Intervention de Richard Yung

Réunion du 26 septembre 2012 à 11h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur de la commission des finances :

Comme vous le savez, la réglementation européenne en matière bancaire et financière s’est particulièrement enrichie au cours des dernières années : Solvabilité II, directive AIFM sur les fonds alternatifs, règlement sur les agences de notation, directive sur les services de paiement, etc. Tout cela nous oblige à une adaptation constante de notre droit.

Lors de la législature précédente, le Gouvernement nous a souvent demandé de procéder à cette tâche par ordonnance. En conséquence, nous étions parfois mal informés sur les différents textes européens, à moins de faire nous-mêmes le déplacement à Bruxelles. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait préféré le vecteur d’une loi de transposition à celui d’une ordonnance, car cela nous permet d’avoir un débat. J’espère que cette méthode perdurera.

Le projet de loi transpose tout d’abord une directive de septembre 2009 sur la monnaie électronique. C’est l’élément le plus important du texte.

Comme l’a dit M. le ministre, cette transposition devient urgente, car nous sommes sous la menace d’une sanction pécuniaire.

La directive devait être transposée avant le 30 avril 2011. Nous avons donc près d’un an et demi de retard. Le précédent gouvernement avait obtenu du Parlement deux habilitations à procéder par ordonnance, dont aucune n’a abouti.

Le texte que nous étudions aujourd’hui est donc en réalité celui d’une ordonnance qui n’a jamais pu être publiée – l’ordonnance « perdue », en quelque sorte. §

Quoi qu’il en soit, la Commission européenne a d’ores et déjà adressé un avis motivé à la France et peut désormais saisir, à tout moment, la Cour de justice. Celle-ci ne manquerait pas de nous condamner pour une somme pouvant atteindre plusieurs millions d’euros. Dans le contexte budgétaire actuel, je pense que nous souhaitons tous éviter cette dépense inutile.

L’enjeu de ce texte, examiné par le Sénat au cours de la session extraordinaire, est donc de faire la preuve de notre bonne volonté auprès de la Commission.

La directive de 2009 sur la monnaie électronique fait en réalité partie d’un chantier européen beaucoup plus vaste en matière de paiements.

En effet, avec l’émergence du marché unique, c’est-à-dire la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux dans l’Union européenne, le nombre des paiements transfrontaliers a considérablement augmenté au fil des ans.

Le paysage des paiements en Europe a de surcroît été bouleversé en raison de deux phénomènes : l’introduction de l’euro et l’émergence du commerce électronique.

Plus récemment, ce sont les moyens de paiement eux-mêmes qui sont entrés dans une phase d’innovation. Nous connaissons tous le paiement par internet, mais d’autres formes vont se développer. Je pense notamment à la banque par téléphone portable, qui n’est pas encore très répandue en Europe, mais qui est déjà largement utilisée dans certains pays africains dépourvus d’infrastructures bancaires. Ainsi, dans une grande économie comme l’Afrique du Sud, la deuxième banque ne procède que par téléphone portable. Nul doute que ces usages vont progressivement se développer dans nos pays européens.

Dans ce contexte, les acteurs bancaires, la Commission européenne et la BCE ont entendu faire correspondre au marché unique un espace européen unique des paiements. On trouve la traduction concrète de cette volonté dans le projet SEPA – espace unique de paiement en euros – qui harmonise, pour l’euro seulement, les moyens de paiement dans toute l’Union européenne, et même au-delà, puisque 32 pays adhèrent au projet.

C’est ainsi que, au 1er février 2014, d’ici à un an et demi environ, il n’existera plus de frontières pour les virements et les prélèvements. Cette évolution, relativement silencieuse pour le grand public, s’accompagne en réalité de changements profonds qu’il a fallu plus de dix ans pour concrétiser.

Bien entendu, le cadre juridique des paiements en Europe a dû également être adapté : tel fut, en partie, l’objet de la directive de 2007 sur les services de paiement.

