Bonjour, Madame. Nous sommes heureux de vous entendre dans le cadre de nos travaux. Nous travaillons depuis le mois de mars sur les pesticides et leurs effets sur la santé des personnes qui les fabriquent et les utilisent (agriculteurs et agents des collectivités territoriales notamment).
Nous avons souhaité vous entendre car l'Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l'Europe (IRABE) a probablement un avis à émettre sur l'utilisation des pesticides et les alternatives qui pourraient exister.
Certes, nous avons besoin d'une agriculture productive. Toutefois, il nous faut relever le défi qui consiste à assurer un haut niveau de productivité sans négliger les problèmes posés par les pesticides.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut servir de trame à votre intervention.
Le questionnaire qui m'a été adressé est très intéressant. Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions qui y figurent mais ce document situe le cadre de vos préoccupations.
Tout d'abord, je tiens à me présenter en quelques mots. Je possède une formation économique et suis devenue, maintenant, agricultrice. Je dirige aussi la ferme expérimentale de l'Institut et je conduis des recherches. Je m'occupe donc à la fois de la production et de recherche sur la santé humaine. Cette approche globale fonde l'originalité de notre Institut.
L'IRABE a été créé pour définir la différence entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique.
J'ai plaisir à retrouver aujourd'hui le Sénat. En effet, c'est au Sénat que j'ai suggéré la rédaction de l'amendement qui a introduit l'agriculture biologique dans la législation française, le 13 mai 1980. L'Assemblée nationale n'a jamais suivi le Sénat sur ce point. Mais la commission mixte paritaire a retenu l'amendement du Sénat.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Pierre Méhaignerie, a créé deux sièges dans la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole réservés à l'agriculture biologique. Ces deux sièges ont été attribués à M. Francis Chaboussou, vice-président du conseil scientifique de l'IRABE, et au Pr. Guy Queinnec. Etant donné que le Pr. Queinnec restait souvent à Toulouse, j'accompagnais la plupart du temps M. Francis Chaboussou à cette commission. Je connais donc bien la question des pesticides de l'intérieur.
Les pesticides représentent un immense problème. Il faut réduire absolument les pesticides qui polluent l'ensemble du monde vivant.
En vérité, deux approches diamétralement opposées sont possibles : la lutte antiparasitaire ou bien la construction de la résistance de la plante. A l'IRABE, nous avons toujours privilégié cette seconde approche comprenant la prévention des problèmes par la fertilisation.
Je vous remets d'ailleurs des programmes de stages de notre Institut. Un de nos stages s'intitule « Lutte antiparasitaire ou construction de la résistance de la plante » et reflète l'approche spécifique de notre Institut.
M. Francis Chaboussou a beaucoup travaillé sur les pesticides. Il a découvert que les insectes possèdent un équipement enzymatique complètement différent de celui des vertébrés. Nous savons que les pesticides sont cancérogènes pour l'homme. Personne ne le conteste. Les pesticides sont de graves perturbateurs hormonaux.
M. Francis Chaboussou a découvert que l'équipement enzymatique des parasites leur permettait de se nourrir de substances solubles. Or, tous les pesticides sont des substances chimiques solubles. Par conséquent, la solubilité de ces substances aboutit à l'augmentation de la fécondité et de la longévité des parasites, ce qui est très alarmant. M. Francis Chaboussou a également observé l'accélération du cycle de reproduction et la modification du sex ratio au bénéfice des femelles.
Il s'agit là d'une avancée scientifique majeure mais, malheureusement, à l'INRA, M. Francis Chaboussou n'a pas obtenu tous les crédits nécessaires à la poursuite de ses recherches. A la suite d'une communication à l'Académie de l'agriculture, il avait appris que ses travaux avaient suscité de vives résistances dans des milieux industriels. M. Francis Chaboussou n'a pu reprendre ses recherches qu'en devenant vice-président du comité scientifique de l'IRABE. Son entrée à la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole a représenté une sorte de couronnement de sa carrière. Ma présence aujourd'hui au Sénat constitue aussi une reconnaissance de son travail.
Tant que des pesticides seront utilisés, des substances solubles envahiront les tissus de la plante qui, par conséquent, s'en trouvera fragilisée. Les substances solubles deviennent la nourriture du parasite. Une fertilisation optimale est donc nécessaire pour assurer une parfaite organisation des tissus dans la plante.
