Je ne m’attarderai pas sur le volet immobilier de la réforme, qui a constitué une occasion de moderniser les locaux existants ou de construire de nouveaux bâtiments.
Le coût apparent de la réforme dans le domaine immobilier est de 340 millions d’euros, sur les 900 millions d'euros initialement prévus, et les projets ont été menés aussi rapidement qu’il était possible. Reste à savoir ce qu’il en sera des surcoûts potentiels liés à l’abandon de bâtiments mis gracieusement à la disposition de la justice par les collectivités locales, au profit de la location de bâtiments nouveaux, dont le coût est jusqu’à présent financé sur des crédits spécifiques ouverts dans le cadre de la réforme, qui ne devraient normalement pas être reconduits. Madame la garde des sceaux, peut-être pourrez-vous nous donner quelques précisions sur ces aspects financiers de la réforme.
S’agissant de l’accompagnement des 1 800 agents –400 magistrats et 1 400 fonctionnaires – qui ont été concernés par la réforme en raison de la disparition de leur juridiction, un plan important a été mis en place, mais il n’a pas réglé, loin de là, toutes les situations individuelles de fonctionnaires contraints, par exemple, de faire près de deux heures de trajet chaque jour pour rejoindre leur nouvelle juridiction, ce qui représente pour eux un surcoût et une fatigue supplémentaire non négligeables.
Je voudrais d’ailleurs rendre hommage aux personnels magistrats, mais surtout non magistrats, la mobilité ne faisant pas nécessairement partie du cursus professionnel de ces derniers, pour l’implication personnelle et le sens de l’intérêt général dont ils ont su faire preuve afin d’assurer la continuité de la justice dans un contexte souvent difficile.
Au final, on peut regretter que cette réforme, pour importante qu’elle fût, n’ait pas pris en compte certains enjeux qui auraient mérité de l’être.
Certes, l’objectif de rationalisation des implantations judiciaires a été atteint. Tous les TGI enregistrent désormais plus de 2 500 affaires nouvelles par an et il ne restait plus, en 2011, que deux tribunaux d’instance ayant enregistré moins de 500 nouvelles affaires civiles, alors qu’une centaine de tribunaux étaient dans ce cas auparavant.
Toutefois, à l’inverse, des juridictions comme les TGI de Guingamp et de Rochefort, qui présentaient des chiffres d’activité nettement supérieurs aux minima requis, ont malgré tout été supprimées, afin de favoriser la concentration des moyens ou d’approcher l’objectif d’un tribunal de grande instance par département.
Dans certains cas, le fait d’atteindre une taille critique a pu permettre une nouvelle organisation et la réduction des délais d’audiencement, comme à Dunkerque, où le regroupement avec le TGI d’Hazebrouck a rendu possible la création d’une troisième chambre civile dédiée à la famille.
Cependant, en donnant la primauté aux suppressions et aux concentrations sur les réajustements de ressort, la réforme a écarté toute réflexion sur la taille optimale des juridictions et le désengorgement de certains tribunaux surchargés. Le plus bel exemple, à cet égard, est celui du tribunal d’instance de Bordeaux, qui a absorbé trois des quatre tribunaux d’instance supprimés en Gironde, alors même qu’il était déjà le tribunal d’instance présentant le plus fort taux d’activité de France. Son stock de dossiers en attente n’a donc pu que s’accroître…
De même, loin de se résumer à des redéploiements d’effectifs, la réforme de la carte judiciaire a abouti, comme l’a signalé M. le président de la commission des lois, à la suppression, entre 2008 et 2012, de 80 postes de magistrats et de 428 postes de fonctionnaires. Cela donne à penser qu’un objectif comptable a parfois prévalu, au détriment du bon fonctionnement de la justice et de l’intérêt du justiciable.
Certes, toutes les suppressions de tribunaux opérées n’étaient pas injustifiées, tant s’en faut. Néanmoins, ce qui fait débat aujourd’hui, c’est clairement le défaut de prise en compte des spécificités territoriales, notamment des difficultés de déplacement. Cela conduit à parler, pour certains secteurs, de « déserts judiciaires ». Je pense, par exemple, à la Bretagne intérieure, où il n’y a plus de présence judiciaire depuis la suppression des tribunaux d’instance de Loudéac, de Pontivy et de Ploërmel, ou à l’Auvergne, où toute une zone allant de Clermont-Ferrand au Puy-en-Velay se trouve dans la même situation à la suite de la suppression des tribunaux d’instance d’Issoire, d’Ambert et de Brioude…
Ce bilan mitigé étant dressé, que devons-nous envisager pour remédier aux problèmes que j’ai évoqués ? Quelles pistes faut-il suivre pour l’avenir ?
Premièrement, je veux souligner, avec Nicole Borvo Cohen-Seat, que l’institution judiciaire a maintenant besoin d’une pause pour « digérer » les réformes de ces dernières années. Toute réforme future de la carte judiciaire devra être débattue préalablement au Parlement, pour assurer l’élaboration d’une vision d’ensemble, et pas seulement géographique, de notre organisation judiciaire.
Deuxièmement, on peut remédier aux dysfonctionnements constatés dans certains secteurs à la suite de la mise en place de la nouvelle carte en se donnant les moyens, là où c’est nécessaire, de pouvoir organiser des audiences foraines, voire, dans quelques cas, en envisageant la création d’une chambre détachée. Beaucoup d’acteurs du monde judiciaire conviennent que l’audience foraine est une formule qui peut être intéressante dans certains secteurs où il n’y a plus de présence judiciaire, mais son organisation est lourde, car elle nécessite en quelque sorte de déplacer le tribunal. Il faut réfléchir aux moyens de faciliter la tenue de ces audiences foraines.
Surtout, nous préconisons, au nom de la proximité, de la simplification et de la clarification de l’organisation des juridictions de première instance dont a à l’évidence besoin le justiciable, que l’on explore la piste de la création du « tribunal de première instance », qui semble recueillir l’assentiment de la plupart des organisations représentatives du monde judiciaire.
En permettant, notamment, de saisir une juridiction, quelle qu’elle soit, directement auprès du greffe le plus proche du justiciable et en mutualisant l’ensemble des moyens au sein d’une même juridiction, cette formule rapprocherait le justiciable de la justice et permettrait aux chefs de juridiction d’adapter les moyens aux besoins constatés.
C’est donc aussi sur cette proposition que je souhaite, madame la ministre, connaître l’état de vos réflexions. §