Intervention de Marie-Noëlle Lienemann

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'économie sociale et solidaire

Photo de Marie-Noëlle LienemannMarie-Noëlle Lienemann, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président du groupe de travail sur l'économie sociale et solidaire, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur le fait coopératif en France et la nécessité de lui donner un nouvel élan pour lui permettre de se développer.

Si l'ONU a consacré l'année 2012 comme l'Année internationale des coopératives, c'est que, partout dans le monde, cette forme d'activité, le plus souvent inscrite dans l'économie de marché, a fait la preuve de son efficacité, de sa singularité et, en même temps, de sa capacité à se développer dans des champs extrêmement variés.

Dans ce contexte, et en écho à la volonté du Gouvernement de préparer une loi sur l'économie sociale et solidaire pour renforcer ce secteur majeur de notre économie et de notre société, il nous a paru utile, au sein de la commission des affaires économiques, de concentrer nos travaux sur des volets très particuliers, susceptibles d'être opérationnels à court terme.

Dressons d'abord un bilan du fait coopératif. À cet égard, il me semble nécessaire de rappeler quelques éléments. Les principes sur lesquels les coopératives se fondent sont très anciens ; ils datent du milieu et de la fin du XIXe siècle, époque de la deuxième révolution industrielle. Mais ils n'en sont pas moins résolument contemporains et modernes.

Premier principe : ce sont des sociétés de personnes, et non de capital. On mesure toute l'importance de cette caractéristique dans le monde actuel, marqué par la crise de la financiarisation !

Deuxième principe : un homme, une voix. Il y a bien profit, il y a bien valorisation de l'entreprise, mais les gains sont redistribués soit sous la forme de ristourne coopérative au sociétaire usager, soit pour pérenniser l'outil, le moderniser, et permettre son développement. Il n'y a donc pas de captation de la richesse aux seules fins d'accumulation de capital. Là encore, c'est un élément extrêmement important.

Troisième principe : l'ancrage territorial de nos coopératives, qui fonde d'ailleurs toute leur actualité. À partir du moment où une coopérative est constituée, elle est en général adossée à des hommes et des femmes qui sont liés à une histoire, un territoire, des projets, et qui n'ont pas du tout l'intention de délocaliser pour aller faire du profit ailleurs. La plupart du temps, l'outil leur appartient justement pour garantir leur emploi, celui de leurs voisins ou de leurs enfants, ainsi que le développement de leur territoire. D'ailleurs, pour le Sénat, l'ancrage local est évidemment un point très important : chacun d'entre vous a l'occasion de voir dans son département combien les coopératives constituent un levier de développement économique.

Ce bilan étant dressé, il faut aussi observer que les coopératives ont mieux résisté que beaucoup d'autres secteurs d'activité à la crise économique. Ainsi, le taux de pérennité des coopératives à trois ans est supérieur à celui des autres sociétés en France. L'écart est encore plus net si l'on considère les longues durées, par exemple le taux de pérennité à cinquante ans. Les coopératives sont donc des sociétés pérennes, qu'il convient de consolider.

Fort heureusement, depuis l'apparition du phénomène, le droit des coopératives a évolué. Il y a notamment eu dans notre pays des évolutions qu'il est important de souligner, voire de conforter, monsieur le ministre délégué.

Premièrement, au-delà des simples sociétaires, il peut y avoir des apports capitalistiques, certes minoritaires, mais qui peuvent s'adosser au projet coopératif. Bien entendu, la rémunération de ce capital est extrêmement encadrée. Il ne s'agit pas de tuer l'esprit coopératif. Mais nous savons que cet apport peut se révéler nécessaire, que ce soit dans certains secteurs industriels, pour l'exportation ou encore l'agrandissement d'activité.

Deuxièmement, on a créé les sociétés coopératives d'intérêt collectif, les SCIC, ce qui permet aux collectivités locales d'entrer dans un mécanisme coopératif. Jusqu'à présent, aux termes de la loi, elles peuvent atteindre 20 % des parts sociales. Dès lors, elles sont parties prenantes du projet coopératif, ce qui s'avère indispensable dans bien des cas. Je pense notamment aux coopératives HLM, mais aussi aux coopératives d'activité médicale ou paramédicale, lorsque des médecins ou des professions paramédicales décident de s'unir. En l'occurrence, la collectivité peut apporter un soutien logistique et garantir la présence sur l'ensemble du territoire, en particulier là où ce n'est pas forcément évident, d'un certain nombre de services médicaux, tout en respectant l'indépendance d'acteurs comme les infirmières ou les médecins.

Nous voyons donc ces formes de coopératives se développer. Je pense qu'il serait intéressant de renforcer un tel mécanisme en augmentant le taux de participation des collectivités locales. En effet, le taux de 20 % reste encore assez faible, eu égard à un certain nombre d'investissements dans différents domaines.

Parmi les autres activités coopératives qui se sont développées figurent les coopératives d'activité et d'emploi, les CAE. En général, elles regroupent des salariés indépendants qui auraient pu faire le choix de l'auto-entreprenariat ; mais, comme vous le savez, le statut d'auto-entrepreneur est très décrié et n'a pas toujours l'efficacité souhaitée. Avec les CAE, les personnes concernées gardent leur autonomie, mais mettent en commun des moyens, des projets, des compétences, des transferts de savoirs et d'idées, ce qui se révèle particulièrement utile dans les domaines de la comptabilité, du marketing ou de la formation.

Monsieur le ministre délégué, nous serions demandeurs d'un travail d'évaluation des CAE. Pourquoi demeurent-elles au stade embryonnaire alors que, aux dires de nombreux acteurs, elles devraient se développer ?

Troisièmement, certaines coopératives qui existaient déjà sont aujourd'hui boostées.

Par exemple, le nombre de sociétés coopératives artisanales a augmenté de 35 % en sept ans. Dans notre pays, les artisans sont en train de faire une mutation culturelle, comme ce fut jadis le cas des agriculteurs. Il y a de plus en plus de coopératives artisanales, soit pour procéder à des groupements d'achats, soit pour faire de la valorisation de produits de manière conjointe, soit pour mener des actions très simples ; je pense notamment aux bouchers indépendants qui se regroupent en coopératives parce qu'ils ont besoin de réaliser de gros investissements pour les ateliers de découpe. On découvre ainsi que de multiples synergies peuvent être mises en valeur. L'artisan garde son autonomie, les traditions et la présence territoriale sont préservées, mais certains aspects sont mis en commun. On peut également mentionner les coopératives de pêche.

Autre secteur qui s'accroit fortement et pourrait se développer encore lourdement et massivement, celui des SCOP, anciennement « sociétés coopératives ouvrières de production », désormais « sociétés coopératives et participatives ». Dans la période récente, les SCOP ont fait leur preuve en tant qu'outil de reprise des entreprises ou de transmission, dans le cas d'un patron désireux de laisser sa société à ses salariés.

Pour franchir un cap quantitatif important, il faut lever toute une série de verrous ; je les évoquerai dans quelques instants.

Les autres coopératives émergentes sont les coopératives d'habitants. Existent aujourd'hui les coopératives HLM, qui ont été très fortement liées historiquement à la location-attribution, puis se sont reconverties, essentiellement en coopératives d'accession sociale à la propriété, avec la disparition de ce produit.

Les coopératives d'HLM pourraient se développer. Mais il existe aussi d'autres attentes de la part des habitants. Cela concerne moins directement le secteur du logement social, car il s'agit de catégories sociales variées. Par exemple, des populations urbaines très sensibilisées aux questions de développement durable peuvent souhaiter développer les coopératives d'habitants, à l'instar de ce qui s'est passé en Suisse ou dans d'autres pays. Nous avons formulé des propositions pour permettre à de tels projets de prospérer.

Par ailleurs, les gros bastions coopératifs existant – il ne faut pas les négliger – peuvent parfois rencontrer des difficultés. Je pense bien sûr aux coopératives agricoles ou aux banques coopératives, dont il faudra évoquer la gouvernance, mais aussi à toute une série d'autres secteurs, comme les coopératives de pêcheurs, que j'évoquais tout à l'heure, ou les commerces associés, une forme de coopératives très importante dans notre pays ; d'ailleurs, tout le monde ne sait pas toujours qu'il s'agit de coopératives…

Dans le rapport, nous ciblons des priorités. Le développement des SCOP en fait partie, notamment pour ce qui concerne la reprise et la transmission d'entreprises, car plusieurs facteurs de blocage existent aujourd'hui.

Prenons le cas des reprises d'entreprise. Actuellement, les seules indemnités perçues par les salariés en cas de licenciement économique ne sont pas suffisantes pour constituer la base de départ nécessaire au rachat d'une entreprise fortement capitalisée. Et les organismes bancaires ne se lancent pas facilement dans des aventures d'une telle nature.

Le Québec a institué un système de progression vers la coopérative. C'est un système transitoire où les coopérateurs sont actionnaires minoritaires de la coopérative, elle-même actionnaire minoritaire de l'entreprise. Tous les profits accumulés leur sont remis pour que leurs parts deviennent de plus en plus importantes, le reste étant porté par la caisse Desjardins vers une banque un peu spécialisée dans le monde coopératif. Chez nous, un tel dispositif pourrait être géré soit par des banques coopératives, soit par un fonds d'investissements coopératif, la coopérative dont les salariés sont minoritaires ayant vocation à devenir à terme une coopérative définitive.

Cela suppose également une adaptation de toute la législation, notamment fiscale.

J'insisterai quelques instants sur la question de la fiscalité. On entend parfois dire que de considérables avantages fiscaux seraient accordés aux coopératives. C'est inexact. Les coopératives ne bénéficient nullement d'avantages fiscaux particuliers.

La Cour de justice de l'Union européenne, dont chacun connaît le laxisme…

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