Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 26 avril 2011 à 14h30
Réforme de la formation des enseignants — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les effets de la mastérisation, qui a privé de jeunes enseignants des temps d’observation et de la prise de responsabilité progressive. Les dégâts subis par ces futurs professeurs demeurent un véritable scandale : mise en échec, souffrance, renoncement. Quant aux dégâts subis par les enfants, on s’est bien gardé de les mesurer ! Seul a primé le gain induit par cette mise au travail anticipée.

Appliquer les pires critères de rentabilité à une des fonctions vitales de la société que notre pays exerce par le service public, c'est-à-dire la transmission des savoirs, est une erreur historique !

Cela étant dit, voici deux exemples plus particuliers.

Je veux d’abord plaider pour la formation à l’approche sensible de la transmission des savoirs.

En Finlande, pays salué pour ses réussites scolaires, j’ai été le témoin étonné du temps passé à la chorale et à l’initiation aux danses dès l’école primaire. Les maîtres m’ont expliqué que, lorsque que l’on a confiance dans sa voix, dans ses gestes, et que l’on est capable d’écouter l’autre pour être dans le ton et le rythme, de suivre son pas plutôt que de lui marcher sur les pieds, d’identifier la classe à un lieu de plaisir construit sur le respect de règles communes, on est prêt pour les acquisitions cognitives.

En France, par des expériences comme « La Main à la pâte » ou « Les Petits Débrouillards », des enfants découvrent par le toucher, l’odorat, voire le goût, des règles intangibles de la physique, des comportements des insectes qu’ils ne soupçonnaient pas. Ensuite vient l’envie de mesurer, de noter, de rendre compte, de laisser un écrit pour rendre l’expérience reproductible.

Ces activités ne s’improvisent pas. L’expérience ratée, les œufs qui n’éclosent jamais, la sortie dans la nature où l’on ne voit rien, sont des mises en situation qui comportent un risque pour le maître d’école. Seule une formation pratique peut en faire des passeurs compétents.

Les enseignements artistiques, les sciences par le réel, l’éducation physique ne doivent pas être des suppléments d’âme. Ils ouvrent les portes de l’expression et du collectif à des élèves qui n’ont pas eu dans leur famille les atouts de vocabulaire des classes sociales privilégiées.

Je veux aussi, dans cette société de violence, qui est une forme exacerbée de la concurrence que vous appelez chaque jour de vos vœux, plaider pour une formation adaptée à la transmission de l’altérité, de la résolution douce des conflits et de la médiation, qui ont leurs techniques.

Transformer le seul souci de soi et la rivalité ou la peur de l’autre en curiosité et en facteur d’enrichissement est un chemin qui s’apprend. Faire en sorte qu’une émotion puisse s’évacuer par les mots demande de savoir cultiver les compétences narratives, chères à Edgar Morin.

Le « lire, écrire, compter » de François Fillon, qui aurait pu être un contrat moral entre l’école de la République et les parents, n’a pas atteint son but. L’évaluation écrite et la pédagogie stricte qui la prépare n’engendrent que la sélection. L’échange oral en a payé le prix.

Le second effet collatéral a été la minoration des formations aux autres matières, comme si l’histoire ou les sciences n’étaient pas, elles aussi, d’excellents vecteurs d’apprentissage des savoirs de base.

L’acquisition de ces deux compétences que sont la pédagogie par l’approche sensible et le temps de l’oralité dépend hélas de l’année de formation que ce gouvernement a supprimée.

Elles préparent à la reconnaissance des diversités, comme à la gestion des tensions de la société. Elles ouvrent à l’autre et au savoir, plutôt que de favoriser le repli sur soi et la seule écoute de la télévision. Elles donnent aux enseignants les capacités d’épanouir tous les talents des enfants qui leur sont confiés et d’émanciper les futurs adultes qui se préparent dans le cerveau, le cœur et le corps de leurs élèves.

Évidemment, leur exercice n’est pas compatible avec les sureffectifs dus aux 16 000 suppressions de postes ni avec votre réforme de la formation des enseignants !

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