Elles n’auront pas fait l’affaire des tribunaux.
Quoi qu’il en soit, l’exemple que je viens de citer n’est qu’une surprise parmi d’autres concernant les chiffres liés à l’application de la réforme de la carte judiciaire.
En ce qui concerne la méthode retenue et les objectifs visés, je souscris au reproche que nombre d’orateurs ont formulé ; je ne m’y étendrai donc pas outre mesure. Cette méthode est uniquement cartographique et n’utilise que des données quantitatives – le nombre d’affaires traitées, le nombre de kilomètres, … –, sans s’intéresser à la qualité ou à la nature des dossiers traités, aux citoyens qu’il y a derrière, à la nature et à la fragilité des publics visés, aux spécificités territoriales, au manque de transports en commun, à l’éventuel caractère montagneux de la zone. Bref, elle ne s’intéresse qu’aux effets budgétaires de court terme, procède elle aussi d’une arithmétique à la Raymond Devos et, surtout, ne tient pas compte des propositions ou des réticences, pourtant argumentées, qu’ont pu émettre certains professionnels.
Une telle méthode a abouti à des incohérences. Par exemple, le rapprochement du tribunal de grande instance de Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine, de celui de Dinan, dans les Côtes-d’Armor, a conduit à ce que des mesures prononcées par des juges d’Ille-et-Vilaine ou par la protection judiciaire de la jeunesse de ce département soient appliquées par l’Aide sociale à l’enfance – et donc financées par l’argent du conseil général – des Côtes-d’Armor ! Autant vous dire que ce méli-mélo est assez difficile à gérer pour nos collègues des deux départements.
En outre, certaines enquêtes vont et viennent entre Saint-Malo, Rennes, en passant par Saint-Brieuc, avec des services de l’ordre et des services enquêteurs sollicités tantôt par l’Ille-et-Vilaine, tantôt par les Côtes-d’Armor. Une fois de plus, cela conduit à des imbroglios et à des complications, loin des objectifs annoncés de simplification.
La méthode a également abouti à des déserts judiciaires, notamment dans les territoires ruraux – celui du centre de la Bretagne a déjà été cité, mais il y en a d’autres.
Elle a débouché sur une diminution certaine des moyens de la justice, au demeurant – et comme toujours – beaucoup plus forte dans les secteurs ruraux que dans les zones urbaines.
Elle a conduit à ce que les situations immobilières réelles aient rarement été prises en compte. On a souvent oublié de demander qui était propriétaire des locaux utilisés et quel était le mode de convention qui le reliait à la justice. On a oublié qu’il y avait beaucoup de mises à disposition gracieuses par les collectivités pour la justice. Du coup, on a dû payer des loyers que l’on n’avait initialement pas prévus dans les budgets.
Au reste, une telle situation n’est pas spécifique à la justice puisque c’était, de façon générale, la manière qu’avait l’État de gérer son patrimoine immobilier. Parfois, j’ai même vu l’État remettre en vente des propriétés qui ne lui appartenaient pas et qui, du coup, étaient récupérées par les collectivités – lesquelles en ont d’ailleurs profité pour casser des conventions ou des baux emphytéotiques avec l’État.
Il n’empêche, ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une bonne gestion des deniers publics, et l’on ne saurait s’en féliciter.
Au bilan général – une fois de plus, je ne défrayerai pas la chronique par mon originalité –, s’ajoute le fait que l’on a augmenté le délai de traitement des dossiers. Cet allongement sera-t-il pérenne ? La justice va-t-elle au contraire se réorganiser pour combler les délais supplémentaires que l’on constate aujourd’hui ? La question est posée.
Si l’on a parfois éloigné les personnels de leur lieu de travail, on a aussi beaucoup éloigné les justiciables de la justice, non seulement géographiquement, mais aussi financièrement. Ce n’est pas anodin, y compris pour les affaires civiles, qui nécessitent parfois plusieurs présentations au tribunal. Or, quand il s’agit de droits parentaux, quand il s’agit d’enfants, quand il s’agit des personnes les plus fragiles et les plus précaires, il est indispensable – notre collègue Jacques Mézard l’a dit – que la justice soit à proximité immédiate du citoyen. En tout cas, ce n’est pas ce que la réforme de la carte judiciaire a réussi à faire ! Il existe des décalages immenses entre les postes théoriques et les effectifs réellement présents dans nos tribunaux.
Autre conséquence possible de la carte judiciaire : on a constaté des augmentations du nombre de personnels à temps partiel, notamment en Bretagne, mais pas seulement. En effet, l’éloignement de leur lieu de travail et l’augmentation du temps de trajet qui en résulte ont conduit des personnels à préférer réduire le nombre de jours où ils se déplaçaient pour travailler. Cette situation est difficile à gérer.
Dans le même temps, le coût réel de la réforme s’est élevé à 340 millions d’euros, sans compter tous les frais annexes, tout ce que l’on n’avait pas prévu, tout ce qu’il a fallu indemniser. Au final, son coût a été gigantesque ! On peut donc s’interroger sur la réussite réelle de cette réforme de la carte judiciaire.
Personnellement, j’en prononce la condamnation.