Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'économie sociale et solidaire

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'illustre l'excellent rapport de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, l'économie sociale et solidaire couvre un grand nombre de secteurs. À ce titre, elle est appelée à prendre toute sa part dans l'entreprise de redressement de notre pays que mène actuellement le Gouvernement. Dans cette logique, je consacrerai mon intervention au logement au travers du prisme singulier des « coopératives d'habitants ».

Si le rapport de Marie-Noëlle Lienemann précise que « l'habitat coopératif est un phénomène récent et embryonnaire en France », pour autant, ce sujet n'est pas inconnu de notre assemblée. Ainsi, en 2009, à l'occasion du débat sur la loi « de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion », la gauche avait déposé des amendements relatifs à ce sujet. Le gouvernement Fillon s'était bien engagé à travailler la question, mais cet engagement est resté de l'ordre de la déclaration d'intention.

Plus récemment, lors du dépôt par le groupe socialiste de la proposition de loi « visant à faire du logement une priorité nationale », notre attention avait été attirée sur ce sujet par le titre V, visant à « doter les initiatives solidaires et coopératives spécifiquement orientées sur le logement d'un cadre légal ».

Le sujet ne nous est donc pas totalement étranger. Cependant, dans notre pays, les coopératives d'habitants restent encore peu nombreuses : on en dénombre seulement une cinquantaine. Or, en Suisse, les coopératives d'habitation représentent 8 % du parc immobilier et 20 % des logements dans une ville comme Zurich. En Norvège, plus de 650 000 personnes ont opté pour ce mode d'habitat, soit l'équivalent de 15 % du parc immobilier national. Des initiatives de ce type existent dans toute l'Europe : en Allemagne, en Italie, en Belgique...

Ce mouvement s'inscrit dans un contexte national où, pendant les dix dernières années, le coût du logement a crû de 107 %, quand les revenus n'augmentaient que de 17 %. Le bilan est sans appel : la crise du logement frappe près de 10 millions de personnes dans notre pays. Ainsi que le précise le professeur Marty, le logement est devenu, pour l'essentiel, un objet de spéculation et de rente. Cette dynamique « mercantile » induit deux effets conjoints : d'une part, le citoyen se retrouve dans l'obligation de s'effacer devant les intérêts privés qui composent la chaîne immobilière et marchande ; d'autre part, au fil des politiques de défiscalisation, le logement neuf devient abondant et de qualité, mais reste inaccessible à une très grande majorité de nos concitoyens, compte tenu de son coût.

Face à cette réalité, et pour emprunter à Durkheim, « les coopératives d'habitants » opèrent un travail « d'administration de la preuve ». Cette solution alternative aux politiques de logement traditionnel est non seulement réaliste, mais elle speut constituer un élément important dans une politique renouvelée d'accès au logement. À ce titre, elle entend dépasser l'opposition entre propriété et location et elle est sous-tendue par une double logique : la première, qui est horizontale, renvoie à la solidarité envers nos contemporains ; la seconde, qui est verticale, s'exerce à l'endroit des générations à venir, compte tenu des procédés de fabrication retenus.

D'un point de vue théorique, les « coopératives d'habitants » peuvent prendre la forme de « coopératives locatives d'habitation » ou de « coopérative d'habitants par capitalisation ». Dans les faits, les porteurs de projets se tournent vers un modèle mixte, alliant les logiques économiques de la capitalisation et de la location.

Néanmoins, quelle que soit la forme retenue, les « coopératives d'habitants » présentent des caractéristiques communes. Il s'agit notamment de la propriété collective de logements dont tous les locataires sont les coopérateurs, car propriétaires des parts sociales de la coopérative. Ainsi, en cas de départ d'un coopérateur, ce qui est revendu, ce ne sont pas des murs, mais des parts sociales dont le prix de cession est encadré.

Le modèle est démocratique, puisque fondé sur la gouvernance démocratique et le principe « une personne égale une voix ». Il est solidaire, puisque la dimension individuelle n'exclut pas le développement de la mutualisation de services et d'espaces ; il est solidaire aussi du fait de la prise en compte des préoccupations environnementales. Enfin, il est non spéculatif, puisque la cession s'effectue sur une base de parts sociales à prix encadré.

Comme l'affirme Marie-Noëlle Lienemann dans son rapport, cette forme d'habitat participatif s'inscrit parfaitement dans une démarche de coopérative, telle que l'entend la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Cependant, les coopératives d'habitation ont été supprimées par la loi Chalandon de 1971. De ce corpus législatif ne subsistent que les coopératives de construction et les coopératives d'HLM ayant pour objet la construction de logements en accession à la propriété individuelle.

Convaincue de la pertinence de ce modèle qui propose « d'habiter un territoire » et non pas de « consommer du logement », j'estime qu'il est désormais temps de faciliter son développement et je compte sur votre action en ce sens, monsieur le ministre, ainsi que sur celle de vos collègues.

Sans reprendre toutes les propositions du rapport, je voudrais en rappeler quelques-unes.

La première concerne les nécessaires modifications à apporter à la loi de 1947. Ce texte est la base légale sur laquelle les projets sont actuellement produits, mais il n'a pas été pensé spécifiquement pour encadrer des projets de coopérative d'habitants. Ainsi, la rédaction d'un article visant à définir les sociétés coopératives d'habitants, la qualité d'associé, les possibilités que pourraient offrir des statuts précis, notamment au regard de tiers non-associés, constituerait une avancée importante.

Un vide juridique existe aussi pour les conditions de cession de parts. Il serait souhaitable d'y remédier en permettant que ces cessions se fassent librement, avec un prix qui serait bien sûr encadré, afin d'éviter toute dérive spéculative. Dans ce sens, permettre à la coopérative de pratiquer des loyers inférieurs au niveau du marché, sans risque juridique ou fiscal de pénalisation, me semble important. Dans le respect de l'esprit coopératif, il en va de même de la possibilité de moduler les loyers demandés aux coopérateurs selon l'ancienneté et le montant de l'apport initial.

La question du régime fiscal appliqué aux « coopératives d'habitants » constitue également un volet essentiel. Il serait intéressant de procéder à la modification du premier alinéa du I de l'article 150 U du code général des impôts pour que les bénéfices provenant d'opérations effectuées avec un tiers soient assujettis à l'impôt sur les sociétés à titre normal, pour que ces coopératives puissent provisionner sur le long terme en vue de travaux et pour organiser fiscalement la cession de parts sociales, initiales ou acquises, de la coopérative.

Enfin, la mauvaise articulation entre le droit coopératif et le droit du logement obère le développement de partenariats avec les sociétés d'HLM. De plus, elle rend problématiques les conditions d'attribution des logements sociaux produits au sein de la coopérative : il est donc nécessaire de réformer, à la fois dans une perspective de faisabilité et d'efficacité.

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