Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis du projet de loi portant création des emplois d’avenir, adopté par l’Assemblée nationale. En effet, les articles 2, 2 bis A, 8 et 10, qui organisent le dispositif spécial des emplois d’avenir professeur, relèvent de son champ de compétences.
L’échec de la mastérisation, instaurée il y a trois ans, est aujourd’hui évident. La pénurie de candidats au métier d’enseignant, l’assèchement du vivier de recrutement et l’affaiblissement de la préparation à l’entrée dans le métier justifient la création des emplois d’avenir professeur.
En outre, l’allongement de la durée d’études requise pour se présenter aux concours risque de provoquer l’éviction de candidats issus des catégories sociales les plus défavorisées, alors même que nous constatons déjà une très forte homogénéité sociale du corps enseignant qui n’est pas satisfaisante. Ainsi, l’une des voies historiques de promotion sociale, dont nous sommes quelques-uns ici à pouvoir témoigner – je pense à l’espoir que suscitait la possibilité d’embrasser ce beau métier de professeur –, tend à se refermer.
Or, pour demeurer fidèle aux valeurs de la République, l’école ne peut pas réserver la profession d’enseignant à une élite sociale : elle doit ouvrir cette voie aux jeunes qui, aujourd’hui, y sont très peu représentés. En outre, les enfants de milieux défavorisés doivent pouvoir profiter de la présence, au sein de l’éducation nationale, de professeurs ayant connu durant leur parcours les mêmes difficultés qu’eux et susceptibles, de ce fait, de mieux les aider à les surmonter.
Il faut donc prendre des mesures d’urgence, avant même que ne s’ouvrent les débats sur le projet de « grande » loi de refondation de l’école. C’est le sens des emplois d’avenir professeur, qui contribueront à sécuriser les parcours universitaires des étudiants se destinant au professorat, à intensifier leur professionnalisation, mais aussi à préserver la diversité sociale du corps enseignant.
À la différence du dispositif général des emplois d’avenir, destiné à des jeunes pas ou peu qualifiés, les emplois d’avenir professeur s’adressent à des étudiants boursiers de l’enseignement supérieur inscrits en licence 2, licence 3 ou master 1.
Une priorité d’accès est accordée aux étudiants qui effectuent leurs études dans une académie ou dans une discipline en sous-effectif. Priorité est donc donnée à ceux qui ont, soit résidé dans une zone urbaine sensible, dans une zone de revitalisation rurale ou en outre-mer, soit étudié dans un établissement relevant de l’éducation prioritaire.
Notre commission se félicite particulièrement de l’équilibre de traitement entre les zones urbaines et les zones rurales, ainsi qu’entre la métropole et l’outre-mer. Le ciblage des académies et des disciplines en sous-effectif est souhaitable. Cependant, la désaffection durable pour certaines zones d’affectation, telles que Lille et Créteil, ou de certaines matières d’enseignement, comme les mathématiques et les lettres, ne pourra pas être complètement corrigée par des contrats aidés, nous en avons pleinement conscience. Il faudrait pour cela repenser les modalités d’affectation des enseignants, qui constituent une contrainte structurelle forte.
Priorité d’accès ne veut pas dire recrutement au plus pressé et à l’aveugle : les étudiants seront recrutés après avis d’une commission chargée de vérifier leur aptitude. Pour des raisons d’organisation administrative et d’évaluation rationnelle des besoins, ces commissions devraient se mettre en place à l’échelon académique.
En revanche, le recrutement est du ressort de l’établissement. Pourront agir comme employeurs les collèges et les lycées publics, les établissements agricoles et les établissements d’enseignement privé sous contrat. Tous les types d’enseignement participant au service public de l’éducation sont couverts, hormis les établissements français à l’étranger, en raison de leur statut spécifique.
Les écoles primaires ne pourront pas recruter puisqu’elles ne possèdent pas la personnalité morale nécessaire pour contracter. Il est toutefois prévu que les étudiants recrutés dans un établissement pourront travailler dans des écoles primaires. Je souhaite que la possibilité d’affecter des emplois d’avenir professeur dans le premier degré soit pleinement utilisée. L’école maternelle et l’école élémentaire sont des priorités absolues du Gouvernement, et nous nous en félicitons.
Pour répondre par anticipation à certaines critiques, notre commission tient à affirmer clairement que les emplois d’avenir professeur ne constituent pas une forme de pré-recrutement au sens strict. Il ne faut pas passer de concours pour en bénéficier. Aucun statut particulier de droit public ne leur est attaché. Les étudiants sont recrutés sous contrat de travail. Ils ne bénéficient d’aucune voie spéciale d’accès aux concours de l’enseignement, qui demeurent obligatoires. De ce point de vue, il serait inexact d’alléguer une violation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment du principe d’égal accès aux fonctions publiques, parfaitement respecté par le texte.
Les emplois d’avenir professeur sont une mesure d’accompagnement social, destinée à des étudiants défavorisés auxquels nous voulons donner toutes les chances de devenir professeur, alors que leurs familles et leur milieu social sont souvent éloignés du monde scolaire et universitaire. Le zonage relatif vise aussi à réparer, au nom de l’intérêt général, des inégalités territoriales qui sont devenues criantes au détriment des jeunes ruraux et des jeunes des quartiers sensibles. C’est donc une mesure visant à rétablir de l’égalité des chances là où elle n’existe plus. Pour préparer le redressement de l’école dans la justice, nous ne pouvions faire moins !
Aux termes de l’article 2, les emplois d’avenir professeur interviendront en « appui éducatif ». Il n’est donc pas question de confier à ces jeunes des responsabilités pleines et entières d’enseignement. Le texte ne permet en aucun cas de substituer des jeunes bénéficiant d’un emploi d’avenir à des enseignants titulaires.
En revanche, l’appui éducatif ne doit pas se restreindre uniquement à l’aide aux devoirs. Il ne faudrait pas cantonner les emplois d’avenir professeur à des activités de quasi-répétiteurs, assez peu formatrices en elles-mêmes. N’oublions pas les leçons des pédagogues des Lumières ! Ainsi Mme de Genlis, première femme à être nommée gouverneur, en 1782, disait : « L’autorité peut obtenir d’un enfant qu’il se tienne tranquille sur une chaise, et qu’il attache ses yeux sur un livre ; mais l’attention ne se commande point ; c’est la curiosité qui la donne, c’est le goût qui la fixe. »
La professionnalisation des futurs enseignants ne passe pas uniquement par la maîtrise d’outils didactiques et l’apprentissage de la gestion de la classe. Les emplois d’avenir professeur devraient permettre de donner à voir aux étudiants autre chose que la classe stricto sensu. Ainsi serait-il intéressant de les faire participer à l’élaboration de projets culturels, sportifs, artistiques, leur fournissant l’occasion de découvrir et d’appréhender l’enfant dans toute sa globalité.
Il aurait pu être envisagé de mettre les emplois d’avenir professeur au service de la refonte des rythmes scolaires, qui requiert de repenser l’aménagement du temps de l’enfant. À cet effet, les collectivités territoriales compétentes auraient pu devenir recruteurs d’emplois d’avenir professeur afin de confier à ces jeunes des tâches diversifiées, en complément des activités d’enseignement. À défaut, communes, départements et régions devront recourir aux emplois d’avenir généraux de l’article 1er pour assurer des missions périscolaires. Cela suppose alors de leur permettre de s’adresser à des jeunes plus qualifiés que la cible première et prioritaire du dispositif.
La refondation de l’école exige d’ouvrir davantage celle-ci sur l’extérieur, en vue d’assurer une prise en charge globale de l’enfant et de favoriser son épanouissement tant cognitif qu’affectif. À cet égard, nous ne pourrons faire l’économie d’une révision profonde des relations entre l’éducation nationale et les collectivités territoriales.
Le chantier de la refondation est devant nous. Les emplois d’avenir professeur constituent une première pierre de la reconstruction de notre école, si malmenée ces dernières années, mais aussi un signe fort de confiance et d’espoir adressé à notre jeunesse.
Telles sont les considérations qui ont conduit la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à rendre un avis très favorable à l’adoption du projet de loi portant création des emplois d’avenir. §