Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 26 avril 2011 à 14h30
Débat sur la désindustrialisation des territoires — Orateurs inscrits

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, comme ceux qui m’ont précédé à cette tribune, à saluer le travail accompli par la mission commune d’information sous l’égide de son président et de son rapporteur. Quand je n’ai pas pu être présent, j’ai lu avec beaucoup d’attention les comptes rendus des différents déplacements. J’espère que cette discussion nous permettra de mesurer les enjeux pour notre pays d’une véritable politique industrielle.

Parmi les variables explicatives des carences dont souffre notre économie en matière industrielle, nous souhaitons insister sur le sous-investissement structurel, qui est, selon nous, le facteur crucial.

Monsieur le rapporteur, vous privilégiez dans votre analyse une lecture comptable du coût et de la durée du travail, lecture qui est d’ailleurs fausse si l’on compare la situation de notre pays à celle de l’Allemagne. Je regrette que vous n’ayez pu participer au déplacement à Stuttgart, car vous auriez alors entendu les propos de différents dirigeants, et non des moindres, de grandes entreprises de ce land remarquable et compris ce qu’il en était du coût et de la durée du travail.

Comme nous ne pouvons prendre le sillage de la formidable dynamique chinoise, nous ne pourrons pas non plus plagier le modèle mercantiliste allemand, qui ne manquera pas, à terme, de s’essouffler.

La comparaison des taux de croissance de nos deux pays sur les dix dernières années montre que l’Allemagne a connu une croissance moyenne de 0, 8 % quand la France faisait 1, 5 %. Or, c’est à partir de 2006 – une date que l’on peut situer sur l’échiquier politique – que les courbes se sont croisées et que la France a connu une véritable rupture industrielle. Tout dépend donc de notre capacité à nous positionner face au défi des « ruptures technologiques » : ce sera seulement à cette condition que notre économie pourra s’inscrire dans la stratégie de Lisbonne de l’économie de la connaissance.

Cela suppose que notre appareil industriel acquière les aptitudes visant à intégrer des innovations technologiques radicales, des technologies profondément différentes des technologies précédemment dominantes et pouvant bouleverser les usages et les marchés.

Cela suppose également que l’on cible des secteurs-clefs sur lesquels nous devons faire porter nos efforts en matière de politique industrielle parce qu’ils sont susceptibles de tirer notre économie vers le haut.

Cela a été évoqué, les éco-industries doivent permettre de faire évoluer le mix énergétique, tout en permettant de conserver – j’insiste sur ce point – l’objectif d’indépendance énergétique et le gain de compétitivité du prix de notre énergie. Car il ne peut exister de politique industrielle sans politique énergétique.

Or, vous le savez, l’État se défait aujourd’hui de ses leviers d’action, en particulier dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, et ferme le champ des actions envisageables, et ce alors même que les circonstances actuelles – je pense au Japon – et l’ambition industrielle plaident en faveur d’une stratégie inverse.

Vous agissez à contresens de l’Histoire, voire au mépris du bon sens, sinon à contretemps.

Les biotechnologies, les nanotechnologies, la biologie de synthèse sont autant de secteurs où nous sommes aujourd’hui en mesure de prendre l’ascendant pour peu que les bonnes décisions politiques soient prises.

Ainsi, la biologie de synthèse permet de déboucher sur la conception de systèmes biologiques artificiels dont la progression des connaissances doit rapidement se concrétiser par des applications industrielles à haute valeur ajoutée dans les domaines de l’informatique, de la santé, de l’environnement, voire du photovoltaïque.

Il est inutile de vous rappeler qu’il s’agit d’un enjeu industriel majeur dont nous ne pouvons faire l’économie. Nous sommes ici à la lisière de la recherche fondamentale et de l’innovation. Cela suppose que nous investissions fortement dans les nanotechnologies, la chimie du vivant et, de manière plus générale, dans les sciences de la vie et de l’information.

En effet, que ce soit par une stratégie sectorielle ou par des stratégies fondées sur l’incitation à l’innovation – le fameux crédit d’impôt recherche –, la France doit se mettre en capacité d’intégrer les ruptures technologiques.

Le secteur de l’énergie photovoltaïque est emblématique de notre incapacité à absorber ces ruptures. Je ne reviendrai pas sur la situation décrite à l’instant par Jean-Pierre Bel et sur l’aveu d’échec que représente le moratoire de la filière photovoltaïque. Vous avez en fait constitué une « bulle » autour du photovoltaïque – même EDF s’y est mis ! Pis, le bilan carbone des matériels importés, majoritairement de Chine, s’est révélé négatif.

Cet exemple traduit l’échec d’une filière dans laquelle nous pourrions jouer un rôle leader – vous le savez très bien, nous avons des potentiels de développement aussi bien au CEA qu’au MINATEC de Grenoble –, mais démontre surtout l’incapacité de notre pays à mettre en œuvre une stratégie gagnante, même lorsque nous possédons des atouts et des potentiels.

La France a tenté de se doter d’un des systèmes les plus favorables au monde avec le CIR, lancé par le gouvernement de Lionel Jospin et réformé en 2008. Mais de nombreux rapports ont montré les déséquilibres et les dérives dont souffre ce dispositif ; nous les avons largement évoqués en commission.

Je regrette que nous n’ayons pas été suivis par nos collègues lors de la discussion de la loi de finances, alors qu’un amendement aurait pu faire évoluer les taux du CIR pour les PME innovantes. Il ne suffit pas de vanter ici à tout propos l’innovation, il faut aussi donner les moyens aux jeunes équipes innovantes. Le dispositif devra être encore plus efficient pour favoriser l’innovation.

Enfin, l’État doit assumer ses responsabilités par une mobilisation des salariés, qui a été évoquée tout à l’heure, ce à quoi répondrait l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle. Elle aurait pour objectif – nous l’avons constaté à Stuttgart – de conserver à la fois la qualification des salariés dans les entreprises et ce potentiel de développement afin de franchir avec succès les ruptures technologiques.

Il faut donc conforter les aides directes à l’innovation, notamment octroyées par Oséo ; quant au fonds régional d’aide à l’innovation, il a déjà été évoqué.

Ce sont ces aides qui, en favorisant l’innovation dans les secteurs d’activité les plus variés, nous permettront de nous positionner au niveau mondial et parfois comme leader dans certains domaines qu’il reviendra aux responsables, notamment au Gouvernement, de sélectionner.

Mes chers collègues, c’est en allant dans cette direction que nous renouerons avec une croissance durable pour la France, à condition de nous mettre en position de compétition par rapport aux pays émergents. Ces derniers vont sauter les étapes en bénéficiant de certains acquis, ce qui pose de nouveau la question de la propriété intellectuelle, mais il s’agit d’un autre débat ! Nous devons opérer un rattrapage accéléré dans la décennie à venir : la sauvegarde de notre industrie et de notre modèle social est en jeu.

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