Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 24 septembre 2012 à 14h30
Création des emplois d'avenir — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Quinze ans ! Fallait-il attendre quinze ans après le lancement des emplois jeunes, qui avaient pourtant fait leur preuve comme tremplin ou comme sas d’insertion, pour retrouver un dispositif aussi sérieux de mise à l’emploi durable de notre jeunesse en péril ?

Sans doute fut-ce le temps nécessaire à l’alternance... Hélas ! Les générations ont pendant ce temps été sacrifiées.

Face aux difficultés d’insertion et d’accès à l’emploi d’une part croissante de la jeunesse – environ 60 % des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans dans les outre-mer sont au chômage –, aucun dispositif de soutien n’avait été aussi loin depuis les emplois-jeunes.

Entre-temps, les dispositifs tels que les CAE ou les CUI n’ont guère laissé d’autres perspectives que celle des petits boulots et des emplois précaires, spirale infernale d’autant plus marquée par le durcissement des critères d’éligibilité et l’exclusion de fait des publics les plus prioritaires.

Les difficultés d’accès à l’emploi, nous les connaissons. Bien sûr, la crise économique ne nous est pas étrangère, mais arrive au premier plan le faible niveau de qualification.

Les chiffres en outre-mer sont encore plus catastrophiques que ceux de l’Hexagone.

À la sortie du système éducatif en outre-mer, le taux des sans diplôme varie de 36 % pour la Martinique à 58 % pour la Guyane. Il faut donc saluer le projet de loi. C’est une mobilisation urgente et massive du Gouvernement en faveur d’un tel public.

Le texte restaure les notions de valeur du travail, d’effort, de dignité et de progrès associées au travail et combat auprès des jeunes cette « culture » du non-travail, d’argent facile, de débrouillardise. Il crée une dynamique d’insertion et d’utilité économique, sociale et psychologique : produire, se former, découvrir le monde du travail, respecter les horaires.

Il convient aussi de souligner dans ce projet de loi la durée de l’aide, trois ans, qui donne au jeune le temps de la construction d’un projet ou d’un parcours, ainsi que l’obligation de formation faite aux employeurs et, enfin, dans ce contexte de crise économique, la priorité donnée aux jeunes les plus en difficulté et aux territoires les plus touchés par le chômage et les problématiques d’insertion.

Je souhaiterais ici insister sur les valeurs ajoutées, à conforter, de ce projet de loi, mais également alerter sur les limites d’un dispositif qui, s’il devait rester isolé, se révélerait bien insuffisant, notamment pour relever les graves défis posés dans certains territoires sinistrés, tels que les zones urbaines sensibles, certaines zones rurales et les outre-mer.

Des points essentiels en particulier doivent être soulignés et confortés.

En tout premier lieu, je voudrais mentionner l’absence de référence à un zonage dans l’application du dispositif aux régions et collectivités d’outre-mer. Il s’agit là d’une marque de lucidité, de reconnaissance d’un principe de réalité trop souvent mis à mal, qui préserve en amont d’adaptations anachroniques les territoires ayant fait le choix de l’identité législative.

De même, il convient de souligner la création des emplois d’avenir professeur, innovation qui restaure, dans le cadre de la réforme de la mastérisation, la possibilité d’une diversité des origines sociales dans l’accès aux fonctions d’enseignement, fierté de la République des écoles.

Cela doit permettre non seulement d’accroître localement les chances de combler le déficit d’enseignants, le cas échéant, mais également de donner aux plus modestes l’accompagnement financier nécessaire pour relancer l’ascenseur social, la mobilité et la mixité, à l’endroit où la République doit assurer ses missions d’intégration dès le plus jeune âge.

Et j’insiste vraiment sur ce point, car les emplois d’avenir professeur pourraient apporter une réponse intéressante non seulement à la problématique de la vocation des jeunes pour les métiers de l’enseignement, mais aussi à celle du recrutement des enseignants dans certains territoires.

Plus concrètement, en outre-mer, et notamment en Guyane ou encore à Mayotte, la mobilité des enseignants venant de métropole a un coût élevé pour l’État, non seulement un coût financier, mais aussi un coût social et éducatif, celui de l’adaptation, celui du choc des cultures, celui des barrières linguistiques.