La Commission européenne poursuit par ailleurs sa réflexion, puisqu’elle a soumis à consultation, en janvier 2012, un Livre vert sur les paiements par carte, par internet et par téléphone portable.

C’est un travail que nous devons suivre attentivement pour éviter que notre pays ne se trouve partiellement exclu de ces nouveaux grands marchés de paiement par voie électronique. J’en dirai un mot tout à l’heure, mais je constate que, actuellement, 95 % des paiements électroniques se font au Luxembourg, parce que la grande société de paiement par internet Paypal y est installée. Ce n’est pas normal dans un marché unifié, et la France doit essayer de jouer un rôle dans ce marché.

Dans ce contexte, j’oserai presque avancer l’idée que cette directive « monnaie électronique » est déjà en grande partie dépassée. Il arrive que les législateurs soient confrontés à ce problème.

Avant d’aller plus loin dans mon exposé, je voudrais m’arrêter un instant sur cette notion de « monnaie électronique », car il convient de préciser les concepts.

La monnaie électronique a été conçue comme un substitut aux pièces et aux billets. C’était par exemple le cas du porte-monnaie électronique Monéo, conçu comme une petite carte avec laquelle l’on pouvait payer ses achats courants, comme son journal, ses cigarettes ou ses tickets de métro.

Mais, en réalité, la « monnaie électronique » n’est pas de la monnaie au sens économique du terme. C’est, pour le dire simplement, un « moyen de paiement ». En réalité, chaque fois que l’on « émet » de la monnaie électronique, une contrepartie en monnaie existe déjà, qu’il s’agisse de billets, de pièces ou de monnaie scripturale. Il n’y a donc pas de création monétaire lors de l’émission de monnaie électronique, celle-ci étant toujours créée contre une remise de fonds.

Les applications de monnaie électronique sont nombreuses. J’ai cité le porte-monnaie électronique : cette innovation, si elle n’a pas connu beaucoup de succès en France, sans doute en raison des commissions prises par les banquiers, les intermédiaires et les émetteurs, en a connu davantage en Belgique. Mais la monnaie électronique, ce sont également les cartes-cadeaux que vous pouvez acheter dans certains magasins, notamment de produits culturels. C’est aussi de nombreuses applications internet, dont la plus célèbre est Paypal.

La monnaie électronique est à l’image de l’économie numérique : ses seules limites sont celles de l’imagination. Il s’agit, de plus en plus, d’un moyen de paiement associé à une offre de services.

Je reviens maintenant à la directive de 2009. Celle-ci remplace une première directive sur la monnaie électronique en date du 18 septembre 2000, qui avait pour ambition d’accompagner le développement du commerce électronique. Voilà douze ans, on pressentait donc déjà l’importance qu’allait prendre le commerce électronique.

Mais la monnaie électronique n’a pas connu le succès escompté. En 2008, d’après les chiffres de la Commission européenne, 20 sociétés étaient agréées comme émetteurs de monnaie électronique, tandis que 127 opéraient sous le bénéfice d’une exemption d’agrément.

Nous sommes donc en face d’un marché un peu curieux, dans lequel l’essentiel des acteurs sont exemptés d’appliquer la réglementation. S’il n’y a pas eu, à ma connaissance, de drames, cette situation n’en reste pas moins anormale et montre que, dans ce domaine, le droit est en retard sur la réalité.

Le cadre juridique n’était pas adapté. Les règles prudentielles, notamment, étaient très contraignantes : les établissements agréés devaient disposer d’au moins un million d’euros de capital, ce qui a découragé les petites structures. Or, comme il s’agissait d’un marché naissant, les entreprises opérant sur celui-ci, essentiellement des start-up, ne disposaient pas de ce capital.

La révision de la directive de 2000 était donc devenue indispensable. Elle aurait dû être refondue dans le cadre de la directive sur les services de paiement de 2007, qui crée les établissements de paiement, spécialisés dans les services de paiement. Malheureusement, nos États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les règles de gestion, en particulier sur le minimum de fonds propres exigés pour les deux types d’établissements.

