Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Poser le problème de la formation des maîtres, c’est poser la question de l’ensemble du système éducatif en France. C’est le rôle et la mission des personnels éducatifs qu’il faut repenser. Ne pas soulever cette question serait se résigner à former des maîtres pour l’école d’hier. » Ce sont des propos tenus lors d’un colloque voilà cinquante ans.
Depuis la création de l’école, avant même qu’elle soit déclarée gratuite, laïque et obligatoire, la formation des maîtres fait débat. S’opposent, d’une part, les adeptes du savoir, qui érigent comme sacrée et suffisante la connaissance d’une seule discipline – les « républicains », dirais-je » – et, d’autre part, ceux que l’on appelle, non sans mépris ou condescendance, les « pédagogistes ».
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas à la stérilité de ce débat ? Ne pourriez-vous pas contribuer à y mettre fin ? Il existe, en réalité, une vérité de bon sens. Les maîtres doivent évidemment savoir ce qu’ils enseignent, mais ils doivent aussi savoir comment on enseigne ce qu’ils savent.
Dans son cours sur l’histoire de l’enseignement en France, réalisé en 1904 à la Sorbonne, Émile Durkheim disait déjà aux futurs enseignants : « Acquérir la science, ce n’est pas acquérir l’art de la communiquer. »
Monsieur le ministre, depuis les esquisses de la réforme proposée par votre gouvernement sur la formation des maîtres, nous nous sommes opposés. De longs et vifs débats ont eu lieu et nos propositions ont été bien peu écoutées. Je ne reviendrai pas sur les résultats de l’enquête relative au programme international pour le suivi des acquis des élèves, ou PISA, qui souligne le rôle de la formation des maîtres dans la réussite des élèves, mais ils montrent bien que votre réforme n’est pas adaptée.
Élever le niveau de connaissance des enseignants est une bonne chose. S’appuyer sur une formation universitaire de haut niveau me semble aller de soi. Cependant, je reviens, encore et toujours, sur la nécessité de la professionnalisation. La formation professionnelle doit véritablement accompagner la formation universitaire, et il serait bon qu’elle intervienne dès la licence. C’est un parcours professionnel qui doit être construit pendant les études supérieures, et pas seulement après, comme c’est le cas aujourd’hui.
En effet, il est inefficace et contre-productif que des étudiants puissent passer quatre années à l’université sans avoir jamais mis les pieds dans une classe, alors qu’ils aspirent à exercer ce beau métier. Imagine-t-on qu’il en soit ainsi pour les étudiants en médecine ?
Le métier de professeur s’apprend, car la formation à la connaissance de l’enfant est spécifique et nécessaire. Et le master « enseignement » devrait être complété par une année de stage en pleine immersion.
De plus, la formation sur une discipline unique ne favorise ni le travail des professeurs des écoles ou des collèges ni le travail en équipes pédagogiques. C’est pourquoi la pluridisciplinarité doit avoir une place dans la formation des futurs enseignants, au même titre que les pratiques de l’interdisciplinarité. Il semble évident aussi qu’un enseignant en école maternelle doit recevoir des connaissances pédagogiques spécifiques, tout comme un enseignant de collège. Cela passe donc par la mise en place de différentes filières de master intégrant chaque niveau scolaire, avec une formation en alternance adaptée.
Concernant un autre aspect de la formation professionnelle, il me semble essentiel d’insister sur la formation continue. Les enseignants en fonction sont en poste pour de nombreuses années. La formation continue est un droit et une nécessité. Il serait donc présomptueux de considérer que leur bagage de départ, si achevé fût-il aujourd’hui, saurait suffire pour le long voyage qu’ils auront à accomplir dans l’institution scolaire.
Je pense donc que la formation continue doit trouver une place obligatoire dans la vie professionnelle des enseignants. Elle devrait même être inscrite dans le statut des enseignants. Les stages avec évaluation devraient être pris en compte dans l’évolution de la carrière de l’enseignant et éventuellement pour sa réorientation vers d’autres activités éducatives. La formation tout au long de la vie de tous les personnels de l’éducation nationale est un impératif vital pour l’avenir du système éducatif.
Des moyens doivent donc être débloqués le plus rapidement possible, afin de mettre en place ce qui fait tant défaut aujourd’hui, si nous voulons avoir une école dynamique et adaptée en permanence aux évolutions et aux besoins des hommes et de la société, et figurer parmi les pays exemplaires dans la lutte pour l’égalité des chances.
Pour conclure, permettez-moi de citer les propos que Francisque Vial, qui fut directeur de l’enseignement secondaire au ministère de l’éducation nationale, a publiés dans la Revue pédagogique en 1904 : « Nous ne songeons pas à contester que savoir ne soit une chose et qu’enseigner n’en soit une autre. On peut être un maître savant et cependant un mauvais maître. » Alors, monsieur le ministre, accordez la priorité à la formation des maîtres pour que nous n’ayons que de bons maîtres !