La fragilité des tissus est aussi un paramètre important. Par exemple, lorsqu'un orage s'abat sur un verger traité avec des pesticides, la différence de température ambiante conduit à l'éclatement des fruits et à la destruction de la récolte.
Au contraire, dans notre ferme expérimentale, les fruits n'éclatent jamais. Les tissus de nos fruits sont suffisamment résistants. Il faut bien comprendre que l'utilisation des pesticides engage un processus nutritionnel au niveau des parasites et des maladies à virus.
A partir de la fertilisation, il importe de parvenir à une protéosynthèse optimale dans les tissus de la plante. Ainsi, les tissus de la plante ne sont pas emplis de substances qui nourrissent les parasites. Si le parasite ne trouve aucune substance soluble, il ne s'attaque pas à la plante.
En vérité, le recours aux pesticides n'est que l'aboutissement d'une politique agricole erronée. A l'origine, l'équilibre naturel de la plante a été déséquilibré par l'utilisation d'engrais chimiques. Ce déséquilibre a ensuite engendré comme un besoin en pesticides. A présent, alors que les pesticides ne fonctionnent plus, le recours aux OGM est aussi ressenti comme un besoin, tout autant superficiel.
Pourtant, nous n'avons pas besoin des OGM. Les OGM sont la preuve même de l'échec des pesticides.
Tous les problèmes pourraient être traités à partir de la base de la vie microbienne du sol. Le respect de la vie microbienne du sol est aussi directement lié à la qualité des produits. En 1998, l'IRABE a reçu une commande du ministère de l'agriculture sur l'étude des corrélations entre l'état d'un sol, son mode de fertilisation et la qualité des fruits obtenus. Dans les conclusions de ce rapport, je propose la définition suivante : « la qualité biologique est le résultat de la santé de la plante ou de l'animal. La qualité biologique résulte d'un équilibre parfait dans la plante qui lui permet d'échapper au parasitisme et aux maladies, ainsi que d'acquérir une très grande résistance aux aléas climatiques ».
La qualité biologique est inséparable de la résistance de la plante. Cette résistance provient de la santé et de la vitalité de la plante.
Quand les tissus sont parfaitement harmonisés, la qualité des produits est optimale et la teneur en principes actifs atteint un niveau exceptionnel. En effet, nous avons réalisé des analyses sur les produits de la ferme biologique de l'IRABE et constaté des taux phénoménaux de principes actifs. Par exemple, il a été mesuré dans nos abricots séchés un taux 100 % supérieur à la normale en glucides et en vitamine C. Nos fruits possèdent une capacité de conservation exceptionnelle.
Alors que notre ferme de Carpentras se situe sur le 44ème parallèle de latitude nord, nous parvenons à produire des figues séchées, pourtant classifiées comme un fruit exotique selon la nomenclature internationale.
Notre démarche mériterait d'être reproduite. Par nos méthodes de fertilisation, nous sommes parvenus à nous extraire du facteur limitant du climat. La qualité et la résistance sont deux paramètres inséparables. Il est certain qu'un fruit doté d'une conservation exceptionnelle n'a jamais été touché par des parasites. En effet, cette grande capacité de conservation résulte de la qualité des tissus de la plante.
Je pense donc qu'il faut conduire une approche globale. Tout est lié. Or, aujourd'hui, nous vivons à l'ère de la compartimentation des savoirs et de l'excès de spécialisation. Les spécialistes de l'agriculture travaillent n'ont pas d'approche globale. A l'inverse, notre institut s'inscrit toujours dans une approche globale : nous sommes en permanence préoccupés par la qualité, la maîtrise du parasitisme et la santé de la plante. Tous ces paramètres sont indissociables les uns des autres.
La situation est grave dans l'agriculture. Par exemple, je voudrais vous signaler que des problèmes de malformation surgissent chez les animaux. Ainsi, des perturbations sont constatées chez les veaux : un éleveur de la région de Rochefort a vu naître récemment deux veaux dépourvus d'anus. La soeur de cet éleveur a également été témoin de malformations chez ses animaux. D'autres éleveurs de la région parisienne ont rencontré des phénomènes identiques. Ils craignent de parler de ces phénomènes nouveaux qui les inquiètent.
Les malformations observées sont particulièrement graves.
Il n'y en avait pas auparavant.