On vit donc avec deux types d’établissements, les émetteurs de monnaie électronique d’un côté et les établissements de paiement de l’autre, avec des frontières floues entre les deux. Il me semble que le principe de réalité nous conduira à revoir cette dichotomie, qui n’est pas satisfaisante.

Sur le projet de loi lui-même, je ferai trois remarques. Il procède à tous les ajustements nécessaires pour prendre en compte les nouvelles règles en matière de monnaie électronique et l’apparition des établissements de monnaie électronique.

Ma première remarque porte sur les exemptions. Normalement, un établissement de monnaie électronique doit être agréé, ce qui emporte plusieurs conditions, notamment en termes de capitalisation et de protection du consommateur, à commencer par le remboursement de la monnaie électronique.

Or la directive prévoit qu’il est possible d’être exempté de l’agrément. Pour cela, la monnaie électronique émise doit servir dans un éventail « limité » de magasins, ou pour acheter un éventail « limité » de biens ou services. Imaginons que, dans une même ville, un fleuriste, un pâtissier et un vendeur de jouets exerçant non loin l’un de l’autre se mettent d’accord pour émettre une carte permettant de payer de petites sommes dans chacune de leurs trois boutiques. Telle est la définition de l’offre « limitée » : elle est circonscrite en termes de produits et de magasins. Dans un tel cas, il est prévu que les émetteurs de ces cartes n’auront pas à déposer un capital prudentiel de 350 000 euros.

Mais, évidemment, on sent bien que le concept d’« éventail limité » peut s’interpréter à géométrie variable. À tel point que, sous l’empire de la précédente directive, 90 % des entreprises de monnaie électronique travaillaient sous le régime de l’exemption.

Je souhaite donc que l’Autorité de contrôle prudentiel soit très vigilante sur ce point, d’abord en révisant les exemptions actuelles pour les faire basculer dans le régime de l’agrément, ensuite en limitant les futures autorisations d’exemption.

Ma deuxième remarque portera sur le mode de remboursement de la monnaie électronique.

La directive oblige à rembourser la monnaie électronique – c’est normal puisque ce n’est pas de la monnaie nouvelle ; elle a été déposée, elle peut être reprise –, mais reste muette sur le mode de remboursement. Le projet de loi prévoit donc que celui-ci est réalisé, à la demande du détenteur, soit en espèces, soit par virement.

On peut s’interroger sur la compatibilité d’un remboursement en espèces pour de la monnaie « électronique », c’est un peu paradoxal. Bien sûr, on comprend le souci de protection du consommateur, mais il faut aussi prendre en compte les modèles économiques des nouveaux émetteurs de monnaie électronique, qui seront, pour beaucoup, des sociétés opérant sur internet. Leur imposer un remboursement en liquide est une source de complications et de coûts supplémentaires.

Il serait plus raisonnable d’ouvrir le remboursement en liquide pour la seule monnaie électronique émise contre le versement d’espèces : j’ai remis des espèces, j’ai le droit d’être remboursé en espèces.

Je ne proposerai pas d’amendement sur cette disposition. Quand nous étudierons d’autres textes, nous pourrons, à partir du retour d’expérience, revoir cet aspect des choses.

J’en viens à ma troisième et dernière remarque relative à la lutte contre le blanchiment.

La monnaie électronique, à l’instar de la monnaie fiduciaire, risque de devenir une voie privilégiée de la fraude.

En France, les émetteurs de monnaie électronique ne sont pas soumis aux obligations de vigilance et d’identification de leurs clients dans la limite de 250 euros pour un support non rechargeable – vous avez acheté une carte, mais elle ne se recharge pas – et 2 500 euros pour un support rechargeable. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette distinction, mais c’est ainsi.

Le projet de loi renforce autant que faire se peut les dispositifs anti-blanchiment. On peut cependant s’interroger sur le maintien de l’anonymat autour de cette monnaie électronique, en particulier s’agissant de la somme de 2 500 euros, qui est tout de même significative.

