Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 septembre 2012 : 1ère réunion
Régulation économique outre-mer — Examen du rapport pour avis

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis :

Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier de m'avoir désigné rapporteur pour avis sur ce texte, M. Desplan s'étant aimablement désisté en ma faveur. Le délai qui nous a été imparti était court, trop court : le projet de loi a été déposé sur le bureau du Sénat le 5 septembre, pour être examiné en séance publique le 26. Consultées en urgence, les collectivités d'outre-mer concernées n'ont pu rendre leur avis à temps, de sorte que nous n'en avons pas formellement connaissance dans l'étude d'impact. C'est d'autant plus regrettable que les effets de ce texte ne se feront sentir qu'à moyen et long terme. Il y avait cependant urgence à s'attaquer aux facteurs structurels de la vie chère outre-mer.

Depuis 2009, les outre-mer ont été secoués par des crises sociales, parfois violentes, souvent très dures, dues à la cherté de la vie, et notamment des produits alimentaires. La crise aux Antilles a conduit notre Haute Assemblée à constituer une mission commune d'information sous la présidence de notre collègue Serge Larcher, consacrée à la situation des départements d'outre-mer. La contestation a également éclaté à Mayotte en 2011, puis à la Réunion au début de cette année. Nos trois collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont fait le point sur la situation de Mayotte et La Réunion, en approfondissant la question de la vie chère dans leurs deux rapports, à la suite de leur mission en 2012 dans ces deux départements.

Dans son avis du 8 septembre 2009 sur le commerce de détail en outre-mer, l'Autorité de la concurrence estimait que les écarts de prix en magasin avec la métropole étaient supérieurs de 55 % pour plus de la moitié des produits examinés. L'Insee a confirmé cette analyse en 2010, estimant que le coût général des prix à la caisse est supérieur de 6 à 13 % dans les départements d'outre-mer, ce qui peut apparaître peu élevé, mais de 34 à 49 % pour les produits alimentaires.

Ces écarts s'expliquent par l'éloignement, l'insularité, l'étroitesse des marchés ultramarins, mais aussi par l'insuffisance de la concurrence, due à des barrières spécifiques à l'entrée, à des oligopoles, voire des monopoles, en particulier sur l'importation de certains produits, à la présence d'importateurs-grossistes, au cumul des activités d'importation et de distribution dans le commerce de détail, aux marges importantes des distributeurs. L'Autorité de la concurrence avait relevé en 2009 tous ces facteurs structurels : je vous renvoie à mon rapport pour disposer de plus de précisions.

Il faut aussi évoquer la situation budgétaire dramatique des collectivités territoriales d'outre-mer. Comme la Cour des comptes et notre commission l'ont souvent relevé, leurs recettes fiscales sont en grande partie d'origine douanière et dépendent donc étroitement de l'activité économique. En outre, ces collectivités doivent assumer des dépenses de personnel élevées, à la suite de recrutements massifs, politique d'équité sociale qu'elles ont aujourd'hui beaucoup de mal à financer. De nombreuses collectivités d'outre-mer font l'objet de procédures de redressement, de plus en plus difficile à mettre en oeuvre, sous l'égide des chambres régionales des comptes. Faute de ressources, elles sont incapables de réaliser des projets d'investissements pourtant nécessaires. Elles ont donc besoin de nouveaux outils afin de combattre la vie chère et de résoudre leurs problèmes budgétaires.

C'est l'objet de ce projet de loi, qui va dans le bon sens. Il s'attaque aux facteurs structurels limitant la concurrence, qui résident principalement dans les marchés de gros et les conditions d'approvisionnement. Le texte s'inspire largement des préconisations de nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan.

Je vais rapidement présenter les dispositions pour lesquelles je vous propose de formuler un avis, à savoir les articles 1er, 2, 3 et 5. Nous avons en outre reçu une délégation au fond de la commission des affaires économiques pour les articles 8, 9 et 10, qui sont de notre seule compétence. Nous avons également examiné pour avis l'article 11.

Dans son chapitre Ier relatif à la régulation économique, le projet de loi institue des dispositifs spécifiques à l'outre-mer dans le domaine du droit de la concurrence, qui trouvent leur fondement - pour ce qui est des DOM - dans les adaptations autorisées par l'article 73 de la Constitution. Le Gouvernement pourra prendre des mesures de régulation des marchés de gros. Dans les contrats commerciaux, les clauses attribuant des droits exclusifs d'importation à un opérateur seront interdites. Les régions d'outre-mer et certaines collectivités d'outre-mer pourront saisir l'Autorité de la concurrence, et celle-ci délivrer une injonction structurelle en cas de position dominante conduisant à des prix ou marges abusifs dans le secteur du commerce de détail. L'Autorité sera aussi chargée de contrôler et de sanctionner les infractions instituées par le projet de loi.

On a longtemps cherché à réglementer les prix de détail ; cette nouvelle stratégie, qui consiste à s'attaquer aux facteurs structurels de la cherté, me semble plus économe des deniers publics et plus efficace à long terme. On ne doit cependant pas renoncer à agir sur les prix de détail dans certains secteurs.

L'essentiel de mes préoccupations, tant rédactionnelles que sur le fond, ayant été prises en compte par la commission des affaires économiques, je ne vous présenterai pas d'amendements sur ces premiers articles. Le rapporteur de la commission de l'économie, Serge Larcher, et moi-même avons travaillé en bonne intelligence.

J'en viens aux articles qui nous ont été délégués au fond, au sein du chapitre 2 du projet de loi, qui comporte diverses dispositions relatives à l'outre-mer. Ils ont d'abord pour objet d'étendre et adapter à Mayotte la législation métropolitaine : le Gouvernement nous propose à l'article 11 de ratifier la plupart des ordonnances prises sur le fondement de l'article 33 de la loi du 7 décembre 2010. Dans la perspective de l'accession de ce département au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne, prévue en 2014, il nous demande à l'article 9 une nouvelle habilitation afin d'étendre et d'adapter la législation sociale et de modifier l'ordonnance relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.

L'article 8, quant à lui, exonère certaines collectivités d'outre-mer et notamment les DOM, des dispositions de l'article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales qui fixe une participation minimale de 20 % pour le financement des projets d'investissement dont une collectivité est maître d'ouvrage. L'application de ce principe, introduit par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, interdit, de fait, à de nombreuses collectivités ultramarines de conduire des projets d'investissement, en raison de leur situation budgétaire dégradée.

L'article 10 tend à homologuer, afin d'autoriser leur entrée en vigueur, des peines d'emprisonnement instaurées par l'assemblée de Polynésie française et le congrès de la Nouvelle-Calédonie pour sanctionner des infractions ressortissant à leur domaine de compétence. Nous avons examiné avec le plus grand soin ces peines, qui doivent respecter l'échelle nationale des peines et ne pas excéder celles de droit commun. Certaines d'entre elles datent de plus de dix ans : le Gouvernement doit être plus diligent à l'avenir car, faute d'homologation, les infractions concernées ne peuvent être sanctionnées que par des amendes.

Enfin, l'article 11 propose de ratifier vingt-six ordonnances, dont six de la compétence de notre commission. Après examen, ces six ordonnances ne posent aucun problème particulier à l'exception de celle relative à l'extension des dispositions de la loi du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. Sur ce chapitre II, je vous soumettrai plusieurs amendements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion