innovation au service du développement industriel. Je suis convaincue qu’il ne peut y avoir de maintien et de développement du tissu industriel, par conséquent de l’emploi, si les territoires ne sont pas en mesure d’innover.

L’accent doit être mis avec force sur les liens entre la recherche et le développement industriel, donc sur les relations entre nos universités, nos chercheurs et nos entreprises sur chacun de nos territoires.

Comme le souligne le rapport de la mission commune d’information, il est essentiel que l’ensemble des moyens ne soient pas concentrés sur quelques territoires. Toutes les régions ont besoin d’un système d’éducation et de recherche qui leur permette d’apporter une réponse, en termes de formation, dans les secteurs présentant une importance stratégique pour l’économie régionale. Chaque euro investi pour renforcer la recherche et l’innovation participe de fait à la mise en œuvre des politiques d’aménagement du territoire, tout en renforçant le potentiel compétitif de la France.

Permettez-moi de faire le lien avec le programme d’investissements d’avenir, qui constitue une réelle chance en matière de formation, de recherche et de compétitivité. Dans cette optique, il serait cohérent de conforter le pôle industriel ferroviaire du Valenciennois, et plus largement de la région Nord-Pas-de-Calais, par la création de l’institut européen de la recherche technologique pour l’infrastructure ferroviaire – le projet Railénium –, en lui accordant le statut d’IRT dans le cadre du grand emprunt national.

Le Gouvernement entend-il soutenir cette démarche qui va pleinement dans son sens, qui mobilise une région tout entière et qui a retenu l’attention du jury international lors de son passage dans le Nord-Pas-de-Calais ? La réalisation de ce projet conforterait l’avenir de notre industrie ferroviaire, dans un contexte mondial où peu de chances seront laissées aux secteurs industriels qui n’auront pas misé sur la valeur ajoutée que garantissent la recherche et l’innovation.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Madame Létard, la longueur de ma réponse sera inversement proportionnelle au plaisir que j’ai à vous retrouver ici !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Je vous apporterai des éléments plus détaillés par écrit, et j’aurai l’occasion de revenir sur les points que vous avez soulevés lors de mon audition par la commission d’enquête sur l’industrie ferroviaire, le 17 mai prochain.

Pour l’heure, je vous confirme que ces secteurs font bien partie des priorités de l’action du Gouvernement. Comme vous l’avez souligné, l’État y consacre des moyens importants dans le cadre du programme d’investissements d’avenir. Le véhicule du futur est un concept qui concerne aussi le ferroviaire, et pas seulement l’automobile. J’ajoute que le pôle I-Trans pourra être conforté grâce aux outils que nous sommes en train de développer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Lors du déplacement de la mission commune d’information dans le Nord-Pas-de-Calais, j’ai été impressionné par le travail mené en commun par les chercheurs et l’industrie ferroviaire, ainsi que par le degré d’excellence atteint.

On présente souvent le Nord-Pas-de-Calais comme une région dont les industries périclitent. On ne le voit pas assez comme une région d’avenir, qui a misé sur les technologies du futur, en particulier en matière de ferroutage, l’un de ses domaines d’excellence.

Le développement du ferroutage doit faire l’objet d’une décision politique dans notre pays, afin de permettre le basculement de la route vers le rail, indispensable si l’on veut réduire les émissions de CO2, diminuer l’engorgement de notre réseau routier et améliorer la sécurité des Français. Cela va dans le sens de l’histoire. J’ajoute que la mise aux normes des tunnels ferroviaires aurait une incidence très importante sur l’emploi dans le secteur des travaux publics.

Le développement du ferroutage relève aussi de l’échelon européen. À cet égard, il serait bon que nous montrions la voie à nos partenaires dans ce domaine, afin que l’excellence française devienne une excellence européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Schurch

Je voudrais à mon tour saluer l’initiative de M. Bourquin et féliciter de leur travail l’ensemble des membres de la mission commune d’information.

Le renforcement de l’attractivité des territoires pour les entreprises est au cœur du rapport de la mission. Or cette attractivité ne repose pas seulement sur le niveau des prélèvements sociaux et fiscaux, mais dépend également de la qualité des infrastructures, de la qualité et de l’accessibilité des services collectifs non marchands, tels que l’éducation ou le système de santé et de protection sociale : les économistes parlent de passage de la mesure des avantages compétitifs des entreprises à celle des avantages comparatifs des territoires.

Nos infrastructures ont jusqu’à présent renforcé l’attractivité de la France. Dans cette optique, le fret ferroviaire est un atout majeur au service de l’activité d’innombrables entreprises. C’est sans doute pour cette raison que les cheminots, les élus territoriaux et les entreprises dénoncent tous le choix fait par la SNCF d’abandonner le wagon isolé, les fermetures de sites, la suppression de milliers d’emplois, ainsi que les conséquences pour l’environnement de telles décisions tendant à réduire le fret ferroviaire.

Pourtant, le fret ferroviaire représente en France 50 % des flux de la sidérurgie, 60 % de ceux de la chimie et 80 % de ceux des constructeurs automobiles.

Ainsi, la SNCF acheminait chaque année pour le compte de Dunlop France, entreprise implantée à Montluçon, dans mon département de l’Allier, des milliers de tonnes de noir de carbone et d’oxyde de zinc, qui sont des matières polluantes. Pourtant, elle vient d’annoncer sans concertation l’arrêt de cet acheminement à compter du 31 octobre prochain, laissant cette entreprise sans solution.

De même, les responsables de l’usine chimique Adisseo, à Commentry, de l’entreprise de fabrication de laine de roche Rockwool, à Saint-Éloy-les-Mines, du projet biomasse Poweo de Commentry, qui implique l’acheminement de 100 000 tonnes de bois, de l’usine Potain de Moulins et de bien d’autres PME du département m’ont interpellée sur la brusque augmentation des tarifs de fret décidée unilatéralement par la SNCF. Dans ces conditions, ces entreprises s’interrogent, avec raison, sur le maintien de leur activité sur ce territoire.

D’un côté, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, affiche son attachement à la défense de la compétitivité de nos territoires dans le cadre de la concurrence mondialisée ; de l’autre, il impose à la SNCF de mener une politique contreproductive et, je le crains fort, irréversible. Il y a là une contradiction majeure !

Monsieur le ministre, pourrait-on raisonner en termes de filière industrielle globale et agir en conséquence pour que les entreprises de nos territoires, de tous nos territoires, puissent se maintenir et se développer ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Madame la sénatrice, je ne puis répondre à certaines des questions que vous avez soulevées, car elles relèvent de la compétence de mes collègues Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani.

S’agissant de la filière industrielle, vous avez entièrement raison. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous essayons de tisser des liens beaucoup plus étroits entre donneurs d’ordres et sous-traitants, entre grands groupes et PME. Un certain nombre des dossiers que vous avez évoqués sont entre les mains du médiateur de la sous-traitance, M. Jean-Claude Volot. Nous pourrions faire le point avec lui.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que, en matière de désindustrialisation, le constat était contrasté selon les territoires et les activités. Or, dans mon département de la Dordogne, il ne l’est malheureusement pas du tout !

Si l’État actionnaire est en train de réfléchir, ce qui est une bonne chose, aux moyens de réindustrialiser notre pays, il se comporte plutôt mal. Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos.

Le premier concerne le bassin d’emploi du Bergeracois, dont le fleuron industriel était un site de la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE. L’État est l’actionnaire principal de la SNPE. À la suite de son désengagement total, la SNPE est vendue à la découpe, et 400 salariés vont se retrouver sur le carreau dans mon département…

Le second exemple concerne le bassin d’emploi de Périgueux. Les salariés des ateliers SNCF de Coulounieix-Chamiers disposent d’un réel savoir-faire en matière de réalisation de matériels de voie. Or ce savoir-faire est en train de disparaître, car leur nombre diminue en raison de la non-compensation des départs à la retraite. Pourtant, les besoins sont grands, liés notamment à la réalisation des lignes à grande vitesse ou à la nécessaire régénération des lignes de TER, en Aquitaine et dans d’autres régions.

Dans ces conditions, ma question est simple : que compte faire l’État actionnaire pour mettre en accord ses actes et ses politiques ? §

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, je vous propose de faire ensemble le point avec le médiateur de la sous-traitance, comme je l’ai déjà suggéré à Mme Schurch.

Pour ce qui concerne la SNPE, ce dossier a été traité par ma collègue Christine Lagarde et par l’Agence des participations de l’État. Je puis simplement vous dire, à ce stade, que cette dernière recherche actuellement des solutions pour le bassin d’emploi du Bergeracois. N’ayant pas été informé à l’avance de la teneur de votre intervention, je ne suis pas en mesure de vous en apprendre davantage dans l’immédiat. Je propose que nous reparlions ensemble dans un autre cadre de ce dossier, l’un des 1 200 que nous suivons actuellement…

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Monsieur le ministre, concernant le domaine des énergies renouvelables, vous vous êtes exprimé sur le photovoltaïque et l’éolien. Pourriez-vous nous indiquer ce que vous envisagez de faire pour favoriser le développement des techniques et des filières dans le secteur de la production d’énergie à partir de la biomasse ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

M. Éric Besson, ministre. Pensant que vous vouliez m’interroger sur le photovoltaïque, j’avais préparé une belle réponse, très documentée…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Pour ce qui concerne la biomasse, une étude est en cours afin d’établir un diagnostic et de présenter des propositions au Gouvernement. Quel est exactement le potentiel de la France en la matière ? Comment pouvons-nous soutenir et accélérer le développement de cette filière ? Je disposerai de ce rapport d’ici à un mois : nous pourrons alors reparler ensemble de ce sujet. Pour l’heure, je vous fais porter la belle réponse que j’avais préparée sur le photovoltaïque !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

En ce qui concerne le photovoltaïque, il faut faire attention à ne pas rater le train de l’histoire ! Dans ce domaine, il est exact qu’il y a eu des effets d’aubaine et que 90 % des capteurs photovoltaïques sont importés, notamment de Chine ou d’Allemagne. Cela étant, « couper les vivres » à cette filière est une erreur.

Il aurait fallu prendre en compte, par exemple, la dimension environnementale de l’utilisation des capteurs photovoltaïques pour fixer le tarif de rachat de l’électricité produite et accorder des aides. Cela aurait permis d’apporter un fort soutien à une industrie naissante, qui représente de 20 000 à 25 000 emplois. Dans une région comme la mienne, la Franche-Comté, où prédomine une mono-industrie, des entreprises s’étaient déjà diversifiées dans cette direction. Or tout s’arrête, les investissements sont gelés…

La question des énergies renouvelables doit être prise à bras-le-corps par le Gouvernement, mais aussi par le Parlement. Nous devons mettre tous les moyens en œuvre pour favoriser le développement de l’utilisation des énergies renouvelables. Ne ratons pas ce train ! Nous devons à la fois garantir une sécurité optimale pour la filière nucléaire et définir un mix énergétique nouveau, qui nous permette d’envisager l’avenir avec plus de sérénité. Se contenter d’une petite dose d’énergies renouvelables à côté d’une filière nucléaire prépondérante serait à mon sens un contresens historique ! §

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur Bourquin, il faudra un jour sortir de l’ambiguïté ! Un kilowattheure d’origine photovoltaïque coûte aujourd’hui dix fois plus cher à produire qu’un kilowattheure d’origine nucléaire. Rien n’est gratuit : ce surcoût est financé par le biais de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui figure sur la facture d’électricité de tous les Français.

Il faut sortir de la schizophrénie : que ce soit ici ou à l’Assemblée nationale, chaque fois que l’on évoque la perspective d’une augmentation, même limitée, du coût de l’électricité, vous nous expliquez que le Gouvernement devrait « geler » les prix, à rebours de ce qui se pratique dans tous les autres pays !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

(M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.) Vous devrez alors dire la vérité en face à nos concitoyens !

Applaudissementssur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Mais lorsqu’il s’agit de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, rien n’est trop cher, rien ne devrait être refusé. Je vous invite à écrire noir sur blanc vos propositions, parce qu’il est trop facile d’affirmer qu’il faut un nouveau mix énergétique sans jamais aborder la question du coût ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le ministre, je ne m’attendais pas à une contradiction aussi vive !

Cette question de l’énergie est au cœur de la politique industrielle. Si notre politique énergétique n’est pas à la hauteur des enjeux, nous connaîtrons inéluctablement de graves problèmes en matière industrielle.

Il faut donner la priorité aux énergies renouvelables dans notre politique énergétique, qu’il s’agisse de l’éolien, de l’hydraulique ou du photovoltaïque. Par exemple, il faut faire en sorte de perfectionner les usines marémotrices.

Il n’est pas question de remettre en cause notre filière nucléaire, mais il faut anticiper, avoir deux coups d’avance, comme aux échecs.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Je vous renvoie à cet égard à un article très intéressant paru aujourd’hui dans La Tribune : un spécialiste reconnu souligne qu’il existe une façon moins dangereuse d’exploiter l’énergie nucléaire.

Inévitablement, le secteur des énergies renouvelables va connaître un emballement ! Après ce qui vient de se passer au Japon, plus rien ne sera comme avant. Faire l’autruche serait une erreur complète ! Nous devons au contraire diversifier les sources d’énergie.

En ce qui concerne le financement des surcoûts, je relève que, selon les services du Trésor, sur 170 milliards d’euros de revenus du capital, seulement 20 milliards d’euros figurent dans les déclarations de revenus !

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

M. Martial Bourquin, président de la mission commune d’information. Dans le même temps, 90 % des revenus du travail sont fiscalisés ! À quand une fiscalité plus juste, un grand impôt progressif sur tous les revenus, y compris ceux du capital ? Si nous entendons mener une grande politique industrielle, il faudra bien s’en donner les moyens !

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

S’agissant de la filière photovoltaïque, un état des lieux partagé est certes nécessaire, mais le problème de fond n’est pas abordé : des personnes qui avaient monté des projets sont aujourd’hui laissées au bord du chemin, en raison de la rétroactivité de la mesure prise.

Cela étant dit, je voudrais souligner que le mot « désindustrialisation » recouvre des réalités difficiles : un cortège de délocalisations, donc de départs, qui induit un climat de morosité dans nos territoires. Si les pôles de compétitivité sont incontestablement des noyaux générateurs d’activité, des territoires ruraux sont un peu délaissés, d’autant que la PAC est désormais moins généreuse qu’autrefois.

Ma nature ne me porte pas à la critique, monsieur le ministre. Je sais que les choses sont plus faciles à dire qu’à réaliser. J’évoquerai néanmoins les friches industrielles. Dans certains départements, notamment ruraux, on ne compte plus ces grands bâtiments à toiture grise, construits dans les années soixante et soixante-dix, à une époque où l’activité économique était en plein essor, mais désormais inoccupés. Je sais que la question est difficile, mais ne serait-il pas possible d’instaurer des incitations au réemploi de ces locaux ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Que certaines de nos grandes entreprises s’installent et créent des activités à l’étranger n’est pas, en soi, une mauvaise nouvelle, à condition qu’il s’agisse non pas de délocaliser des activités dans l’espoir, souvent déçu, de produire moins cher ailleurs, mais bien de réaliser des investissements en vue de toucher de nouveaux marchés.

Il est vrai que, dans de trop nombreuses zones de notre territoire, la mono-industrie a longtemps prévalu. Dans ce cas, lorsque l’entreprise principale ferme, tout le bassin d’emploi en subit les conséquences, directes et indirectes. Quand on cherche à évaluer le poids de l’industrie en France, il faut aussi prendre en compte tous les services connexes qui dépendent de celle-ci.

C’est pourquoi le Gouvernement a essayé de multiplier les outils de revitalisation et de réindustrialisation. Le Fonds national de revitalisation des territoires est à mes yeux le plus important d’entre eux. Créé voilà trois ans sur l’initiative du Président de la République, ce dispositif donne de bons résultats. Il s’agit d’un fonds de garantie, doté de 45 millions d’euros par l’État et la Caisse des dépôts et consignations, qui doit permettre d’accorder 135 millions d’euros de prêts bonifiés sans garantie. En 2010, soixante-cinq territoires ont été déclarés éligibles à ce fonds dans une vingtaine de régions, et 252 prêts ont été accordés, 55 autres étant actuellement à l’étude. Ces prêts, octroyés principalement à de très petites entreprises du secteur industriel, engendrent un effet de levier important, pour un montant cumulé estimé à 430 millions d’euros. Xavier Bertrand, Bruno Le Maire et moi-même avons demandé qu’il soit procédé à une évaluation du dispositif, afin d’envisager comment nous pourrons poursuivre cette action de revitalisation au-delà de 2012.

Je partage donc votre diagnostic, monsieur le sénateur, et nous allons essayer d’affiner les moyens mis en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Monsieur le ministre, en octobre 2010, la direction américaine de l’entreprise Molex décidait de déposer le bilan de sa filiale française et de la placer en liquidation judiciaire pour punir les salariés de Villemur-sur-Tarn, coupables d’avoir osé engager une action devant les prud’hommes, destinée tout simplement à contester la réalité du motif économique de leur licenciement.

Cette décision inadmissible, prise au mépris du droit français, s’accompagnait mécaniquement d’un refus de continuer à financer le plan social, ce qui privait les dix-neuf représentants du personnel de leur congé de reclassement et de leurs indemnités de licenciement.

