Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 26 avril 2011 à 14h30
Réforme de la formation des enseignants — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Montaigne nous mettait en garde contre la tentation de faire des enfants des « ânes chargés de livres ». C’est un écueil que nous ferions bien d’éviter aussi lorsque nous formons les professeurs. L’excellence académique n’est pas une condition suffisante pour faire de bons professeurs. Les capacités didactiques et pédagogiques doivent être cultivées en parallèle.

C’est particulièrement vrai pour les professeurs des écoles, dont la vocation est généraliste et qui sont en présence d’enfants encore « en jachère ». En l’occurrence, les maquettes des masters devraient peut-être ouvrir une mention spéciale pour l’enseignement en maternelle et en primaire, dont les enjeux sont bien distincts. La Finlande, pour reprendre cet exemple, prévoit déjà des parcours différents selon le niveau d’enseignement.

Si le métier d’enseignant varie entre l’école primaire, le collège et le lycée, il ne diffère pas moins selon les publics auxquels il faut s’adresser. Au sein d’une même classe, les enfants sont très divers, qu’il s’agisse de leur caractère, de leurs dispositions et de leurs résultats. La personnalisation de la pédagogie, désormais inévitable du fait de l’hétérogénéité croissante des élèves, est une des clefs de la réussite de chacun au mieux de ses capacités.

Montaigne en jugeait bien, lorsqu’il exigeait du pédagogue idéal « qu’il est bon qu’il fasse trotter l’enfant devant lui pour juger de son train, et juger jusques à quel point il se doit ravaler pour s’accommoder à sa force. À faute de cette proportion nous gâtons tout ; et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est l’une des plus ardues besognes que je sache, et c’est l’effet d’une haute âme et bien forte que de savoir condescendre à ses allures enfantines et les guider. »

Cette disposition à moduler son enseignement, cette vertu pratique, pour reprendre l’expression d’Aristote, n’est pas quelque chose qui pourrait faire l’objet d’un cours, fût-il de master. Il s’agit bien plutôt d’un savoir-faire acquis empiriquement, en se frottant aux élèves et aux autres enseignants. Les stages prévus aujourd’hui d’observation et en responsabilité devant une classe ne suffisent pas en l’état pour procurer une expérience adéquate aux étudiants. Sans doute faut-il les renforcer en termes d’horaires et d’efficacité du suivi.

Monsieur le ministre, la piste des masters en alternance que vous aviez vous-même lancée est intéressante. Mais plus que sur les stages préalables, il faut surtout porter notre attention sur l’entrée proprement dite dans le métier.

Un des nœuds de la réforme réside dans la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des professeurs stagiaires. Sur ce point, la mise en place d’un tutorat assuré par des enseignants expérimentés aux capacités pédagogiques reconnues est une excellente idée.

Néanmoins, les inspections générales ont pointé la mise en place très disparate, selon les rectorats, des dispositifs dits de « formation continuée » lors de la première année d’exercice. Il me paraît important de donner à tous les enseignants stagiaires les mêmes armes, car ce sont les élèves qui pâtiront in fine de l’impréparation de certains de leurs maîtres.

Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous partagiez un tel souci et que vous veillerez à garantir la cohérence nationale de la réforme, au-delà des particularités des politiques académiques.

L’échange entre enseignants est essentiel, non seulement lors de la prise de fonctions, mais aussi tout au long de leur carrière. C’est l’instrument essentiel de diffusion des bonnes pratiques et d’élimination des mauvaises. Loin d’être incompatible avec la liberté pédagogique reconnue aux enseignants, il est une des conditions essentielles d’un exercice réfléchi.

Les enseignants ont tout à gagner à s’organiser en réseaux pour croiser leurs expériences. Certains le font déjà. Il est de la responsabilité de l’éducation nationale de soutenir leurs efforts au-delà de la simple réforme de la formation et du recrutement.

À cet égard, il me semblerait très utile de recentrer les missions des corps d’inspection sur le soutien pédagogique et didactique et de renforcer la formation continue des enseignants, aujourd’hui parfois routinière et bureaucratique.

Mes chers collègues, le Président de la République a souhaité que nous rouvrions le débat sur la formation des maîtres. Je pense que c’était en effet utile. De notre discussion libre et large doit ressortir un meilleur module de formation pour les maîtres, condition d’une bonne éducation dans notre pays.

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