Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 26 septembre 2012 : 1ère réunion
Application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de Mm. Didier Migaud premier président antoine durrleman président de la sixième chambre jean-marie bertrand rapporteur général de la cour et jean-pierre laboureix conseiller-maître rapporteur général du rapport annuel sur la sécurité sociale de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

C'est un grand honneur pour moi de vous présenter ce matin les travaux réalisés par la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

L'an dernier, la Cour avait constaté un déficit social historiquement sans précédent, aggravant une spirale de la dette dangereuse pour la pérennité même de notre protection sociale. Alors que le déficit des comptes sociaux est en soi une anomalie, la dette, ce poison de la sécurité sociale, continue de s'accroître. Eliminer les déficits sociaux reste un impératif urgent. Le Président de la République l'a fait sien devant la Cour le 7 septembre dernier.

La situation demeure extrêmement préoccupante car, malgré un redressement engagé en 2011, l'essentiel du chemin reste à faire. Le déficit calculé dans un périmètre large incluant tous les régimes obligatoires de base et le fonds de solidarité vieillesse (FSV) a amorcé un repli tout en restant exceptionnellement élevé (23,1 milliards d'euros) après avoir atteint le niveau sans précédent de 29,8 milliards en 2010.

Si l'on se limite au régime général et au FSV, le déficit a représenté 20,9 milliards d'euros en 2011, soit l % du PIB, contre 28 milliards en 2010, et plus du double de celui de 2007 et 2008, avant la crise économique. Les avis de la Cour sur la cohérence des tableaux d'équilibre et du tableau patrimonial attestent de l'état dégradé des comptes sociaux.

L'amorce d'amélioration en 2011 tient avant tout à une bonne tenue de la masse salariale et à l'apport de ressources nouvelles. Grâce à un pilotage plus fin et à un niveau de dépenses inférieur aux prévisions, le respect de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) y a aussi contribué, pour la deuxième année consécutive et la troisième fois seulement depuis son institution.

Les déficits sociaux se maintiennent toutefois à un niveau considérable, celui du régime général en 2011 étant le troisième plus élevé de son histoire. L'impact de la crise n'en expliquant qu'un tiers, le reste, soit 0,6 point de PIB ou 12 milliards d'euros, présente un caractère structurel.

Aucun de nos voisins européens n'accepte un tel déséquilibre durable. Le besoin de financement de l'ensemble des administrations sociales représente en France 0,6 point de PIB en 2011, alors que la moyenne de la zone euro est nulle et que l'Allemagne est en excédent de 0,6 point.

Les déficits des régimes de sécurité sociale dépassant une nouvelle fois la capacité d'amortissement de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) (11,2 milliards d'euros), la dette sociale a continué d'augmenter, et ses presque 150 milliards d'encours fin 2011 sont à comparer aux 60 milliards de dette sociale amortie par la Cades depuis sa création en 1996.

Pour 2012 et les années suivantes, la Cour a actualisé au 1er septembre les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale en date du 5 juillet en prenant en compte les mesures que vous avez adoptées cet été. Le rythme de réduction des déficits sociaux marque le pas ; le déficit 2012 du régime général devrait être supérieur aux objectifs de près d'un milliard d'euros.

Or, si le transfert à la Cades jusqu'en 2018 des déficits prévisionnels de l'assurance vieillesse et du FSV est déjà organisé et financé, tel n'est pas le cas de ceux des branches maladie et famille qui devraient dépasser 9 milliards en 2012. Une reprise de dette supplémentaire est donc inéluctable. Si, comme la Cour l'a préconisé, celui-ci était financé par un relèvement du taux de la CRDS, ce dernier passerait de 0,50 % à 0,56 % en 2013.

Sans nouvelle mesure de redressement, la spirale alarmante des déficits sociaux risque de se poursuivre au-delà de 2012. Sur la base d'hypothèses économiques prudentes, le déficit de l'assurance vieillesse et du FSV perdurerait après 2018 à un niveau de l'ordre de 9 milliards par an. La Cour met en évidence pour l'assurance maladie deux scénarios à prélèvements obligatoires constants : si l'on ramenait à 2,35 % la croissance annuelle de l'Ondam à partir de 2014, le retour à l'équilibre interviendrait en 2017, mais deux ans plus tard si ce taux demeurait à 2,7 %.

Les ressources de la branche famille diminuant progressivement, son déficit s'établirait à environ 2 milliards par an en l'absence de mesures nouvelles.

Sans efforts complémentaires, près de 60 milliards d'euros de dette sociale pourraient ainsi s'accumuler d'ici la fin de la décennie, en sus des 62 milliards d'euros que la loi a déjà prévus de transférer à la Cades entre 2011 et 2018. Le pays consacre chaque année plus de 15 milliards d'euros au service de la dette sociale, soit deux fois plus que le budget de l'Etat en faveur de la politique de la ville et du logement. Les taux d'intérêt, exceptionnellement bas, ne sauraient en aucune façon justifier une inflexion de la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux, ni les tentations de différer les transferts de dettes, à financer, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, par des ressources suffisantes.

Dans les dix-huit sujets qu'elle aborde, la Cour a examiné 80 milliards d'euros de recettes et 40 milliards d'euros de dépenses. Cela la conduit à adresser un deuxième message : les réformes de structure et d'organisation sont le gage le plus sûr d'un retour à l'équilibre durable des finances sociales.

La Cour a analysé le financement de la sécurité sociale par les impôts et taxes affectés qui constituent désormais le troisième pilier des ressources de la sécurité sociale, avec 12 % des recettes des régimes de base en 2011 contre 16 % pour la CSG. Ces recettes, qui ont fortement augmenté pour compenser les allègements de charges sociales, devraient atteindre 60 milliards d'euros en 2013.

Or, un mode de financement fondé plus d'une cinquantaine d'impôts est instable, peu lisible et peu responsabilisant. Compte tenu de l'évolution de leur assiette, ces impôts ne pourront apporter une contribution significative au retour à l'équilibre. Très complexe, la répartition de cette ressource entre les différentes branches est devenue une affaire d'experts.

La Cour appelle donc à une réflexion d'ensemble sur un financement cohérent, transparent et stable. Cela passe sans doute par une restructuration autour d'un nombre réduit de ces impôts et taxes affectés : augmentation de la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale ; renforcement de la fiscalité environnementale et affectation de son produit à la protection sociale.

Une discussion générale unique des deux lois financières votées à l'automne suivie d'un examen commun des recettes serait utile. En tout état de cause, la stabilisation du dispositif de compensation des exonérations de charges sociales devrait désormais conduire à intégrer celles-ci dans le barème des cotisations sociales, ce qui mettrait fin à l'affichage d'un niveau de prélèvements sur les salaires supérieur à la réalité.

Dans la réforme des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP, on a privilégié l'aspect symbolique sur leur contribution à l'équilibre des finances publiques. L'objectif d'harmonisation avec la fonction publique a été en partie atteint, mais avec un décalage de mise en oeuvre de certains ajustements qui se prolongera jusqu'en 2022. Surtout, de nombreuses mesures de compensation ont entraîné des surcoûts élevés et créé des effets d'aubaine. Le bilan global de la réforme serait encore négatif pour la prochaine décennie et sans doute seulement légèrement positif pour les vingt ans qui viennent. Le rendez-vous de 2013 prévu par la loi sur les retraites éclairera plus largement la nécessité de nouvelles étapes pour favoriser une meilleure équité.

La Cour appelle ensuite à une amélioration de la fluidité du parcours de soins des patients bénéficiant de soins de suite et de réadaptation (SSR). Voilà un enjeu important mais encore méconnu, représentant 7,8 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie en 2012. Ces activités ont connu une expansion rapide mais sans véritable analyse des besoins, et les patients peuvent être confrontés à des blocages, à des délais et des orientations inadéquates et coûteuses. Près de 10 % à 20 % des places sont occupées par des patients qui devraient être pris en charge à domicile ou dans le secteur médico-social ou qui, au contraire, étaient sortis trop tôt d'un établissement de court séjour. Si l'amélioration rapide du fonctionnement de la filière doit être une priorité pour les agences régionales de santé, le passage en 2013 de ce secteur à une tarification à l'activité apparaît prématuré.

La Cour a étudié les conditions de mise en place des vingt-six agences régionales de santé (ARS). Créées en 2009 et installées rapidement dans des conditions satisfaisantes, elles ne disposent pas des marges de manoeuvre suffisantes. En dépit de la création récente du fonds d'intervention régional (Fir), elles n'ont un véritable pouvoir de décision que sur moins de 2 % des dépenses d'assurance maladie. Enfin, il est urgent de les doter des outils indispensables à l'exercice de leur mission (systèmes d'information, accès aux bases de données de l'assurance maladie).

