Le questionnaire qui m'a été adressé est très intéressant. Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions qui y figurent mais ce document situe le cadre de vos préoccupations.
Tout d'abord, je tiens à me présenter en quelques mots. Je possède une formation économique et suis devenue, maintenant, agricultrice. Je dirige aussi la ferme expérimentale de l'Institut et je conduis des recherches. Je m'occupe donc à la fois de la production et de recherche sur la santé humaine. Cette approche globale fonde l'originalité de notre Institut.
L'IRABE a été créé pour définir la différence entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique.
J'ai plaisir à retrouver aujourd'hui le Sénat. En effet, c'est au Sénat que j'ai suggéré la rédaction de l'amendement qui a introduit l'agriculture biologique dans la législation française, le 13 mai 1980. L'Assemblée nationale n'a jamais suivi le Sénat sur ce point. Mais la commission mixte paritaire a retenu l'amendement du Sénat.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Pierre Méhaignerie, a créé deux sièges dans la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole réservés à l'agriculture biologique. Ces deux sièges ont été attribués à M. Francis Chaboussou, vice-président du conseil scientifique de l'IRABE, et au Pr. Guy Queinnec. Etant donné que le Pr. Queinnec restait souvent à Toulouse, j'accompagnais la plupart du temps M. Francis Chaboussou à cette commission. Je connais donc bien la question des pesticides de l'intérieur.
Les pesticides représentent un immense problème. Il faut réduire absolument les pesticides qui polluent l'ensemble du monde vivant.
En vérité, deux approches diamétralement opposées sont possibles : la lutte antiparasitaire ou bien la construction de la résistance de la plante. A l'IRABE, nous avons toujours privilégié cette seconde approche comprenant la prévention des problèmes par la fertilisation.
Je vous remets d'ailleurs des programmes de stages de notre Institut. Un de nos stages s'intitule « Lutte antiparasitaire ou construction de la résistance de la plante » et reflète l'approche spécifique de notre Institut.
M. Francis Chaboussou a beaucoup travaillé sur les pesticides. Il a découvert que les insectes possèdent un équipement enzymatique complètement différent de celui des vertébrés. Nous savons que les pesticides sont cancérogènes pour l'homme. Personne ne le conteste. Les pesticides sont de graves perturbateurs hormonaux.
M. Francis Chaboussou a découvert que l'équipement enzymatique des parasites leur permettait de se nourrir de substances solubles. Or, tous les pesticides sont des substances chimiques solubles. Par conséquent, la solubilité de ces substances aboutit à l'augmentation de la fécondité et de la longévité des parasites, ce qui est très alarmant. M. Francis Chaboussou a également observé l'accélération du cycle de reproduction et la modification du sex ratio au bénéfice des femelles.
Il s'agit là d'une avancée scientifique majeure mais, malheureusement, à l'INRA, M. Francis Chaboussou n'a pas obtenu tous les crédits nécessaires à la poursuite de ses recherches. A la suite d'une communication à l'Académie de l'agriculture, il avait appris que ses travaux avaient suscité de vives résistances dans des milieux industriels. M. Francis Chaboussou n'a pu reprendre ses recherches qu'en devenant vice-président du comité scientifique de l'IRABE. Son entrée à la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole a représenté une sorte de couronnement de sa carrière. Ma présence aujourd'hui au Sénat constitue aussi une reconnaissance de son travail.
Tant que des pesticides seront utilisés, des substances solubles envahiront les tissus de la plante qui, par conséquent, s'en trouvera fragilisée. Les substances solubles deviennent la nourriture du parasite. Une fertilisation optimale est donc nécessaire pour assurer une parfaite organisation des tissus dans la plante.
La fragilité des tissus est aussi un paramètre important. Par exemple, lorsqu'un orage s'abat sur un verger traité avec des pesticides, la différence de température ambiante conduit à l'éclatement des fruits et à la destruction de la récolte.