Au tout début du mois de novembre dernier, à l’occasion d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’avais interpelé votre prédécesseur à ce sujet, en faisant remarquer que, au moment où je parlais, paradoxalement, l’un des dix-neuf salariés que j’ai évoqués répondait à une convocation des services de police : ce n’était pas, vous l’avouerez, le moindre des paradoxes !

Dans sa réponse, M. Christian Estrosi avait évoqué la possibilité que l’État finance lui-même en totalité le fonctionnement de la cellule de reclassement, ajoutant qu’un liquidateur avait été nommé et que le Gouvernement accompagnerait sa démarche d’une action judiciaire, dans le cadre d’un recours en responsabilité pour insuffisance d’actifs. M. Estrosi avait d’ailleurs souligné que lorsque l’on ne respecte pas le droit des salariés de notre pays, le Gouvernement est fondé à mettre en œuvre, avec toute l’énergie nécessaire, les moyens adéquats pour défendre ces derniers.

Si mes renseignements sont bons, monsieur le ministre, le sort de ces dix-neuf salariés n’est toujours pas réglé à l’heure actuelle, qu’il s’agisse de leurs indemnités ou du volet judiciaire. Pourriez-vous m’éclairer sur l’état de ce dossier ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Mon prédécesseur Christian Estrosi a, en effet, beaucoup travaillé sur ce dossier.

Comme vous le savez sans doute, les négociations sur les modalités de versement par Molex de leurs indemnités aux dix-neuf salariés que vous avez évoqués sont toujours en cours, sous l’autorité du liquidateur, maître Pierrel. Tous les autres salariés ont été intégralement indemnisés.

Le Gouvernement suit de très près ce dossier. Nous n’envisageons pas, pour l’heure, de recours juridique, mais nous avons bon espoir de voir les négociations prochainement aboutir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Comme pour les otages, le Gouvernement se contente de suivre le dossier !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Sittler

Le rapport de la mission commune d’information contient une très intéressante analyse comparative des situations respectives de l’industrie en France et en Allemagne.

La primauté allemande a souvent été relevée. Nous partageons la même monnaie et nous avons les mêmes concurrents, la France et l’Allemagne vendent les mêmes produits aux mêmes pays, mais, depuis plusieurs années, les deux pays ne suivent ni les mêmes politiques économiques ni les mêmes stratégies industrielles. En outre, en termes de compétitivité, les progrès de l’un peuvent se faire au détriment de l’autre. Dans certains domaines, la France a donc décroché par rapport à l’Allemagne, et il s’agit d’un recul historique.

Cette constatation est peu à l’avantage de notre pays, et je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur la problématique transfrontalière, notamment en matière d’emploi.

Tous les travaux conduits sur ces zones dressent le même constat d’un manque d’initiatives publiques pour relever le défi de la compétitivité et de difficultés d’organisation et de gouvernance des zones transfrontalières.

Couvrant 20 % du territoire national et regroupant 10 millions d’habitants, les zones frontalières françaises subissent une perte de compétitivité, dans certains domaines, par rapport à celles de notre voisin.

Les disparités constatées au fil des ans témoignent d’une situation complexe en matière d’emploi, de délocalisations, voire de disparitions d’entreprises, induisant une perte de ressources pour les collectivités et l’État.

Cette question a une dimension non seulement nationale, mais aussi, et peut-être surtout, européenne. En effet, les régions frontalières comme l’Alsace sont des régions majeures pour la construction et l’intégration européennes.

Monsieur le ministre, quelles réponses le Gouvernement peut-il apporter afin de réduire les disparités qui affaiblissent notre pays ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

La première réponse consiste bien évidemment à renforcer la compétitivité de notre outil industriel.

Je disais tout à l’heure que le diagnostic méritait d’être nuancé en fonction des territoires. Il doit également l’être selon les pays : par rapport à certains de ses voisins européens, la France est toujours compétitive.

Cela étant, reconnaissons-le, l’Allemagne est aujourd’hui le pays le plus performant en Europe. Elle est à la fois notre premier partenaire, notre premier fournisseur, notre premier client et notre premier concurrent. Nous avons aujourd’hui, incontestablement, un déficit de compétitivité par rapport à l’Allemagne, que nous nous efforçons de combler mesure par mesure.

Ainsi, lorsque Xavier Bertrand et Nadine Morano s’efforcent d’améliorer la formation en alternance et de favoriser le recours à l’apprentissage, ils œuvrent en faveur non seulement des jeunes concernés, mais aussi de la compétitivité de la France, tous les rapports soulignant que le développement de la formation en alternance constitue l’une des clefs de la réussite.

De même, pour ce qui concerne les filières industrielles, nous essayons de favoriser l’émergence d’une sorte d’esprit de groupe, qui existe presque naturellement en Allemagne. Un grand groupe allemand qui remporte un appel d’offres à l’international entraîne derrière lui, presque mécaniquement, des PME et PMI allemandes. En France, ce « patriotisme des affaires », moins spontané, a besoin d’être encouragé, et c’est ce que nous essayons de faire à travers la politique de filières.

Je souligne enfin que la situation n’a pas toujours été celle que nous connaissons aujourd’hui. Voilà une quinzaine d’années, l’Allemagne donnait au contraire le sentiment de stagner en matière de compétitivité, mais elle a finalement très bien absorbé le choc de la réunification. Elle a su se tourner vers un certain nombre de filières porteuses, comme ses parts de marché à l’exportation pour les produits à forte valeur ajoutée le démontrent. Elle a également adopté une politique dite de modération salariale, peut-être discutable, mais qui porte incontestablement ses fruits en termes de compétitivité à l’export. Enfin, l’Allemagne est probablement le pays où la solidarité entre entreprises a le mieux joué pendant la crise.

Cela étant, nous ne sommes pas là pour tresser des lauriers à nos partenaires et amis Allemands.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Ils connaîtront d’autres formes de difficultés, notamment d’ordre démographique : la très grande faiblesse de l’Allemagne, c’est sa démographie, qui va la conduire à mettre en place une nouvelle politique d’immigration pour pallier la décroissance de sa population active.

Par ailleurs, l’Allemagne sera confrontée à des difficultés en matière de production énergétique et électrique. Contrairement à ce que l’on entend dire, l’Allemagne n’est pas dans une position de force dans ce domaine, notamment d’un point de vue environnemental. En France, on décrit volontiers l’Allemagne comme le temple de la vertu à cet égard, mais nos voisins d’outre-Rhin rejettent dans l’atmosphère une fois et demie plus de CO2 par habitant que nous. J’ajoute que les entreprises allemandes paient leur électricité une fois et demie plus cher que les entreprises françaises et que les ménages allemands la paient deux fois plus cher que les ménages français.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Libre à vous de me reprocher d’être obsédé par la question énergétique, …

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

… mais elle est d’une importance vitale. Je vous invite à relire les discours du président Obama : vous verrez qu’il fait de l’indépendance et de la sécurité énergétiques la clé de voûte de son action ! Il en va de même dans tous les pays. Pardonnez-moi d’évoquer cette question !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Madame Sittler, votre question est aussi un appel à un renforcement de la coopération européenne. Les Allemands ne sont pas que nos concurrents, ils sont aussi nos partenaires.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur Carrère, je réponds à une question qui porte sur les rapports transfrontaliers entre la France et l’Allemagne. Dois-je cesser de parler ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Nous allons essayer de partager avec l’Allemagne un certain nombre de nos dispositifs : je pense aux clusters et aux pôles de compétitivité. Mon homologue allemand et moi-même sommes en train de développer un certain nombre d’outils de partenariat, qui profiteront à nos deux pays.

J’évoquerai à cet égard l’exemple du véhicule électrique : nous avons besoin, pour le développer, de normes communes. Si un véhicule électrique allemand ne peut pas recharger sa batterie en France ou vice-versa, nous n’offrirons pas un marché potentiel suffisant à nos industriels.

Madame Sittler, voilà un certain nombre de pistes sur lesquelles nous travaillons pour renforcer notre compétitivité et pour mieux coopérer avec nos amis Allemands.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Le voyage en Allemagne a été une étape importante pour la mission commune d’information.

Nous avons rencontré le numéro trois de Bosch, que nous avons interrogé sur le temps de travail et le coût du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

S’agissant du coût du travail, il nous a affirmé qu’il était légèrement moins élevé dans l’usine française que dans l’usine allemande.

Par ailleurs, il nous a indiqué que le temps de travail était de 32 heures dans les établissements allemands !

Enfin, nous avons pu constater que les salaires sont attractifs dans l’industrie allemande.

Il ne faudrait donc pas, quand nous voulons établir des comparaisons avec l’Allemagne, ne prendre que ce qui nous arrange.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Il faut tout prendre en compte ! Parlons d’exemple allemand, plutôt que de modèle allemand ! Naguère, on ne jurait que par la réussite irlandaise, et l’on sait ce qu’il est advenu. Aujourd’hui, on invoque à tout propos la réussite allemande ! Si l’Allemagne a des atouts, la France en a aussi.

Ce qui est certain, c’est qu’en Allemagne toutes les PME et TPE ont accès à l’innovation. Elles peuvent déposer facilement des brevets ou en acheter, bénéficier du soutien de fondations associant le privé et le public. Ce point est très important.

Par ailleurs, le système des Länder est extrêmement décentralisé. Il est fondamental d’engager une nouvelle étape dans la décentralisation : nous ne nous en sortirons pas en procédant par décrets en matière de politique industrielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Cela a été souligné par plusieurs orateurs, les régions, les départements, les communautés d’agglomération, les communautés de communes ont un rôle à jouer en la matière pour « coller » au territoire, écouter les chefs d’entreprise, les partenaires sociaux et faire en sorte qu’un véritable lien unisse les différents acteurs.

La loi NOME représente un danger pour notre pays. Si elle est appliquée sans aménagements, les industries électro-intensives risquent de quitter notre territoire dans les mois qui suivront. Les dirigeants de l’entreprise Rio Tinto, dans la vallée de la Maurienne, nous l’ont dit : s’ils ne peuvent disposer d’une électricité à bas prix, ils partiront ! Peut-être en Chine, mais ce serait catastrophique sur le plan environnemental, ou mieux au Canada, où l’énergie, comme en France actuellement, n’est pas chère.

Pour relever ces défis, il importe de s’appuyer sur une filière nucléaire présentant une sécurité maximale tout en développant l’usage des énergies renouvelables, pour préparer l’avenir.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Ne nous trompons pas de débat : à aucun moment, contrairement à ce qu’a dit M. Mirassou, nous n’avons stigmatisé les augmentations de salaires. Nous avons simplement fait un constat, sans tirer aucune conclusion. Dès lors, arrêtons les procès d’intention !

Le voyage de la mission en Allemagne a duré trois heures. En tant que chef d’entreprise, j’ai passé trois jours par mois dans ce pays pendant vingt-cinq ans ! Je crois donc pouvoir parler de la situation en Allemagne aussi bien que d’autres…

En Allemagne, 80 % des chefs d’entreprise sont issus de l’enseignement technique. En outre, les Allemands ont fait des choix stratégiques bien meilleurs que les nôtres. Enfin, un certain Gerhard Schröder a abaissé le taux de l’impôt sur les sociétés de 46 % à 24 %.

Aujourd’hui, les entreprises allemandes de taille intermédiaire sont quatre fois plus nombreuses que les nôtres et, de surcroît, leur capacité d’autofinancement est deux fois plus élevée.

On évoque parfois l’externalisation des activités. N’oubliez pas que les entreprises allemandes achètent 52 % de leurs produits intermédiaires à l’étranger, essentiellement dans les pays de l’Est, où elles vendent en retour des produits finis. C’est ainsi qu’elles dégagent une capacité d’autofinancement de leurs investissements.

Nous devons, me semble-t-il, libérer nos entreprises du poids trop important qui pèse sur elles. Aujourd’hui, le taux de charges sociales est de 28 % en Allemagne, contre 43 % en France, alors que les salariés allemands bénéficient d’une meilleure protection que les nôtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

M. Alain Chatillon, rapporteur de la mission commune d’information. Il convient peut-être de s’interroger sur les raisons de cette situation !

M. Jean-Louis Carrère s’exclame.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Votre rencontre avec le numéro trois de Bosch vous a manifestement marqué, monsieur Bourquin, puisque vous l’évoquez en toute occasion !

S’agissant d’abord de la durée du travail, je ferai tout de même observer que cette entreprise a négocié le passage de 35 heures à 36 heures à Vénissieux, et même à 38 heures à Rodez ! Votre interlocuteur vous a-t-il expliqué pourquoi il était favorable aux 32 heures en Allemagne, mais partisan de l’allongement de la durée du travail au-delà de 35 heures en France ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

En ce qui concerne le coût du travail, je ne connais pas la situation spécifique de Bosch, mais l’INSEE, qui a corrigé ses données à la suite des remarques qui lui avaient été faites, nous apprend que le coût horaire du travail, dans l’industrie manufacturière, a augmenté de 44 % en France en dix ans et de 19 % en Allemagne pendant la même période. C’est un constat brut que l’on ne peut, me semble-t-il, contester : quoi que l’on puisse en penser, telle est la réalité des chiffres !

Par ailleurs, vous ne cessez d’affirmer qu’il faut développer la production d’électricité d’origine photovoltaïque. Très bien, mais je vous redis que produire de l’électricité de cette façon coûte dix fois plus cher qu’à partir de l’énergie nucléaire. Rio Tinto, dont vous avez évoqué le cas, ne veut pas que le prix de l’électricité dépasse 30 euros le mégawattheure. Or la loi NOME a fixé le coût du mégawattheure à 40 euros au 1er juillet prochain et à 42 euros au 1er janvier 2012, et le coût de l’électricité d’origine photovoltaïque est encore dix fois supérieur à ce chiffre…

Comment pouvez-vous, dans la même après-midi, nous dire à la fois que nous n’en faisons pas assez pour le photovoltaïque et que nous ne nous battons pas suffisamment pour le maintien en France des industries électro-intensives ?

S’agissant du Canada, ce pays a la chance d’avoir une forte capacité de production d’électricité hydraulique, comme la Norvège, la Suisse ou l’Autriche. La France, quant à elle, a réussi l’exploit d’avoir une électricité parmi les moins chères en Europe sans disposer de grandes ressources naturelles ! C’est le nucléaire qui l’a permis !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le ministre, je souhaite aborder la question du crédit d’impôt recherche, dispositif dont on fait volontiers l’éloge.

Or, à la page 223 du rapport de la mission commune d’information, je lis ceci :

« Lors des auditions et des déplacements de la mission, certaines dérives du crédit d’impôt recherche ont en effet été pointées du doigt, à l’instar d’une utilisation abusive par les grandes entreprises, les banques, les assurances ou, encore, par des entreprises de services. Ces effets d’aubaine, de même que l’utilisation du crédit d’impôt recherche pour des activités qui ne seraient pas directement liées au soutien de l’innovation, ne peuvent perdurer et nécessitent une adaptation du dispositif. »

Monsieur le ministre, je constate qu’il existe de réelles dérives : certaines entreprises affectent le crédit d’impôt recherche à des dépenses qui ne sont pas liées à la recherche. Dans le même temps, un certain nombre de chercheurs et d’universitaires sont indignés : quand un jeune chercheur a la chance d’obtenir un poste dans un laboratoire de recherche en France, son salaire est peu élevé, bien inférieur à celui qu’il percevrait dans d’autres pays, par exemple aux États-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

En effet, mon cher collègue ! Certains pays investissent beaucoup plus que nous dans la recherche, qu’elle soit publique ou privée, offrant par là même bien plus de débouchés aux doctorants. D’ailleurs, beaucoup de nos doctorants souhaitent partir à l’étranger, car ils ne trouvent pas de travail en France.

Eu égard à ces difficultés réelles, la France ne fait pas, me semble-t-il, ce qu’il faut pour la recherche publique. Certes, votre ministère n’est pas directement impliqué, monsieur le ministre, mais il est tout de même concerné. En tout état de cause, ces incontestables effets d’aubaine sont choquants.

J’aimerais connaître votre sentiment à ce sujet. Quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour faire en sorte que le crédit d’impôt recherche soit géré avec une extrême rigueur, compte tenu de la nécessité de soutenir nos chercheurs ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, vous avez raison, tout outil est en permanence perfectible. Lorsqu’un outil a un impact important, il peut toujours entraîner des effets d’aubaine.

Le secteur des banques et des assurances représente 3 % du crédit d’impôt recherche octroyé. Certes, je n’ai pas examiné cette question de manière aussi détaillée que l’ont fait le président et le rapporteur de la mission commune d’information, mais le fait que ce secteur soit potentiellement éligible au CIR ne pose pas en soi de problème. Peut-être y a-t-il, parmi ces 3 %, des effets d’aubaine ? Mais l’administration et le Gouvernement vérifient en permanence l’utilisation de ces fonds.

Cela étant, globalement, réjouissons-nous de l’impact du crédit d’impôt recherche ! Vous connaissez tous, comme moi, nombre de chefs d’entreprise qui ont soit maintenu, soit recréé, soit créé des centres de recherche et de développement en France, alors qu’ils envisageaient de le faire ailleurs.

La semaine dernière, j’ai reçu un chef d’entreprise français ayant créé dans la Silicon Valley des entreprises internet qui se développent très bien. Il m’a fait part de son projet de créer un centre de recherche en France, ce dont il était très heureux en tant que Français, bien que très attaché désormais à la Californie. Il a souligné que le crédit d’impôt recherche et le dispositif jeune entreprise innovante constituaient des atouts qui lui permettaient d’être compétitif par rapport à ce qu’offrait la Silicon Valley. Il a ajouté, pour être tout à fait juste, qu’il lui semblait que, en matière de capital-risque ou de capital-développement, nous devions encore passer un palier. C’est une exigence qui, je crois, s’impose à nous.

