Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 septembre 2012 à 9h30
Questions orales — Devenir des partenariats public-privé dans la gestion des prisons en france

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur Mirassou, votre question est d’une très grande pertinence. Elle renvoie à des choix budgétaires qui hypothèquent les fonds publics pour deux générations !

Dès ma prise de fonctions, j’ai publiquement exprimé de fortes réserves au sujet de la forme de financement que constitue le partenariat public-privé.

J’ai fait évaluer la place et le poids du secteur privé dans la gestion et la construction des établissements pénitentiaires. Je puis vous communiquer quelques chiffres à cet égard : en 2012, les coûts s’élèvent à 295 millions d’euros pour la gestion déléguée et à 114 millions d’euros pour les loyers liés à des partenariats public-privé.

Ces crédits représentent 13, 5 % du budget d’ensemble de la direction de l’administration pénitentiaire et concernent cinquante et un établissements, accueillant 49 % de la population carcérale. L’emprise est considérable.

Nous devons être rigoureux dans l’analyse : il y a lieu de distinguer gestion déléguée et partenariat public-privé.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le recours à la gestion déléguée date de la loi du 22 juin 1987, avec le lancement du programme de construction de 13 600 places de prison, voulu par M. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, et financé à hauteur de 1, 4 milliard d’euros.

Vingt-cinq ans plus tard, l’administration pénitentiaire dresse un bilan plutôt satisfaisant du recours à la gestion déléguée, de même que la Cour des comptes dans son rapport de 2006.

Pour autant, des questions de politique publique se posent néanmoins, car la politique pénitentiaire ne peut continuer à être déconnectée de la politique pénale : elle en dépend. Nous devons nous interroger non pas sur le nombre de places de prison à construire, mais sur le sens de l’incarcération dans la société française.

L’autre question posée est de nature financière : les services de l’État n’auraient-ils pas fait mieux ?

L’exemple des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon que vous avez cité nous amène à penser qu’on ne peut se dispenser d’analyser les performances comparées du secteur privé et du secteur public en matière de gestion.

Pour ce qui concerne la formule du partenariat public-privé, elle a été introduite par le biais d’une ordonnance de 2004. Il s’agit de confier au secteur privé non seulement la gestion, mais aussi la conception, la construction et le financement d’établissements pénitentiaires. L’État s’engage ainsi avec un partenaire privé pour une durée de trente ans, soit deux générations. Ce type de formule de financement a un coût exorbitant. En outre, il met en place un rapport de force défavorable à l’État en cas de demande de modification ou de révision du contrat.

La Cour des comptes elle-même a établi dans son rapport d’activité de 2008, sous la présidence de Philippe Séguin, un bilan très critique des partenariats public-privé, dénonçant en particulier des projets qui consistent à confier à des tiers financeurs le soin de bâtir des usines à gaz, en oubliant que celui qui emprunte pour le compte de l’État le fait à un coût beaucoup plus élevé que celui-ci. C’est bien l’importance des taux d’intérêt qui explique que les loyers soient aussi lourds.

Trois établissements fonctionnent sur cette base : ceux de Lille, de Réau et de Nantes. Ce que l’on appelle les « coups partis » dans le jargon financier, à savoir les constructions déjà très avancées, iront à leur terme, et les engagements dont la dénonciation coûterait trop cher à l’État seront maintenus. En revanche, je prends l’engagement devant vous que, à l’avenir, il ne sera plus recouru aux PPP pour la construction d’établissements pénitentiaires.

Comme vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, la question n’est pas seulement financière : il y va également d’une mission régalienne de l’État s’il en fut, dont le grignotage par le secteur privé est inquiétant pour notre démocratie.

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