Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté hier après-midi, à l'unanimité, le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, dans la rédaction issue de ses travaux.
La commission salue le dépôt par le Gouvernement de ce projet de loi ainsi que son inscription à l'ordre du jour de la session extraordinaire. Ces décisions témoignent de l'engagement du Président de la République et du Gouvernement à faire de la lutte contre ce que nous appelons, dans nos outre-mer, la « vie chère » une priorité.
Le texte que nous examinons aujourd'hui suscite de grands espoirs dans nos outre-mer. Il constitue la traduction législative d'engagements forts pris au cours de la campagne électorale par le Président de la République.
Pour quelles raisons l'examen de ce texte revêt-il une importance particulière pour nos outre-mer ? Autrement dit, pourquoi la lutte contre la « vie chère » dans nos outre-mer constitue-t-elle une urgence ?
À mes yeux, il est important de rappeler, notamment à l'attention de nos collègues de l'Hexagone, qui ne sont peut-être pas au fait des réalités de nos outre-mer, les éléments qui ont conduit à l'élaboration du présent projet de loi.
Tout d'abord, la cherté de la vie dans nos outre-mer n'est pas seulement un ressenti de la population, c'est une réalité statistique. Elle comprend deux aspects : le niveau des revenus et le niveau des prix.
Rappelons tout d'abord la réalité des chiffres en matière de revenus.
Pour ce qui concerne les départements d'outre-mer, l'INSEE a montré en 2010 que les revenus sont, en moyenne, inférieurs de 38 % par rapport à ceux qui sont constatés dans l'Hexagone. Dans ces départements, les foyers fiscaux à revenus très faibles sont très nombreux : près de 50 % des foyers fiscaux des DOM déclaraient en 2008 un revenu annuel inférieur à 9 400 euros, contre moins d'un quart dans l'Hexagone !
Dans les COM, ces collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, les inégalités de revenus sont également très supérieures à celles qui sont recensées dans l'Hexagone. Deux chiffres l'illustrent : à Saint-Martin, les deux tiers des foyers fiscaux perçoivent moins de 9 400 euros par an ; en Nouvelle-Calédonie, le rapport interdécile, qui mesure l'écart entre les revenus les plus hauts et les revenus les plus modestes, atteint 7, 9, contre 3, 6 dans l'Hexagone.
Examinons maintenant les données relatives au niveau des prix.
Dans les départements d'outre-mer, l'INSEE a relevé en 2010 que le niveau général moyen des prix est supérieur de 6 % à 13 % au niveau général moyen des prix dans l'Hexagone. L'écart de prix est encore plus important s'agissant des produits alimentaires : le prix du panier métropolitain de produits alimentaires est ainsi supérieur d'environ 35 % en Guadeloupe et à La Réunion, de 45 % en Martinique et de près de 50 % en Guyane ! Certaines associations locales de consommateurs ont mené leurs propres enquêtes, qui ont abouti à des écarts encore plus élevés.
Le constat est le même dans les collectivités d'outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, les prix des produits alimentaires ont ainsi augmenté, entre 1995 et 2008, de 31 %, contre seulement 25 % dans l'Hexagone. Les produits les plus « inflationnistes » sont les produits de base comme le riz : le prix de ce dernier a progressé de 5, 1 % en moyenne par an sur la période, et même de 40 % sur la seule année 2008.
Les chiffres sont donc très clairs : les revenus sont inférieurs et inégalitaires dans les outre-mer, tandis que les prix y sont supérieurs et ont augmenté davantage au cours des dernières années, en particulier pour ce qui concerne les produits alimentaires de base.
La « vie chère » est ainsi une réalité quotidienne pour nos concitoyens ultramarins. Il n'est donc pas surprenant que cette question constitue, surtout depuis 2009, un sujet lancinant dans le débat politique et social de nos outre-mer.
Vous vous rappelez tous du « cri » poussé par nos concitoyens ultramarins au début de l'année 2009, notamment en Guadeloupe et en Martinique.
Au début de l'année 2009, les départements d'outre-mer ont en effet été secoués par une grave crise sociale, marquée par une grève qui a paralysé pendant plusieurs semaines les deux départements antillais. La question du niveau des prix, particulièrement des prix des produits alimentaires, était au centre des revendications.
La crise s'est conclue par des accords prévoyant des baisses de prix, accordées par la grande distribution, pour un certain nombre de produits de première nécessité.
Quelles mesures ont été prises depuis 2009 ? La question se pose en effet, et la commission regrette qu'aucune véritable réponse n'ait été apportée jusqu'à ce jour à la problématique de la « vie chère » dans les outre-mer.
Après la grave crise sociale, le Président de la République de l'époque a bien annoncé, en février 2009, l'organisation d'états généraux dans chaque collectivité. La population ultramarine a donc été consultée.
Au terme de ces états généraux, le Conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009 a annoncé 137 mesures pour les outre-mer.
Parmi les mesures présentées, bien peu constituaient une réponse au problème posé par le niveau des prix. Les quelques dispositions prévues dans ce domaine n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu, ni des attentes de la population : permettre aux observatoires des prix et des revenus de financer des études ou imposer la présence d'un parlementaire ultramarin au sein du Conseil national de l'information statistique ne réduit effectivement en rien la cherté de la vie !
Le manque d'ambition du CIOM en matière de « vie chère » était d'autant plus décevant que beaucoup de travaux avaient été réalisés au préalable sur cette question : le diagnostic sur la réalité et les causes de la vie chère était relativement partagé et de nombreuses propositions étaient déjà sur la table.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre Haute Assemblée a travaillé de manière approfondie sur cette question. Sur l'initiative du président Gérard Larcher, le Sénat a mis en place, en 2009, une mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, mission que j'ai eu l'honneur de présider et dont notre collègue Éric Doligé était le rapporteur. Cette mission a produit un rapport d'information qui fait aujourd'hui référence – je crois que vous ne me contredirez pas, monsieur le ministre – et formulait de nombreuses propositions en matière de prix.
De son côté, l'Autorité de la concurrence a rendu deux avis importants en 2009, l'un sur les marchés des carburants, l'autre sur les mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation. Ces deux rapports formulent un diagnostic précis de la situation ainsi que de nombreuses propositions.
Malgré ces travaux, et en dépit des attentes nées des états généraux de l'outre-mer, près de trois ans après le CIOM, les résultats en matière de prix sont malheureusement bien faibles, pour ne pas dire inexistants. Il suffit, pour s'en persuader, de constater que la crise de 2009 a connu plusieurs répliques à travers les outre-mer.
Rares sont les collectivités ultramarines qui n'ont pas été touchées par un mouvement social lié à la vie chère : en 2011, Wallis-et-Futuna a ainsi connu un mouvement social autour de la problématique du prix de l'énergie ; à la fin de 2011, une grave crise sociale, marquée par une grève de près de cinquante jours, a paralysé Mayotte ; au début de l'année 2012, un conflit social a eu lieu à La Réunion autour de la question du prix des carburants... Ainsi, au « cri » de nos concitoyens antillais en 2009 a répondu en écho le « cri » de nos concitoyens wallisiens, mahorais ou réunionnais.
Mes chers collègues, tous ces éléments ayant conduit à l'élaboration du présent projet de loi permettent de comprendre que ce dernier suscite tant d'espoirs dans les outre-mer.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les dispositions qui figurent dans le présent projet de loi, M. le ministre les ayant présentées au cours de son intervention.
En tant que rapporteur, j'ai procédé à une dizaine d'auditions sur ce texte. J'ai reçu notamment les associations de consommateurs, l'Autorité de la concurrence ainsi que les organisations socioprofessionnelles. J'ai accepté toutes les demandes d'auditions qui m'ont été adressées.
Par ailleurs, soucieux d'être à l'écoute de tous, spécialement de chaque territoire, j'ai sollicité les présidents des différentes collectivités territoriales, des observatoires des prix et des revenus ou encore des chambres de commerce et d'industrie. J'ai reçu un nombre élevé de contributions écrites.
Au terme de mes travaux, la conclusion est claire : ce projet de loi constitue une avancée importante, une première réponse effective apportée au problème de la « vie chère ».
Ce texte est salué par les associations de consommateurs et ses dispositions intéressent les collectivités territoriales ultramarines qui sont compétentes en matière de prix et de concurrence. Le congrès de Nouvelle-Calédonie, qui réfléchit aujourd'hui à la mise en place d'une autorité indépendante de la concurrence, s'est montré particulièrement intéressé par ce texte.
Aux yeux de la commission des affaires économiques, ce texte constitue une « boîte à outils » à disposition des autorités publiques ; il contribuera à remettre en cause des positions acquises qui alimentent le phénomène de la « vie chère ».
Parmi les différentes dispositions du texte, je souhaite m'attarder sur deux d'entre elles qui me paraissent particulièrement importantes.
L'article 2 prévoit l'interdiction des clauses des contrats commerciaux ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à un opérateur : dans les outre-mer, les fabricants et les distributeurs font souvent appel à des importateurs grossistes. La pratique d'exclusivités territoriales liant les fabricants et ces importateurs réduit la possibilité pour les distributeurs de choisir entre différents importateurs grossistes.
Je ne citerai qu'un exemple : à La Réunion, un seul grossiste commercialisait en 2009 les produits de deux grands groupes fromagers hexagonaux. Dans ces conditions, les importateurs grossistes réussissent à prélever des marges commerciales très élevées, oscillant entre 20 % et 60 % pour un nombre important de références. Le dispositif prévu à l'article 2 permettra de mettre fin à ces pratiques, qui ont un impact certain sur les prix.
L'article 5, qui octroie à l'Autorité de la concurrence un pouvoir d'injonction structurelle, a provoqué des cris d'orfraie et créé beaucoup de remous dans la grande distribution, au niveau tant local que national. À mes yeux, ce dispositif constitue une « arme de dissuasion » : la possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'imposer la cession d'actifs n'est ainsi ordonnée qu'en dernier recours et au terme d'une procédure contradictoire. Cette disposition devrait cependant contribuer à remédier au défaut de concurrence dans le secteur de la grande distribution et permettre à certains d'avoir un comportement vertueux.
Je vous rappelle en effet que, dans les départements d'outre-mer, la grande distribution présente un niveau de concentration élevé : certains groupes détiennent des parts de marché en surfaces commerciales supérieures à 40 %, soit sur la totalité du département concerné, soit sur une ou plusieurs zones de chalandise.
La commission des affaires économiques a donc adopté hier à l'unanimité ce projet de loi, après lui avoir apporté plusieurs modifications.
Tout d'abord, sur mon initiative, la commission a réécrit les articles 1er, 2 et 3 et introduit un article 2 bis, ce en plein accord avec notre collègue Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Ces nouvelles rédactions ont permis de préciser les différents dispositifs. Ainsi, l'article 2 vise désormais les accords – et non plus les clauses des contrats commerciaux – ayant pour objet ou pour effet de confier une exclusivité à une entreprise. Bon nombre des clauses d'exclusivité visent en effet des situations de fait. L'article 3 permet désormais aux collectivités territoriales ultramarines de saisir l'Autorité de la concurrence des pratiques contraires aux mesures prises pour réglementer les marchés de gros.
Sur l'initiative de notre collègue Michel Vergoz, la notion de « gestion de facilités essentielles », problématique-clé en matière de carburants, a été introduite à l'article 1er.
Sur mon initiative, la commission a précisé le dispositif d'injonction structurelle prévu à l'article 5, en spécifiant le critère de mise en œuvre de l'action de l'Autorité de la concurrence, en clarifiant le fait que seule une pratique effective pourrait conduire au déclenchement de cette action, ou encore, afin d'apaiser certaines inquiétudes, en énonçant les modalités de recours.
Sur l'initiative cette fois du Gouvernement, un article 6 bis a été introduit, qui renforce sensiblement la portée du projet de loi. Il vise à mettre en œuvre l'engagement pris par le Président de la République d'instituer par la négociation un « bouclier qualité-prix ». Cette mesure s'appuie sur le dispositif figurant à l'article 1er de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, introduit sur l'initiative de notre collègue Jean Arthuis, à l'époque président de la commission des finances, permettant de réglementer les prix des produits de première nécessité.
L'article 6 bis prévoit l'organisation annuelle de négociations dans le cadre des observatoires des prix et des revenus afin d'aboutir à un accord de modération des prix d'une liste de produits de consommation courante. En cas d'absence d'accord, comme l'a souligné M. le ministre, le préfet, dans un délai d'un mois, pourra encadrer le prix global de cette liste de produits.
La commission des affaires économiques se réjouit de l'introduction de ce dispositif, qui repose sur la négociation tout en permettant, le cas échéant, l'intervention des pouvoirs publics.
Au terme de mes travaux, il me semble que l'ensemble des acteurs sont aujourd'hui prêts à se mettre autour de la table pour entamer des discussions sur les prix.
Enfin, sur l'initiative du Gouvernement, un article 7 bis a été introduit. Il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance plusieurs mesures d'ordre social en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon, des mesures très attendues par les élus locaux, en particulier par notre collègue Karine Claireaux, qui a beaucoup œuvré en ce sens.
Pour la commission des affaires économiques, ce texte constitue une avancée très importante, et très attendue. Pour autant, il ne constitue qu'une première étape. D'autres textes devront intervenir, d'autres mesures devront être prises, afin d'apporter des réponses à la problématique de la vie chère.
Il convient d'analyser avec précision le processus de formation des prix et de s'intéresser, par exemple, aux différents segments de la chaîne logistique – coût du fret maritime, coût du passage portuaire, du transport et du stockage – et aux marges des différents intermédiaires...
Il convient également de faire porter l'effort sur l'ensemble des secteurs économiques : nos concitoyens ultramarins souffrent, ainsi, des prix des billets d'avion, du niveau des frais bancaires ou des loyers, du coût des pièces détachées automobiles...
La réflexion devra donc se poursuivre sur le sujet. La délégation sénatoriale à l'outre-mer, que j'ai l'honneur par ailleurs de présider, a commencé il y a plusieurs mois des travaux sur la question de la vie chère. Elle prendra donc toute sa part à la réflexion sur ce sujet.
En conclusion, j'espère, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le Sénat adoptera à une large majorité, voire à l'unanimité, comme l'a fait la commission des affaires économiques, ce texte important pour nos outre-mer.
La Haute assemblée montrera, ainsi, une fois de plus, son attachement jamais démenti aux outre-mer, qui constituent, comme l'indiquait dans son rapport la mission d'information de 2009, un défi pour la République et une chance pour la France.