Je retiens de votre intervention, monsieur le sénateur, que vous considérez que cet outil est perfectible et que nous pouvons lutter contre d’éventuels effets d’aubaine. J’attirerai de nouveau l’attention de mes collègues, notamment de Christine Lagarde, sur le sujet. Mais je le répète, très sincèrement, l’impact du crédit d’impôt recherche est globalement extrêmement positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Un rapport d’Alain Claeys sur ce sujet fait des propositions très utiles pour mieux cibler le CIR !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Au cours de la mission commune d’information, le crédit d’impôt recherche a été plébiscité par toutes les entreprises, quels que soient les territoires sur lesquels elles sont implantées. Il s’agit, à l’évidence, d’un bon dispositif.

Toutefois, il existe effectivement des effets d’aubaine. Veillons à les corriger en resserrant le dispositif, pour qu’il s’adresse plus encore aux PME innovantes. Il s’agit non pas de valoriser le dispositif existant, mais de favoriser réellement l’innovation. Voilà ce qui ressort des auditions que nous avons menées.

Monsieur le ministre, je ne veux pas polémiquer, mais permettez-moi de revenir sur plusieurs points.

Tout d’abord, un fait est un fait et une statistique, une statistique.

Si j’ai évoqué à plusieurs reprises l’entreprise Bosch, c’est parce que les propos du responsable que nous avons rencontré étaient clairs et concrets.

En revanche, je me méfie des statistiques. Ainsi, je pensais qu’en France l’impôt sur les sociétés était de 33 %. Or, à la lecture de mon journal, j’ai appris que Total n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés ! Pas plus que Vivendi ! D’ailleurs, les sociétés du CAC 40 paient en général 20 % au titre de l’impôt sur les sociétés !

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Certaines n’en paient effectivement que 8 % ou 10 % !

Les chiffres qui nous ont été donnés la première fois par le Centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises, COE-Rexecode, étaient faux ! Ils avaient été traficotés ! J’avais d’ailleurs prévenu le rapporteur, M. Chatillon !

Soyons prudents, car on arrive parfois à faire dire aux statistiques ce qu’elles ne veulent pas dire ! Au contraire, lorsqu’un dirigeant d’entreprise vous énonce un fait concret, tout est clair.

Enfin, concernant l’énergie, il nous faut conserver l’énergie la moins chère possible. Toutefois, ce qui arrive aux ménages, avec le commencement de l’application de la loi NOME, est scandaleux. Libérons les capacités d’innovation que nous avons pour produire des énergies renouvelables !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Pour revenir une dernière fois sur l’exemple de l’Allemagne, je tiens à souligner que nous n’avons fait que reprendre le rapport d’un certain Didier Migaud. J’espère que vous êtes favorable à ce qu’il a écrit. Si vous êtes contre, dites-le !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Le parti socialiste est pluraliste ! D’ailleurs, M. Besson le sait bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

C’est à la virgule près ce qu’a dit M. Migaud !

Par ailleurs, s’agissant du crédit d’impôt recherche, je souligne qu’il n’est pas orienté à 30 % vers le secteur de l’assurance.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Je le sais bien, mon cher collègue, mais je tiens à le préciser pour éviter toute mauvaise interprétation : ce sont les holdings qui en bénéficient.

C’est pourquoi nous avons demandé, à l’unanimité, que le crédit d’impôt recherche soit beaucoup plus largement orienté vers les PME.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

C’est dans ce cadre-là que nous nous situons. Il faut resserrer le filtre du crédit d’impôt recherche, car un certain nombre de très grands groupes arrivent, par filialisation, par holdings séparées, à récupérer des masses relativement importantes. Nous devons rééquilibrer cette situation en faveur des petites et moyennes entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il y a donc un véritable effet d’aubaine ! Je suis d’accord avec ce que vous dites !

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’avais pas l’intention d’intervenir dans ce débat, mais j’y suis incité par les vigoureux plaidoyers, que j’ai entendus tout à l'heure et que je partage, sur le développement des infrastructures, base indispensable à l’industrialisation, et sur le ferroutage.

Pour être à proximité de la région lyonnaise, je connais bien les difficultés de transport posées par le franchissement des Alpes. À ce propos, où en est-on du tunnel Lyon-Turin et du projet de ferroutage ? Le chantier semble en panne… Où en est l’étoile ferroviaire lyonnaise ? Là aussi, le chantier semble en panne ! Cela prouve, comme l’a souligné tout à l'heure notre collègue communiste, que le fret ferroviaire est aujourd'hui en déclin total dans notre pays. C’est un constat que je déplore comme tout le monde, mais c’est la vérité !

Dans les débats relatifs aux infrastructures, on assiste en permanence à un duel entre la voie ferrée et la route. Cependant, on oublie un autre mode de transport, très utile là où il est possible, je veux bien sûr parler de la voie d’eau.

Pour ma part, je me félicite que le Président de la République ait pris, voilà quinze jours, l’initiative courageuse d’engager un dialogue compétitif entre les entreprises pour la réalisation du canal Seine-Nord Europe, qui devrait être achevée – c’est officiel – dans trois ans. C’est une grande victoire pour le transport en général et pour les infrastructures françaises en particulier que d’avoir décidé de créer ce canal !

En outre, un tel projet constitue à mes yeux une grande ouverture dans la mesure où c’est la première fois en cent ans que l’État français s’intéresse aux voies navigables.

Il faut donc lui donner une suite, monsieur le ministre. Ce sera, vous l’imaginez bien, la fameuse liaison Rhin-Rhône que l’on a voulu occulter en 1997. Je ne reviendrai pas sur le passé, car il faut aller de l’avant. Je vous parlerai aujourd'hui du canal Saône-Moselle, qui a la même fonction. Ce projet devrait pouvoir être mis en chantier dans quatre ou cinq ans, le temps de creuser définitivement le canal Seine-Nord Europe. Il s’agit d’une grande infrastructure nord-sud.

Faut-il rappeler que tout le fret entre le nord et le sud de l’Europe passe par la Bourgogne ? Les Bourguignons, dont je suis, en ont assez des camions, monsieur le ministre !

Nous avons besoin d’une vraie voie d’eau dans ce secteur et non pas d’un TGV Rhin-Rhône qui ne servirait à rien ! Aidez-nous à la réaliser dès que le canal Seine-Nord Europe sera achevé !

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, sitôt que ce débat sera terminé, je rencontrerai Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani. Je leur ferai part de vos remarques, auxquelles je souscris en tant que maire d’une commune située au bord du Rhône, le long de l’autoroute A7 et de la route nationale 7, car je suis, comme vous, confronté régulièrement aux bouchons de Montélimar. Je partage donc votre diagnostic.

Monsieur le président de la mission commune d’information, vous avez dit ne pas vouloir polémiquer. Telle n’est pas non plus ma volonté. Considérez donc que mes propos participent à l’échange et au dialogue que nous avons.

Tout d’abord, vous avez indiqué que Total ne paie pas d’impôt sur les sociétés en France. Il se trouve que l’actualité m’a conduit à examiner la situation de cette entreprise. Certains ont cru, moi le premier, que Total ne payait pas d’impôt sur les sociétés au titre de ce que l’on appelle le bénéfice mondial consolidé, en vertu duquel un certain nombre de grands groupes ayant des activités en France retirent, pour partie, de leurs bénéfices les pertes qu’ils enregistrent à l’étranger.

Cependant, Total n’est pas dans ce cas. La société réalise des bénéfices dans la distribution pétrolière, mais perd beaucoup d’argent dans le raffinage, de par la volonté même de l’État qui lui demande de ne pas fermer des raffineries aujourd'hui déficitaires, alors même que l’Europe est en situation d’excédent dans ce domaine. Il faut donc faire attention à ce que disent les uns ou les autres !

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire de bonne foi – je sais pouvoir compter sur la vôtre ! – que le prix de l’énergie a aujourd'hui un quelconque rapport, pour les particuliers notamment, avec la loi NOME.

Vous le savez, aux termes mêmes de la loi que le Parlement a votée, les tarifs pour les particuliers resteront des tarifs régulés ou réglementés jusqu’en 2015. Après cette date, il reviendra à la Commission de régulation de l’énergie de fixer le niveau des prix.

Accordons-nous au moins pour dire que la question ne se pose pas jusqu’en 2015. Certes, vous pouvez me dire que vous anticipez, mais vous ne pouvez pas accuser la loi NOME de tous les maux.

De surcroît, il faut rappeler que c’est le ministre chargé de l’énergie – je le dis d’autant plus volontiers qu’il s’agit de mon prédécesseur, Jean-Louis Borloo – qui, en la circonstance, a très intelligemment négocié cette loi avec la Commission européenne pour que nos industriels ne soient pas tous condamnés à des amendes de plusieurs centaines de millions d’euros, voire quelques milliards d’euros, pour avoir bénéficié de tarifs régulés indus au regard de la réglementation européenne.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Je vous assure que les participants à la négociation savent ce qu’il en a été.

De ce point de vue-là, la loi NOME nous a permis de trouver un terrain d’entente avec la Commission européenne au bénéfice de nos industries, et donc de nos emplois.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt du rapport de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, dont je veux, à mon tour, remercier l’ensemble des membres et saluer chaleureusement le président, Martial Bourquin, qui est à l’origine de cette démarche. Ces travaux étaient indispensables, de trop nombreux territoires souffrant de fermetures et de réductions d’effectifs en cascade.

Mon département, où l’industrie représente 18 % de l’emploi total, a été particulièrement touché. Le taux de chômage a explosé depuis la crise à près de 14 %. Dans l’Aisne, on répertorie 2 291 établissements industriels, 31 700 salariés et 6 400 destructions d’emplois depuis 2008, notamment dans le secteur des biens intermédiaires, de la plasturgie et de l’automobile.

Comme cela a été souligné, aujourd’hui, après les états généraux, on discerne mal la stratégie nationale mise en œuvre.

Mon intervention portera sur trois points.

D’abord, les pôles de compétitivité ont vocation à créer ou à renforcer le lien entre l’université, la recherche et les entreprises. Le pôle de compétitivité Industries et Agro-Ressources, IAR, commun aux régions Picardie et Champagne-Ardenne, doit, dans l’Aisne, être à l’origine d’un site de développement orienté dans le secteur des questions environnementales – monsieur le ministre, votre appui est attendu sur ce dossier – à proximité d’un site militaire qui sera abandonné en 2012.

Ensuite, l’impératif est de donner aux PME les moyens de se développer et, pour ce faire, le rôle du maillage territorial est essentiel. C’est en cela que le schéma national d’infrastructures de transport, le SNIT, dont nous avons débattu dans cette enceinte, est insuffisant, au regard tant de la question du ferroutage que de celle la modernisation des axes routiers stratégiques ; bien entendu, je pense au dossier de la RN 2.

Enfin, il est temps de doter notre pays d’une véritable stratégie industrielle, de renouer avec la compétitivité et de sortir de leur isolement nombre de territoires, tels que l’Aisne.

La question se pose donc – cela a déjà été dit – des tarifs prohibitifs en matière de fret ferroviaire par wagons isolés, qui pénalisent les territoires enclavés où sont implantées des entreprises au fort potentiel de développement ; je pense notamment à une société du groupe Bayer, dont le site implanté dans le bourg rural de Marle-sur-Serre est particulièrement pénalisé.

Monsieur le ministre, quelle ambition pouvons-nous porter pour permettre aux activités économiques implantées dans le tissu rural de garder leur compétitivité en matière de logistique, d’approvisionnement et de distribution de leurs produits ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, une nouvelle fois, seule la première partie de votre question relève de la compétence du ministre de l’industrie que je suis, la seconde étant du ressort de mes collègues en charge des transports, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et M. Thierry Mariani.

Concernant la première partie de votre question, je confirme votre diagnostic et notre approche commune. Nous avons créé un pôle de compétitivité Industries et Agro-Ressources, qui porte spécifiquement sur la question que vous voulez développer, à savoir le lien entre recherche, industrie et ressources humaines. Beaucoup a été fait depuis 2007, vous le savez, mais nous devons poursuivre dans cette voie.

S’agissant du fret ferroviaire et des infrastructures de transport, je vais répercuter vos questions à mes collègues et peut-être suggérer que vous approfondissiez le sujet avec eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Monsieur le ministre, mon propos sera bref, car j’ai déjà abordé ce point dans le débat sur la question orale, et je ne vous demande pas forcément une réponse immédiate.

Dans les années à venir, l’industrie européenne va se heurter au problème des quotas de gaz carbonique, qui, dans certaines régions, seront de véritables enjeux stratégiques. Je pense, par exemple, à la Lorraine et à la Moselle, qui, en matière de sidérurgie, envisagent de garder une filière fonte, laquelle émet du gaz carbonique.

Aujourd’hui, nous participons au programme-cadre de recherche et développement de l’Union européenne sur la sidérurgie à très faibles émissions de CO2, baptisé Ultra Low CO 2 Steelmaking, ou ULCOS.

Pour sauver la sidérurgie française, il faut parvenir à enterrer une partie du gaz carbonique produit, afin qu’il ne se dégage pas dans l’atmosphère. C’est justement sur les quotas de dioxyde de carbone que nous allons être en compétition à l’avenir !

Comment faire pour continuer à produire, par exemple dans les domaines de la chimie ou de la pétrochimie ? C’est toute la pétrochimie française qui est menacée. Comment utiliser la filière bois, qui recycle énormément de gaz carbonique ? Comment maintenir une sidérurgie, développer des activités souvent productrices du fameux gaz carbonique que nous craignons tous, même en faisant des économies ?

Monsieur le ministre, il s’agit, je le sais, d’une préoccupation forte de votre gouvernement. Les Lorrains, mais aussi les Marseillais, sont très concernés. En effet, tous ceux qui s’occupent d’énergie, de pétrole, de chimie et de sidérurgie se sentent inquiétés par ces fameux quotas de dioxyde de carbone. Aussi aimerions-nous être rassurés sur les réflexions gouvernementales à cet égard.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Pardonnez-moi de faire la même réponse pour la quatrième fois consécutive, mais cette question du marché du CO2 est de la compétence de ma collègue Nathalie Kosciusko-Morizet. Je vais toutefois vous rappeler quelques éléments que vous connaissez.

Le paquet énergie-climat, adopté sous présidence française en décembre 2008, renforce et améliore le système de quotas à partir du 1er janvier 2013, en pérennisant le dispositif qui s’étend désormais au-delà de la période de validité actuelle, en fixant un niveau élevé d’ambition, puisque le plafond d’émission sera réduit de 21 %, en généralisant progressivement la mise aux enchères de quotas, ce qui permettra d’améliorer l’efficacité économique du système et accroîtra l’incitation des acteurs concernés à réduire leurs émissions à court terme et à moyen terme.

Nous sommes conscients du problème que vous avez évoqué et nous veillons à ce que nos industriels ne soient pas pénalisés de la façon que vous avez à juste titre décrite ; nous en parlons en permanence dans les négociations.

L’autre voie est évidemment celle du progrès technologique. De nombreux secteurs industriels que vous avez cités essaient de développer des activités « propres ». C’est notamment le cas du programme ULCOS, que vous connaissez et qui apparaît majeur et intéressant.

Au sein de l’État, nous sommes en train de discuter, notamment avec Arcelor, de son financement qui n’est pas aujourd’hui bouclé, mais nous espérons avancer.

Même dans ces domaines, il existe d’importantes potentialités créatrices de nouvelles technologies et d’emplois.

Monsieur le président, nous avons eu le plaisir de nous réunir depuis quatorze heures trente, un plaisir long, puisqu’il est presque dix-neuf heures !

Sourires

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Ce débat était extrêmement intéressant. Je remercie toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui, cet après-midi, ont témoigné de leur passion pour l’industrie, une passion que le Gouvernement partage.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Permettez-moi d’ajouter, monsieur Leroy, qu’un mètre cube de bois séquestre une tonne de carbone et que, en France, l’utilisation de la filière bois en est à ses balbutiements.

Nous avons besoin d’utiliser le bois dans la construction, dans les travaux publics, pour faire en sorte que ce que nous dépensons en CO2 soit capturé par la filière bois. Cette dernière a effectivement des possibilités méconnues qui s’ouvrent à nous, en particulier la chimie verte.

Plusieurs pays sont pilotes : un pays scandinave et, au Canada, la province du Québec. Sur cette question-là, ce sont des emplois induits très importants non seulement pour la construction, mais aussi pour l’avenir de notre société. Voilà pourquoi votre question était, comme à l’accoutumée, très intéressante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous en avons terminé avec le débat sur la désindustrialisation des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, sur la réforme de la formation des enseignants.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Brigitte Gonthier-Maurin interroge M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative sur la réforme de la formation des enseignants.

« Plusieurs rapports émanant du ministère pointent de réelles difficultés dans la mise en place de la mastérisation.

« En juillet dernier, un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale alertait le ministère sur l’insuffisance des moyens prévus pour financer la formation des professeurs débutants et soulignait le risque de recours juridictionnel des stagiaires au motif d’une rupture d’égalité de traitement. Ce rapport montrait en effet comment la situation sur le terrain se traduisait par une extrême hétérogénéité des situations pour les enseignants stagiaires se retrouvant sans aucune formation devant les élèves et, pour certains, dès la rentrée de septembre.

