Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui peut paraître assez technique et quelque peu aride, si l’on en juge par l’affluence plutôt réduite en cette fin de matinée dans l’hémicycle.
Il est vrai que la marge de manœuvre du Parlement, comme celle du Gouvernement, est très restreinte dans le cas de projets de loi visant à transposer des réglementations européennes dans notre droit national.
II s’agit pourtant d’un travail essentiel qui appelle de notre part, sur le fond comme sur la forme, la plus grande vigilance et une rigueur extrême.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les dispositions soumises à notre examen, les orateurs qui m’ont précédé les ayant déjà très largement et très justement commentées.
Je préfère m’attarder un peu sur des questions de méthode. En effet, il me semble nécessaire, dans ce genre d’exercice, d’insister sur ce que doit être l’établissement de bonnes pratiques, tant parlementaires que gouvernementales, dans le domaine de la transposition des règles européennes.
Ce projet de loi vise à transposer dans notre droit trois textes européens.
La directive « Omnibus I » fait partie de l’arsenal déployé au beau milieu de la crise économique et financière pour renforcer la supervision européenne des secteurs de la finance.
Les deux autres textes – la directive « monnaie électronique » et la directive concernant la lutte contre le retard de paiement – sont plus détachés de cette actualité.
Pour chacun de ces trois textes, il est fondamental à mes yeux d’insister sur la méthode employée.
Du fait de notre appartenance à l’Union, la législation européenne, une fois entrée en vigueur, s’impose aux États membres ; mais cela ne signifie pas que les législateurs nationaux n’aient pas leur mot à dire, bien au contraire.
Depuis le traité de Lisbonne, notre rôle s’est sensiblement accru, notamment à travers le contrôle de subsidiarité que nous exerçons en amont de la législation européenne.
Est-il nécessaire ici de rappeler comment le Sénat français, agissant de concert avec les parlements d’autres États membres, est récemment parvenu à infliger à la Commission européenne son premier carton jaune à propos de la proposition de règlement dite « Monti II », l’obligeant à annoncer, pas plus tard que la semaine dernière, le retrait définitif de son projet ?
N’est-ce pas la preuve que les interactions entre institutions européennes et institutions nationales, si elles sont naturellement encore perfectibles, sont néanmoins bel et bien en cours de perfectionnement ?
Ce droit dont nous disposons d’agir en amont de la législation européenne a, comme il est bien normal, sa contrepartie en aval : une fois que l’Union européenne est parvenue à se mettre d’accord sur une législation, chaque État membre doit respecter et appliquer la décision commune. On voit mal comment l’Union pourrait fonctionner autrement.
C’est pourquoi nous nous devons de transposer les directives européennes en droit interne avec autant de soin que possible.
Seulement voilà : c’est là que le bât blesse ou, tout au moins, qu’il a très souvent blessé jusqu’à présent.
À maintes reprises, en effet, la France a été montrée du doigt pour ses difficultés à transposer, dans le temps imparti et sans fausse note, les décisions communautaires.
Notre pays a même parfois été très lourdement condamné pour ses manquements. Par exemple, nous avons été frappés par une très lourde amende en 2005 à propos d’une réglementation relative à la pêche au merluchon.
Par chance, et contrairement au merlu, nous passons parfois entre les mailles du filet, si j’ose dire. Ce fut notamment le cas lorsque le gouvernement précédent ne transposa pas correctement une directive concernant l’encadrement des bonus versés aux traders.
Dans la transposition en droit français, le rapport « équilibré » devant être établi entre la part fixe et la part variable de la rémunération des traders était très étrangement devenu un rapport « approprié », ce qui ne voulait rien dire et ruinait complètement la portée de la directive.
Cette fois encore, nous avons bien failli manquer une fois de plus à nos obligations, au moins sur le plan des délais et pour deux des trois directives dont il est question.
En effet, la France est d’ores et déjà en retard pour transposer la directive « Omnibus I » et la directive « monnaie électronique ».
La raison en est que la majorité et le gouvernement précédents ont voulu procéder par ordonnance, en vertu d’une habilitation qui devait leur être donnée par la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, dite loi Warsmann.
Cette loi, supposée procéder à des simplifications administratives, était en fait une sorte de loi fourre-tout encombrée de nombreux cavaliers législatifs – pour le coup totalement inappropriés.
En retard pour transposer ces directives, le gouvernement de l’époque avait tenté de sauter l’étape parlementaire.
Résultat : le Conseil constitutionnel invalida cette procédure quelque peu cavalière et la transposition s’en trouva encore retardée, ce qui nous place aujourd’hui à la merci d’un éventuel recours en manquement.
En rappelant cela, je veux vous convaincre qu’il est plus que jamais nécessaire que nous prenions très au sérieux ces questions de transposition et que le Gouvernement fasse le choix de travailler plus étroitement avec le Parlement, en particulier avec les commissions des affaires européennes du Sénat et de l’Assemblée nationale.
De ce point de vue, nous devons nous réjouir que les mesures de transposition de ces trois directives soient enfin examinées par notre assemblée, en particulier sous la vigilance extrême de notre collègue Richard Yung dont le travail de précision mené en commission des finances nous évitera, j’en suis sûr, tout autre désagrément.
Ce sont précisément des procédures et des investigations de ce genre qui auraient dû être retenues dès le départ. Monsieur le ministre, j’espère que telle sera la ligne de conduite du Gouvernement tout au long des années à venir.
Quand je vois que nous nous penchons seulement aujourd’hui sur une réglementation de 2010 relative à la supervision bancaire, alors même qu’un nouvel accord européen, bien plus ambitieux en la matière, devrait prochainement voir le jour, je ne peux m’empêcher de penser que les procédures de travail entre les différents niveaux de compétences qui composent l’Union européenne gagneraient à être clarifiées, rationalisées et, in fine, simplifiées.
Ces remarques faites, le groupe écologiste du Sénat votera évidemment en faveur du projet de loi.