Intervention de Henri Tandonnet

Réunion du 1er octobre 2012 à 21h30
Débat sur la réforme de la carte judiciaire

Photo de Henri TandonnetHenri Tandonnet :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, engagée dès le mois de juin 2007, la réforme de la carte judiciaire s’est achevée le 1er janvier 2011. Elle a réduit de près d’un tiers le nombre d’implantations judiciaires en France.

Je tiens avant tout à féliciter les corapporteurs du rapport sur la réforme de la carte judiciaire du bilan qu’ils ont su dresser de manière globale et pertinente. Comme l’ont écrit Mme Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, « une réforme plus ambitieuse de l’organisation judiciaire aurait sans doute permis de parer aux défauts majeurs de conception du projet initial ».

Alors que la justice doit être accessible à tous, qu’elle est un acteur de la paix sociale dans notre société, le justiciable, qui est pourtant le principal concerné, n’a été que trop peu pris en compte, tant dans l’élaboration que dans la mise en œuvre de cette réforme.

Ce fut une réforme purement comptable qui n’a pas su coupler les changements d’implantations judiciaires avec ceux de l’organisation et de la répartition des contentieux.

En limitant la réforme à la seule modification des implantations par le biais du pouvoir réglementaire, le Gouvernement n’a pas saisi le Parlement. Cela a certainement privé cette réforme d’objectifs qui auraient pu prendre en compte un champ de réflexion élargi.

Si l’organisation de la justice dans son ensemble était à revoir, il aurait fallu rechercher parmi les contentieux ceux qui relevaient de la technicité, avec des compétences spécialisées, et ceux qui relevaient de contentieux de masse – je pense au traitement des litiges de la location, du surendettement ou des affaires familiales.

De plus, les mesures d’accompagnement pour équilibrer les suppressions difficiles de tribunaux, telles que les audiences foraines et la création de chambres détachées, n’ont pas su s’inscrire dans la réalité.

On peut regretter que l’organisation des tribunaux ne donne jamais la parole aux justiciables. Il serait pourtant facile d’introduire, dans les assemblées générales des tribunaux, la participation des usagers, de manière directe ou par le biais des avocats, pour que la proximité puisse se traduire dans la réalité. Si les justiciables étaient entendus dans les tribunaux, l’organisation des chambres détachées se serait faite plus facilement ou aurait pu durer. Il est en effet plus facile de déplacer un greffier et un juge que de faire venir vingt familles convoquées par le juge aux affaires familiales.

Je souhaite maintenant insister sur quelques intéressantes propositions du rapport, notamment en termes d’organisation de la justice et de prise en compte du justiciable.

Je pense d’abord à la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance en un tribunal de première instance.

Ce tribunal apporterait davantage de lisibilité pour le justiciable et de simplicité, en évitant la problématique des exceptions d’incompétence liées à la répartition des contentieux. Il permettrait également une meilleure répartition des moyens et de l’organisation des audiences et surtout de retrouver, par le biais des chambres délocalisées, un contentieux de proximité et une adaptabilité dans les réponses judiciaires aux besoins de la population.

Il ne faut pas se le cacher, cette réforme aurait des conséquences importantes sur lesquelles il faut encore travailler. Une réflexion complémentaire est donc indispensable à ce stade.

La deuxième proposition intéressante est celle du guichet unique de greffe. Celui-ci pourrait jouer un rôle de correspondant unique, ce qui simplifierait les démarches du justiciable.

Je ne reviens pas sur les difficultés signalées par le rapport. En revanche, j’évoquerai le problème de la représentation des justiciables, qui n’est pas la même devant le tribunal d’instance et devant le tribunal de grande instance. L’instauration du tribunal de première instance posera tout de suite des problèmes : faudra-t-il une représentation obligatoire pour tous ? Devra-t-elle être accompagnée d’une postulation ? Avec les outils informatiques, pourrait-on imaginer une procédure simplifiée faisant abstraction de cette postulation ?

La solution d’une seule juridiction de première instance ne fera pas l’économie de cette réflexion.

J’en viens maintenant au cas plus particulier de mon département du Lot-et-Garonne. Les changements entraînés par la réforme ont suscité de vives controverses et ont significativement modifié l’organisation judiciaire sur le plan local avec la suppression du tribunal de grande instance de Marmande, la suppression des tribunaux de commerce de Marmande et de Villeneuve-sur-Lot, ainsi que du tribunal d’instance de Nérac.

Madame la garde des sceaux, je voulais vous alerter sur l’une des propositions contenue dans le rapport, qualifiée de « réforme jusqu’à présent écartée », celle des cours d’appel, évoquée par plusieurs de mes collègues.

Le principal argument retenu pour justifier une éventuelle réforme des cours d’appel est que ce sont « les seules juridictions que la réforme n’a pas touchées. »

Je suis préoccupé par cette idée puisque la cour d’appel d’Agen est actuellement parmi les plus petites de France avec trois tribunaux de grande instance – Cahors, Auch et Agen – et pourrait dès lors être visée par une suppression.

Il m’a semblé important d’aborder ce point, même si, à ce jour, aucune annonce gouvernementale n’a été faite. En effet, dans la mesure où un simple décret peut permettre une telle réforme, les parlementaires ne seraient pas nécessairement associés à la démarche, qui relève de votre pouvoir.

Aux termes du rapport, la carte des cours d’appel « ne coïncide pas avec celle des régions, ce qui pose des difficultés de coordination des politiques partenariales de la justice ». Elle serait également « incompréhensible pour le citoyen ».

Permettez-moi de reprendre le cas de la cour d’appel d’Agen, dont le ressort s’étend sur deux régions administratives distinctes puisqu’il couvre une partie de l’Aquitaine et une partie de Midi-Pyrénées.

Je pense qu’il faut rappeler aux partisans de ces changements que la cour d’appel d’Agen couvre, avant tout, un bassin de vie : celui de la moyenne Garonne, unité sociale et économique. Cet argument me semble bien plus opposable que le désir de supprimer une cour d’appel, sous prétexte que son ressort concerne un territoire assis sur deux régions administratives. Ni le procureur général ni le premier président ne vont chercher leurs instructions auprès du préfet de région !

Pourquoi devrions-nous tout rattacher aux grandes métropoles ? Dans le cas de mon département, pourquoi devrait-on centraliser l’implantation judiciaire à Bordeaux ? Cette mesure n’est souhaitable ni pour le justiciable ni pour le personnel, qui serait contraint d’abandonner son emploi ou son territoire. Je pense tout particulièrement aux agents de catégorie C. Ces personnes, qui vivent bien à Agen, verraient leur niveau de vie baisser considérablement s’ils devaient se déplacer vers de grosses villes telles que Bordeaux ou Toulouse. Ils subiraient, de fait, des surcoûts en matière de logement et de déplacements.

La France est encore le seul pays centralisateur qui continue à ramener des emplois contraints dans les grandes métropoles. Il faudrait au contraire privilégier les implantations dans des villes moyennes, qui peuvent facilement accueillir ce genre de service public. L’exemple réussi de l’implantation de l’École nationale d’administration pénitentiaire à Agen est significatif !

Sur le plan de l’accès à la justice, il s’agirait également d’un recul, entraînant de multiples conséquences : difficultés pour les justiciables à rejoindre la capitale régionale ; difficultés pour les services de la justice, notamment pénale, de transferts pour les auditions en chambre d’accusation ou en chambre correctionnelle ; surcharge des cours d’appel régionales, déjà débordées. Et la liste est encore longue !

On a bien vu que la réforme des cours administratives d’appel, dont le nombre a été considérablement réduit, n’a jamais été très productive. La Cour des comptes avait d’ailleurs, dans des observations, montré l’inefficacité de ces regroupements.

Il n’y a que trente cours d’appel en France. Or la population a augmenté de façon considérable, puisqu’elle compte aujourd’hui 65 millions d’habitants, tandis que les sources de contentieux se sont multipliées et diversifiées avec l’évolution de la législation. C’est pourquoi une éventuelle réforme des cours d’appel devrait viser à un redéploiement ou à des spécialisations plutôt qu’à des suppressions de cours.

Pour conclure, il me semble important de rappeler que la justice doit rester au service des justiciables et proche d’eux, principes qui se conjuguent facilement avec la volonté d’aménager durablement le territoire.

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