« Une étude, datée de novembre, relative au dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premier et second degrés et émanant de la direction générale des ressources humaines du ministère, fait état des difficultés rencontrées par les enseignants stagiaires : fatigue, difficulté à concilier, dans l’urgence, organisation des classes et formation, manque de méthode, manque de recul, retard dans la nomination de tuteur... Les jeunes enseignants se trouvent ainsi dépourvus des outils pour remplir leurs missions auprès de leurs élèves.

« Le 19 janvier dernier, lors de ses vœux au monde de la culture et de la connaissance, le Président de la République a déclaré qu’il fallait remettre “sur le chantier certains éléments de cette formation”, afin « de mettre devant nos enfants des professeurs mieux formés, connaissant mieux leurs matières, et mieux préparés à l’enseignement d’une classe d’âge ».

« Aussi, elle demande au ministre comment et dans quels délais le Gouvernement compte revenir sur cette réforme afin de satisfaire pleinement à ce triple objectif. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette question sur la réforme de la formation des enseignants, j’ai souhaité remettre « l’ouvrage sur le métier » et prendre ainsi au mot le Président de la République qui, lors de ses vœux au monde de la connaissance et de la culture, avait entrouvert cette porte.

Je ne reviendrai pas sur la méthode employée par le Gouvernement ni sur l’absence de concertation réelle, pour aboutir, au final, à une réforme qui fait l’unanimité contre elle, tant elle tourne le dos à l’objectif affiché : améliorer la formation des enseignants.

À l’inverse, son objectif comptable, soit la suppression de 16 000 postes de stagiaires et de l’année de formation rémunérée, a bien été atteint.

L’objectif idéologique consistant à « régler leur compte aux IUFM », qui était un engagement du candidat Sarkozy, a été également atteint.

J’en viens à l’objectif éminemment politique. L’importance grandissante des savoirs dans notre société est une réalité. Dès lors, le système néolibéral est face à une contradiction : comment obtenir un salariat mieux et plus formé sans dépenser plus dans la formation, ni donner aux futurs salariés la maîtrise des savoirs ? Il y parvient par une différenciation, une individualisation des parcours de formation dans un système éducatif reposant sur un cadre de moins en moins national et de plus en plus territorialisé et, donc, par une différenciation de la formation des enseignants, par la casse du cadre national, l’affaiblissement du concours face au master.

Confortée par les auditions que j’ai menées de personnalités, de syndicalistes, d’enseignants stagiaires – je salue ceux qui sont présents dans les tribunes –, j’ai la profonde conviction, je le dis très solennellement, qu’il est urgent d’agir, tant la catastrophe annoncée est aujourd’hui devenue réalité.

C’est une réalité que le Gouvernement tente de masquer depuis septembre, malgré tous les signaux d’alerte, même ceux qui proviennent de ses propres services.

Je pense, bien sûr, à la synthèse de juillet 2010 émanant des trois inspecteurs généraux de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Ils y pointent l’insuffisance des moyens prévus pour financer la formation des professeurs débutants, décrivant l’extrême hétérogénéité des situations pour les stagiaires et le risque de recours juridictionnel au motif d’une rupture d’égalité de traitement.

Je pense également à l’étude de la Direction générale des ressources humaines, en novembre dernier, qui fait état des difficultés rencontrées par les enseignants stagiaires : fatigue, difficulté à concilier, dans l’urgence, organisation des classes et formation, manque de méthode, manque de recul, retard dans la nomination de tuteur...

En outre, vient de vous être remis, comme à Mme Pécresse, un rapport d’étape sur la mastérisation de la formation initiale des enseignants, élaboré par le président du Comité de suivi du master, M. Jean-Michel Jolion. Le constat qu’il dresse est sévère. J’y retrouve le sombre tableau qui m’a été dépeint.

Je n’en partage cependant pas les recommandations, qui préconisent « de simples ajustements ». En effet, il faut aller bien au-delà et redonner de l’ambition à la formation des enseignants ; je vais y revenir.

À présent, en ma qualité aussi de rapporteur pour avis de la mission « Enseignement scolaire », je dirai un mot sur les professeurs de lycée professionnel, les PLP.

Ces professeurs sont les grands oubliés de cette réforme. Les IUFM n’ont plus de candidat. On ne pourra donc plus recruter dans les disciplines professionnelles, soit parce qu’il n’existe tout bonnement pas de master, soit parce que l’effort supplémentaire exigé, notamment financier, finira de décourager les vocations.

Si rien n’est fait, ce sera la perte garantie de tout un potentiel d’intervenants de qualité et un recours accru à des contractuels. On se heurte à un principe de réalité.

Il faut donc sortir du déni. C’est aussi le sens de ma démarche.

Je le dis avec force en pensant aux témoignages des enseignants du collectif « Stagiaire impossible » que j’ai reçus, à la souffrance exprimée, aux sentiments d’abandon et d’isolement, au stress, à la tension, à l’épuisement physique et psychologique ressentis ; mais je le dis aussi en pensant à leur détermination à réagir face au mépris de l’institution qui refuse de les entendre, à l’acuité de leur conscience professionnelle à l’égard de leurs élèves, lesquels, ils en sont conscients, paieront les pots cassés.

« Nous sommes des cobayes, mais aussi des preuves que cela peut fonctionner… a minima ! », me confiait avec lucidité l’un de ces stagiaires qui se sent « complice » du désastre. En effet, la perversité de cette réforme est bien là !

La rentrée a eu lieu, cahin-caha, grâce à une « surmobilisation » des équipes sur le terrain, des inspecteurs aux enseignants, pour répondre à une situation d’urgence. Comment ? Par du bricolage ! Le mot revient régulièrement. Et l’on retrouve cette « diversité kaléidoscopique » des situations pour les enseignants stagiaires, décrite par les inspecteurs généraux. La génération que l’on peut qualifier de « sacrifiée » est composée de ceux qui n’ont pas eu de stage du tout.

« Année de transition », rétorque-t-on au ministère. Faux ! La situation des étudiants de master montre qu’il n’en est rien. Du fait de cette réforme, tant par son contenu que par sa philosophie, rien ne se réglera, bien au contraire.

Alors que faut-il faire ? Je me suis interrogée sur les mesures à prendre, celles qui sont urgentes et les autres.

Je pense que l’urgence, ce sont les enseignants stagiaires. Il faut en faire de vrais stagiaires, ce qui signifie le rétablissement immédiat du tiers temps devant la classe.

Pour le reste, il faut tout reprendre. On ne pourra replâtrer cette réforme.

Cela tient principalement à la conception du métier d’enseignant qui la sous-tend, selon laquelle si l’on est bon et fort dans sa discipline, on est capable de l’enseigner ; avec un bac+5, il suffit de s’appuyer ensuite sur les « bonnes pratiques » transmises par le « compagnonnage » de professeurs aguerris.

Il existe certes des pratiques meilleures que d’autres, mais l’imitation ne fonctionne pas. Enseigner est un métier qui s’apprend ; il faut donc être formé pour l’exercer. La réalité de ce métier, c’est l’inverse d’un métier que vous voulez de plus en plus encadrer et enfermer dans un rôle de simple prescripteur.

Le sort que vous avez réservé aux stages et aux formateurs en est une preuve flagrante.

Les stages ont été réduits à la portion congrue. Aujourd’hui, la réalité approche les cinquante heures, moitié moins que ce qui avait été promis. C’est une régression terrible par rapport au volume d’heures qui prévalait d’environ quatre cents heures pour le premier degré et deux cent soixante pour le second degré.

Faute de moyens, la mise en stage des étudiants se révèle extrêmement difficile, quand elle n’est pas impossible dans le second degré. Certains rectorats, lorsqu’ils disposent encore de quelques surnombres, y parviennent tant bien que mal, mais il existe autant de situations que d’académies. Les disparités sont énormes. Il n’y a plus ni cohérence ni cadrage national.

Les étudiants servent de bouche-trous au gré des problèmes de remplacement, dont on connaît l’ampleur du fait des suppressions massives de postes. « On met en stage pour mettre en stage et faire du chiffre », m’a confié un inspecteur de l’éducation nationale. Un autre témoigne de stages remplacés par du tutorat d’élèves en bibliothèque.

Quid de l’obligation de stage dans chacun des différents cycles ? Elle a disparu ! Un professeur des écoles pourra ainsi être nommé en maternelle, sans y avoir jamais mis les pieds.

La question des formateurs est aussi révélatrice.

Dans le primaire, la catastrophe a été un peu amortie grâce au maintien du réseau de maîtres formateurs et de conseillers pédagogiques formés à dessein. Mais le rétrécissement de leur champ d’intervention a coupé leur lien avec la recherche. Cette perte du « regard croisé » est dommageable.

Dans le second degré, où ce réseau n’existait pas, la charge revient aux tuteurs, sur lesquels vous faites reposer un prétendu « compagnonnage ». Ce terme est, en réalité, vidé de son sens. En effet, un compagnon est reconnu comme tel par ses « pairs » du fait de la formation qui lui a été délivrée. Ces tuteurs, eux, n’ont reçu aucune formation de « formateur ».

Malgré la meilleure volonté, il ne suffit pas de transmettre un geste ; il faut aussi savoir l’analyser, sans compter que ce geste transmis est subjectif. Quid de son évaluation ? Un inspecteur pédagogique régional m’a ainsi indiqué que 10 % environ des tuteurs désignés avaient eu des rapports d’incompétence de leur hiérarchie et que d’autres leur étaient totalement « inconnus », au sens où leur méthode n’a jamais été éprouvée.

De plus, cette formation se trouve réduite à un tête-à-tête stagiaire-tuteur, où le tuteur est juge et partie. L’avis de ce dernier sera déterminant pour la titularisation, ce qui lui impose une très lourde responsabilité. Il s’ensuit un climat malsain, de tension, qui conduit nombre de stagiaires à ne pas se confier à leur tuteur, s’ils en ont un ou quand ils se trouvent dans le même établissement qu’eux.

La perte de ce « regard croisé » des formateurs est un des aspects très négatifs de cette réforme, sur lequel il faudra revenir. Tout comme il faudra réinterroger le devenir des IUFM au sein des universités. Mon collègue Ivan Renar y reviendra plus longuement tout à l’heure.

Nous sommes en train de voir disparaître toute une ingénierie en termes de potentiel humain et d’outils de formation.

J’aborderai maintenant le master, le cœur de votre réforme.

Ingérable, aberrante, absurde, l’année de M2 fait l’unanimité contre elle, car son fonctionnement est tout bonnement impossible ! Les étudiants sont censés tout faire à la fois : préparer le concours, passer l’admission, valider le master, faire des stages, s’initier à la recherche et produire un mémoire. La réalité, c’est qu’ils préparent surtout le concours. « On forme des candidats au concours et non plus des maîtres », a résumé fort justement un formateur de l’IUFM de Versailles.

Votre réforme a « mastérisé » non pas la formation comme elle le prétendait, mais le concours, ce qui n’est pas sans conséquence et sans risque sur le maintien d’un concours national et, donc, d’un cadre national de recrutement.

De ce fait, la formation des enseignants de ce pays n’est aujourd'hui ni davantage professionnalisante ni davantage qualifiante, paradoxe du passage à un bac+5. Elle a gravement reculé sur les deux tableaux, qu’elle n’articule absolument pas, comme le ferait un modèle intégré. Pis, elle constitue une caricature de modèles successifs : le futur enseignant se consacre d’abord à l’acquisition de savoirs académiques et à la préparation d’un concours, avec quelques stages optionnels.

Les étudiants trancheront, et c’est déjà le cas, en faveur de la préparation du concours !

Une fois admis et le master validé, détail non négligeable, l’enseignant stagiaire dispose d’un an pour apprendre le métier et décrocher sa titularisation. Sachant qu’il assure un service complet devant sa classe, contre 40 % auparavant, il n’aura ni le temps, ni les ressources, ni l’énergie pour prendre le moindre recul sur sa pratique. Les stagiaires auront le nez dans le guidon !

« On rate un cours, mais on refait le même, car on n’a pas le temps de le modifier », m’expliquait un jeune enseignant d’histoire-géographie. « On nous formate à une médiocrité. Il n’y a pas de bonne recette. C’est pour cela qu’il faut une formation complète. »

Vous avez ainsi mis en place un modèle qui est unique en Europe, mais aussi en France au sein même de la fonction publique : le métier d’enseignant est désormais le seul où l’on ne soit pas formé après le concours.

Dis-moi comment tu formes tes enseignants, je te dirai quelle ambition tu as pour ton école !

Œuvrer en faveur de la réussite de tous les élèves, c’est relever le défi d’une réelle démocratisation scolaire, ce qui nécessite que la nation investisse dans la formation de ses enseignants et fasse preuve d’ambition. C’est pourquoi, même si certains points font encore débat, comme la place du concours, les divergences peuvent être dépassées en bâtissant une réforme sur des principes solides et intangibles.

Je pense, tout d’abord, à la réaffirmation d’un cadre et d’un cadrage national de la formation : masters, stages formateurs, lieux de formation, avec l’idée d’IUFM rénovés, autonomes, garantissant un maillage territorial pour un égal accès à la formation.

À cela, vous allez me rétorquer l’argument de « l’autonomie des universités ». Or autonomie ne veut pas dire absence de règles, comme l’a dit votre collègue Valérie Pécresse, qui a défini un cadrage pour les licences.

Je pense, ensuite, au maintien d’un recrutement sans concours et d’un statut de fonctionnaire avec des contenus de concours révisés incluant une partie professionnalisante.

Je pense également à la mise en place d’un « continuum de formation », seul à même de former de véritables enseignants-concepteurs. Ainsi, une formation initiale de type intégré articulerait, dans la durée et la progressivité, la formation disciplinaire, l’acquisition d’une solide culture de référence, notamment mathématique, scientifique, artistique, sportive, la formation professionnelle, tant pédagogique, didactique, qu’en matière de psychologie de l’enfant, le tout en lien avec la recherche, dans des allers et retours permanents, avec une véritable formation continue.

Sur ce point, soyons clairs, nous partons désormais de zéro tant les crédits ont été rabotés. Il faudra donc une formation continue digne de ce nom, pérenne et en lien avec la recherche. Cela implique de développer très fortement une recherche « en éducation, sur et pour l’éducation ». Il est grand temps de rattraper le retard au regard des enjeux que recouvre notre système éducatif.

Je pense, enfin, à des stages dans leur diversité rétablie : des stages d’observation, accompagnés, en responsabilité, avec une montée en puissance progressive, dans chacun des cycles et niveaux d’enseignement, avec un temps de service aménagé après la titularisation.

Tel est, brossé à grands traits, le portrait d’une autre réforme. Pour remplir pleinement son objectif, elle devra être irriguée par deux idées force.

La première, c’est une plus grande démocratisation dans l’accès au métier d’enseignant et une relance de son attractivité.

La seconde, tout aussi essentielle, c’est d’écarter les mesures qui, de près ou de loin, auront pour conséquence de créer un vivier de vacataires précaires, comme le seront les bataillons de reçus-collés, lesquels constituent une aubaine pour des établissements que l’on pousse vers toujours plus d’autonomie, jusqu’au pouvoir de recrutement des personnels confié aux chefs d’établissement, pouvoir vers lequel ce gouvernement chemine avec le programme « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite », dit programme CLAIR.

Pour concilier ces objectifs, je crois en la pertinence d’un pré-recrutement, dont les modalités sont à discuter. Cela me semble être la clef capable de dénouer bien des fils. Cette solution a le mérite de sortir de l’impasse « de la place du concours », en proposant non plus une, mais plusieurs voies d’accès au concours. C’est une arme pour une meilleure démocratisation du métier, pour sa vitalité, en supportant ceux qui se destinent tôt au métier. Enfin, elle marquerait un réel engagement de la nation en faveur de la formation, du métier d’enseignant et au profit des élèves.

Ces principes inscrits dans le marbre, un modus vivendi me paraît possible afin que ces métiers de l’éducation, en perte de sens, mais d’une capacité d’invention formidable, reprennent collectivement la main pour défendre un « métier de qualité » et son rôle dans une école démocratique.

Il y a donc la place, monsieur le ministre, pour un autre projet, ambitieux, avec des propositions qui, pour beaucoup, recueillent un consensus. Allez-vous enfin accepter de revenir sur cette réforme de la formation des enseignants ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quinze jours, Jean-Michel Jolion, président du Comité de suivi du master, remettait à Valérie Pécresse son rapport d’étape sur la mastérisation, qui constitue la clé de voûte de la réforme de la formation des enseignants.

L’éducation de nos enfants constitue un élément fondamental de l’avenir de notre nation. C’est pourquoi l’école de la République se doit d’offrir les mêmes chances à tous. La formation des enseignants est bien évidemment la clef de voûte de cette réussite.

Je veux tout d’abord saluer le formidable travail de nos enseignants, et ce à quel que niveau que ce soit. Ils sont les garants d’une éducation complète de nos enfants, je tiens à le souligner. Il est vrai que leur tâche est ardue. C’est un métier de vocation, et quelle plus belle vocation que la transmission du savoir à nos jeunes !

L’enseignement connaît aujourd’hui de nombreuses difficultés, que nous nous efforçons d’atténuer.