Je n'ai pas de réponse sur ce point mais je vous fais part des inquiétudes bien réelles des éleveurs.
La course à la productivité est également alarmante. A titre d'exemple, la France produit autant de lait aujourd'hui qu'en 1980 mais avec deux fois moins de vaches.
Nous sommes préoccupés par cette situation.
Nous pouvons éliminer les pesticides en remettant en cause les méthodes actuellement utilisées. L'élevage joue un rôle prépondérant.
Nous pensons qu'il est impossible de concevoir une agriculture durable sans élevage. Les déjections des herbivores jouent un rôle majeur. Il est impossible de se passer du fumier dans l'agriculture. Je crains que nous en prenions conscience trop tardivement. Aujourd'hui, l'élevage est devenu presque exclusivement une production de viande ou laitière. Or le fumier constituait auparavant un aspect essentiel de la production. Le fumier servait à la fertilisation. La fertilisation pratiquée par l'IRABE est basée en grande partie sur le fumier d'herbivores.
Oui. Le fumier apporte au sol une vie microbienne. Cette vie microbienne est déterminante car elle permet de solubiliser lentement dans le sol toutes les substances dont la plante a besoin. La fertilisation actuellement utilisée dans l'agriculture a fait sauter un maillon essentiel du processus, à savoir la vie microbienne du sol. Ce nouveau mode de fertilisation a substitué à cette vie microbienne une fertilisation chimique.
Oui, le fumier qui abrite la vie microbienne la plus intense provient d'animaux bien nourris. Leur alimentation doit être conforme à leur physiologie. Or, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle car ils sont nourris avec du soja ou du manioc en provenance des États-Unis d'Amérique. D'ailleurs, ces aliments sont à 90 % des OGM. Par conséquent, les déjections des animaux ainsi nourris ne sont pas saines - le lisier en est un exemple frappant.
Historiquement, la qualité de l'agriculture française procédait du mariage entre l'élevage, les plantes et le climat. Des races sont aujourd'hui en voie de disparition et nous devrons tâcher de les sauver. Elles seront peut-être demain notre seule ressource en raison de leur adaptation au terroir.
Vous faites ici la démonstration de la nécessité du retour à la véritable agronomie.
Ce sont nos travaux qui nous ont menés aux conclusions que je viens d'exposer. Depuis une cinquantaine d'années, des siècles de réussite dans l'agriculture ont été effacés. Il était prévu que les engrais chimiques permettent un accroissement de la quantité en même temps qu'un maintien de la qualité. En fait, les engrais chimiques sont parvenus à accroître la quantité mais en éliminant les propriétés des produits agricoles qui prévalaient auparavant : la qualité et la résistance.
S'agissant de l'équilibre entre qualité et résistance, pouvez-vous nous parler des choix de variétés adaptées au terroir ?
Nous tenons compte de l'adaptation au terroir mais nous avons aussi, dans notre ferme expérimentale, des variétés nouvelles d'arbres fruitiers comme des variétés anciennes.
La tomate Saint-Pierre a été abandonnée car les agriculteurs ne parvenaient pas à se débarrasser du mildiou. De notre côté, nous avons mis au point une nouvelle variété succulente et nous ne connaissons pas de problème de mildiou.
La direction régionale de l'agriculture de Provence-Alpes-Côte d'Azur a constaté elle-même que nos fruits, séchés naturellement sous les arbres, étaient délicieux et extrêmement nourrissants.
Comment se fait-il que ces méthodes, sources de qualité et peu coûteuses, ne soient pas plus développées ?
L'agriculture industrielle productiviste a été lancée par la loi d'orientation de 1960-1962. Au départ, des engrais chimiques ont été répandus sur des terres très fertiles avec une vie microbienne intense. Les rendements ont explosé mais, progressivement, la vie microbienne a disparu et la qualité du sol s'est effondrée. Or, en réutilisant récemment du fumier, un agriculteur a constaté que le rendement de sa production avait doublé.
Non, car le fumier n'est pas soluble, contrairement au purin. Le fumier contient une vie microbienne très active. L'homme a voulu se substituer aux micro-organismes mais nous avons la preuve que ce n'est pas possible.
La chimie ne peut-elle pas protéger tout de même d'invasions rapides d'insectes ?
Non, les parasites n'attaquent pas des plantes qui ne correspondent pas à leurs besoins physiologiques.
La moisissure ne doit pas intervenir. Nos fruits ne moisissent pas, comme ont pu le constater toutes les visiteurs de notre ferme. Je vous ai d'ailleurs apporté des fruits pour le prouver. Par exemple, j'ai confectionné une confiture en 1994 avec des prunes Reine Claude. Je les ai mélangées avec 15 % de sucre, sans les faire cuire. Puis, je les ai placées dans des pots non hermétiquement fermés. Je vais vous la faire goûter pour que vous constatiez vous-mêmes la qualité de ce produit.
Hormis les fruits, avez-vous d'autres types de culture ? Avez-vous mené des études comparatives sur les rendements de vos pratiques ?
Non, nous n'avons pas conduit d'études par manque de moyens. En tout cas, les visiteurs de la ferme peuvent constater que nous ne connaissons pas de problème de rendement. En effet, nos arbres croulent sous les fruits.
Nous avons aussi produit des haricots verts et des tomates. Un agriculteur de la région a été impressionné par notre niveau de production.
En outre, nous avons découvert que le changement de la fertilisation modifiait considérablement la nature des adventices. Par exemple, les chardons, les rumex ou encore les chénopodes, l'armoise autant de plantes insupportables pour l'agriculteur, disparaissent complètement et des fleurs, comme la vesse sauvage, refont leur apparition.
Grâce à l'autonomie des universités, l'Université d'Avignon a créé une structure associée à l'INRA qui regroupe tous les organismes de recherche de la région. Cette structure poursuit deux objectifs : la qualité et la conservation ; elle s'intéresse à nos travaux. En effet, l'agriculture souffre d'un très fort niveau de perte. Un des ateliers de cette structure travaille sur « la production de fruits et légumes meilleurs pour la santé et plus respectueux de l'environnement ». Il est très important d'aborder la question de la valeur nutritionnelle.
La conservation constitue donc une thématique essentielle de l'agriculture. Dans notre ferme, nous n'utilisons aucun processus de conservation. Nos produits se conservent tout seuls. Je vous ai d'ailleurs apporté des fruits séchés : des abricots de dix ans, des figues de deux ans, des cerises Burlat de 2006.
Ces fruits ne sont pas sujets à la moisissure. Si un fruit atteint une parfaite maturité, deux processus peuvent alors s'engager : la dessiccation ou la décomposition. Nos fruits connaissent la dessiccation mais pas la décomposition. La clé réside dans la composition des tissus. Nos fruits contiennent des taux de vitamine C et de glucides 100 % supérieurs à ceux constatés habituellement.
Les membres de la mission goûtent les abricots secs, les figues sèches, la confiture de prunes Reine Claude, les cerises Burlat.
Les pesticides sont utilisés car les fruits ordinaires n'ont pas la qualité de ceux issus de la ferme de l'IRABE. Avec des fruits d'une telle qualité, l'emploi des pesticides est superflu.
Non, mais nous avons apporté des conseils à des propriétés dans l'Ardèche qui ont obtenu des résultats probants sur les céréales dès la première année d'application de nos méthodes.
Nous avons créé un Centre d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu rural (CIVAM). Notre seul problème est le manque de moyens.
Combien de temps faut-il à une terre traitée par les pesticides pour retrouver une vie microbienne équilibrée ? Est-ce même possible ?
La vie microbienne de toutes les terres peut être restaurée. Ce n'est qu'une question de temps et de quantité de fumier. Les éleveurs sont essentiels pour l'avenir de nos sociétés. Nous ne pouvons pas nous passer de ce métier.
Le bon fumier nécessite le support qui convient. La Bretagne connaît le problème des lisiers liquides extrêmement polluants.
Oui, faire du bon fumier s'apprend. Le fumier contenant des engrais chimiques ne vaut rien. Un fumier s'élève comme un vin. Il s'agit d'un véritable « or noir ».
Certaines zones sont complètement désertifiées sur le plan de l'élevage. Les abattoirs y ont disparu.
Je me suis battue pour sauver les abattoirs, dont dépendent les éleveurs. Nous avons besoin de petits abattoirs disséminés un peu partout sur le territoire et non de grands abattoirs très espacés les uns des autres. Aujourd'hui, les animaux élevés en Ile-de-France sont parfois abattus en Lorraine.
Il est très difficile d'implanter des abattoirs en banlieue parisienne.
Madame, nous vous remercions pour cette audition extrêmement intéressante.