Au contraire, dans notre ferme expérimentale, les fruits n'éclatent jamais. Les tissus de nos fruits sont suffisamment résistants. Il faut bien comprendre que l'utilisation des pesticides engage un processus nutritionnel au niveau des parasites et des maladies à virus.
A partir de la fertilisation, il importe de parvenir à une protéosynthèse optimale dans les tissus de la plante. Ainsi, les tissus de la plante ne sont pas emplis de substances qui nourrissent les parasites. Si le parasite ne trouve aucune substance soluble, il ne s'attaque pas à la plante.
En vérité, le recours aux pesticides n'est que l'aboutissement d'une politique agricole erronée. A l'origine, l'équilibre naturel de la plante a été déséquilibré par l'utilisation d'engrais chimiques. Ce déséquilibre a ensuite engendré comme un besoin en pesticides. A présent, alors que les pesticides ne fonctionnent plus, le recours aux OGM est aussi ressenti comme un besoin, tout autant superficiel.
Pourtant, nous n'avons pas besoin des OGM. Les OGM sont la preuve même de l'échec des pesticides.
Tous les problèmes pourraient être traités à partir de la base de la vie microbienne du sol. Le respect de la vie microbienne du sol est aussi directement lié à la qualité des produits. En 1998, l'IRABE a reçu une commande du ministère de l'agriculture sur l'étude des corrélations entre l'état d'un sol, son mode de fertilisation et la qualité des fruits obtenus. Dans les conclusions de ce rapport, je propose la définition suivante : « la qualité biologique est le résultat de la santé de la plante ou de l'animal. La qualité biologique résulte d'un équilibre parfait dans la plante qui lui permet d'échapper au parasitisme et aux maladies, ainsi que d'acquérir une très grande résistance aux aléas climatiques ».
La qualité biologique est inséparable de la résistance de la plante. Cette résistance provient de la santé et de la vitalité de la plante.
Quand les tissus sont parfaitement harmonisés, la qualité des produits est optimale et la teneur en principes actifs atteint un niveau exceptionnel. En effet, nous avons réalisé des analyses sur les produits de la ferme biologique de l'IRABE et constaté des taux phénoménaux de principes actifs. Par exemple, il a été mesuré dans nos abricots séchés un taux 100 % supérieur à la normale en glucides et en vitamine C. Nos fruits possèdent une capacité de conservation exceptionnelle.
Alors que notre ferme de Carpentras se situe sur le 44ème parallèle de latitude nord, nous parvenons à produire des figues séchées, pourtant classifiées comme un fruit exotique selon la nomenclature internationale.
Notre démarche mériterait d'être reproduite. Par nos méthodes de fertilisation, nous sommes parvenus à nous extraire du facteur limitant du climat. La qualité et la résistance sont deux paramètres inséparables. Il est certain qu'un fruit doté d'une conservation exceptionnelle n'a jamais été touché par des parasites. En effet, cette grande capacité de conservation résulte de la qualité des tissus de la plante.
Je pense donc qu'il faut conduire une approche globale. Tout est lié. Or, aujourd'hui, nous vivons à l'ère de la compartimentation des savoirs et de l'excès de spécialisation. Les spécialistes de l'agriculture travaillent n'ont pas d'approche globale. A l'inverse, notre institut s'inscrit toujours dans une approche globale : nous sommes en permanence préoccupés par la qualité, la maîtrise du parasitisme et la santé de la plante. Tous ces paramètres sont indissociables les uns des autres.
La situation est grave dans l'agriculture. Par exemple, je voudrais vous signaler que des problèmes de malformation surgissent chez les animaux. Ainsi, des perturbations sont constatées chez les veaux : un éleveur de la région de Rochefort a vu naître récemment deux veaux dépourvus d'anus. La soeur de cet éleveur a également été témoin de malformations chez ses animaux. D'autres éleveurs de la région parisienne ont rencontré des phénomènes identiques. Ils craignent de parler de ces phénomènes nouveaux qui les inquiètent.