Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la formation des enseignants, tant initiale que continue, est fondamentale. Elle contribue à transformer profondément la société française, en permettant aux enseignants chargés de « former des citoyens émancipés, entièrement maîtres de leur vie » de mener à bien leur mission.
De cette formation dépend notamment la capacité des enseignants à analyser les causes réelles des difficultés de leurs élèves, à poser un diagnostic pertinent, pour ensuite bâtir et mettre en œuvre des stratégies pédagogiques adaptées. La formation au métier d’enseignant vise non seulement à parfaire des connaissances disciplinaires, académiques, mais aussi à remédier aux inégalités d’apprentissage, largement dues à la reproduction d’inégalités socio-économiques, et à aider les enfants à apprendre à vivre.
Former les futurs enseignants contribue pleinement à la promotion de l’école républicaine. La qualité de cette formation conditionne la réussite de l’élève, de l’école et de l’éducation nationale.
En ce sens, la réforme de la formation des enseignants ne peut se limiter à la seule dimension technique ou organisationnelle. La mise en œuvre de cette réforme comme son élaboration ont été menées sans réelle concertation et dans la précipitation. Le résultat aboutit à un constat d’échec majoritairement partagé. En l’état, cette réforme participe ainsi à la déstabilisation et la dégradation profonde du système scolaire français, sévèrement affecté par les suppressions massives de postes et les innombrables fermetures de classes.
Certes, il était nécessaire de rénover la formation des maîtres, car il importe d’adapter ce métier à la réalité changeante de la société. Dans cet esprit, la mastérisation en tant que telle n’est pas problématique. Exiger l’élévation du niveau d’études des enseignants est pertinent.
Toutefois, dès son élaboration, la réforme est apparue comme étant principalement motivée par des raisons comptables et s’inscrivant dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, qui a pour corollaires la dérégulation, le démantèlement et la mise en concurrence des établissements, services et agents publics.
Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin. Je considérerai la mastérisation des enseignants sous le seul prisme de l’enseignement supérieur.
Pour mémoire, la formation des enseignants en France a déjà connu d’importants bouleversements. D’abord, en 2005, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école a modifié le statut des IUFM en les intégrant aux universités. Elles sont alors devenues des « écoles au sein de l’université ». Cette évolution marquait la première étape d’une remise en cause de la spécificité de la formation au métier d’enseignant.
Mais, plus encore, c’est la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007, dite « loi LRU », laquelle prévoyait l’accès aux responsabilités et aux compétences élargies, ainsi que la mastérisation des enseignants, qui a contribué à mettre en péril cette formation.
En effet, le cadrage national de la formation des enseignants et l’égalité due à tous les étudiants en termes d’accès au concours sont profondément remis en cause par les dispositions de la loi LRU. Cette situation est aggravée par les orientations budgétaires actuelles.
Bien qu’étant confrontées à un manque de moyens, les universités sont aujourd’hui pleinement responsables de leur budget et de leurs personnels. Ainsi les présidents d’université sont-ils amenés à procéder à des arbitrages budgétaires entre les différentes formations. Sanctuarisés hier, les IUFM sont à présent considérés comme les autres composantes universitaires. La formation des enseignants n’est désormais plus qu’une formation parmi d’autres. Aussi les moyens consacrés aux IUFM varient-ils fortement d’une académie à l’autre.
À titre d’exemple, j’évoquerai la situation de l’IUFM du Nord-Pas-de-Calais tant elle est symptomatique des problèmes soulevés par la mise en œuvre de la mastérisation des enseignants. Dans cette région, l’IUFM est, depuis janvier 2008, intégrée à l’une des six universités publiques, l’université d’Artois.
