Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 31 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Personnellement, j'aurais préféré que les articles du code pénal relatifs au harcèlement moral et sexuel – ainsi que les dispositions de protection – soient fournis individuellement par le service des ressources humaines à chaque salarié embauché, avec son contrat de travail, sur simple papier libre. De fait, prenons garde de ne pas tomber dans le piège de ces photographies de poumons abîmés par la cigarette que l'on affichait autrefois sur les murs des couloirs des écoles : non seulement ces clichés n'empêchaient personne de fumer mais ils finissaient par être banalisés par le regard, n'étant même plus vus au sens propre du terme.

Il y aurait peut-être plus de solennité à accompagner les contrats de semblables documents, au moment même de leur signature, dans un souci de responsabilisation accrue des employeurs et des employés. D'ailleurs, aux États-Unis, les employeurs sont tenus de répondre chaque année à un questionnaire informatique destiné à mesurer leur degré de compréhension des réalités du harcèlement sexuel.

Par ailleurs, pour être militante anti-discriminations depuis de nombreuses années, je suis tout à fait satisfaite que la transphobie ait été reconnue comme une forme de discrimination dans le code pénal, dans le code du sport, dans le code du travail, dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, au deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Peut-être aurions-nous pu accorder une place au terme de « transgenres », comme les associations le suggéraient initialement. Néanmoins, je ne suis pas certaine que ce mot eût été aisément compris par les magistrats. En effet, l'usage de ce vocable est encore peu répandu en France, si ce n'est dans certains milieux militants ou dans la recherche en sciences sociales. Dans le monde anglo-saxon, les mots de gender et transgender ont sans doute acquis une autre visibilité et une autre légitimité que les termes de « genre » et « transgenre » dans notre pays.

J'émettrai une ultime réserve concernant le libellé du sixième alinéa de l'article 2 quater dans la mouture de l'Assemblée nationale : l'accumulation des mots risque de rendre légèrement confuse la lecture du texte dans le code de procédure pénale. Ainsi peut-on lire cette formule : « des mœurs ou de l'orientation ou l'identité sexuelle ». Pour plus de clarté, il aurait sans doute été opportun de la rédiger ainsi : « des mœurs, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ».

En tout état de cause, sur la question de l'« identité sexuelle », la discussion conduite au Sénat, qui a impliqué les représentantes et les représentants de tous les groupes politiques, avait été exemplaire et avait témoigné de la volonté commune de réprimer la transphobie en droit français.

Enfin, la transphobie constitue désormais une forme pleinement reconnue de discrimination. Pour ma part, je me réjouis de cette heureuse rencontre entre les réflexions des législateurs et les attentes de la société civile.

Bien sûr, l'article 7 ajouté par les députés, en maintenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur une demande d'indemnisation, permet d'apporter une solution aux effets induits par l'abrogation résultant de la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 mai 2012. Même si certains peuvent encore considérer ce dispositif comme fragile, il donne tout de même la possibilité aux tribunaux pénaux de demeurer compétents sur la demande de réparation de la partie civile dont ils auraient été saisis, alors que l'action publique est éteinte.

De surcroît, l'article 7 précise que ce dispositif n'est applicable qu'aux demandes d'indemnisation formulées avant la clôture des débats. Ainsi, les auteurs de harcèlement sexuel ne pourront plus se prévaloir de la seule décision du Conseil constitutionnel, tandis que les victimes pourront obtenir la réparation civile des préjudices subis. Cette évolution n'empêchera pas, naturellement, une personne accusée indûment de harcèlement sexuel de se défendre en invoquant l'article 226-10 du code pénal, réprimant la dénonciation calomnieuse.

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