Vous avez évoqué les problèmes posés par la future réforme de la procédure pénale. Vous avez, en particulier, fait état de débats sur les comportements de juges. Je peux vous dire que cette réforme, telle que nous sommes en train de l’élaborer, en concertation avec un certain nombre de personnalités et avec les syndicats de magistrats, a bien pour but de permettre un contrôle des actes des magistrats, qui ne serait pas assuré par le procureur. La future réforme offrira davantage de garanties, conformément à votre attente. J’espère donc que, le moment venu, vous aurez toujours la même position, ce qui vous permettra de voter le texte que je vous soumettrai.
M. Mézard a reconnu que le projet de loi organique apportait une amélioration et s’est demandé s’il suffirait à rétablir la confiance. Il n’y suffira sans doute pas à lui seul, parce que tout un ensemble d’améliorations sont nécessaires pour rendre confiance aux magistrats, mais également pour rendre confiance aux Français dans leur justice. Je tiens d’ailleurs à nuancer l’affirmation selon laquelle les Français n’auraient pas confiance en leur justice. Un sondage a été évoqué, mais il me semble plutôt refléter la situation de 2005 que la situation actuelle : les sondages les plus récents montrent, heureusement, que les Français ont confiance dans la justice, même si l’institution judiciaire elle-même présente un certain nombre d’insuffisances, que je reconnais très volontiers. Mon rôle consiste justement à contribuer à les réduire dans les mois qui viennent.
Bien que cela ne concerne pas directement le projet de loi en discussion, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, l’inquiétude qu’aurait exprimée le Conseil de l’Europe quant à la suppression du juge d’instruction. M. Haenel vous a répondu à ma place, en expliquant très brillamment comment fonctionnait le Conseil de l’Europe.
Je rappellerai simplement que la position du Conseil de l’Europe, lorsqu’il s’inquiète de la suppression du juge d’instruction, pose un double problème.
Premièrement, pour se faire une opinion, il n’a écouté qu’une partie des acteurs, ceux qui sont opposés à cette suppression. Nous n’avons été interrogés à aucun moment. Si j’avais pu m’exprimer, j’aurais d’ailleurs précisé que notre volonté est non pas de supprimer le juge d’instruction, mais de le remplacer par un juge de l’enquête et des libertés aux pouvoirs beaucoup plus étendus.
Ainsi, le juge d’instruction actuel ne s’intéresse qu’à moins de 5 % des dossiers, tandis que le juge de l’enquête et des libertés pourra exercer un contrôle, notamment un contrôle sur les actes d’instruction, pour la totalité des enquêtes, ce juge de l’enquête et des libertés étant un juge du siège. Voilà ce que nous aurions pu dire si nous en avions eu l’occasion !
Deuxièmement, il est parfois curieux de constater que certains s’expriment contre cette disparition du juge d’instruction alors que leur propre pays a déjà supprimé la fonction.
M. Mézard a également évoqué le problème lié à la présence d’un avocat au sein du Conseil supérieur de la magistrature – il n’est d’ailleurs pas le seul à le faire. Là, je ne comprends plus ! Comme M. le rapporteur me le rappelait, ce sont les syndicats de magistrats qui ont demandé qu’un avocat puisse siéger au Conseil. Peut-être cette information n’est-elle pas parvenue à tout le monde… Il me semble néanmoins qu’il conviendrait de se renseigner avant de formuler, au nom des magistrats, des critiques contre une mesure qui correspond à leur demande.
Sur la question des budgets, que M. Mézard a aussi soulevée, il a effectivement été prévu de renforcer les moyens accordés au Conseil supérieur de la magistrature, à la fois sur un plan financier et en termes d’emplois.
Quant à la possibilité pour un particulier qui saisirait le Conseil supérieur de la magistrature de se faire assister par un avocat, je rappelle que cette démarche n’engendre aucun débat contradictoire. Elle consiste simplement à faire part au Conseil, par simple lettre, d’un sentiment de mauvais comportement. La présence d’un avocat n’apparaît donc pas indispensable.
M. Gélard a bien dégagé le sens profond de la révision constitutionnelle et le lien entre celle-ci et le projet de loi organique. Toujours avec beaucoup de talent, il nous a exposé son point de vue sur le texte que nous avons à examiner. Il a regretté notamment qu’aucun professeur de droit ne figure parmi les personnes appelées à siéger au Conseil supérieur de la magistrature. Sur le principe, ce n’est pas moi qui dirait pas le contraire… Mais nous savons aussi parfaitement que, au travers des personnalités extérieures, l’Université retrouvera toute sa place.
M. Gélard m’a ensuite interrogée sur l’augmentation des moyens financiers correspondant aux nouvelles activités qui seront confiées au Conseil supérieur de la magistrature. Je viens d’apporter des éléments de réponse sur ce sujet. Il m’a également interrogé sur les risques d’engorgement des commissions des requêtes et du Conseil supérieur de la magistrature lui-même en ce qui concerne notamment des sujets très sensibles, tels que les affaires familiales, les affaires touchant les mineurs, l’application des peines, voire même les procureurs.
Certes, il existe toujours un risque en la matière et il faut y être très attentif. Mais il me semble que les filtres mis en place permettront d’éviter ces engorgements et que la jurisprudence qui se dégagera permettra assez vite de réduire ces types d’interventions.
Mme Klès, pour sa part, a procédé à une critique générale du texte, en liaison avec un certain nombre de positions qu’elle a précédemment prises sur la réforme constitutionnelle.
J’ai déjà apporté une réponse au sujet de la nomination des personnalités extérieures. Sur la question de l’absence de parité dans certains domaines, plusieurs amendements ayant été présentés, je vous répondrai, madame Klès, à l’occasion de leur examen.
Toutefois, je veux d’ores et déjà signaler que le constituant a souhaité une parité de l’institution, ce qui ne signifie pas une parité chaque fois qu’une décision doit être prise. De plus, se posent un certain nombre de difficultés techniques, puisqu’il y a, dans un cas, élection et, dans l’autre, nomination. Même si la parité pouvait être assurée d’un côté, le risque est fort qu’elle ne puisse pas exister systématiquement.
Quoi qu’il en soit, Mme Klès défend une position politique, que je respecte : elle s’oppose à la réforme constitutionnelle et par voie de conséquence – c’est elle-même qui le dit – à ce projet de loi organique.
Pour revenir à l’intervention de M. Haenel, celui-ci a posé des questions tout à fait fondamentales, notamment lorsqu’il a évoqué l’indépendance pour la justice. Quelle indépendance pour la justice ? Que signifie cette notion d’indépendance pour la justice ? Le véritable problème, c’est effectivement de savoir quel contenu nous donnons aux mots que nous utilisons et, dans le même temps, comment ces mots s’inscrivent dans un cadre plus large.
La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui répond à des demandes formulées, pour certaines, depuis des décennies et qui va au-delà de ce que certains auraient pu envisager, apporte très largement des réponses. Vous avez raison, monsieur Haenel, c’est une réforme très importante, parce qu’elle conforte l’indépendance et l’image de la justice et parce que, dans le même temps, elle marque un rapprochement entre les citoyens et la justice.
Vous avez aussi éminemment raison de le rappeler, le juge tire sa légitimité du peuple français au nom duquel il rend la justice et de la loi que vous, législateurs, votez également au nom du peuple français. Il me semble qu’on l’oublie un peu trop souvent.
Certes, les travaux sur la déontologie sont essentiels. Mais, je tiens à le dire, ces préoccupations sont partagées par tous les magistrats. Depuis mon arrivée au ministère de la justice, je les rencontre fréquemment et je peux vous assurer qu’ils portent tous une vision, une attente, un espoir de voir reconnues leur éthique et leur déontologie.
Monsieur Haenel, vous souhaitez un débat annuel sur la politique générale pénale. Pourquoi pas ? Pour ma part, je n’y verrais que des avantages. Je ne sais pas quelle forme pourrait prendre ce débat, mais il me semble qu’il ne nécessite pas forcément un vote. En tout cas, il s’agit d’une excellente suggestion.