Intervention de Françoise Cartron

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 septembre 2012 : 1ère réunion
Création des emplois d'avenir — Examen du rapport pour avis

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron, rapporteure pour avis :

Notre commission a décidé de se saisir pour avis du projet de loi portant création des emplois d'avenir parce que les articles 2, 2 ter (dont les dispositions ont été reportées à l'article 2 bis A), 8 et 10 qui organisent le dispositif spécial des emplois d'avenir professeur relèvent de son champ de compétence.

C'est l'échec de la mastérisation, sujet largement évoqué, qui justifie la création des emplois d'avenir professeur. La formation des enseignants est fragilisée par le rétrécissement du vivier de recrutement et par l'affaiblissement de la préparation à l'entrée dans le métier. En outre, l'allongement de la durée d'études requise pour se présenter aux concours risque de pénaliser les candidats les plus défavorisés.

L'homogénéisation sociale du corps enseignant serait doublement préjudiciable. D'une part, une des voies historiques de promotion sociale tendrait à se fermer. Pour demeurer fidèle aux valeurs de la République, l'école ne peut pas réserver la profession d'enseignant à une élite sociale. D'autre part, les enfants de milieux défavorisés pâtiraient également de l'absence dans l'éducation nationale de professeurs qui ont connu au cours de leur parcours les mêmes difficultés qu'eux et peuvent, de ce fait, mieux les comprendre et les aider à les surmonter.

Des mesures d'urgence s'imposent avant même les débats sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour l'école. C'est le sens des emplois d'avenir professeur, qui contribueront à sécuriser les parcours universitaires des étudiants se destinant au professorat, à intensifier leur professionnalisation et à préserver la diversité sociale du corps enseignant.

A la différence du dispositif général des emplois d'avenir, destiné à des jeunes pas ou peu qualifiés, les emplois d'avenir professeur s'adressent à des étudiants boursiers de l'enseignement supérieur, inscrits en Licence 2, Licence 3 ou Master 1. La limite d'âge pour entrer dans le dispositif est de 25 ans, et de 30 ans pour les étudiants handicapés.

Une priorité d'accès est donnée aux étudiants qui effectuent leurs études dans une académie ou dans une discipline en sous-effectif. La priorité concerne ceux qui ont soit résidé dans une zone urbaine sensible (ZUS), une zone de revitalisation rurale (ZRR), un département ou une collectivité d'outre-mer, soit étudié dans un établissement de l'éducation prioritaire.

Je me félicite de l'équilibre de traitement entre les zones urbaines et les zones rurales, entre la métropole et l'outre-mer. Si un ciblage des académies et des disciplines en sous-effectif est souhaitable, des contrats aidés ne suffiront pas pour corriger la désaffectation durable de certaines zones d'affectation (Lille, Créteil) ou de certaines matières d'enseignement (mathématiques, lettres). Il faudrait pour cela repenser globalement les modalités d'affectation des enseignants, qui constituent aujourd'hui une forte contrainte structurelle.

Les étudiants sont recrutés après avis d'une commission chargée de vérifier leur aptitude. Pour des raisons d'organisation administrative et d'évaluation rationnelle des besoins, ces commissions se mettraient en place à l'échelon académique.

En revanche, le recrutement est du ressort de l'établissement. Pourront agir comme employeurs les collèges et les lycées publics, les établissements agricoles et le privé sous contrat : par une neutralité bienvenue, tous les champs de l'enseignement sont concernés, à l'exception des écoles primaires qui ne possèdent pas la personnalité morale nécessaire pour contracter. Toutefois, les étudiants recrutés dans un établissement pourront travailler dans d'autres établissements, y compris des écoles primaires. Je souhaite que cette possibilité d'affectation dans le premier degré soit pleinement utilisée, l'école maternelle et l'école élémentaire étant des priorités absolues affichées par le ministre. L'établissement recruteur bénéfice d'une subvention de l'État lui permettant de rémunérer l'étudiant et d'exonérations de charges sociales et fiscales.

Le contrat de travail de l'emploi d'avenir professeur (EAP) constitue une forme particulière de contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), d'une durée déterminée de douze mois, renouvelable dans la limite de trente-six mois. C'est un contrat à temps partiel dont la durée hebdomadaire doit être au moins inférieure à la moitié de la durée légale, et en tout état de cause, compatible avec la poursuite des études et la préparation des concours. Son bénéficiaire, dont la rémunération est cumulable avec les bourses de l'enseignement supérieur, s'engage à se présenter aux concours de l'enseignement du premier ou du second degré. S'il réussit, il est mis fin de plein droit au contrat ; en cas d'échec, une attestation d'expérience professionnelle est délivrée.

Le Gouvernement prévoit la signature à partir du 1er novembre 2012 de 18 000 EAP sur trois ans, soit 6 000 par an. La rémunération cumulée avec les bourses de l'enseignement supérieur s'élèverait à 900 euros par mois en moyenne.

La gestion de contrats de droit privé par les établissements peut se révéler délicate : l'absence d'activité réelle de formation pendant la durée de l'emploi a conduit à des condamnations de l'éducation nationale et des requalifications de contrat d'insertion en contrat à durée indéterminée (CDI). Aussi le projet de loi organise-t-il sous forme de tutorat un suivi, que je souhaite rigoureux, des étudiants recrutés en EAP.

Aux termes de l'article 2, les EAP interviendront en appui éducatif. Je souhaite que cette formule soit interprétée de manière large. Il ne faudrait pas, en restreignant les emplois d'avenir à l'aide aux devoirs, les cantonner à des activités de quasi-répétiteurs, assez peu formatrices en elles-mêmes. En effet, la professionnalisation des futurs enseignants ne passe pas uniquement par la maîtrise d'outils didactiques et l'apprentissage de la gestion de classe. Les EAP devraient être l'occasion de donner aux étudiants une vision plus large que celle de la classe stricto sensu. Il serait intéressant de les faire participer à l'élaboration de projets culturels, sportifs, artistiques, et plus généralement à tout ce qui dans l'école permet de faire classe autrement. N'oublions pas les leçons que formulaient déjà les pédagogues des Lumières comme Mme de Genlis, première femme gouverneur de jeunes princes : « L'autorité peut obtenir d'un enfant qu'il se tienne tranquille sur une chaise, et qu'il attache ses yeux sur un livre ; mais l'attention ne se commande point ; c'est la curiosité qui la donne, c'est le goût qui la fixe. »

On aurait pu envisager d'élargir la définition des EAP afin de les mettre au service de la refonte des rythmes scolaires, qui requiert de repenser dans sa globalité l'aménagement du temps de l'enfant. Dans cette perspective, les collectivités territoriales compétentes auraient pu recruter des EAP pour des tâches diversifiées, en complément des activités d'enseignement. A défaut, il conviendra de laisser aux collectivités territoriales la possibilité de recruter pour des missions périscolaires des jeunes plus qualifiés que la cible première du dispositif.

La refondation de l'école exige de l'ouvrir davantage sur l'extérieur pour assurer une prise en charge globale de l'enfant et favoriser son épanouissement cognitif et affectif. A cette occasion, nous ne pourrons faire l'économie d'une révision profonde des relations entre l'éducation nationale et les collectivités territoriales.

Au bénéfice de ces remarques, je vous recommande de rendre un avis très favorable à l'adoption du projet de loi portant création des emplois d'avenir.

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