Certes, mais ce n’est pas le train !
Ainsi, faire valoir ses droits en Seine-et-Marne alourdit le bilan carbone de la France et le budget de transport des plus pauvres.
Le maillage des moyens de transport ou les spécificités géographiques et naturelles des territoires n’ont pas été pris en compte pour la détermination des tribunaux supprimés. Les justiciables peuvent donc parfois en venir, comme le montre excellemment le rapport, à renoncer à faire valoir leurs droits. Ce résultat est certes intéressant pour faire baisser le nombre de contentieux, mais était-ce bien là le but de la réforme ?
Le justiciable peut, s’il le souhaite, prendre un avocat : en quatre ans, le nombre d’avocats à Avallon, dans l’Yonne, est passé de deux à six. Pourtant, les avocats n’étaient pas nécessairement demandeurs de tels déplacements, notamment parce qu’eux-mêmes rencontrent le problème de transport que j’évoquais : faut-il rappeler que la rémunération de la garde à vue et l’aide juridictionnelle ne prennent pas en compte des frais de transport pour aller d’un bout à l’autre du département ? Un recours a d’ailleurs été déposé devant le Conseil d’État contre le décret sur l’indemnisation de la garde à vue précisément pour cette raison.
Ces « trous » dans le maillage judiciaire de notre territoire créent de fait une rupture d’égalité entre les citoyens. Cette situation, qui renvoie à la période prérévolutionnaire, ne doit pas être tolérée dans notre pays.
Des « palliatifs » ont été imaginés pour donner à croire qu’il n’existerait pas de déserts judiciaires, notamment les points d’accès au droit et les maisons de justice et du droit, dont le fonctionnement dépend, sur le plan financier, de la bonne volonté des territoires.
L’État se décharge ainsi de sa mission régalienne de justice sur les échelons locaux, et souvent sans leur déléguer les moyens financiers et humains afférents : en Seine-et-Marne, un projet de maison de justice et du droit est resté plus de deux ans dans les cartons, car les maires concernés ne savaient pas se mettre d’accord. Là encore, il y a un risque manifeste de rupture d’égalité entre les citoyens sur le territoire !
La situation actuelle mérite donc bien de faire l’objet d’une évaluation comme celle que présente le rapport, et il faudra que le ministère de la justice et notre assemblée, plus particulièrement sa commission des lois, se saisissent pleinement de ces sujets, afin de rétablir une véritable justice de proximité dans notre pays.
Il faudrait aussi que l’organisation des juridictions administratives soit revue ; elles souffrent des mêmes maux que les institutions judiciaires.
Enfin, il est heureux que le ministère de la justice ait des fonctionnaires à la hauteur : à une époque où leur nécessité est souvent remise en cause, il convient de saluer leur dévouement. Je tiens pour ma part à les remercier, puisque le rapport souligne que la réforme n’aurait pu être mise en place aussi vite s’ils étaient moins efficaces.
Le rapport cosigné par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne vient conforter celui de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, organisme indépendant du Conseil de l’Europe : ce rapport sur l’état des systèmes judiciaires européens, paru le 20 septembre dernier, fait apparaître que la France ne consacre à la justice, hors budget pénitentiaire, que 60, 50 euros par an et par justiciable, soit moitié moins que les Pays-Bas. En matière de charge de travail, il suffit de rappeler que les procureurs et les substituts français doivent en moyenne traiter 2 533 affaires par personne et par an, la moyenne européenne étant de 615 ! Les procureurs français classent donc 87 % des procédures, alors que ce taux n’est que de 44 % aux Pays-Bas, par exemple.
En conclusion, la commission des lois est loin d’avoir épuisé les voies de réflexion que nous ouvre ce rapport. Je serai toujours ravie de vous retrouver, madame la ministre, pour disséquer vos textes, mais cela sera-t-il nécessaire ? En effet, je suis sûre que, pour votre part, vous ne manquerez pas l’occasion de réformer la justice ! §