Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement notre collègue Martial Bourquin, qui est à l’initiative, avec le groupe socialiste, de cette mission ; il n’a pas ménagé ses efforts pour mener à bien une entreprise qui s’est révélée tout à fait nécessaire.
Durant près d’un an, nous avons auditionné de très nombreuses personnalités, effectué de multiples déplacements, et réuni les éléments nécessaires pour afficher un diagnostic complet et sans concession de la désindustrialisation de notre pays.
L’intérêt témoigné pour notre démarche par les acteurs rencontrés et la sincérité des échanges expliquent la déception que nous avons ressentie quand nous ont été livrées les premières versions du rapport, puis son ultime mouture, pourtant sérieusement remaniée.
Notre déception s’explique par le fait que le Sénat avait l’occasion d’afficher une forme d’indépendance par rapport au pouvoir en place, mais qu’il n’a pas voulu ou pas su saisir cette occasion opportune.
Il s’agit d’un acte manqué, la majorité ayant choisi de travailler sous la tutelle du Gouvernement, dans la continuité des conclusions affichées à l’occasion des états généraux de l’industrie. J’en veux pour preuve cette forme d’allégeance que constitue la justification plus que poussive de la suppression de la taxe professionnelle.
M. le rapporteur a expliqué les avantages supposés pour les entreprises de la suppression de cette taxe. Je voudrais, en ce qui me concerne, évoquer l’autre côté du miroir, celui qui intéresse les collectivités territoriales.
Avec cette réforme, le Gouvernement ignore, ou feint d’ignorer, le rôle central des collectivités locales pour l’attractivité et l’essor économique des territoires. Personne ne peut le nier, l’affaiblissement de leur lien fiscal avec les entreprises scelle la dévitalisation programmée des territoires.
Le rapport de la mission comporte dix-sept propositions dont la plupart ne sont pas à écarter, mais elles s’apparentent trop à des mesures techniques qui, par définition, font l’impasse sur l’enjeu politique de ce dossier. C’est là que se dévoile, sans surprise, le clivage qui sépare encore et toujours la gauche de la droite, ici comme ailleurs.
À travers ces propositions, le rôle joué par le crédit d’impôt recherche, le Fonds stratégique d’investissement, Oséo, les pôles de compétitivité, le grand emprunt et la Caisse des dépôts et consignations est central : voilà autant de structures et d’outils dans lesquels l’État et les collectivités territoriales sont parties prenantes et qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler la « puissance publique ».
Cette puissance publique est trop souvent reléguée au second plan et cantonnée, dans le pire des cas, dans le rôle de bailleur de fonds, d’aménageur ou de simple prestataire de services. Nous ne pouvons pas accepter pour elle ce rôle réducteur, déconnecté de choix politiques faits en amont.
Parce que nous préférons la compétitivité-innovation et la bonne performance à la compétitivité low cost et à l’hyper-concurrence, il est évident pour nous que la réindustrialisation de notre pays exige une nouvelle forme d’intervention renforcée de cette puissance publique pour anticiper, coordonner et impulser.
Dans un autre registre, nous pensons que le rôle de l’État comme actionnaire des grandes entreprises doit être mieux affirmé : il doit pouvoir parler haut et fort par l’intermédiaire de ses représentants quand cela est nécessaire. Je pense notamment aux secteurs industriels dont la stratégie relève de l’intérêt national, comme EADS. Ses succès commerciaux actuels sont les bienvenus, mais ils ne sauraient nous faire oublier les errements d’un passé pas si lointain, marqué par le plan Power 8. Les aléas de l’aéronautique, comme d’autres secteurs, justifient des interventions à caractère anticipateur plutôt que réparateur.
En évoquant l’anticipation, que dire au passage de la tentation avouée, sans plus de précisions, par Lagardère de se défaire de ses 7, 5 % du capital de l’entreprise où il est pourtant le partenaire privilégié de l’État à travers la Sogeade, la Société de gestion de l’aéronautique, de la défense et de l’espace ?
Pour revenir au rôle de l’État dans le secteur aéronautique, la structuration en filières est indispensable : elle est, semble-t-il, à l’ordre du jour. Le Gouvernement a créé à cet effet les fameux comités stratégiques de filières. Au moment où l’émergence d’un champion français en matière d’aérostructures autour d’Aerolia, de Latécoère, de Daher-Socata et de Sogerma s’impose comme une nécessité, le Gouvernement nous apporte des réponses minimalistes : selon lui, il appartient aux industriels de faire le nécessaire, à la suite de quoi l’État envisagerait d’accompagner et, éventuellement, d’aider par le biais du Fonds stratégique d’investissement. Autrement dit, l’État fait sienne la devise : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! », ce qui relativise singulièrement l’utilité du comité stratégique de filière !
Notre travail démontre pourtant le caractère indispensable de l’intervention de l’État pour affronter les problèmes structurels et conjoncturels rencontrés par l’industrie, en redonnant d’abord aux choix politiques en amont toute leur dimension.
Dans un tel contexte, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est impossible que les membres du groupe socialiste votent ce rapport : notre assemblée a manqué une occasion de mettre sa force de proposition au service d’une politique de réindustrialisation dont notre pays a pourtant bien besoin.