Je prendrai un exemple pour illustrer mes propos. Au regard du paradoxe français, si l’investissement de la France dans l’éducation nationale se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE, les résultats obtenus sont cependant insuffisants et ne sont pas toujours en corrélation avec les moyens mis en œuvre. En effet, aujourd’hui, 15 % au moins des élèves sortant du primaire ne savent pas lire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce résultat.

On voit ici l’importance de l’école primaire dans le parcours scolaire. Si la lecture et l’écriture ne sont pas maîtrisées à l’arrivée au collège, comment espérer que la scolarité des élèves se déroule sans problème par la suite ?

La réforme de la formation des enseignants, qui nous réunit aujourd’hui, a pour ambition de pallier ces difficultés.

Elle tend à élever le niveau de qualification des personnels au moment de leur recrutement, à intégrer la formation des maîtres dans le dispositif licence-master-doctorat, ou LMD, à préserver les possibilités de réorientation pour les étudiants qui ne seront pas recrutés, à préparer progressivement au métier avant les concours et à offrir des mécanismes d’encouragement et de promotion sociale pour ceux qui se destinent à l’enseignement.

Cette réforme, engagée en 2008, n’a été mise en œuvre qu’à la rentrée dernière. Il faut laisser le temps à ce nouveau système de se mettre en place et éviter l’écueil des conclusions trop hâtives. Je pense qu’il est important de prendre le temps de la réflexion.

Je tiens également à faire un point sur la formation des professeurs des écoles.

L’intégration des IUFM dans les universités était l’occasion de modifier la formation des maîtres, dans une meilleure articulation des volets académique et professionnel. Le Comité de suivi du master avait d’ailleurs rappelé l’importance de l’implication personnelle des formateurs, enseignants et enseignants-chercheurs de ces instituts dans un processus de recherche. S’il nous faut revoir le plan de restructuration de cette formation, il est primordial que cela se fasse en concertation avec toutes les parties concernées et en prenant en compte les recommandations les plus pertinentes.

Encore une fois, je suis prudente quand il s’agit d’évaluer les effets de cette politique ; nous ne sommes pas en mesure, à ce jour, me semble-t-il, d’avoir le recul nécessaire pour en apprécier tous les effets.

Monsieur le ministre, je souhaite toutefois souligner les questionnements légitimes que peut soulever la réforme elle-même, ainsi que les propositions d’ajustement, qui méritent d’être étudiées.

Il semble que le contenu trop fortement théorique et disciplinaire du concours et de la formation puisse poser problème. La pédagogie et l’expérience pratique sont absolument indispensables ; il est donc primordial que cet aspect ne soit pas négligé.

Il est nécessaire que la mastérisation entraîne une approche du métier d’enseignant qui soit non pas trop académique, mais didactique et pédagogique. Il s’agit là de la clef de la réussite des élèves. En ce sens, un réajustement doit être opéré, en corrélation avec la professionnalisation.

Il est indispensable que les professeurs appréhendent à la fois l’aspect théorique et pratique de leur mission, avec une compréhension des problématiques de terrain. La transmission du savoir ne peut se cantonner à une simple approche théorique.

L’autre point que je souhaite soulever concerne justement la nécessaire professionnalisation des enseignants, avant qu’ils ne débutent leur carrière.

Là encore, l’IUFM permettait, grâce à une année « en classe », de prendre pied dans l’univers scolaire, d’observer, d’avoir une approche quant aux méthodes déployées, et ce afin de maîtriser l’application des outils pédagogiques, la gestion de la discipline, dans le cadre de la formation à l’enseignement.

Le fait que la mastérisation donne une priorité aux acquis théoriques des différentes disciplines ne me semble pas suffisant, n’étant pas assez professionnalisant pour les futurs enseignants.

Ce qui fait défaut ici, c’est non pas leur savoir, mais plutôt leurs difficultés à le mettre en pratique.

Il est indispensable que les jeunes professeurs maîtrisent les différents aspects de leur métier, afin que chacun puisse appréhender au mieux ses fonctions. C’est pourquoi j’accueille favorablement les expérimentations qui vont avoir lieu dans quelques rectorats, permettant de mettre en place une formation en alternance.

En d’autres termes, au lieu de concentrer l’essentiel des périodes de stage à la fin des deux dernières années de master, il s’agira de mener en parallèle la formation théorique et, à raison d’une journée par semaine, « l’immersion » pratique dans une classe.

Si le volume horaire des stages doit être équivalent, la répartition tout au long de la formation permet un apprentissage pratique et théorique en douceur et de manière proportionnée.

Bien évidemment, ces expérimentations, qui s’étendront, je l’espère, à un plus grand nombre de rectorats, ne doivent en aucun cas être un palliatif au manque d’enseignants. L’alternance qui est proposée se doit d’être au service de la formation des enseignants et leur permettre de découvrir différents types de cadres, d’écoles et de niveaux, de diversifier leur connaissance pratique de l’éducation nationale, tout en étant opérationnels dans les classes.

Monsieur le ministre, j’espère, que ces pistes seront soutenues et qu’elles permettront de stopper le mouvement de désaffection des étudiants pour la formation d’enseignant. En effet, en septembre 2010, le nombre de candidats présents aux épreuves des concours a chuté de près de moitié par rapport à l’année 2009.

Nous sommes à un moment charnière de cette réforme. Il est indispensable non seulement de donner de l’attractivité au « plus beau métier du monde », mais surtout d’assurer, par la formation, sa qualité au service de l’éducation de nos jeunes.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Poser le problème de la formation des maîtres, c’est poser la question de l’ensemble du système éducatif en France. C’est le rôle et la mission des personnels éducatifs qu’il faut repenser. Ne pas soulever cette question serait se résigner à former des maîtres pour l’école d’hier. » Ce sont des propos tenus lors d’un colloque voilà cinquante ans.

Depuis la création de l’école, avant même qu’elle soit déclarée gratuite, laïque et obligatoire, la formation des maîtres fait débat. S’opposent, d’une part, les adeptes du savoir, qui érigent comme sacrée et suffisante la connaissance d’une seule discipline – les « républicains », dirais-je » – et, d’autre part, ceux que l’on appelle, non sans mépris ou condescendance, les « pédagogistes ».

Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas à la stérilité de ce débat ? Ne pourriez-vous pas contribuer à y mettre fin ? Il existe, en réalité, une vérité de bon sens. Les maîtres doivent évidemment savoir ce qu’ils enseignent, mais ils doivent aussi savoir comment on enseigne ce qu’ils savent.

Dans son cours sur l’histoire de l’enseignement en France, réalisé en 1904 à la Sorbonne, Émile Durkheim disait déjà aux futurs enseignants : « Acquérir la science, ce n’est pas acquérir l’art de la communiquer. »

Monsieur le ministre, depuis les esquisses de la réforme proposée par votre gouvernement sur la formation des maîtres, nous nous sommes opposés. De longs et vifs débats ont eu lieu et nos propositions ont été bien peu écoutées. Je ne reviendrai pas sur les résultats de l’enquête relative au programme international pour le suivi des acquis des élèves, ou PISA, qui souligne le rôle de la formation des maîtres dans la réussite des élèves, mais ils montrent bien que votre réforme n’est pas adaptée.

Élever le niveau de connaissance des enseignants est une bonne chose. S’appuyer sur une formation universitaire de haut niveau me semble aller de soi. Cependant, je reviens, encore et toujours, sur la nécessité de la professionnalisation. La formation professionnelle doit véritablement accompagner la formation universitaire, et il serait bon qu’elle intervienne dès la licence. C’est un parcours professionnel qui doit être construit pendant les études supérieures, et pas seulement après, comme c’est le cas aujourd’hui.

En effet, il est inefficace et contre-productif que des étudiants puissent passer quatre années à l’université sans avoir jamais mis les pieds dans une classe, alors qu’ils aspirent à exercer ce beau métier. Imagine-t-on qu’il en soit ainsi pour les étudiants en médecine ?

Le métier de professeur s’apprend, car la formation à la connaissance de l’enfant est spécifique et nécessaire. Et le master « enseignement » devrait être complété par une année de stage en pleine immersion.

De plus, la formation sur une discipline unique ne favorise ni le travail des professeurs des écoles ou des collèges ni le travail en équipes pédagogiques. C’est pourquoi la pluridisciplinarité doit avoir une place dans la formation des futurs enseignants, au même titre que les pratiques de l’interdisciplinarité. Il semble évident aussi qu’un enseignant en école maternelle doit recevoir des connaissances pédagogiques spécifiques, tout comme un enseignant de collège. Cela passe donc par la mise en place de différentes filières de master intégrant chaque niveau scolaire, avec une formation en alternance adaptée.

Concernant un autre aspect de la formation professionnelle, il me semble essentiel d’insister sur la formation continue. Les enseignants en fonction sont en poste pour de nombreuses années. La formation continue est un droit et une nécessité. Il serait donc présomptueux de considérer que leur bagage de départ, si achevé fût-il aujourd’hui, saurait suffire pour le long voyage qu’ils auront à accomplir dans l’institution scolaire.

Je pense donc que la formation continue doit trouver une place obligatoire dans la vie professionnelle des enseignants. Elle devrait même être inscrite dans le statut des enseignants. Les stages avec évaluation devraient être pris en compte dans l’évolution de la carrière de l’enseignant et éventuellement pour sa réorientation vers d’autres activités éducatives. La formation tout au long de la vie de tous les personnels de l’éducation nationale est un impératif vital pour l’avenir du système éducatif.

Des moyens doivent donc être débloqués le plus rapidement possible, afin de mettre en place ce qui fait tant défaut aujourd’hui, si nous voulons avoir une école dynamique et adaptée en permanence aux évolutions et aux besoins des hommes et de la société, et figurer parmi les pays exemplaires dans la lutte pour l’égalité des chances.

Pour conclure, permettez-moi de citer les propos que Francisque Vial, qui fut directeur de l’enseignement secondaire au ministère de l’éducation nationale, a publiés dans la Revue pédagogique en 1904 : « Nous ne songeons pas à contester que savoir ne soit une chose et qu’enseigner n’en soit une autre. On peut être un maître savant et cependant un mauvais maître. » Alors, monsieur le ministre, accordez la priorité à la formation des maîtres pour que nous n’ayons que de bons maîtres !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est plus que jamais indispensable pour un enseignant de maîtriser parfaitement non seulement des connaissances, mais aussi une méthode d’apprentissage, ainsi qu’une bonne compréhension de l’enfant et de l’adolescent. Ceux-ci évoluent, désormais, dans le monde des nouvelles technologies de l’information, du numérique, de l’internet et du virtuel. Autant dire que le défi est de taille pour celui ou celle qui veut passionner son auditoire !

Dès le lancement de la désormais fameuse réforme dite de la mastérisation, nous avions été nombreux à exprimer nos craintes de voir la formation pratique des nouveaux enseignants réduite, voire occultée, au profit d’une formation universitaire, certes nécessaire, mais non suffisante. Le nouveau mode de recrutement et de formation des enseignants nous paraissait alors inquiétant. Ces craintes justifiées se sont malheureusement confirmées. La qualité de l’enseignement est en passe d’être sacrifiée, c’est mon intime conviction.

Enseigner, c’est d’abord transmettre des savoirs aux enfants, citoyens en devenir, pour leur donner les clés de compréhension de leur environnement et les moyens d’agir sur l’avenir. Mais force est de constater que posséder un haut niveau de connaissances ne donne pas automatiquement un certificat d’aptitude à la transmission. En réalité, le cœur de métier de l’enseignement, c’est d’abord le savoir-faire pédagogique. Cette compétence, rarement innée, peut s’acquérir et s’améliorer grâce à un apprentissage spécifique et prolongé, aujourd’hui absent de la nouvelle formation des enseignants.

Monsieur le ministre, vous avez souvent fait référence à l’apprentissage du vocabulaire, de l’orthographe ou du calcul mental. Nous souscrivons tous à l’idée d’y consacrer tous les moyens nécessaires. Mais je tiens à souligner une contradiction, en vous rappelant que ces matières ne font l’objet d’aucun apprentissage spécifique dans les cycles universitaires. L’enseignement du vocabulaire ou du calcul mental est pourtant très particulier. Comment comptez- vous transmettre ces bases aux élèves sans que les jeunes enseignants aient suivi une formation adéquate ?

Malheureusement, cette question se pose dans les mêmes termes pour l’ensemble des enseignements. Désormais, nos enfants sont confiés, à temps plein, à des stagiaires qui n’ont jamais reçu la moindre formation concrète d’enseignant.

Où sont passés les modules spécifiques sur la « tenue de classe », qui préparaient les enseignants à toutes les situations auxquelles ils sont inévitablement confrontés sur le terrain ? Les lieux de formation ne sont même plus identifiés, les écoles normales ont été remplacées par les IUFM qui, eux, ne sont pas remplacés. Nous en déduisons qu’à vos yeux enseigner n’est plus un métier…

Monsieur le ministre, sur un plan très concret, je souhaite vous interroger aussi sur le devenir des locaux des IUFM. Si certains ont d’ores et déjà fait l’objet d’un changement d’affectation, d’autres restent inutilisés. C’est un gâchis considérable face aux problèmes de capacité d’accueil auxquels les universités sont confrontées. Pouvez-vous m’indiquer quelles sont vos intentions précises sur ce sujet ? Si ces locaux pouvaient devenir des lieux d’échange et de formation continue des enseignants, nous en serions ravis.

D’un point de vue général, je déplore que le Gouvernement mette tout en œuvre pour saper une profession, et avec elle un service public régalien, garant de l’égal accès de tous à un enseignement de qualité, sur l’ensemble de notre territoire.

Depuis quelques années, les suppressions de postes, tout comme les non-remplacements de professeurs, se multiplient dans l’enseignement élémentaire, les collèges et les lycées. Cette situation frappe davantage encore les zones rurales et les quartiers sensibles.

Les chefs d’établissement en sont réduits à refuser d’accorder des journées de formation aux enseignants, car ils savent que ceux-ci ne seront pas remplacés. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le nombre de démissions augmente et que l’ascenseur social patine !

S’ajoute à ce tableau noir le bilan désastreux de la réforme de la mastérisation. En effet, la Conférence des présidents d’universités s’est alarmée d’une « baisse des effectifs à toutes les préparations aux concours de l’enseignement », variant entre « moins 30 % et moins 50 % selon les académies ».

Comment éviter la faillite du système éducatif dans son ensemble, faillite dont les prochaines générations seront les premières victimes ?

Monsieur le ministre, vous vous dites prêt à « discuter d’aménagements pour équilibrer formation disciplinaire et formation pédagogique ». Nous appelons de nos vœux une telle discussion depuis des mois, mais les promesses restent sans suite. Allez-vous attendre une rentrée scolaire aussi catastrophique que celle de 2010 pour enfin prendre la mesure du problème et le régler ?

La montée des violences à l’école est une autre conséquence directe du manque de formation des maîtres, de la disparition progressive des surveillants, des conseillers d’éducation, des enseignants spécialisés, des assistantes sociales, des médecins et des infirmiers scolaires.

L’arrivée d’enseignants inexpérimentés sur le terrain n’arrange rien, en particulier dans les établissements difficiles, où ils sont confrontés à des situations de tension au quotidien. Les conséquences se font ressentir non seulement sur l’ensemble de l’équipe pédagogique, comme le déplorent les professionnels, mais aussi, et surtout, sur la scolarité des élèves.

Monsieur le ministre, dois-je vous rappeler que le système éducatif français est devenu l’un des plus inéquitables de l’OCDE ? Au fil de la scolarité, les inégalités sociales se creusent. Les enfants les plus défavorisés n’acquièrent plus à l’école le socle minimum.

Peut-on endiguer ce phénomène en menant la politique de formation que vous choisissez de défendre ? Nous sommes nombreux à être persuadés que non. Nous souhaitons véritablement retrouver un équilibre entre formation universitaire et stages de longue durée dans les écoles.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Ivan Renar

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la formation des enseignants, tant initiale que continue, est fondamentale. Elle contribue à transformer profondément la société française, en permettant aux enseignants chargés de « former des citoyens émancipés, entièrement maîtres de leur vie » de mener à bien leur mission.

De cette formation dépend notamment la capacité des enseignants à analyser les causes réelles des difficultés de leurs élèves, à poser un diagnostic pertinent, pour ensuite bâtir et mettre en œuvre des stratégies pédagogiques adaptées. La formation au métier d’enseignant vise non seulement à parfaire des connaissances disciplinaires, académiques, mais aussi à remédier aux inégalités d’apprentissage, largement dues à la reproduction d’inégalités socio-économiques, et à aider les enfants à apprendre à vivre.

Former les futurs enseignants contribue pleinement à la promotion de l’école républicaine. La qualité de cette formation conditionne la réussite de l’élève, de l’école et de l’éducation nationale.

En ce sens, la réforme de la formation des enseignants ne peut se limiter à la seule dimension technique ou organisationnelle. La mise en œuvre de cette réforme comme son élaboration ont été menées sans réelle concertation et dans la précipitation. Le résultat aboutit à un constat d’échec majoritairement partagé. En l’état, cette réforme participe ainsi à la déstabilisation et la dégradation profonde du système scolaire français, sévèrement affecté par les suppressions massives de postes et les innombrables fermetures de classes.

Certes, il était nécessaire de rénover la formation des maîtres, car il importe d’adapter ce métier à la réalité changeante de la société. Dans cet esprit, la mastérisation en tant que telle n’est pas problématique. Exiger l’élévation du niveau d’études des enseignants est pertinent.