La création du régime social des indépendants (RSI) en 2005 et l'instauration d'un interlocuteur social unique ont provoqué nombre de difficultés. Des assurés n'ont pas bénéficié du remboursement de leurs soins faute de carte vitale, plus de 20 000 n'ont été immatriculés qu'avec deux ans de retard et mi-2011, les droits à retraite n'étaient pas à jour pour 25 % à 40 % des comptes. La réforme a aussi entraîné des défauts d'encaissement de cotisations évalués au moins entre 1 et 1,5 milliard d'euros à fin 2010. Le rétablissement de la fonction de recouvrement est la première des priorités, surtout pour un régime structurellement déficitaire.

D'une manière plus générale, une plus grande responsabilisation des acteurs de la protection sociale est indispensable pour mobiliser plus encore des marges d'efficience. L'enquête sur les VSL (véhicules sanitaires légers) et les taxis révèle par exemple que cette dépense, qui a augmenté de 63 % en dix ans, équivaut désormais à la moitié des remboursements des consultations de médecins généralistes en ville. La très grande variabilité du recours à ces transports en témoigne, l'on pourrait dégager des économies substantielles en responsabilisant plus les acteurs : 0,3 trajet par habitant en 2010 dans l'Ain et en Savoie contre près d'un dans les Bouches-du-Rhône, la Somme ou la Creuse... Il faut un pilotage plus ferme et respectueux de la règle de l'établissement approprié le plus proche. La Cour recommande aussi de redéfinir certaines modalités de prise en charge parce que le dispositif actuel encourage un suréquipement considérable, en remplaçant les VSL par des taxis dont le nombre n'est pas plafonné. Le parc de véhicules de la Somme et de la Réunion est le double de ce qu'il devrait être. Nos propositions économiseraient 450 millions par an.

Une plus grande responsabilisation serait également de mise à propos des indemnités journalières (6,4 milliards d'euros en 2011). Celles-ci ont progressé de près de 50 % sur la dernière décennie. La Cour a relevé des différences très largement inexpliquées par exemple entre Paris (2,7 journées par salarié en 2010) et l'Ain ou le Var (13). La gestion des indemnités journalières mobilise près de 10 % des effectifs de l'assurance maladie, sans qu'à ce coût élevé corresponde une qualité de service satisfaisante : les délais de règlement aux assurés peuvent atteindre plusieurs centaines de jours. Mettre en place une régulation suppose une nouvelle politique de contrôle, un pilotage plus responsabilisant ainsi qu'un effort de simplification et de modernisation.

Enfin, la Cour estime qu'en matière de systèmes d'information, la branche famille, qui a versé près de 77 milliards d'euros de prestations en 2011 à plus de onze millions d'allocataires, présente des priorités stratégiques floues, des retards de modernisation et des insuffisances dans la gouvernance. La prochaine convention d'objectif et de gestion, qui lie la caisse nationale d'allocations familiales à l'Etat, devra y remédier.

Dernier message de la Cour : les efforts de redressement ne sont pas seulement indispensables pour préserver l'avenir de notre système de protection sociale, ils donnent aussi l'opportunité de le faire évoluer vers plus de justice et de solidarité, principes fondateurs de notre sécurité sociale.

La contribution de l'ordre national des médecins est trop limitée en matière de règles relatives aux honoraires. Les instances sont rarement saisies et les peines restent légères : sur soixante et une condamnations en quatre ans, il y a eu douze avertissements ou blâmes et une radiation. Face à cette situation, l'assurance maladie a dû développer ses propres procédures et il convient maintenant de rationaliser des dispositifs trop nombreux.

La prise en charge par l'assurance maladie de certaines cotisations sociales des professionnels libéraux de santé (2,2 milliards) représente environ 3 euros de revenu supplémentaire pour le médecin sur une consultation à 23 euros. En augmentation continue, elle devrait être beaucoup plus activement mise au service des objectifs prioritaires de l'assurance maladie, notamment par une modulation généralisée favorable aux médecins installés dans les zones médicalement les moins denses. Cette prise en charge pourrait aussi contribuer à la limitation des dépassements d'honoraires qui ont atteint près de 2,5 milliards d'euros en 2011.

Que l'on ne se méprenne pas sur le sens des considérations de la Cour sur les retraités ! Elle ne propose en rien de les toiser ou de les opposer artificiellement aux actifs. Son rapport commence, j'y insiste, par mettre en lumière la situation des personnes âgées les plus pauvres et notamment du million d'allocataires du minimum vieillesse. Ce nombre pourrait d'ailleurs augmenter sous l'effet de l'arrivée à l'âge de la retraite de générations ayant connu des carrières moins linéaires. La Cour formule des propositions fortes pour que le minimum vieillesse joue plus efficacement son rôle, notamment par une information plus active et plus précoce des personnes éligibles. Il est en outre impératif d'assurer un financement clair et soutenable de cette dépense de solidarité par un relèvement des ressources affectées au FSV.