Imaginons déjà toute une génération de jeunes étudiants, qui, grâce aux emplois de professeur, n’abandonnerait plus sa formation initiale au niveau bac plus deux, faute de moyens financiers et de débouchés, mais serait à même de la poursuivre jusqu’au master et de renouveler ainsi la capacité du territoire à produire ses éducateurs et ses cadres, afin d’assurer aux jeunes générations la transmission des savoirs et des perspectives concrètes d’avenir dans la société.

L’expérience d’ailleurs mériterait d’être tentée pour d’autres métiers, comme les filières paramédicales. Par exemple, pour la Guyane, on sait que le taux de couverture par les professionnels de santé est particulièrement insuffisant.

Enfin, je tiens à noter dans le dispositif général l’intégration pour les outre-mer des bacheliers en rupture de formation supérieure et autres jeunes ayant atteint le niveau IV de qualification, mais ne l’ayant pas dépassé. Sont ainsi prises en compte l’insuffisance des capacités d’accueil ou tout simplement l’absence de structures alternatives, relevant par exemple de la formation continue. La mesure est décisive pour une catégorie de jeunes risquant de demeurer « orpheline » de tout dispositif d’insertion sociale et professionnelle.

Il reste toutefois important de contribuer à identifier ce qui pourrait apparaître comme les limites les plus criantes du dispositif. Les limites que je voudrais souligner ne font pourtant qu’appeler à la poursuite et à l’amélioration de la démarche, qui devrait s’adosser à deux vecteurs de réussite insuffisamment garantis à ce jour.

Premier vecteur, la formation du jeune au-delà de l’emploi obtenu. Une telle obligation pour l’employeur est renvoyée par la loi aux instances qui gèrent la formation aujourd’hui, c’est-à-dire Pôle emploi, la mission locale et la région, instances qui n’ont pas partout la même efficacité, en raison de niveaux différents de structuration et parce qu’elles ne bénéficient pas du même environnement économique.

Second vecteur, le tissu économique capable d’accueillir le jeune. Quelle formation pour quel métier ? Quel débouché après trois ans d’emplois d’avenir ? Un dispositif porté essentiellement par le monde associatif et dont le potentiel économique reste émergent pourra-t-il pérenniser les emplois créés ?

En fait, ce qui manque, c’est le travail de structuration de filières et de groupements d’intérêt, dont la formidable évolution du monde associatif, que j’évoquais à l’instant et qui s’adapte en fait à nos fortes mutations sociales et comportementales, plaçant chaque jour davantage l’aide à la personne, le loisir, le sport et la culture au cœur de l’activité marchande.

De même, il convient de reconnaître certains métiers dont l’utilité sociale est avérée, mais dont le statut n’est pas précisé, et de conforter des niches d’activités pouvant à terme se financer sans subvention dès lors que l’offre répond à une demande, donc à un marché...

Outre son effet mécanique sur l’emploi durant une période déterminée, le dispositif des emplois d’avenir peut être un véritable outil de développement territorial, sous trois conditions : d’abord, ces emplois doivent produire les qualifications dont les territoires ont réellement besoin ; ensuite, les besoins doivent à terme intégrer le marché ; enfin, le marché doit être supporté par un tissu économique lui-même consolidé. En d’autres termes, au-delà de tels instruments pour l’emploi, nous devons désormais nous mobiliser pour mettre en place les conditions économiques de nos territoires. Ce travail reste à faire dans certains territoires, ceux-là même qui sont visés par le texte. Le législateur peut y contribuer.

Votons donc ce texte, mais soyons conscients de devoir élargir le champ de nos travaux, s’agissant des politiques publiques de l’emploi. Votons ce texte afin de donner des perspectives à notre jeunesse en proie à tous les maux, à toutes les difficultés, à toutes les formes de délinquance, à la marginalisation et à la pauvreté. Par le biais des emplois d’avenir, donnons-leur de l’espoir. Il y va de notre responsabilité politique !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion