Nous avons signalé dans ce rapport les difficultés d'installation de la commission. Ce problème est à présent derrière nous.
Nous avons tous été nommés par décret en 2008, mais la commission n'a été réunie pour la première fois qu'en juin 2011. Aucune disposition ne prévoyait les modalités de son organisation ou celles de la désignation de son président. Nous avons spontanément proposé à M. Jean-Paul Emorine, à l'époque président de la commission de l'Économie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire du Sénat, de prendre la présidence de la CNEF. Compte tenu de la proximité des échéances électorales au Sénat, il a décliné cette proposition. Pour sortir la commission de l'embarras, j'ai donc accepté d'en prendre la présidence et d'en organiser les travaux. Ce rapport constitue le résultat d'un travail collectif des personnes qui se sont investies dans ce sujet ; aussi, bien qu'ils soient absents, je souhaite les remercier pour leur assiduité.
Vous avez rappelé que la CNEF est née d'un souhait du Parlement, exprimé à l'occasion du débat sur la loi de 2006. Vous avez également évoqué l'exemple de la société British Energy, tombée en faillite. Faute d'avoir isolé les ressources nécessaires aux démantèlements à venir, ceux-ci se retrouvent aujourd'hui à la charge du contribuable britannique.
Deux types d'organisations existent, de par le monde, pour mettre à l'abri les ressources nécessaires aux charges futures. Un certain nombre de pays ont estimé préférable d'isoler ces fonds dans des structures extérieures aux entreprises, c'est le cas des Etats-Unis et des pays scandinaves. En revanche, en France, à la demande des principaux intervenants du secteur électronucléaire, ces fonds ont été maintenus dans le bilan des entreprises, d'où l'importance de l'amendement proposé par les parlementaires.
Vous avez, d'autre part, précisé que la CNEF assure un contrôle de second niveau, alors que celui de premier niveau est réalisé par l'autorité administrative, c'est à dire la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), en la personne d'Olivier Gallou, ici présent, qui assumait la gestion des flux d'information relatifs au financement des charges de long terme des exploitants nucléaires.
En outre, la Cour des comptes a publié, en début d'année 2012, un rapport remarquable, auquel celui de la CNEF fait référence, sur les coûts de l'énergie électronucléaire. À cette fin, la Cour des comptes a mobilisé des moyens considérables, à hauteur d'une quinzaine de rapporteurs. Sur la base de cet acquis, nous avons orienté les efforts de la commission sur deux axes : d'une part, l'actualisation, à fin 2011, à partir des toutes dernières données disponibles, des chiffres fournis par la Cour des comptes, et, d'autre part, l'évaluation de la façon dont l'autorité administrative effectuait la vérification des conditions de constitution des provisions, et de gestion des actifs dédiés, par les exploitants.
Sur le fond du débat, il ne sera possible de connaître de façon certaine le coût des démantèlements et de la gestion des déchets que dans cinquante à soixante-dix ans. Aussi, la loi de 2006 prévoit-elle que les exploitants procèdent, sous leur propre responsabilité, à une évaluation prudente de ces coûts.
Début 2012, l'évaluation des charges fait état de 88,621 milliards d'euros de dépenses qui s'étaleront sur une cinquantaine d'années. Il faut donc savoir quelles provisions constituer aujourd'hui pour être en mesure de couvrir ces dépenses le moment venu. La somme que l'on trouve au bilan des entreprises (34,776 milliards d'euros) est-elle suffisante ? A-t-elle été calculée avec la prudence demandée par la loi ? La gestion des actifs dédiés permettra-t-elle de payer les dépenses de démantèlement ? Le rapport s'attache à étudier ces différentes questions.
Concernant la prudence requise, il convient de remarquer que le rapport de la Cour des comptes n'apporte pas de réponse catégorique, du fait des incertitudes pesant sur les dépenses futures. La CNEF s'appuie sur les commentaires de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui estime qu'il n'y a pas de marge de sécurité suffisante pour couvrir aléas et incertitudes. En matière de stockage géologique profond, il y a des risques de sous-estimation, ce qui a conduit l'ASN à demander la reprise de l'évaluation de ce coût, d'autant que la fourchette entre les évaluations des producteurs et de l'ANDRA va du simple au double.
Sur le montant des dépenses à venir, la CNEF estime qu'on ne dispose pas à l'heure actuelle de marge de précaution. L'évaluation de la valeur présente de dépenses brutes étalées sur cinquante ans repose fondamentalement sur une hypothèse concernant le taux d'actualisation. Actuellement fixé à 5 %, il pourrait devoir être réévalué, car un tel niveau ne permet pas de marge de précaution. De plus, ce taux est constant dans le temps. Or il serait prudent d'envisager une baisse de ce taux, ce qui entraînerait 4 à 5 milliards d'euros de provisions supplémentaires. Il faut que les exploitants puissent financer cette somme, ce qui n'est pas assuré dans les conditions actuelles.
L'on a donc identifié deux sources d'interrogation : d'une part, le montant des dépenses, en raison de la non-réévaluation du coût du stockage géologique profond et, d'autre part, celui du taux d'actualisation. Ces deux éléments montrent que la valeur actualisée des dépenses pourrait être supérieure aux prévisions actuelles.
Comment les exploitants se situent-ils par rapport à leurs obligations de constitution d'actifs ? Les provisions à couvrir atteignent 34,7 milliards d'euros et les valorisations des portefeuilles d'actifs constitués s'élevaient au 31 décembre 2011 à 31,6 milliards d'euros. La différence provient de deux éléments : le régime spécial consenti à EDF pour lequel l'obligation de couverture de 100 % a été reculée de cinq ans. En effet, pour EDF le taux de couverture minimal à respecter est resté fixé à 75 % et le taux de couverture constaté se maintient à 85 %. Un certain nombre d'autres exploitants ont un taux de couverture non complet, cette situation concernant particulièrement le cas d'Eurodif. La CNEF estime qu'à ce jour il manque 327 millions d'euros d'actifs dédiés, avant réévaluation éventuelle des charges futures.
Les évaluations sont-elles suffisamment prudentes ? La réponse n'est pas évidente, mais il est clair qu'il n'y a pas de marge de sécurité.
Par ailleurs, la CNEF, c'est l'une de ses spécificités, est juge de l'action de l'autorité administrative, en pratique la DGEC, à qui il faut rendre hommage car elle a coopéré de manière transparente. Fin juin dernier, l'ensemble des observations de la commission lui ont été présentées et cette autorité n'a pas contesté les critiques émises. En effet, cette direction générale gère un flux considérable d'informations qu'elle doit analyser pour interagir avec les exploitants. Si l'on fait une comparaison avec d'autres pays, elle ne dispose pas des ressources humaines suffisantes pour accomplir sa tâche, malgré la qualité des personnels ; cela gêne le suivi des observations auxquelles l'exploitation des documents peut conduire.
En outre, la notion d'autorité administrative figurant dans la loi est peu limpide : qui est véritablement cette autorité ? Est-ce la direction générale de l'énergie ou le ministre ? Comme les sujets traités dépassent souvent les aspects purement techniques, ne faudrait-il pas envisager un lien avec le ministère de l'économie et des finances ? La notion d'autorité administrative gagnerait donc à être mieux définie.
Au moment où la CNEF a initié ses travaux, la présence de membres de l'autorité administrative dans les conseils d'administration des sociétés contrôlées est apparue problématique. Il y avait là un mélange des genres, mais ce problème a été résolu. Depuis, des modifications ont permis aux membres de la DGEC concernés d'abandonner leur fonction d'administrateur, au profit de celle de commissaire du Gouvernement, plus conforme au rôle d'une autorité administrative chargée de faire appliquer par les exploitants les dispositions législatives et réglementaires.
La CNEF a, comme vous l'avez noté, fait une observation sur les conséquences administratives de la disparition du corps de contrôle des assurances, désormais intégré au corps des mines. Auparavant, celui-ci transmettait des diagnostics précieux sur les portefeuilles des exploitants nucléaires. La DGEC a sollicité l'autorité de contrôle prudentiel pour lui demander d'assurer cette fonction d'expertise, mais le Gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, a considéré cela comme impossible, faute de fondement législatif. Aussi, serait-il utile que les parlementaires fassent en sorte que l'appréciation portée sur les portefeuilles des exploitants nucléaires puisse être soumise aux observations des ex-contrôleurs des assurances en poste à l'autorité de contrôle prudentiel.
S'agissant de la réglementation très détaillée de la gestion des actifs dédiés, qui exige que ceux-ci soient sûrs et liquides, EDF a pris l'initiative d'inclure dans ses actifs 50 % de sa filiale RTE, dérogeant ainsi au caractère de sécurité antérieurement recherché. La DGEC a été saisie par les exploitants nucléaires d'une demande de modification de la réglementation en ce sens. Pour sa part, la CNEF a souhaité conserver la réglementation actuelle prévoyant des actifs liquides de valeur incontestable, estimant, de surcroît nécessaire que d'éventuelles modifications de la réglementation s'effectuent désormais dans la transparence.
Procédant à son auto-évaluation, la commission s'est demandée si d'autres institutions ne pourraient pas exercer ses attributions. Il en est ainsi de la Cour des comptes qui, ayant établi un excellent rapport sur les coûts de la filière nucléaire, pourrait, dans trois ans, se substituer à la CNEF.
En ce qui concerne la possibilité d'un transfert des compétences à l'ASN, elle a été écartée par la commission. Le président de l'autorité, André-Claude Lacoste, lors de son audition par la CNEF, a déclaré que l'ASN, certes clairement en charge de la sécurité technique, ne peut néanmoins se désintéresser de la sécurité financière, laquelle concerne, en matière nucléaire, le préfinancement des démantèlements futurs ainsi que la responsabilité civile des exploitants. Pour autant, la plupart des membres de la commission ont considéré que la fonction prioritaire et le coeur du métier de l'ASN résidaient dans le contrôle de la sécurité technique et que, probablement, elle n'aurait ni l'appétence, ni les moyens humains, pour aller au-delà.
Une autre hypothèse suggérée par l'autorité administrative, et soutenue par la commission, envisagerait la possibilité d'un appel à la CNEF dans le cadre de la supervision en continu des placements des exploitants, la CNEF remplissant ainsi une fonction consultative auprès de la DGEC.
Enfin, la commission a évoqué l'exemple britannique, qui est caractérisé par l'externalisation des fonds de démantèlement et la souplesse de la réglementation. Il existe en outre au Royaume-Uni une interface de spécialistes des questions financières auprès du Secrétaire d'Etat.
Il appartiendra in fine au Parlement de se prononcer sur les différentes modalités possibles d'évolution des missions de la CNEF.