Toutefois, dès son élaboration, la réforme est apparue comme étant principalement motivée par des raisons comptables et s’inscrivant dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, qui a pour corollaires la dérégulation, le démantèlement et la mise en concurrence des établissements, services et agents publics.

Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin. Je considérerai la mastérisation des enseignants sous le seul prisme de l’enseignement supérieur.

Pour mémoire, la formation des enseignants en France a déjà connu d’importants bouleversements. D’abord, en 2005, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école a modifié le statut des IUFM en les intégrant aux universités. Elles sont alors devenues des « écoles au sein de l’université ». Cette évolution marquait la première étape d’une remise en cause de la spécificité de la formation au métier d’enseignant.

Mais, plus encore, c’est la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007, dite « loi LRU », laquelle prévoyait l’accès aux responsabilités et aux compétences élargies, ainsi que la mastérisation des enseignants, qui a contribué à mettre en péril cette formation.

En effet, le cadrage national de la formation des enseignants et l’égalité due à tous les étudiants en termes d’accès au concours sont profondément remis en cause par les dispositions de la loi LRU. Cette situation est aggravée par les orientations budgétaires actuelles.

Bien qu’étant confrontées à un manque de moyens, les universités sont aujourd’hui pleinement responsables de leur budget et de leurs personnels. Ainsi les présidents d’université sont-ils amenés à procéder à des arbitrages budgétaires entre les différentes formations. Sanctuarisés hier, les IUFM sont à présent considérés comme les autres composantes universitaires. La formation des enseignants n’est désormais plus qu’une formation parmi d’autres. Aussi les moyens consacrés aux IUFM varient-ils fortement d’une académie à l’autre.

À titre d’exemple, j’évoquerai la situation de l’IUFM du Nord-Pas-de-Calais tant elle est symptomatique des problèmes soulevés par la mise en œuvre de la mastérisation des enseignants. Dans cette région, l’IUFM est, depuis janvier 2008, intégrée à l’une des six universités publiques, l’université d’Artois.

Si le public accueilli par l’IUFM provient de l’ensemble du territoire régional et n’est donc pas nécessairement inscrit dans cet établissement, seule cette université supporte la charge financière de la formation des enseignants du premier degré et, pour une part, du second degré. Cela explique sans doute les choix de l’université d’Artois qui, en trois ans, a retiré à l’IUFM soixante-six postes d’enseignants et trente-cinq postes d’enseignants-chercheurs, attribués à d’autres composantes de l’établissement. L’IUFM a également enregistré la perte de vingt-quatre postes supplémentaires, pour lesquels aucun financement n’a été prévu. Au total, l’IUFM aura été amputé de près de 40 % de son potentiel enseignant de 2007. Dans le même temps, cinquante-neuf postes de personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, de service et de santé, les BIATOSS, lui auront été retirés.

En dépit de ces mesures fragilisant l’IUFM, les effectifs de la promotion 2011 demeurent importants, au regard du nombre très faible de postes ouverts aux concours : entre 700 et 800 étudiants se sont inscrits aux masters « métiers de l’enseignement et de la formation » pour cent soixante postes disponibles cette année.

L’année 2012 connaîtra une stagnation du nombre de postes ouverts aux concours. Que deviendront alors les étudiants ayant validé leur master, mais qui n’auront pas été admis ?

Par ailleurs, l’IUFM du Nord-Pas-de Calais compte six sites de formation, assurant ainsi un maillage territorial important. Jusqu’alors, les étudiants étaient répartis sur les différents sites par l’institut. Désormais, les étudiants sont libres de s’inscrire dans le site de leur choix, ce qui déstabilise les équilibres entre les sites.

Faute de crédits suffisants et d’une régulation des flux étudiants, certaines antennes d’IUFM sont menacées de fermeture à très court terme. L’égalité d’accès à cette formation est donc remise en cause.

En l’absence de rémunération ou d’allocation, les étudiants les plus modestes, éloignés des métropoles régionales, ne seront pas en mesure de suivre la formation sur le ou les sites restants.

Outre ces problèmes liés aux relations entre les IUFM et leur université de rattachement, relevés par le président du Comité de suivi du master, Jean-Michel Jolion, la diversité des maquettes de masters des métiers de l’enseignement et de la formation suscite de légitimes interrogations.

Chaque université s’est vu confier l’élaboration et la mise en place de sa propre formation. D’une académie à l’autre, les maquettes diffèrent fortement, notamment en ce qui concerne les modalités et la charge horaire des stages. Il est saisissant de constater, dans certains cas, l’absence de coordination entre rectorats, IUFM et universités. Des étudiants sont ainsi contraints de manquer des cours pour suivre leur stage, prévu par des rectorats qui ne tiennent nul compte du calendrier de la formation universitaire !

Cela étant, l’absence de cadrage national est dommageable à tous les niveaux : sans définition préalable de leur contenu, les masters « métiers de l’enseignement et de la formation » sont aussi disparates qu’inégaux en termes de qualité.

Aussi, il est urgent de remettre en chantier la formation des enseignants. Il s’agit de faire face dès aujourd’hui au découragement des étudiants tenus de s’engager simultanément dans une préparation au concours, une initiation à la recherche et une formation professionnalisante. La diversité et l’importance des objectifs qui leur sont fixés apparaissent aujourd’hui trop contradictoires et difficilement compatibles avec un calendrier resserré.

Plus globalement, il serait aussi nécessaire de revoir la formation permanente des enseignants. L’évolution rapide des connaissances rend nécessaires les recyclages postuniversitaires, non seulement pour les savoirs spécialisés, mais aussi pour les grands problèmes tels ceux de la mondialisation, de l’écologie, de l’économie ou de l’éthique.

À cet égard, comme le relève Edgar Morin, alors que nous n’avons jamais eu autant de savoirs à notre disposition, nous ne savons pas les penser. Il faut renforcer résolument la place de l’éducation artistique et culturelle dans la formation des enseignants. Elle donne un sens global aux différentes connaissances transmises et permet de développer la créativité et l’esprit critique.

En conclusion, les questions sont nombreuses et méritent d’être débattues en concertation avec tous les acteurs concernés. Notre pays ne peut faire l’économie d’une réflexion d’ensemble sur la formation des enseignants, qu’il faut envisager non comme une charge, monsieur le ministre, mais comme un investissement rentable pour toute la nation. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour évaluer la formation des enseignants et suggérer des aménagements, il nous faut sans doute prendre un peu de hauteur et ne pas rester figés dans un débat technique sur les dispositifs pour revenir aux fins que la formation poursuit.

Même si la mastérisation a pu être présentée comme un instrument utile pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés qui ne trouvaient pas leur place dans l’éducation nationale, ce ne saurait être sa raison d’être première. Cette réforme doit d’abord être jugée à l’aune de sa capacité à améliorer les résultats scolaires des élèves, car tel est bien l’objectif essentiel que nous partageons tous, alors que les enquêtes, tant ministérielles qu’internationales, révèlent le dangereux affaissement des connaissances et des compétences de nos enfants dans les matières fondamentales.

Je suis profondément convaincu que la formation des enseignants est un levier essentiel pour parvenir à redresser l’école républicaine. Ma conviction est étayée par les exemples étrangers comme celui de la Finlande, que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a examiné en détail dans l’un de ses derniers rapports.

Pour déterminer la meilleure façon de former les enseignants ou, au moins, définitivement écarter les plus mauvaises, il nous faut réfléchir au métier d’enseignant. Je ne crois pas être le plus mal placé pour contribuer à cette réflexion, puisque j’ai moi-même longtemps enseigné le français, puis l’histoire, dans des contextes différents.

Vous me permettrez également de rappeler, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que j’ai été jadis le rapporteur de la loi « Haby », ce qui n’était pas rien ! Je garde clairement en mémoire les débats de cette époque, dont les nôtres sonnent souvent comme l’écho. De cette expérience, je tire une première leçon : nous devons prendre acte de la noblesse, de la diversité, de la difficulté aussi, du métier d’enseignant.

Celui qui voudrait dresser le portrait du pédagogue idéal ne manquerait certainement pas d’invoquer la figure quasi mythique de Socrate

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Grâce à son enseignement, il sait plus, il comprend mieux et il peut ainsi progressivement développer et fortifier son jugement propre.

Et l’on sent bien, dès lors, qu’il n’y a pas de contradiction entre la transmission du savoir et le développement d’un regard critique, qui constituent deux moments nécessaires de l’apprentissage, c’est-à-dire de l’appropriation du savoir par l’élève. La formation de l’enseignant devra donc lui assurer la maîtrise solide et réfléchie d’un champ disciplinaire, qui lui donnera les moyens tant d’instruire ses élèves que de les amener à prendre du recul et à construire leur propre réflexion. Sur ce point, la mastérisation, qui nous fait rejoindre le droit commun des pays européens, peut et doit être un atout.

Garder une formation des enseignants assise sur un socle disciplinaire fort est, par certains aspects, un tribut payé à l’histoire de l’instruction dans notre pays. Mais après les errements du pédagogisme régnant dans les IUFM, nous connaissons mieux la valeur d’un tel héritage.

C’est pourquoi j’insiste sur un point : les futurs professeurs doivent quitter l’université avec un haut niveau de maîtrise des matières qu’ils se préparent à enseigner. C’est une condition absolument nécessaire pour que l’enseignant puisse faire saisir aux élèves les problèmes et les méthodes qui font la spécificité de la perspective particulière que sa discipline offre sur le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Montaigne nous mettait en garde contre la tentation de faire des enfants des « ânes chargés de livres ». C’est un écueil que nous ferions bien d’éviter aussi lorsque nous formons les professeurs. L’excellence académique n’est pas une condition suffisante pour faire de bons professeurs. Les capacités didactiques et pédagogiques doivent être cultivées en parallèle.

C’est particulièrement vrai pour les professeurs des écoles, dont la vocation est généraliste et qui sont en présence d’enfants encore « en jachère ». En l’occurrence, les maquettes des masters devraient peut-être ouvrir une mention spéciale pour l’enseignement en maternelle et en primaire, dont les enjeux sont bien distincts. La Finlande, pour reprendre cet exemple, prévoit déjà des parcours différents selon le niveau d’enseignement.

Si le métier d’enseignant varie entre l’école primaire, le collège et le lycée, il ne diffère pas moins selon les publics auxquels il faut s’adresser. Au sein d’une même classe, les enfants sont très divers, qu’il s’agisse de leur caractère, de leurs dispositions et de leurs résultats. La personnalisation de la pédagogie, désormais inévitable du fait de l’hétérogénéité croissante des élèves, est une des clefs de la réussite de chacun au mieux de ses capacités.

Montaigne en jugeait bien, lorsqu’il exigeait du pédagogue idéal « qu’il est bon qu’il fasse trotter l’enfant devant lui pour juger de son train, et juger jusques à quel point il se doit ravaler pour s’accommoder à sa force. À faute de cette proportion nous gâtons tout ; et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est l’une des plus ardues besognes que je sache, et c’est l’effet d’une haute âme et bien forte que de savoir condescendre à ses allures enfantines et les guider. »

Cette disposition à moduler son enseignement, cette vertu pratique, pour reprendre l’expression d’Aristote, n’est pas quelque chose qui pourrait faire l’objet d’un cours, fût-il de master. Il s’agit bien plutôt d’un savoir-faire acquis empiriquement, en se frottant aux élèves et aux autres enseignants. Les stages prévus aujourd’hui d’observation et en responsabilité devant une classe ne suffisent pas en l’état pour procurer une expérience adéquate aux étudiants. Sans doute faut-il les renforcer en termes d’horaires et d’efficacité du suivi.

Monsieur le ministre, la piste des masters en alternance que vous aviez vous-même lancée est intéressante. Mais plus que sur les stages préalables, il faut surtout porter notre attention sur l’entrée proprement dite dans le métier.

Un des nœuds de la réforme réside dans la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des professeurs stagiaires. Sur ce point, la mise en place d’un tutorat assuré par des enseignants expérimentés aux capacités pédagogiques reconnues est une excellente idée.

Néanmoins, les inspections générales ont pointé la mise en place très disparate, selon les rectorats, des dispositifs dits de « formation continuée » lors de la première année d’exercice. Il me paraît important de donner à tous les enseignants stagiaires les mêmes armes, car ce sont les élèves qui pâtiront in fine de l’impréparation de certains de leurs maîtres.

Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous partagiez un tel souci et que vous veillerez à garantir la cohérence nationale de la réforme, au-delà des particularités des politiques académiques.

L’échange entre enseignants est essentiel, non seulement lors de la prise de fonctions, mais aussi tout au long de leur carrière. C’est l’instrument essentiel de diffusion des bonnes pratiques et d’élimination des mauvaises. Loin d’être incompatible avec la liberté pédagogique reconnue aux enseignants, il est une des conditions essentielles d’un exercice réfléchi.

Les enseignants ont tout à gagner à s’organiser en réseaux pour croiser leurs expériences. Certains le font déjà. Il est de la responsabilité de l’éducation nationale de soutenir leurs efforts au-delà de la simple réforme de la formation et du recrutement.

À cet égard, il me semblerait très utile de recentrer les missions des corps d’inspection sur le soutien pédagogique et didactique et de renforcer la formation continue des enseignants, aujourd’hui parfois routinière et bureaucratique.

Mes chers collègues, le Président de la République a souhaité que nous rouvrions le débat sur la formation des maîtres. Je pense que c’était en effet utile. De notre discussion libre et large doit ressortir un meilleur module de formation pour les maîtres, condition d’une bonne éducation dans notre pays.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rentrée prochaine, à l’instar des précédentes, s’annonce particulièrement morose.

Dans ce contexte, la suppression de plusieurs milliers de postes dans l’éducation nationale ne fait qu’ajouter au malaise déjà profond de l’ensemble de ses personnels, un malaise dû aux incohérences et aux paradoxes de la politique éducative de ce gouvernement.

Aujourd’hui, les enseignants se sentent à juste titre particulièrement déconsidérés et méprisés. Déconsidérés, car ils ont le sentiment de n’être qu’une variable d’ajustement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Mais, plus que tout, ils s’estiment méprisés, un mépris qui se manifeste dans la manière dont vous avez réformé leur formation, monsieur le ministre.

En effet, les enseignants – c’est le cœur de leur mission – forment les jeunes élèves et leur transmettent les connaissances indispensables à leur épanouissement intellectuel.

Ces formateurs ne sont pourtant plus formés aujourd’hui, ou si peu.

Avec la suppression des IUFM, la formation des maîtres devient même, en quelque sorte, l’exception. Avec la mastérisation, vous avez introduit l’idée qu’être enseignant, c’est uniquement posséder le bagage des connaissances requises. Vous l’avez reconnu d’ailleurs implicitement, en réintroduisant l’idée des formations de masters en alternance.

En attendant, les faits sont là. Des milliers de jeunes professeurs se sont retrouvés dans les classes sans avoir eu la moindre préparation pédagogique à leurs nouvelles fonctions, avec les conséquences que l’on sait, néfastes et parfois dramatiques pour eux-mêmes et pour leurs élèves. Dans mon département, certains se sont même vu proposer une formation alors qu’ils enseignaient depuis plusieurs mois !

Alors que les jeunes enseignants ne sont plus formés, les exigences à leur égard sont pourtant sans cesse plus nombreuses.

Dans cette perspective, j’évoquerai un aspect de la formation des enseignants qui me semble particulièrement négligé : la dimension territoriale.

Tout d’abord, très concrètement, comment peut-on admettre qu’un jeune professeur n’étant pas formé se retrouve à enseigner dans les zones d’éducation les plus difficiles ? Une réflexion doit être menée en concertation avec les enseignants pour y remédier. Quand cela serait-il fait ?

Ensuite, se pose la question de la structuration des territoires. Fermer les IUFM, c’est aussi fermer un service public. Qu’il s’agisse de La Poste, des perceptions, des classes ou des IUFM, la France des territoires ruraux se vide de ces lieux qui font le service public.

Avec la mastérisation, la mobilité des étudiants s’accroîtra et on renforcera ainsi des inégalités territoriales en fonction des offres d’enseignement.

Il faudrait donc intégrer la dimension territoriale dans l’approche de la formation des enseignants. Cela sera-t-il le cas ?

Enfin, je terminerai en évoquant un point qui révèle bien, selon moi, les impensés de la politique actuelle en matière de formation.

Je me félicite que les élèves en situation de handicap soient de plus en plus nombreux à intégrer l’école publique. Cela suppose bien sûr des personnels d’accompagnement, mais surtout que les enseignants puissent suivre convenablement les élèves concernés. Aujourd’hui, tel n’est pas le cas. Voilà encore une question qui mérite réponse.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de repenser la formation des enseignants dans toutes ses dimensions, monsieur le ministre.

La question que je me pose, à l’instar de toute la communauté éducative, est donc de savoir si vous y êtes enfin prêt aujourd'hui.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens sur un sujet que j’ai eu l’occasion d’évoquer récemment à l’occasion des questions d’actualité, ayant déjà interrogé le Gouvernement sur la formation des enseignants.

La réforme, à la fois substantielle, fondamentale et nécessaire, de la mastérisation concerne deux ministères. Je me demande – mais peut-être ne me répondrez-vous pas ? – si la coordination entre ces deux ministères a été suffisante au départ.

Non ! sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

En tout cas, le rapport de M. Jean-Michel Jolion a mis en lumière un certain nombre de décalages dans l’application de la réforme par les deux ministères, le ministère employeur et le ministère devenu formateur. C’est un problème qu’il faudra résoudre.

Monsieur le ministre, je souhaite donc vous interroger sur la mise en place dans les universités des masters accueillant les étudiants qui se destinent aux carrières de l’enseignement. Vous avez déjà eu l’occasion de me répondre que l’on y travaillait et que le processus était évidemment long. Il faut en effet réduire les disparités entre les différents rectorats et universités, et s’assurer que la place des stages est suffisamment importante au sein des formations. Il me semble que la réflexion a avancé, même si elle n’a pas encore abouti. J’aimerais que vous puissiez nous apporter quelques précisions à cet égard.

Je souhaite également soulever un autre point. À la lecture du rapport de M. Jolion, il m’a semblé que l’on s’interrogeait sur la place des concours.

Actuellement, le recrutement des enseignants du premier et du second degré s’effectue en deuxième année de master. Comme il s’agit de deux concours distincts, le processus s’étale sur un certain nombre de mois. Donc, la place des concours est quelque peu indéfinie. Où en êtes-vous de vos réflexions sur ce point, monsieur le ministre ? Est-il envisagé d’organiser le recrutement dès la première année de master ? Certes, je comprends qu’il vous soit difficile de répondre alors que les réflexions sont en cours. Mais il me semble tout de même nécessaire d’avancer sur le sujet.

Par ailleurs, comment la formation professionnelle sera-t-elle prise en compte dans le concours lui-même ?

Ah ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Tous les orateurs ont insisté sur la nécessité d’associer une solide formation disciplinaire et une non moins solide formation professionnelle. Le problème est de savoir comment y parvenir…

À mon sens, la mastérisation – c’est un bien vilain mot, mais tout le monde en comprend la signification – était une nécessité. Il fallait densifier la formation disciplinaire des enseignants pour l’aligner sur celle qui existe dans les autres pays européens. Je crois que cet aspect est peu contesté.

Le problème est bien d’associer formation professionnelle et formation universitaire. Comment nos universités s’y préparent-elles ? Sont-elles même capables de le faire ?

Telles sont les questions que je souhaite soulever dans le cadre de ce débat. Je vous remercie par avance de vos réponses, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « une société qui n’aime pas ses enseignants est une société qui n’a pas compris le défi de la mondialisation de demain ». Cette belle déclaration d’un membre du Gouvernement remonte à mai 2007, mais hélas, depuis cette date, le Gouvernement a donné beaucoup de preuves de désamour aux enseignants ! L’une d’entre elles touche au cœur même de leur métier : la formation. Certes, le système précédent n’était pas sans faille, mais celui qui est mis en place aujourd’hui est pire encore !

Lors d’une audition de chercheurs spécialisés dans les sciences de l’éducation, nous avons pu regarder une vidéo qui nous a tous attristés et révoltés : on y voyait un jeune et brillant stagiaire, agrégé d’histoire-géographie, nommé à temps plein dans un collège situé en zone d’éducation prioritaire. La scène se passait en septembre. Le professeur ouvrait sa classe, y entrait le premier, posait son sac sur le bureau et assistait, les bras croisés, impuissant, à la bousculade de l’installation de ses élèves de troisième ! Comment, dès lors, pouvait-il mettre ces élèves en situation d’apprentissage et les aider à développer leur esprit critique ? Ce néo-stagiaire avait eu la chance de pouvoir bénéficier de l’aide de chercheurs et le courage de persévérer, devant une classe visiblement à l’opposé de ce qu’il avait vécu dans sa scolarité ! D’autres, submergés par les difficultés, ont malheureusement jeté l’éponge. Tant d’efforts pour en arriver là ! Quel gâchis et quelle souffrance ! La mastérisation sans formation pratique est une aberration.

Le responsable du programme « professionnalité », Luc Ria, a témoigné de l’excellence de la formation académique des enseignants français, mais il a pointé du doigt les vraies difficultés que rencontrent les débutants dans l’exercice même de leur travail. Plus précisément, il a évoqué la méconnaissance « des gestes professionnels indispensables à l’enseignement ».

Le rapport de M. Jolion constate, quant à lui, que « le système actuel met les jeunes professeurs dans une situation d’échec par accumulation de contraintes au lieu de les mettre en situation de réussite ».

Rien de bien surprenant quand on lit l’étude menée par un syndicat d’enseignants auprès des stagiaires de 2010 : leur temps complet est réparti, pour beaucoup d’entre eux, entre plusieurs établissements et leur tuteur enseigne parfois dans un autre établissement ! Un tiers de ces stagiaires est en charge de classes d’examen. Certains se sont même vu refuser l’autorisation de se rendre aux quelques séances de formation.

Soyons honnêtes, des temps de formation sont en effet prévus. Par exemple, une formation sur le thème : « Comment préparer ses premiers cours et prendre en charge ses classes ? » a lieu en octobre et une autre, intitulée « Qu’est-ce qu’un conseil de classe? », est programmée en novembre, après les conseils de classe de mi-trimestre... C’est une situation plutôt aberrante !

La formation aurait dû, ou devrait, permettre aux stagiaires d’« apprendre à apprendre ». Il ne s’agit pas d’effectuer un copier-coller de schémas pédagogiques ni de visionner des DVD ! Il s’agit de mettre les stagiaires en situation, de les confronter à la réalité d’une classe et des élèves qui la composent, avec l’aide, ô combien précieuse, du tuteur qui leur apprendra ce qu’est le « phénomène classe », comment réagir aux comportements variés des élèves et ajuster ses activités. Ce savoir-faire ne s’apprend pas dans les livres, mais au quotidien et tout au long de la carrière !

Bien sûr, un tel apprentissage demande des moyens ou, du moins, de conserver les moyens existants ! Or des brigades de formation continue, dont la mission est de remplacer les collègues en formation, sont supprimées. Dans mon département, par exemple, 27 de ces postes vont être redéployés. Au total, 215 brigades, ainsi que 171 postes de maîtres formateurs sont supprimés.

Est-ce à dire que la formation continue disparaît ? Que reste-t-il de la logique de la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ? Le Président de la République a déclaré, en février dernier, qu’il était prêt à remettre en chantier les éléments de la formation, parlant d’enseignant stagiaire en alternance ! Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer cette orientation ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les effets de la mastérisation, qui a privé de jeunes enseignants des temps d’observation et de la prise de responsabilité progressive. Les dégâts subis par ces futurs professeurs demeurent un véritable scandale : mise en échec, souffrance, renoncement. Quant aux dégâts subis par les enfants, on s’est bien gardé de les mesurer ! Seul a primé le gain induit par cette mise au travail anticipée.

Appliquer les pires critères de rentabilité à une des fonctions vitales de la société que notre pays exerce par le service public, c'est-à-dire la transmission des savoirs, est une erreur historique !

Cela étant dit, voici deux exemples plus particuliers.

Je veux d’abord plaider pour la formation à l’approche sensible de la transmission des savoirs.

En Finlande, pays salué pour ses réussites scolaires, j’ai été le témoin étonné du temps passé à la chorale et à l’initiation aux danses dès l’école primaire. Les maîtres m’ont expliqué que, lorsque que l’on a confiance dans sa voix, dans ses gestes, et que l’on est capable d’écouter l’autre pour être dans le ton et le rythme, de suivre son pas plutôt que de lui marcher sur les pieds, d’identifier la classe à un lieu de plaisir construit sur le respect de règles communes, on est prêt pour les acquisitions cognitives.

En France, par des expériences comme « La Main à la pâte » ou « Les Petits Débrouillards », des enfants découvrent par le toucher, l’odorat, voire le goût, des règles intangibles de la physique, des comportements des insectes qu’ils ne soupçonnaient pas. Ensuite vient l’envie de mesurer, de noter, de rendre compte, de laisser un écrit pour rendre l’expérience reproductible.

Ces activités ne s’improvisent pas. L’expérience ratée, les œufs qui n’éclosent jamais, la sortie dans la nature où l’on ne voit rien, sont des mises en situation qui comportent un risque pour le maître d’école. Seule une formation pratique peut en faire des passeurs compétents.

Les enseignements artistiques, les sciences par le réel, l’éducation physique ne doivent pas être des suppléments d’âme. Ils ouvrent les portes de l’expression et du collectif à des élèves qui n’ont pas eu dans leur famille les atouts de vocabulaire des classes sociales privilégiées.

Je veux aussi, dans cette société de violence, qui est une forme exacerbée de la concurrence que vous appelez chaque jour de vos vœux, plaider pour une formation adaptée à la transmission de l’altérité, de la résolution douce des conflits et de la médiation, qui ont leurs techniques.

Transformer le seul souci de soi et la rivalité ou la peur de l’autre en curiosité et en facteur d’enrichissement est un chemin qui s’apprend. Faire en sorte qu’une émotion puisse s’évacuer par les mots demande de savoir cultiver les compétences narratives, chères à Edgar Morin.

Le « lire, écrire, compter » de François Fillon, qui aurait pu être un contrat moral entre l’école de la République et les parents, n’a pas atteint son but. L’évaluation écrite et la pédagogie stricte qui la prépare n’engendrent que la sélection. L’échange oral en a payé le prix.

Le second effet collatéral a été la minoration des formations aux autres matières, comme si l’histoire ou les sciences n’étaient pas, elles aussi, d’excellents vecteurs d’apprentissage des savoirs de base.

L’acquisition de ces deux compétences que sont la pédagogie par l’approche sensible et le temps de l’oralité dépend hélas de l’année de formation que ce gouvernement a supprimée.

Elles préparent à la reconnaissance des diversités, comme à la gestion des tensions de la société. Elles ouvrent à l’autre et au savoir, plutôt que de favoriser le repli sur soi et la seule écoute de la télévision. Elles donnent aux enseignants les capacités d’épanouir tous les talents des enfants qui leur sont confiés et d’émanciper les futurs adultes qui se préparent dans le cerveau, le cœur et le corps de leurs élèves.

Évidemment, leur exercice n’est pas compatible avec les sureffectifs dus aux 16 000 suppressions de postes ni avec votre réforme de la formation des enseignants !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Gonthier-Maurin, la nouvelle formation initiale des enseignants est une réforme qui répond à la nécessaire évolution de notre école, à l’enjeu de porter plus haut notre système éducatif afin de faire réussir chacun de nos élèves.

Cette réforme est ainsi animée par une double ambition.

Il s’agit, tout d’abord, de mettre notre école en phase avec la société de la connaissance qui se construit sous nos yeux et qui exige, de la part de nos professeurs, une formation académique de plus en plus poussée. Vous êtes nombreux à avoir évoqué ce point au cours de nos débats.

Il s’agit, ensuite, de tenir compte de l’évolution d’un métier qui doit davantage s’adapter à la diversité des élèves, ainsi qu’à la diversité des missions qui lui incombent.

Cette réforme entend donc, à la fois, remettre au cœur de notre école la figure du professeur, en reconnaissant le haut niveau d’expertise nécessaire pour l’exercice des métiers de l’enseignement, et redonner tout leur prestige à ces métiers au sein de notre société.

Il importe de conforter l’autorité du savoir, sa primauté sur la seule information alors que l’accès à cette dernière se multiplie, par une maîtrise accrue et structurée des connaissances disciplinaires, et ce à un moment où l’exercice du métier d’enseignant a besoin d’évoluer de manière radicale pour améliorer l’efficacité de notre système éducatif.

Cette réforme entend également donner à chaque professeur tous les moyens pour mener à bien sa mission au service de chaque élève, car, en même temps que notre école s’est démocratisée, le métier d’enseignant est devenu plus difficile et plus exigeant. Il faut donc aider les professeurs à faire face à cette évolution en les y préparant dès leur formation initiale.

Enfin, cette réforme s’inscrit dans un cadre élargi, celui de l’Europe. Elle offre ainsi à nos nouveaux professeurs la garantie de voir leur niveau de formation désormais reconnu partout et sans équivoque en Europe : c’est un atout pour notre système éducatif, comme l’a rappelé M. le président de la commission de la culture, Jacques Legendre.

Le recrutement des professeurs au niveau du master apporte une double assurance.

Tout d’abord, il représente un gage d’excellence académique : une plus grande maîtrise des connaissances scientifiques, au moment où les savoirs deviennent de plus en plus complexes, garantit un enseignement de haut niveau pour tous les élèves du XXIe siècle.

Ensuite, ce master constitue aussi, pour les futurs enseignants, une initiation à la recherche, indispensable pour leur permettre de suivre les évolutions de leur discipline et pour inscrire les démarches d’innovation dans leur pratique professionnelle ; corollairement, cette initiation doit les aider à développer un état d’esprit qui entretient le désir de se perfectionner tout au long de leur carrière professionnelle. On sait combien la formation continue et l’approfondissement disciplinaire seront des clés pour l’avenir de notre école.

Mais nous tous ici sommes conscients qu’à cette forte exigence disciplinaire doivent s’adjoindre des compétences pédagogiques renforcées.

C’est pourquoi, en concertation avec le ministère de l’enseignement supérieur, nous avons construit un véritable parcours d’insertion professionnelle. Ce parcours de formation, structuré en trois ans, privilégie les acquisitions sur le terrain, car la pédagogie, plus qu’une science, est un art dont la maîtrise se construit par l’expérience personnelle, aux côtés et avec les conseils de maîtres chevronnés.

Parce qu’excellence académique et transmission des savoirs ne sont pas contradictoires, mais doivent, au contraire, être liées au plus tôt, nous les avons associées dès la formation au sein de l’université. M. Bodin évoquait tout à l’heure les étudiants en médecine : dois-je lui révéler que, lorsqu’il se rend aux urgences médicales, il a parfois affaire à un externe, qu’on appelle docteur, mais qui est un étudiant en troisième ou en quatrième année de médecine ?

Comparons, mesdames, messieurs les sénateurs, les situations avant et après la réforme.

Avant, lors de l’année de formation en IUFM, à peu près un tiers du temps de formation était réservé à la pratique en classe. Désormais, du fait de la réforme, la découverte du métier s’échelonne et se prépare dès la licence, avec la possibilité d’effectuer des stages de découverte des métiers de l’enseignement.

Au niveau du master, l’étudiant qui se destine à l’enseignement peut bénéficier aujourd'hui d’un total allant jusqu’à 216 heures de stage. Les 50 heures qui ont été évoquées correspondent à la période de transition ; à partir de la rentrée prochaine, nous parlons bien de 216 heures.

En effet, l’étudiant peut accomplir, en première année de master, des stages d’observation et de pratique accompagnée et, en deuxième année de master, 108 heures rémunérées de stage en responsabilité dans une classe, lors duquel il pourra exercer la totalité des missions confiées à un professeur.

Tous ces stages sont bien entendu encadrés par des professeurs chevronnés : un professeur des écoles maître formateur ou conseiller pédagogique de circonscription dans le premier degré, un conseiller pédagogique tuteur dans le second degré.

À l’issue de cette formation, l’étudiant passe un concours qui, lui aussi, reflète cette recherche de complémentarité entre l’excellence disciplinaire et la compétence pédagogique. L’écrit atteste de la maîtrise des savoirs à enseigner ; les épreuves orales valorisent la capacité à concevoir et à développer une séquence d’enseignement et permettent ainsi, monsieur Gouteyron, d’évaluer les compétences professionnelles.

Enfin, de manière totalement complémentaire avec la formation à l’université, l’année qui suit le concours, l’année de professeur stagiaire, permet d’approfondir la formation dans la réalité de la classe.

En effet, nous avons voulu mettre en place une formation par la pratique professionnelle, et pas uniquement une formation pour cette pratique. C’est pourquoi, après sa réussite au concours, pendant son stage de titularisation, le nouveau professeur affecté dans une école ou un établissement scolaire bénéficie d’un complément de formation correspondant à un tiers d’une obligation réglementaire de service.

Ce complément s’effectue sous la forme d’un accompagnement renforcé, d’une part, grâce à la proximité d’un tuteur, enseignant chevronné choisi par le corps d’inspection pour son expérience et son savoir-faire et, lui aussi, rémunéré pour cela, d’autre part, grâce à l’assistance de l’équipe de direction des écoles ou des établissements et, surtout, à la présence des corps d’inspection et de leurs équipes de conseillers pédagogiques.

Outre ce tutorat, les nouveaux professeurs suivent une formation complémentaire répondant aux besoins particuliers de chaque stagiaire. Y sont notamment intégrées les questions de gestion de classe, s’agissant notamment des conflits, de la prévention des phénomènes de violence et de discrimination, et ce pour éviter, comme c’était le cas depuis très longtemps, qu’un enseignant inexpérimenté ne soit confronté à des difficultés de cette nature dans le cadre de son premier poste.

Je veux signaler que, à ce niveau plus élevé de recrutement, nous exigeons davantage de nos nouveaux enseignants, mais nous leur apportons aussi une nouvelle reconnaissance au travers d’une revalorisation substantielle des rémunérations en début de carrière.

Dois-je vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons augmenté de 10 % la rémunération des professeurs des écoles et professeurs certifiés en début de carrière, qui perçoivent ainsi 157 euros nets de plus par mois. Les nouveaux professeurs agrégés, quant à eux, bénéficient d’une augmentation nette mensuelle de 259 euros. Enfin, au-delà de la première année d’enseignement, la revalorisation des rémunérations concerne l’ensemble des professeurs et s’étend sur les sept premières années de carrière.

J’en viens à présent, madame Gonthier-Maurin, à la mise en place de la réforme et à son évaluation à l’issue de cette première année.

Plus de 15 000 professeurs et personnels d’éducation stagiaires ont rejoint l’éducation nationale à la rentrée de 2010, environ 8 500 dans le second degré et 7 100 dans le premier degré.

Ces professeurs ont d’abord bénéficié, à la fin du mois d’août, d’un stage d’accueil au sein de leur académie d’exercice – c’est une nouveauté ! –, accueil qu’ils ont d’ailleurs apprécié, jugé rassurant et éclairant avant leur prise de fonction.

Ils ont ensuite, lors des premières semaines, été accompagnés par un tuteur : un professeur confirmé et reconnu pour son expérience professionnelle et pour ses qualités de formateur.

Enfin, chacun a reçu des compléments de formation en fonction de ses besoins individuels.

Bien avant la rentrée dernière, nous avions demandé aux académies de se mobiliser autour de cette réforme. Nous ferons de même pour la rentrée à venir, étant précisé que les futurs professeurs stagiaires auront, dans leur grande majorité, bénéficié des stages de pré-professionnalisation en première et deuxième années de master et aborderont donc leur entrée dans le métier avec davantage de sérénité que leurs prédécesseurs. Nous savions que l’année de transition que nous avions à gérer serait forcément plus complexe que la suite de la mise en place du nouveau système.

Les efforts que les académies ont consentis depuis la rentrée dernière vont être prolongés : renforcement de l’accueil, de l’accompagnement et de la formation des stagiaires.

Chaque académie organisera donc un stage d’accueil, de préférence d’une durée d’au moins cinq jours, avant la rentrée scolaire. Les chefs d’établissement et les corps d’inspection apporteront une attention toute particulière à l’accueil des stagiaires sur leur lieu d’activité, afin de faciliter leur entrée progressive dans le métier.

En complément des formations didactiques, nous allons développer la formation à la conduite de classe – elle ne reste pas virtuelle, madame Laborde –, à la gestion des situations conflictuelles et à la prévention de la violence. Des formateurs académiques ont été préparés pour dispenser cette formation, qui comportera, outre des données de connaissance indispensables, une mise en œuvre pratique pendant les premières semaines de septembre.

En outre, l’espace en ligne de formation et de ressources, le portail Tenue de classe – la classe côté professeur, a été mis à disposition des professeurs stagiaires et sera enrichi par des ressources académiques.

Regardons maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles peuvent être l’évaluation de la mise en œuvre de cette réforme et les évolutions envisagées. À cet égard, je reprendrai volontiers les propos de M. Jacques Legendre, qui nous appelait à prendre de la hauteur s’agissant de ce bilan et des premiers mois d’application de la réforme.

Madame Gonthier-Maurin, je veux tout d’abord rappeler les termes du rapport qui m’a été remis par l’inspection générale de l’éducation nationale et auquel vous avez fait référence. Selon celui-ci, les premiers éléments de bilan étaient bien éloignés des catastrophes annoncées en début d’année par les diverses forces s’opposant à la réforme.

J’ai voulu une transparence totale dans la mise en œuvre de cette réforme. Nous avons donc tenu à en assurer le suivi.

Le 1er décembre, nous avons tiré un premier point d’étape quantitatif, qui a d’ailleurs permis de distinguer très clairement la réalité de certaines rumeurs.

Nous avons, par exemple, enregistré une proportion réduite de professeurs stagiaires en difficulté, soit moins de 1 % de l’effectif total, un volume de congés maladies comparable à celui des années précédentes du temps des IUFM et un nombre de démissions en baisse.

Plus largement, ces premières informations ont permis d’établir un premier état de la situation et d’engager un échange avec les organisations syndicales.

En fin d’année, nous procéderons à une enquête systématique auprès des professeurs stagiaires : leur appréciation de cette première année d’exercice nous permettra de savoir ce qui a fonctionné, ce qu’il faut améliorer et, ainsi, de dresser un bilan auquel s’adjoindra celui qui sera réalisé par nos recteurs d’académie.

S’agissant des étudiants en master, un point d’étape, qualitatif cette fois, nous a été présenté, à Valérie Pécresse et à moi-même, vendredi 9 avril, par Jean-Michel Jolion, président du Comité de suivi du master. Ce travail est utile car, de la diversité des situations rencontrées dans les universités, il a su tirer un ensemble cohérent d’observations et d’analyses.

Ces analyses et les préconisations en résultant corroborent d’ailleurs certains axes de travail que nous avions déjà dégagés.

Nous devons, notamment, développer les outils de supervision et de pilotage de la réforme. Nous devons être attentifs à la répartition de la charge de travail des étudiants au cours de la deuxième année de master entre les enseignements à l’université, la préparation du master, celle du concours, le stage et l’élaboration du mémoire. Nous devons ensuite mieux préciser les conditions d’évaluation des stages et, enfin, inciter les universités à amener les candidats aux concours aux niveaux de compétences exigés en langue étrangère et en informatique.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous recensons bien, au fil de ces points d’étape, ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, et nous allons faire évoluer l’offre de formation. Du fait même que les universités n’ont pas mis en place les mêmes modules, nous allons nous pencher sur les pratiques et diffuser les meilleures. C’est ce que nous avons convenu avec le président de la Conférence des présidents d’université. Je peux vous assurer que les deux ministères concernés, à savoir le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, travaillent aujourd’hui de concert pour apporter les aménagements nécessaires à cette réforme.

Je tiens du reste à être parfaitement clair sur ce sujet, et ce d’autant que je veux mettre en œuvre au sein de mon ministère une méthode alliant pragmatisme et souplesse.

L’éducation n’est pas une science exacte : elle doit parfois reconsidérer, corriger, améliorer certains dispositifs. Comment pourrait-il en être autrement alors que l’avenir de notre école passe par l’innovation et, donc, par des expérimentations qu’il faut en permanence évaluer et réajuster ?

Dans ce même esprit, nous n’avons cessé de dire que le chantier de la formation des enseignants, parce qu’il était perfectible, devait être continuellement évalué et, le cas échéant, amélioré au fil des années.

Le Président de la République n’a pas dit autre chose le 19 janvier dernier, lors de ses vœux au monde de la connaissance et de la culture, lorsqu’il a déclaré que l’on devait « améliorer en permanence notre système ». Telle est notre ambition, qui rejoint d’ailleurs l’un de mes principaux objectifs : instaurer à l’éducation nationale un véritable suivi des réformes, une évaluation constante permettant à notre système éducatif de disposer d’une vision complète sur son action et de réagir si nécessaire.

N’oublions pas non plus un fait : l’année scolaire 2010-2011 est la première année de mise en œuvre de cette réforme. À ce titre, il est possible, même nécessaire, d’intégrer des évolutions. C’est par une évaluation rigoureuse et objective de la mise en place de la réforme que nous en ferons un atout pour notre école !

D’ores et déjà, l’expérience de cette année nous a permis de dégager un certain nombre de leçons, notamment pour le premier degré, point sur lequel plusieurs d’entre vous sont intervenus, notamment Mme Françoise Férat.

À cet égard, je veux vous rassurer et répondre aux interrogations de certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Les universités ont tiré profit du savoir-faire des IUFM hérité des anciennes écoles normales du premier degré. Enseigner les fondamentaux à l’école primaire relève, bien entendu, d’un savoir-faire professionnel spécifique, qui ne saurait être la reproduction stricte, la transcription aveugle des modes d’enseignement universitaire vécus et éprouvés par les candidats au concours. Comme l’a dit M. Jacques Legendre, le parcours peut différer selon le niveau d’enseignement.

Parce qu’elle est restée de tout temps, et jusqu’à un passé très récent, à l’écart de l’université, la formation professionnelle des maîtres du premier degré ne fait pas partie de la tradition des savoir-faire des universités.

La polyvalence exigée du professeur des écoles n’est en effet pas toujours compatible avec la mastérisation disciplinaire et adossée à la recherche, qui vaut pour le second degré.

À ce titre, la mise en place de masters polyvalents ou de masters en alternance constitue une piste intéressante, car parfaitement adaptée à l’enseignement en école primaire. D’ores et déjà, les universités ont développé des parcours incluant la polyvalence dans les masters de premier degré et nous travaillons, avec Valérie Pécresse, dans cette direction pour la rentrée prochaine. J’espère avoir ainsi répondu à M. Adrien Gouteyron

À ces points fondamentaux, il faut en joindre d’autres. Nous avons en effet constaté qu’il était nécessaire d’introduire des compléments dans la formation initiale des professeurs des écoles, notamment en langues, puisque les élèves ont besoin de saisir très tôt l’accent et le rythme d’une langue.

Je pense aussi aux disciplines autres que la majeure de formation. Nous savons que les trois quarts des professeurs des écoles sont issus d’un cursus en sciences humaines. Nous avons donc besoin de développer leur bagage et leur pédagogie dans le domaine scientifique, afin qu’ils soient en mesure de mieux accompagner leurs élèves dans l’apprentissage des sciences.

Nous travaillons donc sur ces pistes d’amélioration en engageant une réflexion avec les universités sur la mise en place, d’une part, de masters pluridisciplinaires qui prennent totalement en compte la dimension polyvalente des professeurs des écoles et, d’autre part, de masters en alternance qui pourraient avoir deux objectifs.

Le premier objectif a une portée spécifiquement sociale : il s’agit d’aider les étudiants qui exercent comme assistants d’éducation ou comme contractuels dans les établissements scolaires à obtenir un master par la voie de l’alternance. L’élévation de la formation à bac+5 peut en effet créer un effet de sélection sociale qu’il nous faut corriger. Il convient par ailleurs d’être extrêmement attentif au « vivier » qui, dans certaines disciplines – je pense naturellement aux mathématiques – est tout juste suffisant aujourd’hui. Mais c’est un phénomène qui n’est malheureusement pas nouveau. Je citerai un chiffre : le nombre de diplômés de masters est « mécaniquement » inférieur au nombre de diplômés de licence, qui constituaient auparavant le « vivier » de recrutement ; il est d’environ 60 %.

Je profite de l’occasion, à ce stade de mon propos, pour répondre aux questions concernant le nombre de candidats aux concours, notamment pour donner les raisons expliquant la baisse du nombre de candidats au dernier concours.

D’abord, je rappelle que deux concours avaient été organisés la même année, à quelques mois d’intervalle, ce qui signifie que certains étudiants se sont présentés deux fois au même concours.

Ensuite, un ajustement mécanique, lié à l’élévation du niveau de qualification que je viens d’évoquer, s’est produit. En passant de la sélection de bac+3 à bac+5, on réduit mécaniquement le nombre des candidats à un concours.

Un autre élément d’ajustement est lié à la diminution du nombre de places au concours, qui a été divisé par deux : 3 100 cette année pour les professeurs des écoles, contre 7 000 l’année dernière. Globalement, deux fois moins de candidats se sont présentés au concours de professeur des écoles.

Le second objectif concerne la professionnalisation. Il me semble opportun de profiter de l’activité des assistants d’éducation mais aussi des étudiants contractuels en établissement scolaire pour préparer dans de bonnes conditions ceux qui le souhaitent au CAPES. Aujourd’hui, alors que plus de 20 000 candidats s’inscrivent aux différents concours, le taux de succès est malheureusement très faible puisqu’il concerne environ 10 % des présents. Cette formule de master en alternance peut donc constituer un élément de réponse pour ces personnels.

Avant de conclure, je veux répondre à une question qui m’a été posée par Mme Laborde mais qui concerne chacune et chacun d’entre vous dans vos départements, à savoir l’avenir des antennes des IUFM.

Je rappelle que les antennes des IUFM sont des locaux universitaires à la charge des universités, lesquelles en ont souvent la propriété. Ma collègue ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a demandé aux recteurs de réfléchir avec les présidents d’université au meilleur usage qui pouvait être fait de ces locaux afin de garantir une formation universitaire de proximité. Nous voyons d’ailleurs, dans un certain nombre de départements, des déclinaisons de masters préparant aux métiers de l’enseignement s’organiser dans des formations de proximité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, élévation du niveau de qualification universitaire, progressivité dans l’acquisition des compétences professionnelles, renforcement de la pratique dans le cursus de formation, accompagnement et suivi continu : voilà ce qui caractérise la nouvelle formation des maîtres. Voilà ce qui va permettre à l’école de la République de répondre à la mission que la nation lui confie : conduire chaque élève vers la réussite.

Avec cette réforme, nous placerons devant les élèves des professeurs qui seront mieux formés et mieux à même de répondre aux besoins de chacun. Nous travaillons avec objectivité, humilité et ambition : cette réforme est perfectible, elle doit être continuellement évaluée et, le cas échéant, améliorée au fil des années. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’y apporterai une vigilance constante.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Je serai brève, car je ne vais pas reprendre l’intégralité du débat.

Sans doute, monsieur le ministre, ne vivons-nous pas dans le même monde. Cette question orale avec débat dont j’ai pris l’initiative était en fait un signal d’alarme et un appel à sortir du déni. Si vous n’avez pas eu connaissance de certaines situations ou si, comme d’aucuns ici, vous pensez qu’il est urgent d’attendre, je vous transmettrai le livre noir réalisé par les « stagiaires impossibles » et qui décrit la souffrance de ces hommes et de ces femmes qui ont été mis en situation, jetés en pâture, devrais-je dire, sans avoir suivi la moindre formation ni effectué un seul stage.

Vous avez beau jeu de dire que la réforme est sans doute perfectible et qu’il faudra au fur et à mesure revenir sur les points d’achoppement. Pour moi, et c’est une certitude, il n’y a pas de replâtrage possible.

Je pensais bien que vous alliez évoquer le concept de master en alternance puisque le recteur de l’académie de Versailles, Alain Boissinot, a annoncé la mise en place, à titre expérimental dès la rentrée prochaine, d’un dispositif de master en alternance.

Je vais dire deux mots de ce dispositif, car il n’est pas le remède qui va tout arranger.

Dès la licence, les étudiants pourraient conjuguer temps de formation en université et séquences en établissement ; la mission qui leur serait confiée d’assistant d’éducation puis d’assistant pédagogique serait intégrée à leur parcours de formation comme temps de préprofessionnalisation. En master, le principe serait le même : il leur serait proposé d’intervenir toute l’année en tant que personnel enseignant vacataire en établissement, accompagné par un tuteur sur un service limité.

La ficelle est un peu grosse et l’on voit comment cette notion d’alternance détournée peut en réalité constituer à moindre frais un vivier de remplacement.

S’agissant des assistants d’éducation, on voit bien qu’il y a l’opportunité par ce moyen détourné de fournir une rémunération à ces jeunes ; c’est d’ailleurs l’une des questions que pointait le rapport Jolion.

Pour les assistants pédagogiques, ce dispositif n’est pas nouveau puisqu’ils sont déjà prioritairement recrutés parmi les étudiants préparant les concours de l’enseignement.

De toute façon, dans les deux cas, on ne sort pas du statut précaire de vacataire. Or, comme j’ai essayé de le montrer lors de mon intervention liminaire, la préprofessionnalisation ne se résume pas à des stages ; encore faut-il leur donner un contenu, en définir la nature exacte, pour qu’ils soient véritablement utiles et ne servent pas seulement à faire du remplacement à moindre frais.

Ces stages, dont on ne peut accepter qu’ils échappent encore une fois au cadrage national, devraient s’inscrire dans un cahier des charges de la formation et être encadrés par des maîtres formateurs spécifiquement chargés d’accompagner les étudiants, et non par des tuteurs, comme vous venez de le proposer.

Si ces étudiants en master d’alternance effectuent un mi-temps dans un établissement, leur emploi du temps, cela a été souligné, sera très chargé, ce qui les empêchera de préparer dans de bonnes conditions le concours, augmentant ainsi pour eux les risques d’échouer.

À l’inverse, ils constitueront, je le répète, un super-vivier de précaires connus et déjà identifiés par les académies. Ce type de formation, que vous nommez « alternance », est en fait un piège en l’état actuel de la formation des enseignants.

La vraie diversification des parcours de formation, au service d’une plus grande démocratisation – je rappelle qu’un étudiant sur deux travaille pour financer ses études – signifierait au contraire plusieurs voies d’accès, avec sans doute des concours différents, comme cela existe déjà mais avec la garantie absolue qu’il s’agit de concours de type national, c’est-à-dire de même valeur en termes de statut, de grille et donc de rémunération.

En fait, j’ai le sentiment, qui est conforté après vous avoir entendu, que cette réforme constitue bien évidemment une pièce maîtresse dans l’entreprise de démantèlement du service public de l’éducation, dont les enseignants sont le pivot. Comment, sinon en détruisant leur formation, attaquer la montagne ?

Le champ de ruines qu’est devenue la formation continue en est la preuve. Les enseignants, qui jouent un rôle déterminant dans la formation et l’avenir des citoyens de demain, sont ainsi les seuls que la nation prive de l’outil de formation quand, dans le même temps, est affichée une volonté de formation tout au long de la vie.

L’échange de ce soir aurait pu être l’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier, d’explorer réellement les pistes d’une réforme qui soit véritablement au service de la réussite de tous les enfants. Je constate que telle n’est pas votre volonté, et je le déplore.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la réforme de la formation des enseignants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 15 avril 2011, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de transports sur le projet de nomination de M. Dominique Perben à la présidence de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures quarante, est reprise à vingt-deux heures quarante.