Bien sûr, avec une carte non rechargeable de 30 euros, il n’y a pas trop de risques. Mais dix cartes rechargeables de 2 500 euros, cela fait 25 000 euros ! On peut même arriver à des sommes bien supérieures, nous connaissons l’imagination des mauvais citoyens, qui cherchent à blanchir des fonds bien mal acquis. Il faut, me semble-t-il, réfléchir sur ce point et on pourrait suggérer d’intégrer ces éléments lors de la prochaine révision de la directive anti-blanchiment. Voilà pour ce qui est de la monnaie électronique, qui constitue la grande partie du projet de loi.

J’en viens à la directive « Omnibus I ».

La directive « Omnibus I » est un texte adopté à la suite de la mise en place des nouvelles autorités européennes de surveillance : l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des marchés financiers, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et, enfin, le Comité européen du risque systémique. Ce sont des décisions à la fois du G8, de l’Union européenne et de la zone euro pour encadrer et contrôler l’ensemble du système bancaire et financier pour éviter que ne reviennent les crises que nous avons connues.

Cette directive vient modifier onze textes sectoriels, que je me garderai de citer.

En droit français, l’article 34 du projet de loi procède à l’adaptation du code monétaire et financier afin que l’Autorité de contrôle prudentiel et l’Autorité des marchés financiers disposent d’une base juridique incontestable pour collaborer avec leurs homologues européennes. En particulier, elles peuvent être amenées à échanger des données confidentielles sur des comptes ou des personnes, il faut donc un cadre juridique.

Cette transposition intervient à un moment où les États membres sont, par ailleurs, saisis d’une proposition qui a pour objet de donner à la BCE la compétence pour la surveillance de l’ensemble des banques de la zone euro. C’est une des décisions du sommet des 28 et 29 juin derniers qui est débattue actuellement. Elle va, me semble-t-il, dans la bonne direction et elle finira sans doute par aboutir, rapidement, je l’espère, puisqu’il est prévu qu’elle entre en vigueur le 1er janvier 2013. On sent que l’Autorité bancaire européenne est dans une situation un peu difficile. Cet organisme va-t-il disparaître ? La sociologie administrative montre que les organismes disparaissent rarement, continuent à vivre leur propre vie, nous verrons comment tout cela s’organise.

Enfin, dernier point, le texte effectue la transposition du volet public de la directive contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

La directive harmonise les délais de paiement des différentes autorités publiques, qui disposeront d’un délai maximal de trente jours pour effectuer le paiement, sauf quelques cas très limités où le délai pourra être porté à soixante jours et qui ne devraient concerner que certaines entreprises publiques ou les établissements de santé.

Le projet de loi instaure, en cas de retard, une indemnité forfaitaire obligatoire d’un montant minimum de 40 euros, à titre de compensation des frais de recouvrement. Cette indemnité forfaitaire constitue la principale innovation de ce texte. Les autres points sont également importants, bien sûr, vous êtes tous familiers du débat sur les délais de paiement, mais en droit français, nous avions déjà beaucoup avancé.

En 2011, les retards de paiement ont coûté plus de 100 millions d’euros aux autorités publiques, dont 80 % pour l’État. Si les mesures dont nous discutons sont adoptées, les pénalités passeraient de 100 millions d’euros à 150 millions d’euros, des sommes importantes là encore dont il n’est pas nécessaire de faire supporter le coût par le contribuable. Les ordonnateurs et les comptables sont donc soumis à un important devoir de vigilance.

Voilà, mes chers collègues, les éléments essentiels de ce projet de loi de transposition. La commission des finances l’a examiné hier et a adopté une vingtaine d’amendements de rédaction, de correction, de précision que je ne développerai pas ici et qui sont désormais intégrés dans le texte.

Pour toutes ces raisons, parce qu’il faut, nous semble-t-il, avancer dans cette voie, nous vous proposons l’adoption de ce projet de loi. §

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