Si le public accueilli par l’IUFM provient de l’ensemble du territoire régional et n’est donc pas nécessairement inscrit dans cet établissement, seule cette université supporte la charge financière de la formation des enseignants du premier degré et, pour une part, du second degré. Cela explique sans doute les choix de l’université d’Artois qui, en trois ans, a retiré à l’IUFM soixante-six postes d’enseignants et trente-cinq postes d’enseignants-chercheurs, attribués à d’autres composantes de l’établissement. L’IUFM a également enregistré la perte de vingt-quatre postes supplémentaires, pour lesquels aucun financement n’a été prévu. Au total, l’IUFM aura été amputé de près de 40 % de son potentiel enseignant de 2007. Dans le même temps, cinquante-neuf postes de personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, de service et de santé, les BIATOSS, lui auront été retirés.
En dépit de ces mesures fragilisant l’IUFM, les effectifs de la promotion 2011 demeurent importants, au regard du nombre très faible de postes ouverts aux concours : entre 700 et 800 étudiants se sont inscrits aux masters « métiers de l’enseignement et de la formation » pour cent soixante postes disponibles cette année.
L’année 2012 connaîtra une stagnation du nombre de postes ouverts aux concours. Que deviendront alors les étudiants ayant validé leur master, mais qui n’auront pas été admis ?
Par ailleurs, l’IUFM du Nord-Pas-de Calais compte six sites de formation, assurant ainsi un maillage territorial important. Jusqu’alors, les étudiants étaient répartis sur les différents sites par l’institut. Désormais, les étudiants sont libres de s’inscrire dans le site de leur choix, ce qui déstabilise les équilibres entre les sites.
Faute de crédits suffisants et d’une régulation des flux étudiants, certaines antennes d’IUFM sont menacées de fermeture à très court terme. L’égalité d’accès à cette formation est donc remise en cause.
En l’absence de rémunération ou d’allocation, les étudiants les plus modestes, éloignés des métropoles régionales, ne seront pas en mesure de suivre la formation sur le ou les sites restants.
Outre ces problèmes liés aux relations entre les IUFM et leur université de rattachement, relevés par le président du Comité de suivi du master, Jean-Michel Jolion, la diversité des maquettes de masters des métiers de l’enseignement et de la formation suscite de légitimes interrogations.
Chaque université s’est vu confier l’élaboration et la mise en place de sa propre formation. D’une académie à l’autre, les maquettes diffèrent fortement, notamment en ce qui concerne les modalités et la charge horaire des stages. Il est saisissant de constater, dans certains cas, l’absence de coordination entre rectorats, IUFM et universités. Des étudiants sont ainsi contraints de manquer des cours pour suivre leur stage, prévu par des rectorats qui ne tiennent nul compte du calendrier de la formation universitaire !
Cela étant, l’absence de cadrage national est dommageable à tous les niveaux : sans définition préalable de leur contenu, les masters « métiers de l’enseignement et de la formation » sont aussi disparates qu’inégaux en termes de qualité.
Aussi, il est urgent de remettre en chantier la formation des enseignants. Il s’agit de faire face dès aujourd’hui au découragement des étudiants tenus de s’engager simultanément dans une préparation au concours, une initiation à la recherche et une formation professionnalisante. La diversité et l’importance des objectifs qui leur sont fixés apparaissent aujourd’hui trop contradictoires et difficilement compatibles avec un calendrier resserré.
Plus globalement, il serait aussi nécessaire de revoir la formation permanente des enseignants. L’évolution rapide des connaissances rend nécessaires les recyclages postuniversitaires, non seulement pour les savoirs spécialisés, mais aussi pour les grands problèmes tels ceux de la mondialisation, de l’écologie, de l’économie ou de l’éthique.
À cet égard, comme le relève Edgar Morin, alors que nous n’avons jamais eu autant de savoirs à notre disposition, nous ne savons pas les penser. Il faut renforcer résolument la place de l’éducation artistique et culturelle dans la formation des enseignants. Elle donne un sens global aux différentes connaissances transmises et permet de développer la créativité et l’esprit critique.
En conclusion, les questions sont nombreuses et méritent d’être débattues en concertation avec tous les acteurs concernés. Notre pays ne peut faire l’économie d’une réflexion d’ensemble sur la formation des enseignants, qu’il faut envisager non comme une charge, monsieur le ministre, mais comme un investissement rentable pour toute la nation. §