Toutefois, malgré la persistance de situations individuelles préoccupantes, les retraités sont, contrairement à une idée reçue, dans une situation financière moyenne légèrement plus favorable que celle des actifs, notamment des plus jeunes. Cela résulte pour une part des nombreux dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires conçus pour égaliser leur niveau de vie et celui des actifs, et qui coûtent aujourd'hui près de 12 milliards d'euros.

Ces réflexions de la Cour s'inscrivent dans le cadre de ses travaux sur les niches sociales et fiscales. Dans un contexte où la contrainte sur les comptes publics exige une évaluation systématique des dispositifs dérogatoires, il est nécessaire de réexaminer cette accumulation de mécanismes dont l'objectif initial est désormais atteint. Loin de proposer leur suppression brutale et aveugle, la Cour recommande une démarche progressive. Nos propositions, qui n'ont pas vocation à être mises en oeuvre de façon cumulative, portent sur la CSG - les retraités bénéficient de taux allant de 0 % et 6,6 % contre 7,5 % pour les actifs - ou sur l'abattement de 10 % pour frais professionnels dont les retraités continuent de bénéficier. Sans en proposer la suppression, la Cour s'interroge en outre sur la majoration de 10 % des pensions des retraités ayant élevé au moins trois enfants. Car, si elle constitue une contrepartie légitime des conséquences de cette situation familiale sur le déroulement de la carrière, cette majoration bénéficie plus à ceux qui ont déjà les retraites les plus élevées. Dans le même esprit, la Cour évoque la mise sous condition de ressources de l'exonération de cotisations patronales accordées à tous les particuliers employeurs de plus de soixante-dix ans, quel que soit leur niveau de revenu.

Le nécessaire réexamen doit être mené avec le souci de préserver les retraités les plus fragiles. Il s'inscrit aussi dans le cadre du redéploiement de moyens des besoins sociaux tels que la perte d'autonomie des plus âgés et cela sans préjudice d'une éventuelle contribution à l'effort de retour à l'équilibre des comptes publics. La Cour fonde en effet son analyse sur des préoccupations de justice et de solidarité autant que financières.

Autre élément souvent cité en exemple de notre modèle social, la politique familiale. Les prestations familiales conditionnées par les ressources (13,3 milliards d'euros en 2010) contribuent-elles effectivement à réduire les inégalités de revenus entre les familles ? Non, leurs effets redistributifs se révèlent moins marqués que ceux des prestations dites universelles, comme les allocations familiales. Cela s'explique par des plafonds de ressources trop élevés pour la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) et par des modalités trop larges d'attribution du complément du mode de garde, qui n'est soumis à aucune condition de ressources et peut se cumuler avec des aides fiscales importantes : l'on verse un même montant de 171 euros par mois pour un enfant, que la famille dispose de 20 000 ou de 4 000 euros de revenu mensuel. Les montants en cause sont importants, puisque les 20 % de familles bénéficiant des niveaux de vie les plus élevés reçoivent plus de 2 milliards d'euros au titre du seul complément de mode de garde. La Cour recommande donc de soumettre cette prestation à une stricte condition de ressources.

Cette évolution vers plus de justice et de solidarité est d'autant plus nécessaire que les données récentes de l'Insee montrent que le taux de pauvreté est passé de 13,5 % en 2009 à 14,1 % en 2010, la progression étant toutefois de 2 % pour les enfants contre 0,3 % pour les retraités.

Au total, nous présentons soixante-douze recommandations. Je rappelle que 65 % de celles formulées dans les trois dernières éditions de ce rapport ont été totalement ou partiellement suivies d'effet.

La conviction de la Cour est que ce qui est déficitaire est précaire. Si le retour à l'équilibre des comptes ne peut se faire sans l'apport de ressources nouvelles, il ne produira d'effets durables que par davantage d'efficience à tous les niveaux. Cela passe par une démarche volontaire, méthodique, rigoureuse et attentive au juste partage des efforts. Plus vigoureusement elle sera engagée, plus rapidement l'équilibre sera rétabli et plus durablement notre sécurité sociale sera confortée, non seulement en termes financiers, mais aussi au regard de ses valeurs essentielles de solidarité.

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