Monsieur le président, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, après plusieurs mois d’auditions, de déplacements sur le terrain et de travaux que je sais avoir été nourris, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires a adopté son rapport le 5 avril dernier. Il s’agit d’un document dense, de 342 pages, qui comporte à la fois un constat et des propositions.
Pour ce qui me concerne, je n’évoquerai que brièvement le constat contenu dans ce rapport, puisque la mission commune d’information m’avait auditionné longuement sur ce sujet le 15 décembre dernier.
Après avoir écouté avec intérêt tous les intervenants – je leur répondrai dans un second temps –, je crois pouvoir dire que nous partageons globalement un même sentiment : un phénomène de désindustrialisation, dont l’ampleur reste à déterminer, est en cours depuis de nombreuses années en France comme dans plusieurs autres pays occidentaux.
Il importe surtout de savoir comment nous pouvons lutter contre ce phénomène. C’est sur cet aspect que je centrerai mon intervention, en rappelant dans un premier temps les initiatives prises par le Gouvernement depuis 2007 et en exposant celles que j’entends prendre dans les mois à venir.
S’agissant d’abord du constat, la France connaît un phénomène de désindustrialisation, mais son ampleur diffère selon les territoires et les secteurs.
Le rapport de la mission commune d’information donne une définition intéressante de la désindustrialisation, issue des travaux de l’économiste Lionel Fontagné : celui-ci décrit la désindustrialisation comme « la diminution de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total ».
Si l’on retient cette définition, il est indéniable que, sous le double effet de la progression du poids des services dans notre économie, y compris celui des services à l’industrie, et de la croissance de la population active, un phénomène de désindustrialisation est en effet à l’œuvre en France depuis de nombreuses années.
Ce constat est partagé par l’ensemble des membres de la mission commune d’information. Il convient cependant de mesurer l’ampleur exacte de ce phénomène ; comme je vous l’avais dit le 15 décembre dernier, la situation me paraît contrastée selon les secteurs industriels et les territoires.
En ce qui concerne tout d’abord les secteurs industriels, si certains d’entre eux, comme l’automobile, ont été particulièrement touchés par la crise – ce qui a justifié l’intervention de l’État, notamment sous la forme de l’octroi d’un prêt de 3 milliards d’euros à nos deux grands constructeurs automobiles, qui vont aujourd’hui même terminer par anticipation de le rembourser –, d’autres restent, pour leur part, créateurs nets d’emplois industriels.
À cet égard, je pense notamment au secteur de l’énergie, dans lequel nous disposons de champions nationaux comme EDF, Areva, Total, Alstom ou GDF-Suez, à celui des hautes technologies, avec Gemalto, Thalès, Alcatel-Lucent, Dassault-Systèmes, ou à celui de la chimie, avec Arkéma, Sanofi-Aventis, Biomérieux ou Rhodia-Solvay.
Je pense également au secteur aéronautique, que plusieurs d’entre vous connaissent bien, en particulier M. Chatillon. Notre pays, seul au monde dans ce cas avec les États-Unis, présente la particularité d’être présent sur l’ensemble de la chaîne de construction aéronautique : Airbus est le leader mondial pour les avions commerciaux de plus de 100 places, Eurocopter est le leader mondial pour les hélicoptères civils et parapublics, Dassault compte au nombre des leaders mondiaux pour les avions d’affaires haut de gamme, la SNECMA est le leader mondial pour les turbomoteurs et les turbines pour hélicoptères, Messier-Bugatti est le leader mondial pour les freins en carbone, Labinal est le leader mondial pour le câblage aéronautique…
En ce qui concerne ensuite les territoires, certaines régions tirent bien leur épingle du jeu. Par exemple, l’industrie représente encore 28 % de l’emploi en Franche-Comté, terre d’implantation de l’industrie automobile. De leur côté, les régions les plus touchées par la crise économique ont bénéficié de l’ensemble des outils d’aide mis en œuvre par l’État : je pense par exemple aux Ardennes, où le Président de la République s’est rendu la semaine dernière pour rappeler la mobilisation de l’État en faveur des territoires les plus affectés.
Le constat est donc plus nuancé que l’on veut parfois le faire croire. Le Gouvernement le partage, ce qui l’a conduit à réagir dès 2007 pour lutter contre un phénomène de désindustrialisation amorcé bien avant.
Je rappellerai brièvement les actions menées depuis 2007 par le Gouvernement.
Le rapport de la mission commune d’information met en exergue dix-sept grands types de propositions. Je constate que, dans leur grande majorité, ses propositions sont cohérentes avec les actions d’ores et déjà mises en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre la désindustrialisation.
Je pense notamment aux initiatives prises en matière d’innovation, de mise en place de pôles de compétitivité ou encore de promotion d’une culture industrielle forte.
S’agissant d’abord des actions entreprises en matière de recherche et développement, je rappelle que le Gouvernement a bataillé ferme, lors de l’élaboration de la dernière loi de finances, pour que le crédit d’impôt recherche, dont la réforme de 2008 a permis de tripler le montant, soit préservé à l’identique. Je sais que beaucoup d’entre vous, notamment M. Chatillon, sont très attachés au crédit d’impôt recherche. Ce dispositif représente aujourd’hui une dépense fiscale et un investissement pour l’avenir de plus de 4 milliards d’euros par an. Il profite à la fois aux petites entreprises – on oublie trop souvent que 84 % des bénéficiaires du crédit d’impôt recherche sont des PME de moins de 250 salariés – et aux grandes entreprises, dont certaines prennent leurs décisions de localisation en fonction du crédit d’impôt recherche.
Je rencontre souvent des dirigeants de grandes entreprises qui me disent que, sans le crédit d’impôt recherche, certains centres de recherche et développement auraient peut-être été implantés ailleurs qu’en France. Les chiffres sont là pour le prouver : vingt-cinq nouveaux centres de recherche et développement d’entreprises étrangères se sont implantés en France en 2008, quarante et un en 2009 et cinquante et un en 2010.
Je sais que le rapport de la mission commune d’information demande que l’on aille encore plus loin. La mission souhaiterait par exemple que le crédit d’impôt recherche, qui a fait la preuve de son efficacité, soit étendu à l’aval du cycle de recherche et développement, afin notamment de permettre de financer des dépenses de « prototypage ».
Je ne peux évidemment pas me déclarer opposé à une telle mesure ; en tant que ministre chargé de l’industrie, je n’y verrais même que des avantages. Cependant, disons-le clairement : elle a un coût significatif, de l’ordre d’au moins plusieurs centaines de millions d’euros, ce qui rendrait sa mise en place difficile dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques.