Intervention de Michel Magras

Réunion du 26 septembre 2012 à 11h00
Régulation économique outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

À titre liminaire, nous souhaitons souligner que, si nous partageons sans aucune réserve votre objectif de réduction du coût de la vie outre-mer, il n'en reste pas moins que la méthode et les outils que vous nous proposez au travers de ce projet de loi suscitent quelques interrogations et inquiétudes. Je dois toutefois signaler que certaines d'entre elles ont été atténuées par les travaux de la commission des affaires économiques, qui ont notablement fait évoluer le texte sur des points qui le méritaient.

En effet, les dispositions du projet de loi destinées à agir sur le fonctionnement du marché liaient très explicitement la cherté de la vie au comportement des entreprises. Or il est incontestable que les relations économiques exclusives qu'entretiennent les collectivités d'outre-mer avec la métropole et plus généralement avec l'Europe pour l'approvisionnement de leurs marchés ne peuvent qu'entraîner un enchérissement du coût de la vie, du fait, en premier lieu, du coût du transport des marchandises.

Il est en outre indéniable que l'étroitesse de ces marchés engendre une propension naturelle à l'établissement d'oligopoles, voire de monopoles sur bien des segments. Cela s'explique par la difficulté d'y réaliser des économies d'échelle, car, comme vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'approvisionnement en petites quantités tend à renchérir les prix, pour permettre aux entreprises d'atteindre le seuil de rentabilité.

C'est pourquoi, d'une manière générale, il serait selon nous abusif de considérer que le jeu du marché est structurellement faussé, contrairement à ce qui ressort de ce texte à la lumière des pouvoirs qu'il conférait initialement à l'Autorité de la concurrence. Sur ce point, nous avons bien noté les amendements de la commission des affaires économiques.

Après ces considérations d'ordre général, j'en viens maintenant aux articles du texte.

L'article 1er renforce les moyens de contrôle sur les marchés de gros en introduisant la possibilité pour le Gouvernement de réglementer l'accès aux marchés tout en conférant à l'Autorité de la concurrence les moyens de sanctionner la méconnaissance des règles fixées par le Gouvernement.

À elle seule, on pouvait considérer cette mesure comme un outil de dissuasion. Fallait-il aller plus loin ?

Comme je le disais, les marchés d'outre-mer sont naturellement propices aux oligopoles et aux monopoles. Ce projet de loi le reconnaît d'ailleurs implicitement dès lors qu'il prohibe les clauses de contrats commerciaux ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à un opérateur. Mais on admet dans le même temps que l'efficacité économique puisse passer par l'instauration de monopoles au bénéfice des consommateurs…

À ce titre, l'article 2 introduit donc une disposition rassurante qui nous semble adaptée à la réalité des marchés ultramarins, même si un renvoi au décret pour l'encadrement et la définition des « motifs objectifs » nous aurait semblé opportun.

Les modalités de saisine de l'Autorité de la concurrence introduites par l'article 3 appellent également quelques observations.

Certes, la région nous semble être la collectivité territoriale qui dispose de la vision la plus globale de l'organisation du territoire. Mais la saisine de l'Autorité n'aurait-elle pas pu également être ouverte aux communes ? Je le disais hier en commission, ces dernières connaissent en effet l'aménagement commercial de leur espace et auraient pu se voir confier la charge, au moins pour avis, de veiller à l'équilibre entre petits commerces et grandes surfaces.

De même, nous relevons que les associations de consommateurs sont absentes du texte. S'il avait été prévu que les collectivités ne puissent se tourner vers l'Autorité de la concurrence qu'une fois saisies par une association, cela aurait indéniablement eu pour effet d'encourager la constitution de telles associations en outre-mer, où nous estimons qu'elles devraient jouer un rôle charnière. Ce texte, qui concerne les consommateurs, aurait, à nos yeux, gagné à les impliquer davantage, ce qui aurait également permis de développer une culture alternative, osons le dire, par rapport à la contestation sociale en matière de consommation.

L'article 4, en abaissant le seuil de concentration à 5 millions d'euros de chiffre d'affaires, est en cohérence avec l'objectif de ce texte consistant à favoriser le développement de la concurrence. Mais ne risque-t-il pas de créer les conditions d'un émiettement des distributeurs qui serait préjudiciable aux consommateurs ?

Nous avions, monsieur le ministre, de sérieuses inquiétudes quant à la rédaction initiale de l'article 5. Les réponses que vous nous avez apportées hier et le travail très appréciable de la commission ont contribué à apaiser, au moins en partie, ces inquiétudes.

Malgré tout, nous redoutons encore que le texte n'ait pour effet de permettre à l'Autorité de la concurrence d'agir non seulement sur le comportement des acteurs, mais également sur la structure des marchés.

Bien sûr, nous reconnaissons qu'il n'existe pas de concurrence pure et parfaite et qu'il revient au législateur de corriger les effets pervers nés des dysfonctionnements du marché. Néanmoins, nous avons craint que ce texte n'aille au-delà de la régulation en instaurant un véritable contrôle sur la structure des marchés. Les amendements de la commission ont atténué cet aspect, ce dont nous prenons acte avec une satisfaction prudente.

Nous notons que le Sénat a également précisé la notion de « préoccupations de concurrence » en introduisant les critères de pratique de prix abusifs et de marges comparativement élevées. La rédaction initiale nous paraissait par trop imprécise, laissant à l'Autorité la possibilité d'apporter une appréciation totalement discrétionnaire, d'autant plus inquiétante que cette autorité peut s'autosaisir. Avec le constat d'abus préalable, on tend donc vers un pouvoir plus « normal » de l'Autorité.

Notre inquiétude essentielle demeure quant au pouvoir d'injonction de cession d'actifs, qui reste marqué par une certaine imprécision. Eu égard à sa portée, nous restons convaincus que la mesure mériterait d'être mieux encadrée pour permettre aux acteurs économiques de disposer de davantage de visibilité. La cession devrait-elle s'effectuer au bénéfice d'un concurrent ? Ou d'un nouvel opérateur ? Ou dans un secteur différent ?

Si ces précisions ne figurent pas dans le texte, ne risquons-nous pas de paralyser certaines initiatives ou de décourager certains investissements ?

La régulation du marché ne doit pas être exclusive de l'attractivité de l'outre-mer.

Par ailleurs, en introduisant une injonction de cession d'actifs sans l'assortir de réparation, ce texte ne risque-t-il pas d'engendrer un effet d'aubaine ? Je prends l'exemple d'une entreprise qui aurait acquis une situation solide sur un marché par ses seuls mérites et se trouverait contrainte de céder des actifs dont des concurrents pourraient bénéficier indûment et à un prix décoté, sans que l'entreprise obtienne de dédommagement.

Sous cette forme, nous estimons que l'injonction de cession pourrait porter une double atteinte à des principes constitutionnels.

Il y aurait, d'une part, atteinte au principe de liberté d'entreprendre si une entreprise se trouvait sanctionnée alors qu'elle était placée en position dominante du fait de l'acquisition ou du développement d'une innovation. L'acquisition d'une innovation peut très bien s'accompagner d'accords commerciaux exclusifs. Dans ce cas, seront-ils considérés comme des « motifs objectifs » ?

Il y aurait, d'autre part, atteinte au droit de propriété si l'on privait une entreprise du droit de disposer pleinement des actifs qu'elle a acquis.

Quant aux effets collatéraux sur l'économie, ils nous semblent ne pas avoir été suffisamment pris en compte. En cas de cession d'actifs forcée, que deviennent, par exemple, les employés? Le texte est silencieux sur ce point, pourtant fondamental dans le contexte du marché de l'emploi que l'on connaît outre-mer.

En effet, en cédant des actifs, l'entreprise pourrait être contrainte de se séparer d'une partie de sa masse salariale, en conséquence de la diminution de l'activité. Le bénéficiaire de la cession serait-il contraint de reprendre ces salariés ? C'est un point sur lequel nous sommes particulièrement vigilants et nous serons attentifs aux précisions que vous voudrez bien nous apporter, monsieur le ministre.

Enfin, pour conclure sur l'Autorité, nous considérons que le droit positif confère, en l'état, des outils amplement suffisants et dissuasifs pour assurer, en outre-mer comme en métropole, une régulation du marché. La nouveauté introduite est l'injonction de cession d'actifs qui, comme je le disais, nous semble comporter davantage de risques que d'effets potentiels notables.

C'est pour cette raison que je vous proposais hier, monsieur le ministre, d'introduire une clause de revoyure, à laquelle vous m'avez semblé favorable.

La cherté de la vie revêt, en outre, de multiples aspects – je pense en particulier aux coûts de la téléphonie mobile, à la fois localement et en itinérance. Je rappelle, pour ceux qui l'auraient oublié, qu'un ultramarin en déplacement en métropole, donc sur son territoire national, est en itinérance.

L'article 6 transpose ainsi le règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2012 afin d'intégrer les communications transnationales, ce qui est le cas, malgré la distance, des communications avec l'outre-mer. Il s'agit donc d'appliquer le principe d'égalité républicaine à ce secteur. Nous sommes satisfaits que le projet de loi intègre les conséquences du travail engagé en matière d'alignement des coûts de téléphonie mobile depuis cinq ans.

Par ailleurs, une disposition est introduite en faveur des collectivités territoriales d'outre-mer, dont nous connaissons les difficultés financières. Elle avait bien sa place dans un texte relatif à la régulation économique en raison du poids que représentent les collectivités dans l'économie avec la commande publique.

Vous leur permettez donc, monsieur le ministre, d'engager des projets sans exiger la garantie d'une contrepartie de financement lorsqu'elles assurent elles-mêmes la maîtrise d'ouvrage. Nous y voyons un assouplissement destiné à maintenir et à garantir aux acteurs économiques un rôle d'investisseurs des collectivités territoriales qui tient compte de leurs difficultés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'aurez compris, nous sommes plus que réservés sur le cœur de ce projet de loi.

L'expression démocratique ne nous a pas permis de poursuivre le travail amorcé par le gouvernement précédent, lequel avait engagé des réformes structurelles, ce qui demande du temps.

En conclusion, nous partageons votre objectif visant à rapprocher le coût de la vie outre-mer de celui de la métropole, car c'est pour nous une ambition républicaine à laquelle nous ne saurions déroger. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que nous divergeons, en revanche, sur les moyens d'y parvenir.

Je ne peux m'empêcher de conclure sur une réflexion personnelle. Selon moi, il y a deux manières d'aborder la cherté de la vie en outre-mer.

Soit on estime qu'il faut lutter contre la vie chère et tout faire pour diminuer les coûts en important des marchandises de moins en moins chères, mais avec le risque qu'elles soient de moindre qualité. On porterait alors atteinte à cette qualité de la vie qui est apparue dans les territoires ultramarins.

Soit, au contraire, on considère que la vie chère est un fait inhérent à l'insularité et l'éloignement et que les populations doivent disposer des moyens nécessaires pour satisfaire leurs besoins dans un environnement qui se veut exigeant, contraignant et coûteux. En d'autres termes, il s'agirait de créer les conditions pour que le travail et les investissements garantissent à chacun des revenus suffisants. Les salaires sur l'île d'où je viens sont déjà supérieurs à ceux qui sont pratiqués dans les autres territoires ultramarins, et même en métropole, dans certains cas, mais cela n'est pas suffisant et, lorsque je parle de revenus, je ne parle pas des seuls salaires.

À cet égard, je relève, monsieur le ministre, que, dans une récente déclaration, vous avez souhaité que l'outre-mer se tourne vers le tourisme haut de gamme. Il va sans dire que je ne peux qu'approuver cette ambition, mais permettez-moi de vous faire remarquer qu'elle nécessitera des réformes structurelles, y compris en matière de coût de la vie.

Le groupe UMP a donc fait le choix de s'abstenir sur ce projet de loi, mais, monsieur le ministre, chers collègues, nous resterons vigilants quant aux effets réels qu'aura ce texte sur nos territoires respectifs.

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